Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Construction de la paix

 

La sixième année après l'arrivée du Prophète à Médine, les musulmans se trouvaient donc dans une situation très favorable. Ils jouissaient d'une période de paix et de tranquillité relatives telle qu'ils n'en avaient jamais connu depuis la fondation de leur Etat. La situation n'était cependant pas exempte de dangers potentiels. Les tribus juives expulsées de Médine s'étaient installées auprès de leur coreligionnaire, à Khaybar, dans le nord-ouest de l'Arabie.

On pouvait toujours s'attendre à un renouvellement de l'alliance entre les Quraysh de La Mecque et les juifs de Khaybar pour entreprendre une nouvelle offensive contre les musulmans. Le Prophète était conscient qu'il valait mieux prévenir toute tentative de rétablir une telle alliance qu'essayer de s'y opposer une fois qu'elle serait constituée. Une démonstration de force était donc nécessaire pour rappeler à chacun que les musulmans de Médine étaient trop puissants et trop sur leurs gardes pour laisser se former une telle alliance.

Le Prophète était aussi pleinement conscient que les musulmans devaient montrer au reste du monde que, pour eux, la guerre n'était qu'un mal nécessaire et qu'ils préféraient vivre en paix avec les autres. Les musulmans étaient les dépositaires du message divin et ils avaient conscience que leur devoir primordial était de transmettre ce message à l'humanité. Pour s'acquitter correctement de cette mission, ils avaient avant tout besoin de paix. La démonstration à venir devrait donc remplir ces deux objectifs.

Un rêve très agréable

Une nuit, le Prophète se vit en rêve aller prier à la Ka'ba avec ses compagnons ; certains se rasaient la tête tandis que d'autres raccourcissaient leurs cheveux. Or, se raser la tête ou couper une partie de ses cheveux fait partie des rites du pèlerinage et de la umra (la visite pieuse). Dans ce rêve, ils pouvaient le faire sans ne craindre aucun ennemi ni ne rencontrer aucun obstacle. Il fut très heureux de ce rêve, qu'il relata à ses compagnons. Ceux-ci furent enchantés, car ils étaient conscients que les rêves des prophètes sont véridiques.

Quand un prophète fait un rêve, c'est une indication de ce qui va lui arriver, à lui ou à sa communauté. Les musulmans considérèrent donc ce rêve relaté par le Prophète comme une bonne nouvelle et l'accomplissement d'un de leurs plus chers désirs. En effet, tous les musulmans souhaitaient se rendre à la Ka'ba mais ils en avaient été empêchés pendant les six dernières années. Peu après, le Prophète annonça à ses compagnons et aux tribus arabes des environs de Médine son intention de se rendre à La Mecque pour honorer la Ka'ba et y célébrer le culte.

Il les invita à se joindre à lui. La plupart des tribus arabes qui n'adhérèrent pas encore à l'islam ne souhaitaient pas participer à cette expédition pacifique car ils craignaient que les Quraysh ne s'opposent au projet des musulmans et ne les empêchent de pénétrer à La Mecque. Si les Quraysh étaient déterminés à arrêter les musulmans, un conflit armé pourrait s'ensuivre. Ces tribus arabes restèrent donc à l'écart. Les musulmans, quant à eux, furent heureux de se joindre au Prophète, qui partit à la tête d'environ mille quatre cents de ses partisans.

Le voyage entrepris par le Prophète donna lieu à une situation très problématique. La Ka'ba était à La Mecque, la patrie des Quraysh qui s'étaient jusqu'alors montrés hostiles envers l'islam et les musulmans. Les Quraysh étaient toujours la tribu la plus importante et la plus puissante d'Arabie. Par ailleurs, ils étaient les gardiens de la Ka'ba. Leur position unique parmi les Arabes émanait en partie de ce rôle, qui demandait que personne ne soit empêché, sous aucun prétexte, de se rendre à la Ka'ba pour le pèlerinage ou l'exercice d'un culte.

Les années précédentes, les musulmans n'avaient pas été autorisés à se rendre à La Mecque en raison de l'état de guerre existant entre les Quraysh et eux. Maintenant que le Prophète et ses compagnons venaient pour une mission pacifique visant à manifester leur vénération pour la Ka'ba, quelle serait l'attitude des Quraysh ? S'ils repoussaient les musulmans, leur attitude serait-elle justifiée aux yeux des autres Arabes ? Un tel acte n'entacherait-il pas l'honneur des Quraysh en tant que gardiens de la Maison de Dieu ?

Le Prophète tenait à ce que les Quraysh n'aient absolument aucune excuse pour adopter une attitude hostile. Il prit donc toutes les dispositions nécessaires pour prouver aux Quraysh et à tous les Arabes que sa mission était pacifique et qu'il n'avait pas d'autre intention que d'honorer la Ka'ba. Le Prophète partit donc à la tête de ses compagnons durant le mois de dhûl-qi'da (février 628 apr. J.-C.) ; ils ne portaient pour toute arme que leurs sabres dans leurs fourreaux.

À l'époque, aucun voyageur traversant l'Arabie ne pouvait se passer de son sabre. Le Prophète montait sa chamelle al-Qaswa. Il emmenait avec lui soixante-dix chameaux : il avait l'intention de les sacrifier après avoir accompli sa umra et de distribuer leur viande aux pauvres dans le périmètre sacré de La Mecque. En effet, le sacrifice fait partie des rites du pèlerinage et est recommandé après la 'umra. Le pèlerin consomme une partie de la viande du sacrifice mais en distribue la majeure partie aux pauvres dans le périmètre sacré qui entoure La Mecque.

Le Prophète demanda à son compagnon aveugle, Ibn Umm Maktûm, de le remplacer à Médine et emmena avec lui Umm Salama, l'une de ses épouses. Arrivé à un endroit appelé Dhûl-Hulayfa, à neuf kilomètres environ de Médine, il s'arrêta pour accomplir la prière de duhr. Puis il marqua les chameaux, conformément à la tradition arabe, afin qu'on les reconnaisse comme des chameaux destinés à être sacrifiés après l'accomplissement des rites cultuels. Ses compagnons en firent autant avec les animaux qu'ils avaient emmenés pour le sacrifice.

Le Prophète et ses compagnons entrèrent ensuite en état de sacralisation en revêtant leurs vêtements d'ihrâm. Ils poursuivirent alors leur route en répétant des paroles signifiant qu'ils se rendaient à la Ka'ba pour y glorifier Dieu, en réponse à l'appel de Dieu à l'humanité.

Mesures de résistance

Le Prophète demanda à son compagnon Abbâd ibn Bishr de partir en éclaireur avec une vingtaine d'hommes afin d'assurer la sécurité du convoi. Il envoya également Bishr ibn Sufyân espionner les Quraysh pour sonder leurs intentions. Ces mesures étaient caractéristiques du Prophète, qui ne négligeait aucun détail. Il tenait à s'assurer que les musulmans ne seraient pas pris par surprise. Il était donc important que, pour leur première mission pacifique, les musulmans soient bien informés des intentions de leurs ennemis traditionnels.

La nouvelle des intentions du Prophète et de son approche à la tête de mille quatre cents de ses partisans suscita une vive agitation chez les Quraysh. Leur première réaction fut d'empêcher à tout prix les musulmans d'entrer à La Mecque. Cela impliquait qu'ils utiliseraient la force si nécessaire pour empêcher les musulmans de pénétrer à La Mecque pour adorer Dieu à la Ka'ba. Ils commencèrent immédiatement leurs préparatifs pour la guerre. Deux illustres chefs militaires, Khâlid ibn al-Walîd et 'Ikrima ibn Abî Jahl, partirent à la tête de deux cents hommes avec pour mission d'intercepter les musulmans à Kurâ' al-Ghamîm, à une certaine distance de La Mecque.

La troupe fut aussi rejointe par des volontaires de deux autres tribus et parvint à établir un système de communication pour envoyer à La Mecque des messages sur les mouvements du Prophète. Le Prophète poursuivit néanmoins sa route jusqu'à un endroit appelé Ghadîr al-Ashtât, où Bishr ibn Sufyân lui apprit que les Quraysh mobilisaient leurs forces et recherchaient l'aide d'autres tribus pour le combattre et l'empêcher de pénétrer à La Mecque. Le Prophète consulta ses compagnons, leur demandant s'ils pensaient qu'il serait bon d'attaquer leurs quartiers parce qu'ils empêchaient des gens de pratiquer leur culte.

Abu Bakr, son compagnon le plus proche, répondit : « Messager de Dieu, tu t'es mis en route afin de rendre visite à la Maison Sacrée. Tu n'as pas l'intention de combattre ni de tuer quiconque. Poursuis donc la route vers la Ka'ba : si des gens essaient de nous empêcher d'y parvenir, ce sont eux que nous combattrons. » Le Prophète apprécia cette réponse et ordonna à ses compagnons de poursuivre la route.

Les événements de cette journée suggèrent que le Prophète n'avait nullement l'intention d'entreprendre aucune attaque ni aucune guerre. En émettant cette suggestion, il ne cherchait semble-t-il qu'à s'assurer de l'état d'esprit de ses compagnons. Lui-même tenait beaucoup à ce que son expédition soit parfaitement pacifique. Il ne souhaitait nullement se battre ni remporter une victoire. Un succès obtenu pacifiquement lui paraissait plus à même de servir l'intérêt de son message. Tel était le principal objectif du Prophète.

Cependant, son pragmatisme le poussait à considérer objectivement chaque situation avant de déterminer sa position. En considérant l'évolution de la situation après avoir appris que les Quraysh se préparaient à la lutte armée, le Prophète décida d'essayer à tout prix d'éviter une telle éventualité. Il demanda donc s'il se trouvait parmi ses compagnons quelqu'un qui pourrait guider le convoi par un itinéraire permettant de contourner les Quraysh, afin d'éviter tout affrontement avec leur avant-garde.

Un homme de la tribu d'Aslam s'avança et les conduisit par un chemin très accidenté qui mit les musulmans à rude épreuve. Ils finirent par se retrouver dans une zone à découvert, facile à traverser. Le Prophète ordonna qu'on prenne par la droite, et le convoi arriva à la plaine d'al-Hudaybiyya, au sud de La Mecque, à seulement une journée de marche de la Ville Sainte.

Une déclaration de paix

Soudain, la chamelle du Prophète s'assit. On cria pour la faire relever, mais elle ne bougea pas. Certains suggérèrent qu'elle refusait d'aller plus loin . Le Prophète leur dit qu'un tel refus n'était pas dans sa nature. Il ajouta : « Elle est retenue pour la même raison qui a retenu l'éléphant. » Il faisait allusion à l'incident qui s'était produit près de soixante ans auparavant, lorsque Abraha, le souverain du Yémen, monté sur un éléphant, avait pris la tête d'une troupe importante dans le but de détruire la Ka'ba.

Le Prophète déclara ensuite : « Par Celui qui tient mon âme en Son pouvoir, je répondrai favorablement à toute proposition que me feront aujourd'hui les Quraysh afin de rétablir de bonnes relations et de garantir le respect des sanctuaires de Dieu. » Puis il ordonna à ses compagnons d'établir le camp.

L'endroit était quasiment à sec, ne comportant qu'un seul puits avec très peu d'eau. Les compagnons du Prophète économisèrent l'eau autant qu'ils le purent, mais le puits eut tôt fait de tarir. Quand ils eurent très soif, ils se plaignirent au Prophète. Celui-ci s'approcha du puits, s'assit à côté et demanda qu'on lui apporte un récipient avec le peu d'eau qu'on pourrait trouver. Il prit un peu d'eau dans sa main, se rinça la bouche et implora Dieu. Puis il demanda à ses compagnons de remettre l'eau dans le puits et leur dit de ne pas toucher au puits pendant un moment.

Selon certains récits, le Prophète aurait pris une flèche de son carquois et aurait demandé à ses compagnons de la lancer dans le puits. Le puits fut bientôt plein d'eau et fournit aux musulmans toute l'eau dont ils avaient besoin pour boire, faire leurs ablutions et abreuver leurs chameaux et leurs autres animaux. Ils ne manquèrent plus d'eau jusqu'à leur départ.

Une succession d'émissaires

Quand les Quraysh s'aperçurent que le Prophète avait réussi à échapper à leur avant-garde et campait à al-Hudaybiyya, ils décidèrent de lui envoyer un messager. Ils étaient aussi conscients que s'ils réussissaient à empêcher Muhammad d'entrer à La Mecque alors qu'il était venu dans le seul but de visiter la Mosquée Sacrée, les autres Arabes remettraient en cause leur comportement. Leur prestige tenait au fait qu'ils étaient les gardiens de la Maison Sacrée et qu'ils n'empêchaient personne de venir y pratiquer le culte. Le premier émissaire qu'ils envoyèrent fut Budayl ibn Warqâ' de la tribu des Khuzâ'a, qui se fit accompagner d'un groupe de ses contribules.

La tribu des Khuzâ'a avait toujours été favorable au Prophète. Certains de ses membres étaient devenus musulmans, mais même les autres étaient loin d'être hostiles au message de l'islam. Budayl parla au Prophète et lui dit que les Quraysh étaient déterminés à l'empêcher de pénétrer à La Mecque. Le Prophète l'assura qu'il n'avait aucunement l'intention de se battre. Il voulait seulement se rendre à la Ka'ba et montrer que les musulmans en reconnaissaient le caractère sacré. Le Prophète commenta ainsi l'attitude des Quraysh : « Les Quraysh sont maintenant dans un état d'esprit tel qu'ils ne pensent qu'à la guerre. Je suis prêt à convenir d'une trêve avec eux, s'ils le souhaitent. Je leur demande seulement de me laisser parler aux gens. Si je réussis et que des gens me suivent, ils auront le choix d'en faire autant. S'ils refusent, ils auront préservé leur force. S'ils sont déterminés à m'arrêter, je jure par Dieu que je les combattrai pour ma cause jusqu'à ma mort, et même alors ils ne pourront pas s'opposer à la volonté de Dieu. »

Budayl retourna auprès des Quraysh et leur dit : « Nous sommes revenus vers vous après avoir vu cet homme et entendu ce qu'il avait à dire. Voulez-vous entendre ce qu'il nous a dit ? » Certains d'entre eux crièrent : « Nous ne voulons pas entendre ce qu'il dit. » D'autres, plus avisés, lui demandèrent de relater ce qu'il avait entendu. Quand il eut terminé son récit, il plaida en faveur des musulmans, disant aux Quraysh qu'ils étaient durs dans leur attitude car Muhammad n'avait pas l'intention de les combattre : il ne voulait que se rendre à la Ka'ba.

Les chefs de Quraysh ne se laissèrent pas persuader de modérer leur position. Ils dirent : « Même s'il ne veut pas se battre, nous ne lui permettrons jamais d'entrer à La Mecque contre notre gré. Personne ne dira que nous avons laissé faire cela. » Les Quraysh envoyèrent ensuite Mikraz ibn Hafs parler au Prophète , et il revint avec le même message que Budayl. Le troisième émissaire des Quraysh fut al-Hulays ibn Alqama, le chef de la tribu des Habshî.

Quand le Prophète le vit arriver de loin, il dit à ses compagnons : « C'est un homme qui appartient à une communauté religieuse. Faites avancer vers lui les animaux destinés au sacrifice afin qu'il les voie. » Quand al-Hulays vit les animaux destinés au sacrifice, il retourna auprès des Quraysh sans avoir parlé au Prophète, car il était conscient qu'il n'y avait aucun motif de querelle. Il conseilla aux Quraysh de laisser Muhammad en paix et de lui permettre d'adorer Dieu à la Ka'ba. Ils le repoussèrent et lui dirent de les laisser tranquilles.

L'attitude des Quraysh mit al-Hulays en colère, mais aucun argument ne pouvait les faire revenir à la raison. Après avoir rejeté les conseils des trois premiers émissaires les incitant à permettre à Muhammad d'entrer à La Mecque pour pratiquer le culte à la Ka'ba, les Quraysh décidèrent d'envoyer un quatrième émissaire. Aucun des récits dont nous disposons ne met en évidence les raisons pour lesquelles les Quraysh pensèrent qu'envoyer un quatrième émissaire parler au Prophète ferait évoluer la situation. On ne sait pas ce que les Quraysh espéraient obtenir en envoyant ces émissaires dont ils n'étaient pas prêts à écouter les conseils.

Peut-être cela est-il révélateur de la confusion dans laquelle ils se trouvaient. Peut-être, au contraire, cherchaient-ils ainsi à se justifier. Les Quraysh voulaient peut-être pouvoir dire qu'ils avaient fait tout leur possible pour parvenir à un accord amirable avec Muhammad. Quoi qu'il en soit, l'homme choisi fut cette fois 'Urwa ibn Mas'ud , un chef de la tribu de Thaqîf, qui vivait dans la ville de Taif. 'Urwa voulut d'abord s'assurer, toutefois, qu'à son retour il ne serait pas traité de façon aussi désagréable que les autres émissaires que les Quraysh avaient envoyés, si les conseils qu'il rapportait ne plaisaient pas aux Quraysh.

Il s'adressa donc à ces derniers en ces termes : « J'ai remarqué comment vous avez fait injure à ceux que vous aviez envoyés à Muhammad. Vous savez que vous êtes pour moi mes parents et que je suis votre fils. Quand j'ai appris vos problèmes, j'ai réuni ceux des miens qui m'ont obéi et je suis venu vous apporter mon soutien. » Les Quraysh répondirent : « Cela est assurément vrai, et nous ne doutons pas de toi . » Quand il s'assit pour parler au Prophète, 'Urwa lui dit :

Muhammad, j'ai laissé tes concitoyens en train de mobiliser leurs forces. Ils jurent qu'ils ne te laisseront jamais atteindre la Maison Sacrée tant que tu ne les auras pas vaincus. Si un combat doit se dérouler entre eux et toi, tu te retrouveras face à l'une de ces deux éventualités : soit tu soumettras tes propres concitoyens, et nous n'avons jamais entendu parler d'un homme qui ait soumis ses propres concitoyens ; soit tes soldats t'abandonneront. As-tu réuni cette foule pour écraser tes propres concitoyens ? Ce sont les Quraysh que tu combats, et les Quraysh ont mobilisé jusqu'à leurs femmes et leurs enfants et sont maintenant dans un état d'esprit très déterminé ; ils jurent devant Dieu que tu n'entreras jamais dans leur ville. Mon sentiment est que tu seras dans une situation très difficile demain, quand cette foule t'abandonnera. Je ne reconnais assurément aucun d'entre eux et je ne pense pas qu'aucun d'eux vienne d'un milieu honorable.

À ce moment, Abu Bakr l'interrompit en lui demandant de montrer plus de respect. Tout en s'adressant au Prophète , 'Urwa essayait de lui saisir la barbe, un geste indiquant chez les Arabes un désir sincère d'entretenir de bonnes relations. Al-Mughîra ibn Shu'ba, un neveu musulman de 'Urwa, était debout derrière le Prophète, tenant son sabre à la main et portant son bouclier. Chaque fois que 'Urwa levait la main pour toucher la barbe du Prophète, al-Mughîra lui frappait la main du bout de son sabre en disant : « Écarte ta main du visage du Prophète avant qu'elle ne soit coupée. »

'Urwa ne le reconnut pas, mais s'exclama comme il persistait : « Maudit sois-tu, que tu es impoli ! » Le Prophète sourit à cette marque de l'amour et du respect que lui portait son compagnon. 'Urwa fit de son mieux pour affaiblir la détermination du Prophète à entrer à La Mecque, en soulignant le risque de défaite et en lui déconseillant de causer un affrontement armé. Le Prophète insista qu'il voulait seulement se rendre à la Ka'ba pour pratiquer le culte, comme n'importe qui d'autre aurait pu le faire sans en être empêché. Après tout, la Ka'ba n'était pas la propriété des Quraysh : ils en avaient seulement la garde et n'avaient donc aucun droit d'empêcher quiconque d'y pratiquer son culte.

'Urwa ne manqua pas de remarquer le respect que les musulmans avaient pour le Prophète . Quand il retourna auprès des Quraysh, il les conseilla ainsi :

Gens de Quraysh, j'ai vu Chosroes, l'empereur de Perse, le César de l'empire byzantin et le Négus d'Abyssinie, chacun dans son royaume. Je jure que je n'ai jamais vu un souverain jouir parmi les siens d'une position telle que celle de Muhammad parmi ses compagnons. Ils ne fixent pas leur regard sur lui, ils n'élèvent pas la voix quand ils lui parlent. Un simple signal à l'un d'entre eux suffit pour que cet homme fasse ce qu'il attend de lui. J'ai regardé ces gens et j'ai vu qu'ils ne se soucient pas de ce qui peut leur arriver tant qu'ils parviennent à protéger leur maître. Décidez-vous. Il vous a fait une proposition et je vous conseille de conclure un accord de paix avec lui et d'accepter son offre. Je vous conseille en toute sincérité, et je crains assurément que vous ne parveniez pas à le vaincre.

Néanmoins, les Quraysh n'apprécièrent pas l'opinion de 'Urwa et n'étaient pas disposés à envisager un accord de paix. 'Urwa partit donc avec les siens et retourna à Taif Tous les émissaires des Quraysh leur avaient donc conseillé, à leur retour, de modérer leur attitude et de permettre aux musulmans de pratiquer leur culte à la Ka'ba. Aucun n'avait cependant réussi à persuader les Quraysh que leur intransigeance était contraire à leurs intérêts.

Poussés par l'orgueil et la colère, les Quraysh étaient déterminés à ne pas céder, quelles que puissent en être les conséquences. Les musulmans, quant à eux, ne souhaitaient pas entrer à La Mecque par la force, ce qui n'aurait conduit qu'à une effusion de sang et à un combat contre leurs propres concitoyens. Ils gardèrent leur calme, espérant encore trouver une solution à leur problème.

Un récit suggère que les Quraysh envoyèrent une petite troupe de quarante à cinquante hommes à qui ils ordonnèrent de s'approcher du camp des musulmans et de faire prisonnier l'un des compagnons du Prophète. En l'occurrence, ce furent eux qui furent faits prisonniers, et ils furent conduits devant le Prophète. Celui-ci les gracia et les libéra. Dieu dit dans le Coran qu'il suscita la quiétude chez Son messager et les croyants et les fit se conformer aux règles de la foi et de la piété : telle est l'attitude qui leur convient le mieux. (Les événements d'al-Hudaybiyya sont évoqués dans la sourate 48, intitulée al-Fath ou « La Victoire ».)

L'Emissaire du Prophète

Considérant la situation et le fait qu'il avait reçu quatre émissaires des Quraysh sans que ceux-ci ne manifestent aucune intention de revenir sur leur opposition à la venue des musulmans à La Mecque, le Prophète trouva nécessaire d'exercer une pression sur les Quraysh. Il décida donc de leur envoyer un émissaire pour leur confirmer qu'il n'avait pour objectif que de pratiquer le culte à la Ka'ba, et non pas de se battre avec quiconque.

Son émissaire était Kharrâsh ibn Umayya de la tribu des Khuzâ'a. Dès que Kharrâsh arriva à La Mecque, les Quraysh blessèrent son chameau et voulurent aussi le tuer. Il fut sauvé par la tribu des Habshî, dont le chef al-Hulays avait été l'un des émissaires des Quraysh au Prophète. L'accueil infligé à Kharrâsh était contraire aux traditions séculaires de la diplomatie qui reconnaissaient l'immunité aux messagers et aux émissaires. Le Prophète ne souhaita pas cependant que cet incident soit un obstacle à sa tentative de parvenir à une résolution pacifique du problème. Il n'y prêta donc pas attention et se concentra sur le maintien des contacts avec les Quraysh.

Il pensa y parvenir plus efficacement en envoyant un personnage plus éminent choisi parmi ses compagnons. Le Prophète envisagea d'abord d'envoyer 'Umar ibn al-Khattâb comme messager. Celui-ci fit valoir toutefois que son clan, celui des Banû 'Adî, n'avait plus guère d'influence à La Mecque. Personne ne le protégerait si on s'en prenait à lui. Il suggéra que 'Uthmân ibn 'Affân, de la branche umayyade des Quraysh, serait mieux placé pour être l'ambassadeur du Prophète. Malgré la grande influence dont jouissait le clan de 'Uthmân à La Mecque, il dut s'y rendre sous la protection de son cousin, Abân ibn Sa'd ibn al-'As. Grâce à cette protection, il put transmettre son message, parler aux notables de Quraysh et leur expliquer que les musulmans étaient venus uniquement pour pratiquer le culte et n'avaient pas d'autre intention.

Il était préférable pour les Quraysh, soulignait 'Uthmân, que les Arabes voient qu'ils s'acquittaient fidèlement de leur mission de gardiens de la Maison Sacrée. Les Quraysh, quant à eux, ne voulaient pas démordre de leur refus. La seule concession que 'Uthmân put en obtenir fut qu'ils lui permirent d'accomplir le tawâf s'il le désirait. Il répliqua cependant qu'au vu des circonstances, il n'accomplirait pas le tawâf tant que le Prophète lui-même n'aurait pas été autorisé à le faire.

Les discussions de 'Uthmân avec les Quraysh se prolongèrent pendant trois jours. En outre, il put semble-t-il établir des contacts avec certains membres des Quraysh qui, tout en étant devenus musulmans, étaient restés à La Mecque et avaient tenu leur conversion secrète. Ils étaient semble-t-il assez nombreux à attendre ainsi avec impatience le jour où ils pourraient affirmer leur foi et la pratiquer librement. 'Uthmân leur apportait un message du Prophète leur disant que la victoire arriverait bientôt.

Ce message les encouragea considérablement et ils chargèrent 'Uthmân de saluer le Prophète et de lui dire de leur part que Dieu, qui lui avait permis d'établir le camp à al-Hudaybiyya, pouvait lui ouvrir les portes de La Mecque. Certains récits avancent que 'Uthmân aurait été arrêté par les Quraysh quand ils découvrirent qu'il avait pris contact avec les musulmans de Quraysh. Une rumeur naquit bientôt selon laquelle 'Uthmân avait été tué. Cette rumeur ne tarda pas à parvenir au camp musulman.

L'absence prolongée de 'Uthmân tendait à confirmer cette rumeur : ne recevant aucune indication du contraire, le Prophète conclut que le récit faisant état de la mort de 'Uthmân était véridique. Le traitement qu'avait subi son premier émissaire, Kharrâsh ibn Umayya, étayait également cette thèse. La situation semblait avoir atteint un point où la tolérance ne pourrait être que contre-productive.

Le serment

Profondément peiné et attristé, le Prophète considéra qu'en tuant 'Uthmân, son compagnon et son émissaire, les Quraysh avaient fermé la porte à tous les efforts visant à résoudre le différend pacifiquement. L'alternative qui restait était celle qu'il s'était efforcé d'éviter : la guerre. Il demanda à ses compagnons de lui faire le serment de combattre les Quraysh jusqu'à la fin. Il était debout sous un arbre lorsqu'il demanda ce serment et ses compagnons s'empressèrent de donner ce qu'il leur demandait. Chacun d'eux s'engagea à combattre sans jamais fuir la bataille, fût-ce au prix de sa propre vie.

Le Prophète se montra satisfait de la réaction de ses compagnons. Il prit aussi un engagement au nom de 'Uthmân : « 'Uthmân est en mission pour Dieu et Son messager. Je m'engage donc pour lui. » Il serra l'une de ses mains avec l'autre en disant : « Ceci est pour 'Uthmân. » Le Coran commente ainsi ce serment : « Dieu a été satisfait des croyants qui t'ont prêté serment d'allégeance sous l'arbre. Il savait quels sentiments les animaient. Aussi fit-Il naître la quiétude dans leurs coeurs, et leur accorda, en récompense, une victoire rapide, suivie d'un riche butin qu'ils pourront saisir, car Dieu est Puissant et Sage. » (48.18-19)

Cet engagement est connu sous le nom de Bay'at ar-Ridwân, ou « pacte de la satisfaction divine », car le Coran dit clairement que Dieu a été satisfait de ceux qui y ont pris part. De fait, ce serment réchauffa le coeur du Prophète , car il montrait une fois encore que ses compagnons étaient toujours prêts à consentir tous les sacrifices nécessaires pour la cause de l'islam. Ces compagnons du Prophète étaient pleinement conscients de la supériorité numérique des Quraysh. En outre, ils n'avaient pas emporté leur équipement militaire lorsqu'ils avaient entrepris ce voyage, n'ayant aucune intention guerrière.

Aucun ne portait son armure ni ne l'avait avec lui. Ils n'avaient emporté que le minimum d'armement absolument nécessaire à un voyageur traversant le désert d'Arabie : leurs sabres dans leurs fourreaux. Leur serment signifiait de fait qu'ils étaient déterminés à affronter la force bien plus puissante des Quraysh avec leurs seuls sabres, alors que les Quraysh étaient chez eux et qu'eux-mêmes n'avaient aucune possibilité de retraite ni de fuite. Ils étaient pleinement conscients de l'engagement qu'ils avaient pris. Plus tard, quand on les questionnait sur les termes de leur engagement et ce qu'il impliquait, ils répondaient : « La mort ».

Un tel engagement pris en toute sincérité ne pouvait que mériter la satisfaction divine, que ces gens avaient certes gagnée. Jâbir ibn Abdullâh, un compagnon du Prophète qui avait pris part à ce serment, a dit : « Le Prophète nous a dit le jour d'al-Hudaybiyya : "Vous êtes les meilleurs hommes sur la terre." »

Peu après la prestation de ce serment, 'Uthmân arriva pour rendre compte de sa mission. Son retour détendit la situation. Le Prophète fut ravi de le savoir en vie, mais contrarié par l'entêtement des Quraysh. Il réfléchit à la situation pour s'efforcer d'évaluer les choix qui s'offraient à lui. Les Quraysh avaient, quant à eux, appris le serment prêté au Prophète par les musulmans. Leurs chefs se consultaient : ils étaient conscients que le serment des musulmans prouvait sans l'ombre d'un doute leur détermination à mener à bien leur entreprise.

L'expérience passée donnait à penser que si un affrontement militaire avait lieu, il pourrait bien se solder par une victoire des musulmans, malgré leur infériorité numérique et leur manque d'équipement. Il ne faisait aucun doute que l'on pouvait toujours compter sur les musulmans pour se battre de toutes leurs forces et ne pas faiblir face à l'adversité. Maintenant qu'ils s'étaient engagés si clairement envers le Prophète à combattre jusqu'au bout, les musulmans n'allaient certainement pas se contenter de repartir. En outre, les Quraysh se disaient peut être qu'ils étaient dans leur tort en essayant d'empêcher les musulmans de pratiquer leur culte à la Ka'ba.

Leur attitude n'était motivée que par l'orgueil et la vanité. Les Quraysh comprenaient donc qu'il leur fallait sérieusement réfléchir aux conséquences, en particulier si l'affrontement militaire tournait en leur défaveur.

Une délégation de paix

Quelques hommes plus avisés des Quraysh suggérèrent sans doute que parvenir à un règlement pacifique du problème pourrait faire plus que la guerre pour préserver la dignité des Quraysh, même si l'issue des combats leur était favorable. L'opinion de leurs précédents émissaires, en particulier al-Hulays de la tribu des Habshi et Urwa ibn Mas'ud de celle des Thaqîf, commençait à paraître pertinente.

Qui plus est, si les Quraysh poussaient à l'affrontement, leur acte risquait de causer des combats à proximité de la Maison Sacrée et pendant le mois sacré. Ce serait un précédent qui causerait aux Quraysh plus de tort que de bien. Les arguments en faveur de la modération pesèrent donc subitement plus lourd. Une délégation dirigée par Suhayl ibn Amr fut envoyée pour négocier un accord de paix avec le Prophète.

Le Prophète réserva un bon accueil à Suhayl ibn 'Amr et sa délégation. Il demanda à ses compagnons de montrer les animaux qu'ils destinaient au sacrifice et de prononcer à voix haute des paroles exprimant le fait qu'ils étaient venus en réponse à l'appel de Dieu à honorer la Maison Sacrée. Les pourparlers furent difficiles. Malgré le désir du Prophète de parvenir à un règlement pacifique de la crise, les négociations se heurtaient à plusieurs problèmes importants.

Le débat portait sur la visite du Prophète à la Maison Sacrée, la détermination des Quraysh à ne pas donner l'impression d'avoir cédé à la force, la possibilité de parvenir à une trêve prolongée mettant un terme aux affrontements encore fréquents entre les deux camps, les relations futures entre ces deux camps et la liberté de chacun d'entreprendre des actions politiques dans le cadre plus vaste de l'Arabie dans son ensemble.

Il n'y avait cependant aucune raison de prolonger ces discussions. Le Prophète accepta facilement toutes les conditions des Quraysh. Ce fut Suhayl ibn Amr qui mit longtemps à présenter toutes ces conditions et leurs implications. Les Quraysh furent d'ailleurs surpris de voir toutes leurs conditions acceptées sans difficulté par le Prophète. Il fallait encore toutefois consigner l'accord par écrit et le faire signer par les représentants des deux camps.

Embarras dans le camp musulman

L'attitude du Prophète ne fut pas sans susciter certains remous dans le camp musulman. Les compagnons n'avaient pas l'habitude de voir le Prophète se montrer aussi conciliant. Les négociateurs de Quraysh eux-mêmes en étaient aussi étonnés. Non seulement le Prophète avait accepté toutes les conditions dictées par les Quraysh, mais, contrairement à son habitude, il n'avait même pas consulté les compagnons.

En outre, les termes de l'accord de paix étaient extrêmement surprenants pour les musulmans parce qu'ils les plaçaient en situation d'infériorité par rapport aux Quraysh. Pour les musulmans, il n'était ni utile ni nécessaire d'accepter de telles conditions. Certains ne parvenaient pas à dissimuler leur mécontentement. L'attitude de 'Umar ibn al-Khattâb constitue un bon exemple.

Quand les termes de l'accord de paix eurent été établis et furent sur le point d'être consignés par écrit, 'Umar alla trouver Abu Bakr et lui dit : « Abu Bakr, n'est-il pas le Messager de Dieu ? » Abu Bakr répondit par l'affirmative. 'Umar demanda encore : « Ne sommes-nous pas les musulmans ? » Abu Bakr ayant fait la même réponse, 'Umar poursuivit : « Ne sont-ils pas les idolâtres ? » Abu Bakr répondit encore : « Si. » 'Umar lui demanda alors : « Pourquoi donc devrions-nous accepter l'humiliation dans ce qui touche notre foi ? » Abu Bakr répondit par un conseil, en disant à 'Umar : « Suis-le quoi qu'il fasse, 'Umar. Je crois qu'il est le Messager de Dieu. »

'Umar, toujours troublé, répondit : « Moi aussi, je crois qu'il est le Messager de Dieu. » La position de 'Umar était que puisque les deux camps étaient en réalité opposés sur une seule question : la vérité contre l'erreur, la foi contre l'absence de foi, ceux qui étaient dans le camp du bien et de la vérité ne devaient pas céder face à ceux qui soutenaient le mal et l'erreur. Les croyants ne devaient jamais accepter aucune humiliation en ce qui concernait leur religion. Au contraire, ils devaient toujours se montrer fiers de leur religion.

'Umar ne se laissa donc pas dissuader. Il alla trouver le Prophète et lui posa les mêmes questions : « N'es-tu pas le Messager de Dieu ? Ne sommes-nous pas les musulmans ? Ne sont-ils pas les idolâtres ? » À toutes ces questions, le Prophète répondit par l'affirmative. La dernière question posée par 'Umar fut encore la même : « Alors pourquoi devrions-nous accepter l'humiliation dans ce qui touche à notre foi ? » La réponse du Prophète expliqua son attitude : « Je suis le serviteur et le Messager de Dieu. Je ne Lui désobéirai pas et Il ne m'abandonnera jamais. »

Le Prophète suivait bien des ordres divins qu'il avait dû recevoir à ce moment-là. Le Prophète appela ensuite Alî ibn Abî Tâlib pour qu'il écrive l'accord de paix devant être signé par les deux parties. Là encore, Suhayl ibn Amr se montra particulièrement inflexible, tandis que le Prophète faisait preuve de la plus grande souplesse. Le Prophète dit à Alî d'écrire : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux ». Suhayl l'interrompit : « Je ne connais pas cela ; écris : "En Ton nom, mon Dieu". » Le Prophète dit à Alî d'écrire la formule proposée par Suhayl. Puis il poursuivit sa dictée : « Voici les termes de l'accord de paix négociés par Muhammad, le Messager de Dieu, et Suhayl ibn Amr. »

Là encore, Suhayl objecta : « Si je t'avais reconnu comme messager de Dieu, je ne t'aurais pas combattu. Tu dois écrire ton nom et celui de ton père. » Le Prophète accepta l'argument de Suhayl et révisa son texte, demandant à 'Alî d'écrire :

Voici les termes de la paix conclue entre Muhammad ibn Abdullâh et Suhayl ibn Amr :
- Tous deux ont conclu une trêve totale d'une durée de dix ans, pendant laquelle tous jouiront de la paix et de la sécurité et personne n'attaquera personne.
- Si quelqu'un des Quraysh rejoint Muhammad sans la permission de son tuteur ou de son chef, il sera renvoyé aux Quraysh.
- Si quelqu'un du camp de Muhammad rejoint les Quraysh, ceux-ci n'auront pas à le renvoyer.
- Les deux parties reconnaissent être animées de bonnes intentions l'une envers l'autre.
- On n'admettra ni vol, ni trahison.
- Quiconque souhaitera s'allier à Muhammad pourra le faire, et quiconque souhaitera s'allier aux Quraysh pourra le faire.
- Il est décidé également que toi, Muhammad, tu repartiras chez toi cette année sans entrer à La Mecque. Au bout d'une année, nous évacuerons La Mecque pour que tu puisses y entrer avec tes partisans pour y rester trois jours seulement. Vous ne porterez que les armes nécessaires au voyageur : vos sabres dans leurs fourreaux. Vous ne porterez aucune autre arme.

Les intentions des musulmans mises à l'épreuve

Tels étaient les termes de l'accord de paix. Quand ils furent écrits, on demanda à des témoins de chaque camp de signer le document. A ce moment se produisit un incident de nature à mettre à l'épreuve la patience des croyants et à leur donner une nouvelle occasion de montrer la force de leur foi. Un homme de La Mecque arriva menotte et les pieds enchaînés. Il y était gardé prisonnier parce qu'il était musulman. Cet homme n'était autre que le propre fils de Suhayl, Abu Jandal.

C'était son père qui l'avait emprisonné et enchaîné. Il avait néanmoins réussi à s'échapper et à arriver à al-Hudaybiyya en empruntant un chemin inhabituel à travers les montagnes qui entourent La Mecque. Quand les musulmans le virent, ils furent contents qu'il ait pu s'échapper et lui firent bon accueil. Pendant qu'on écrivait l'accord de paix, Suhayl était trop occupé pour s'apercevoir de ce qui se passait. Quand cela fut fait, Suhayl leva les yeux et vit son fils parmi les musulmans. Il alla vers lui, le frappa au visage et le prit par le col.

Abu Jandal s'écria : « Mes frères musulmans, dois-je être renvoyé parmi les idolâtres pour me détourner de ma foi ? » Ces paroles touchèrent beaucoup les musulmans, dont certains se mirent à pleurer. Suhayl ibn Amr, par contre, ne se laissa pas émouvoir. Il dit au Messager de Dieu : « C'est la première personne dont je réclame le retour : vous devez me le rendre. » Le Prophète argua qu'Abû Jandal était arrivé avant qu'on ait fini de rédiger l'accord : « Nous n'avons pas encore fini de rédiger le document. » Suhayl répliqua : « Si c'est ainsi, je n'ai passé aucun accord avec vous. »

Le Prophète insista : « Alors permets-moi juste de le garder. » Suhayl refusa. Mikraz, un autre membre de la délégation des Quraysh, dit qu'ils devraient permettre à Muhammad de garder Abu Jandal. Le père resta inflexible et rejeta tous les appels à laisser son fils rejoindre les musulmans. Allant plus loin, il se mit même à frapper son fils avec une branche d'épineux. Le Prophète l'implora encore de laisser partir son fils, ou au moins de ne pas le torturer : Suhayl ne voulut rien entendre. Cependant, certains amis de Suhayl prirent Abu Jandal sous leur protection et son père cessa de le frapper.

Le Prophète expliqua à Abu Jandal qu'il ne pouvait pas lui venir en aide et lui dit, en élevant la voix pour qu'il puisse l'entendre : « Abu Jandal, sois patient et supporte ta situation pour Dieu. Il te fournira certainement une issue, ainsi qu'à ceux qui souffrent comme toi. Nous avons conclu un accord de paix avec ces gens en nous engageant devant Dieu à respecter les termes de cet accord. Nous ne violerons pas nos serments. »

'Umar ibn al-Khattâb était à nouveau outré par ce qui se passait. Il ne comprenait pas que les musulmans soient contraints à accepter des conditions aussi humiliantes ou à rester inactifs pendant qu'un de leurs frères était maltraité pour la seule raison qu'il croyait en Dieu et Son messager. Tandis qu'on emmenait Abu Jandal, 'Umar s'approcha de lui et marcha à ses côtés. Il lui dit : « Sois patient, Abu Jandal. Ces gens sont des négateurs. Ils ne valent rien. Le sang de l'un d'entre eux n'est pas plus précieux que le sang d'un chien. »

Tout en marchant à côté d'Abû Jandal et en lui parlant, il ne cessait de tourner la poignée de son sabre vers Abu Jandal, en espérant que ce dernier saisirait le sabre et tuerait son père. Toutefois, Abu Jandal ne voulait pas tuer son père ou il ne comprit pas ou ne remarqua pas le geste de 'Umar. Il se soumit à son destin jusqu'à ce que Dieu l'aide à obtenir sa liberté. Il fut emmené enchaîné. En le regardant partir, les musulmans étaient très peinés d'être dans l'incapacité de l'aider.

Quand le document précisant les termes du traité de paix eut été écrit, le Prophète demanda à un certain nombre de ses compagnons d'être les témoins de l'accord aux côtés des témoins du camp de Quraysh. Les témoins musulmans étaient Abu Bakr, 'Umar ibn al-Khattâb, Alî ibn Abî Tâlib, Abd ar-Rahmân ibn 'Awf, Sa'd ibn Abî Waqqâs, Mahmûd ibn Maslama et 'Abdullâh ibn Suhayl, un autre fils du principal négociateur des Quraysh.

Mikraz ibn Hafs et Huwaytib ibn Abd al-'Uzzâ étaient les témoins des Quraysh. La procédure de témoignage terminée, la délégation de Quraysh repartit. Cette paix était prévue pour durer dix ans. Très peu de musulmans parvenaient à en accepter l'idée sans ressentir un certain malaise. Leur amertume était accrue par le fait que les termes de l'accord impliquaient qu'ils devraient repartir chez eux sans avoir pu accomplir leur objectif d'adorer Dieu à la Ka'ba. Il faut se rappeler que le Prophète et ses compagnons étaient en ihrâm, en état de sacralisation, ayant quitté Médine pour accomplir la 'umra.

D'abord, ils n'avaient pas pu pénétrer à La Mecque à cause de l'intention déclarée des Quraysh de recourir à la force pour les en empêcher. Maintenant, c'étaient les termes de l'accord conclu avec les Quraysh qui les en empêchaient. Ils se trouvaient, de fait, dans la situation du muhsar : du pèlerin qui part de chez lui pour accomplir le pèlerinage ou la umra mais ne peut atteindre sa destination pour une raison indépendante de sa volonté. Dieu dit dans le Coran qu'une personne se trouvant dans une telle situation peut se défaire de l'ihrâm en égorgeant un mouton ou un autre animal destiné au sacrifice à l'endroit où il est contraint à arrêter son voyage.

La renonciation à un rite entrepris

Le Prophète dit à ses compagnons : « Sacrifiez vos bêtes, rasez-vous la tête et quittez l'ihrâm. » Personne ne manifesta l'intention d'obéir à cet ordre. Le Prophète répéta son ordre à trois reprises et personne n'était encore disposé à faire ce qu'on lui demandait. Le Prophète était très en colère. Il entra dans sa tente où Umm Salama, celle de ses épouses qui l'avait accompagné pour cette expédition, l'attendait. Elle remarqua tout de suite combien il était en colère.

Elle lui en demanda la raison et il répondit : « Les musulmans causent leur propre perte. Je leur ai donné un ordre et ils n'ont pas obéi. » Il lui relata comment ses compagnons avaient accueilli ses ordres avec indifférence, sans qu'aucun d'eux ne fasse mine d'obéir. Elle s'efforça de le calmer : « Messager de Dieu, ne les blâme pas. Ils sont très contrariés à cause de tout le mal que tu t'es donné pour obtenir cet accord de paix et parce qu'ils se rendent compte qu'ils doivent maintenant entreprendre le long voyage de retour sans avoir accompli leur but. »

Puis elle lui donna un excellent conseil : elle lui dit d'aller lui-même égorger les animaux qu'il destinait au sacrifice et se faire raser la tête, sans parler à aucun d'entre eux. Le Prophète, suivant le conseil de son épouse, sortit et sacrifia ses chameaux. Puis il appela quelqu'un pour lui raser la tête. Quand ses compagnons le virent agir ainsi, ils s'empressèrent d'en faire autant. Ils s'aidèrent mutuellement à se raser la tête, regrettant de ne pas avoir obéi promptement aux ordres du Prophète.

Tous les musulmans présents à al-Hudaybiyya ne se rasèrent pas la tête : certains se contentèrent de se raccourcir les cheveux. Le Prophète dit : « Que Dieu fasse miséricorde à ceux qui se sont rasé la tête. » Certains compagnons demandèrent : « Envoyé de Dieu, et ceux qui se sont coupé les cheveux ? » Il répondit en répétant la même invocation : « Que Dieu fasse miséricorde à ceux qui se sont rasé la tête. » On lui posa encore la même question à propos de ceux qui s'étaient coupé les cheveux, mais il répondit en répétant pour la troisième fois la même invocation. Une fois de plus on posa la même question au sujet de l'autre groupe, et cette fois le Prophète l'inclut dans son invocation en ajoutant : « et à ceux qui se sont coupé les cheveux. »

Quand on lui demanda pourquoi il avait répété trois fois son invocation en faveur de ceux qui s'étaient rasé la tête avant d'inclure aussi les autres, il répondit : « Ils n'ont eu aucun doute. » C'est là un élément qui est toujours important. Si les gens commencent à avoir des doutes, ils ne tardent pas à s'apercevoir que leurs doutes dictent leur comportement. Une foi solide implique qu'on accepte même ce qui paraît à première vue aller à l'encontre des intérêts des croyants, dès lors qu'on est certain que l'islam le demande. Or, à al-Hudaybiyya, les musulmans en étaient absolument certains puisqu'ils recevaient leurs ordres du Prophète lui-même.

Quand les compagnons du Prophète eurent fini d'égorger les animaux destinés au sacrifice et eurent quitté l'ihrâm, ils prirent le chemin du retour. Ils avaient passé un peu plus de deux semaines à al-Hudaybiyya, vingt jours selon certains récits. Ils étaient cependant toujours contrariés par cet accord de paix qui leur avait été imposé. Cela ne ressemblait pas du tout à ce que le Prophète leur avait dit avant leur départ. Il leur avait annoncé qu'ils prieraient à la Ka'ba. Or, ils n'avaient pas atteint la Maison Sacrée. Ils commencèrent donc à lui poser des questions.

Ce fut d'abord 'Umar, puis certains autres compagnons du Prophète qui lui demandèrent : « Ne nous as-tu pas dit que nous irions à la Ka'ba et que nous y accomplirions le tawâf. » Le Prophète répondit par cette question : « Vous ai-je dit que vous y iriez cette année ? » Comme ils répondaient que non, il poursuivit : « Vous irez certainement y accomplir le tawâf, si Dieu le veut. » L'autre fait que les musulmans avaient beaucoup de mal à admettre était la clause stipulant qu'ils devraient renvoyer tout membre des Quraysh qui venait à eux en se déclarant musulman, tandis que les Quraysh pourraient garder quiconque quitterait les rangs des musulmans pour les rejoindre.

Ils demandèrent au Prophète comment il avait pu accepter un tel manque d'équité. Celui-ci répondit : « Celui qui nous quitte pour les rejoindre, puisse-t-il ne jamais revenir. Mais si nous leur renvoyons quelqu'un qui est musulman, Dieu lui fournira certainement une issue à ses épreuves. »

Une grande victoire

Sur le chemin du retour, le Prophète reçut de nouvelles révélations : la sourate intitulée al-Fath ou « La Victoire ». Il demanda à 'Umar ibn al-Khattâb de s'approcher et lui dit : « Une sourate m'a été révélée cette nuit, et elle m'est plus chère que tout ce que le soleil éclaire mis ensemble. » Puis il récita la nouvelle révélation, qui évoquait ce qui s'était passé à al-Hudaybiyya comme une grande victoire. 'Umar lui demanda : « Est-ce une conquête, Messager de Dieu ? » Il répondit : « Oui, certes. Par Celui qui tient mon âme en Son pouvoir, c'est une grande victoire. »

Un musulman dit : « Ce n'est pas une victoire. On nous a empêchés d'entrer à la Mosquée Sacrée et nos animaux à sacrifier n'ont pas pu atteindre leur destination. Le Prophète a aussi été obligé de rendre aux idolâtres des musulmans qui voulaient nous rejoindre. »
Quand on rapporta ces paroles au Prophète, il dit :

Quelles mauvaises paroles ! C'est au contraire la plus grande victoire. Les négateurs étaient disposés à n'employer que des moyens pacifiques pour nous empêcher d'entrer chez eux ; ils étaient aussi disposés à venir à vous pour négocier un accord de paix et un pacte de non-agression. Votre bonne condition les a inquiétés. Dieu vous a donné le dessus sur eux. Il vous a permis de repartir en toute sécurité en ayant obtenu Sa récompense. Tout cela en fait vraiment la plus grande des victoires. Avez-vous oublié le jour d'Uhud, où vous couriez de toutes vos forces vers la montagne, fuyant devant eux, sans vous soucier de rien tandis que je vous appelais à vous arrêter et à vous battre pour l'au-delà ? Avez-vous oublié le jour où ils ont uni leurs forces contre vous et ont essayé de vous prendre en tenaille en vous attaquant par-devant et par-derrière ? Avez-vous oublié combien vous étiez désemparés, vous ne pouviez pas fixer votre regard, vos coeurs atteignaient presque vos gorges et vous étiez assaillis par toutes sortes de doutes et de soupçons ?

Ces paroles apaisèrent beaucoup les musulmans. En y réfléchissant bien, ils comprenaient maintenant que ce qu'ils avaient obtenu à al-Hudaybiyya n'était pas un mince succès. Ils dirent au Prophète : « Dieu et Son messager disent bien la vérité. C'est certainement la plus grande des victoires. Prophète, nous n'avions pas réfléchi de la manière que tu nous as indiquée. Tu sais assurément mieux que nous ce que Dieu veut pour nous. Nous sommes très heureux et satisfaits. »

Les doutes des musulmans firent peu à peu place à l'assurance. Ils étaient maintenant sûrs que cet accord de paix ne leur apporterait que du bien. Ils avaient confiance en Dieu et Son Prophète , et cette confiance signifiait que tant qu'ils leur obéiraient, ils ne subiraient aucun mal ni aucun dommage. Ils étaient toutefois loin de se douter des avantages qu'ils allaient tirer de cet accord de paix.

Aucun d'entre eux ne pouvait deviner ce qui allait arriver quelques mois ou une année plus tard. Les musulmans n'eurent pas longtemps à attendre avant de voir apparaître les premiers avantages de cet accord de paix. Tout d'abord, pour la première fois de leur histoire, les musulmans jouirent d'une période de calme où ils n'avaient pas à s'inquiéter des Quraysh. De fait, les arabes polythéistes de Quraysh avaient constitué le principal obstacle sur le chemin de l'islam, et ce depuis le début de la mission du Prophète .

Leur opposition résolue à l'islam avait poussé la plupart des autres tribus arabes à suivre leur exemple et à se montrer hostiles au Prophète. Les tribus juives avaient elles aussi trouvé dans les Quraysh un important soutien pour les aider à combattre le Prophète et les musulmans. Les Quraysh étaient donc le catalyseur qui répandait l'hostilité à l'islam dans toute l'Arabie. Quand l'accord de paix fut conclu, ce catalyseur devint inactif et l'hostilité envers l'islam se calma.

Maintenant, les Quraysh avaient été obligés de reculer. C'étaient eux qui avaient cherché à négocier la paix, reconnaissant ainsi la légitimité de l'État musulman et le traitant en égal. Ils avaient même admis l'idée d'envoyer une délégation au Prophète pour négocier les termes de l'accord de paix. C'était là pour l'islam une victoire qu'il ne fallait pas sous-estimer. Le Prophète était conscient que cette victoire morale ouvrait à la cause de l'islam d'importants horizons nouveaux.

Pour apprécier pleinement les perspectives que la paix d'al-Hudaybiyya ouvrait pour l'islam, il faut se rappeler que les musulmans étaient restés sur la défensive à Médine depuis qu'ils y avaient établi leur État. Ils ne pouvaient pas entretenir de relations significatives avec les tribus arabes parce que leur État était entouré d'ennemis de toutes parts. Personne ne pouvait être sûr de survivre dans un tel océan d'hostilité. Maintenant que la paix avait été conclue avec les Quraysh, les musulmans pouvaient établir des contacts avec les autres tribus et leur expliquer les principes de l'islam et la véritable nature de son message.

Les autres tribus étaient donc à même de comprendre l'islam sans crainte des Quraysh et de reconnaître la validité de ses principes et la noblesse de ses objectifs. Quand ils associaient cela à ce qu'ils savaient des hautes valeurs morales pratiquées par les musulmans et de leur mise en pratique des principes de leur foi dans leur vie, ainsi que ce qu'ils savaient du caractère et de la noble personnalité du Prophète, ils répondaient sans crainte ni hésitation à l'appel de l'islam.

L'islam put donc gagner de nouveaux adeptes dans toute l'Arabie, y compris à La Mecque, dans le territoire même des Quraysh. Le nombre de musulmans se multiplia rapidement, au point que le Prophète put lever, à peine deux ans plus tard, une armée de dix mille hommes, alors qu'à al-Hudaybiyya son armée n'en avait compté que mille quatre cents. C'est pour cette raison que la plupart des historiens voient dans la paix d'al-Hudaybiyya une grande victoire.

Comme l'écrit az-Zuhrî, un historien musulman ancien :

Aucune victoire antérieure de l'histoire de l'islam n'avait été aussi grande que celle d'al-Hudaybiyya. Ces victoires avaient été obtenues après des combats, tandis que, la trêve conclue et la paix obtenue, les gens ne se craignaient plus les uns les autres. Ils se rencontraient, établissaient des contacts et se parlaient. Aucune personne raisonnable à qui l'on présentait l'islam ne pouvait plus le rejeter. De fait, dans les deux années qui suivirent la paix d'al-Hudaybiyya, le nombre de musulmans passa à plus du double.

L'occasion de choisir librement

Pouvoir parler librement aux gens et témoigner de l'islam est beaucoup plus important que de remporter des batailles. Le but de l'islam n'a jamais été de conquérir des pays ni de soumettre des peuples. De fait, la contrainte comme moyen de conversion a toujours été condamné par l'islam. Depuis le début de sa mission, le Prophète et ses compagnons n'ont jamais rien demandé de plus que de pouvoir s'adresser librement aux gens et leur expliquer la nature et les principes de l'islam.

À al-Hudaybiyya, le Prophète vit une chance pour l'islam d'y parvenir et il était déterminé à ne pas la laisser échapper. Il s'avéra qu'il avait raison. Après l'accord de paix, le Prophète put aussi oeuvrer à la diffusion de l'islam au-delà de l'Arabie. Il écrivit aux souverains de tous les États entourant l'Arabie et aux chefs régnant sur les régions les plus lointaines de la péninsule arabique pour les informer de l'islam et les appeler à y croire.

Il confia ses messages à des compagnons connus pour posséder deux qualités primordiales : le courage et la sagesse. La plupart de ces souverains et de ces chefs n'adhérèrent pas à l'islam. Certains s'y montrèrent même extrêmement hostiles. L'attitude de l'empereur de Perse fut particulièrement insultante ; il maltraita aussi l'émissaire envoyé par le Prophète. Néanmoins, l'envoi de ces émissaires permit de faire connaître l'islam dans ces pays et mit en évidence le caractère universel de la religion musulmane. Celle-ci ne concernait pas uniquement l'Arabie : c'était une religion destinée à l'humanité entière.

L'accord de paix permettait aussi au Prophète de tourner son attention vers ses autres ennemis. Ils devaient mettre un terme à toute conspiration. C'est pourquoi les expéditions de Khaybar, Fadak et Tayma, qui allaient avoir lieu l'année suivante, allaient rehausser considérablement le prestige des musulmans en Arabie et accroître la puissance de leur État.

En outre, les musulmans n'avaient pas été contraints à trop de concessions. S'ils avaient accepté de repartir à Médine sans avoir pu se rendre à la Mosquée Sacrée, c'était en échange de l'assurance qu'ils pourraient le faire l'année suivante. Ils n'avaient pas totalement échoué dans l'accomplissement de l'objectif de leur voyage, celui-ci ayant simplement été remis à l'année suivante : en pratique, la concession n'était pas aussi importante que les musulmans l'avaient pensé sur le moment, emportés par leurs sentiments. L'alternative aurait été la guerre, qui aurait conduit à des conséquences bien pires. Cette perspective avait été totalement écartée, ce qui était en soi un grand succès.

L'une des raisons pour lesquelles il valait mieux éviter un conflit armé était qu'il le trouvait à La Mecque de nombreux musulmans qui avaient embrassé l'islam sans le faire savoir autour d'eux. Ils ne souhaitaient pas rompre avec leurs familles et espéraient qu'un jour viendrait où les Quraysh cesseraient d'être hostiles à l'islam. Certains, quant à eux, n'auraient pas pu émigrer à Médine s'ils l'avaient voulu, parce que leur situation ne les en laissait pas libres. Certains étaient retenus de force à La Mecque, comme nous l'avons vu dans le cas d'Abû Jandal ibn Suhayl, le fils du négociateur des Quraysh à al-Hudaybiyya. Ni le Prophète ni les musulmans ne savaient exactement combien de musulmans se trouvaient à la Mecque.

Une intransigeance contre productive

Les événements qui suivirent l'accord de paix d'al-Hudaybiyya devaient prouver, comme cela a souvent été le cas au cours de l'Histoire, que la partie adoptant une attitude intransigeante et inflexible et essayant d'imposer les conditions les plus sévères finirait par le regretter. La condition par laquelle les Quraysh pensaient sauver la face devant ceux qui pourraient critiquer leur revirement de la confrontation à la négociation, était celle qui exigeait que les musulmans rendent aux Quraysh quiconque viendrait de chez eux trouver le Prophète en déclarant sa conversion à l'islam.

Cette condition n'était pas réciproque, ne s'appliquant pas aux musulmans qui rejoindraient les Quraysh. Les musulmans eux-mêmes en éprouvaient une profonde amertume, trouvant cette condition humiliante pour leur nouvel État et totalement injustifiée. Le Prophète avait cependant conclu l'accord de paix en suivant les ordres de Dieu, et il ne s'embarrassait donc pas de la comparaison des diverses issues possibles. Il était convaincu que Dieu protégerait les musulmans et leur fournirait une issue favorable.

Les Quraysh ne devaient pas tarder à se rendre compte que la condition même par laquelle ils avaient voulu sauver la face était celle qui leur causerait le plus de problèmes. Un homme des Thaqîf s'appelant 'Utba ibn Usayd, mais mieux connu sous son surnom d'Abû Busayr, vint trouver le Prophète en se déclarant musulman. Peu après son évasion, Azhar ibn 'Abd Awf et al-Akhnas ibn Sharîq, de la même tribu, écrivirent au Prophète en lui demandant de le renvoyer conformément à son engagement.

Ils envoyèrent leur message avec un homme de la tribu de Amir qui voyageait en compagnie d'un de ses serviteurs. Quand ils eurent donné au Prophète la lettre qui lui était adressée, il parla à Abu Busayr en lui expliquant que les musulmans ne violaient pas leurs engagements et ne revenaient pas sur leurs promesses. Il n'avait donc pas d'autre choix que de le renvoyer avec ces deux hommes. Il lui dit également : « Dieu te fournira certainement une issue, ainsi qu'à ceux qui comme toi sont dans une position de faiblesse. »

Lorsque Abu Busayr protesta qu'on le renvoyait chez des gens qui essaieraient certainement de le détourner de sa religion, le Prophète ne put que répéter ses paroles. Abu Busayr partit avec ces deux hommes pour le long voyage de plus de cinq cents kilomètres entre Médine et La Mecque. Abu Busayr tenta semble-t-il de gagner la confiance de ses gardiens pendant ce voyage de plusieurs jours, sans les laisser soupçonner ses intentions. Lors d'une étape, comme ils étaient assis pour se reposer, l'homme de la tribu de Amir jouait avec son sabre en se vantant : « Un jour, je pourfendrai de ce sabre les tribus musulmanes des Aws et des Khazraj. »

Abu Busayr répliqua : « Alors ton sabre doit être bien affûté ! » L'homme répondit : « Oui, certes. Veux-tu le regarder ? » Abu Busayr accepta volontiers le sabre. À peine l'avait-il en main qu'il commença à en frapper l'homme avec force, jusqu'à ce qu'il ait fini par le tuer. Quand le serviteur vit cela, il fut absolument terrifié. Il s'enfuit vers Médine, sans cesser de courir jusqu'à ce qu'il arrive à la ville. Lorsque le Prophète le vit de loin arriver dans cet état, il dit : « Ce garçon a dû voir un spectacle horrible. » Quand le serviteur eut repris son souffle, il raconta ce qui s'était passé. Peu après, ce fut Abu Busayr qui arriva. Il salua le Prophète et dit : « Tu as respecté ton engagement. Dieu a accompli tes promesses. Tu m'as livré à ces gens, mais j'ai réussi à échapper à la persécution. »

Le Prophète lui dit de partir où il voudrait. Il lui expliqua qu'il ne pouvait pas lui permettre de rester à Médine parce que cela constituerait une violation de l'accord de paix. Quand Abu Busayr fut parti, le Prophète commenta son action en ces termes : « Cet homme causerait sûrement une guerre s'il avait des hommes pour le soutenir. »

En quittant Médine, Abu Busayr comprit qu'il devrait s'en prendre aux Quraysh pour pouvoir survivre. Il chercha donc un endroit sur le chemin côtier emprunté par les caravanes de Quraysh et s'y cacha. Chaque fois qu'une caravane de Quraysh passait, il l'attaquait pour piller autant qu'il pouvait de ses marchandises. Ces attaques, racontées à La Mecque, encouragèrent les musulmans qui s'y mouvaient. Abu Jandal et d'autres musulmans de La Mecque organisèrent soigneusement leur évasion, et soixante-dix d'entre eux parvinrent à rejoindre Abu Busayr dans sa cachette.

Ensemble, ces musulmans organisèrent des attaques de guérilla contre les Quraysh, visant en premier lieu les caravanes commerciales. Peu de-temps après, ils furent rejoints par un certain nombre d'hommes de différentes tribus, comme les Ghifâr, les Aslam et les Juhayna, qui n'étaient pas liées par le traité de paix entre le Prophète et les Quraysh. La troupe de guérilla comptait maintenant trois cents hommes. Ils parvinrent à causer beaucoup de tort aux Quraysh, sans pour autant que ces derniers puissent faire grand-chose contre eux.

Malgré les effectifs importants déployés par les Quraysh pour protéger leurs caravanes, ces combattants parvenaient à organiser des razzias sur toutes les caravanes, s'emparant de leurs marchandises et tuant leurs gardes. A toutes les époques de l'Histoire, et jusqu'à nos jours, il n'a jamais été facile de faire face à des groupes de guérilla résolus. Il n'est donc pas étonnant que les Quraysh se soient vite fatigués de la situation nouvelle créée par Abu Busayr, Abu Jandal et leurs hommes.

Ils commencèrent à demander au Prophète d'intégrer ces résistants à sa communauté afin qu'ils cessent d'importuner les Quraysh. Répondant à cette requête, le Prophète appela Abu Busayr et Abu Jandal à le rejoindre à Médine avec leurs hommes qui n'avaient pas où aller. Le Prophète ordonna aussi aux membres d'autres tribus qui s'étaient joints à Abu Busayr de retourner dans leurs tribus, où ils seraient en sécurité et pourraient poursuivre leur effort de diffusion de l'islam.

Abu Busayr avait apparemment été gravement blessé lors d'une de ses dernières razzias. La blessure lui fut fatale, et quand la lettre du Prophète lui parvint, il était à l'article de la mort. Il apprit que ses efforts avaient obtenu le résultat recherché et mourut en paix. Abu Jandal et ses compagnons l'enterrèrent à l'endroit où il avait entamé sa campagne contre les Quraysh, puis rejoignirent les musulmans de Médine. Ainsi, ce furent les Quraysh eux-mêmes qui abrogèrent la condition injuste et intransigeante qu'ils avaient imposée aux musulmans lors du traité de paix.