Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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La défection de véritables croyants

 

Il faut se rappeler aussi que lorsque le Prophète ordonna à ses compagnons de se préparer à un affrontement militaire avec les Byzantins, il dit clairement que personne ne serait dispensé de se joindre à l'armée à moins d'être physiquement incapable de voyager. Pourtant, plus de quatre-vingts hommes restèrent à Médine jusqu'au retour du Prophète. La vaste majorité était des hypocrites. Lorsque le Prophète revint, ils allèrent le trouver et donnèrent diverses excuses pour être restés en arrière, en lui demandant pardon.

Le Prophète accéda à leur requête mais Dieu indique clairement dans le Coran qu'il ne leur pardonnera pas. Trois hommes se trouvaient toutefois dans une situation tout à fait différente. Voici leur histoire telle que l'a relatée l'un d'entre eux, Ka'b ibn Mâlik.

Je ne suis jamais resté en arrière quand le Prophète est parti en expédition, sauf lors de celle de Badr. Ni Dieu ni le Prophète n'a blâmé personne pour être resté en arrière lors de Badr, parce que le Prophète était parti de Médine dans le but d'intercepter une caravane appartenant aux Quraysh. La bataille avait eu lieu sans préparation préalable et sans avoir été prévue. Par contre, j'avais participé au serment prêté par les ansâr au Prophète à al-'Aqaba, où nous avions affirmé de la manière la plus claire notre engagement en faveur de l'islam.

Je n'échangerais pas ma participation à ce serment contre la participation à la bataille de Badr, quoique Badr soit l'événement le plus célèbre. Cependant, je n'accompagnai pas l'armée lors de l'expédition de Tabûk. Jamais je n'avais été dans une meilleure situation matérielle ni en meilleure forme physique qu'à ce moment. Jamais, sauf à ce moment-là, je n'avais disposé de deux montures. Le Prophète avait l'habitude de ne pas divulguer sa destination. Cette fois, néanmoins, la destination étant si lointaine et le départ ayant lieu par un temps exceptionnellement chaud, il indiqua clairement aux gens qu'il avait l'intention d'attaquer les Byzantins.

Ceux qui se joignirent au Prophète furent si nombreux qu'il était impossible de les recenser précisément. Au vu des circonstances, ceux qui voulaient rester en arrière auraient pu penser qu'on ne les remarquerait pas, à moins que Dieu ne choisisse d'en informer le Prophète par une révélation. Le Prophète décida de lancer son offensive à une époque de l'année où les fruits étaient abondants et où les gens préféraient rester à l'ombre. Le Prophète et les musulmans s'activaient cependant aux préparatifs de la tâche qui les attendait.

Je me rendis jour après jour au marché dans l'intention de me procurer mon équipement, mais je rentrais à chaque fois sans avoir rien fait. Je me disais toujours que je pourrais me procurer rapidement ce dont j'aurais besoin. Je restai cependant dans cette situation jusqu'à ce que le moment de partir arrive. Le Prophète et son armée se mirent en route, mais je n'avais toujours pas entamé mes préparatifs. Je me dis : « Je peux encore me préparer en un jour ou deux et je devrais pouvoir les rattraper. »

Quand ils eurent parcouru une certaine distance, je me rendis au marché mais je revins sans avoir rien fait. Cela continua jour après jour. L'armée devait déjà être loin. Je me dis qu'il faudrait que je me hâte de la rattraper. Je voudrais bien l'avoir fait, mais je n'en fis rien. Chaque fois que je sortais, après le départ du Prophète et de l'armée, j'étais troublé par le fait que je ne rencontrais que des gens connus comme des hypocrites ou d'autres qui étaient physiquement incapables de combattre.

Or, je n'appartenais à aucun de ces deux groupes. On m'a dit que le Prophète ne fit aucune allusion à mon absence jusqu'à son arrivée à Tabûk. Il demanda une fois à ceux qui étaient avec lui à Tabûk : « Qu'est ce qui est arrivé à Ka'b ibn Mâlik ? » Un homme de la tribu des Salama répondit : « Messager de Dieu, sa richesse et son arrogance l'ont poussé à rester en arrière. » Mu'adh ibn Jabal lui dit : « Quelle méchante remarque ! Messager de Dieu, nous ne connaissons rien de mal sur cet homme. »

Le Prophète ne répondit rien. J'appris bientôt que le Prophète et ses compagnons avaient entrepris le voyage de retour. J'en fus très peiné. Ma première idée fut de mentir. Je commençai à réfléchir à ce que je pourrais dire au Prophète après son arrivée afin d'éviter sa colère. Je demandai l'aide de tous ceux de ma maison. Quand on annonça l'arrivée prochaine du Prophète, j'oubliai néanmoins toute idée de faux prétextes. Je compris que le seul moyen d'éviter la colère du Prophète serait de lui dire la vérité. J'étais donc déterminé à lui expliquer exactement ce qui s'était passé.

Le Prophète arriva alors à Médine. Il avait coutume, lorsqu'il rentrait de voyage, de se rendre d'abord à la mosquée et d'y prier deux rak'ât avant de s'asseoir pour rencontrer les gens. Quand il eut fait cela, ceux qui étaient restés en arrière allèrent le trouver et lui exposèrent leurs excuses en jurant qu'elles étaient vraies. Ils étaient plus de quatre-vingts. Le Prophète accepta leurs déclarations et leurs serments et implora Dieu de leur pardonner, s'en remettant à Dieu pour les juger selon Son omniscience. J'arrivai ensuite et je saluai le Prophète. Il demanda : « Qu'est-ce qui t'a poussé à rester en arrière ? N'avais-tu pas de monture ? »

Je répondis : « Messager de Dieu, si je parlais à tout autre que toi en ce monde, je pourrais éviter sa colère en inventant une excuse. Je peux plaider ma cause. Mais je sais avec certitude que si je te mentais en espérant te plaire, Dieu ne tarderait pas à te faire connaître la vérité et tu serais en colère contre moi. Si, par contre, je te dis la vérité et te mets ainsi en colère, j'espère obtenir de Dieu un meilleur résultat. Par Dieu, je n'ai aucune excuse. Jamais je n'ai été en meilleure forme physique ni dans une meilleure situation matérielle que lorsque je suis resté en arrière. » Le Prophète me dit : « Tu as certainement dit la vérité. Attends le jugement de Dieu. »

C'est ainsi que cet homme honnête et véritablement croyant plaida sa cause. Il n'inventa pas de faux prétexte : sa foi le rendait pleinement conscient qu'il ne pouvait mentir au Prophète . Pourtant, le Prophète n'implora pas Dieu de lui pardonner. Sa sincérité et l'honnêteté de sa réponse ne lui valurent pas plus que la reconnaissance par le Prophète de sa franchise. Le jugement était laissé à Dieu.

Ce n'était pas une situation facile pour lui et tous n'apprécièrent pas son attitude. Certains auraient pu penser que s'il avait avancé quelque excuse, le Prophète aurait demandé à Dieu de lui pardonner et que cela aurait été suffisant. De fait, certains membres de son clan vinrent lui dire : « Jamais nous ne t'avons vu commettre un péché avant cela. Tu aurais certainement pu donner une excuse au Prophète comme ceux qui sont restés en arrière. Tu aurais évité cette pénible situation si le Prophète avait imploré Dieu de te pardonner comme il l'aurait certainement fait. »

Ka'b poursuit ainsi son récit :

Ils insistèrent tellement que j'eus l'idée de retourner voir le Prophète en lui disant que j'avais menti. Avant de le faire, je leur demandai cependant si d'autres avaient agi comme moi. Ils me répondirent que deux autres hommes en avaient dit autant et avaient reçu la même réponse. Je demandai leur nom et j'appris qu'il s'agissait de Murâra ibn ar-Rabî' et Hilâl ibn Umayya. Je savais qu'ils étaient des hommes croyants et d'une piété sincère. Je compris qu'il convenait que je reste en leur compagnie. Je ne fis donc rien de plus.

Le Prophète ordonna à tous ses compagnons de ne parler à aucun de nous trois. Il ne donna cependant pas d'instructions semblables au sujet des autres hommes qui étaient restés en arrière. Tout le monde nous fuyait désormais. L'attitude des gens avait changé. Cela m'était très pénible, je ne savais plus qui j'étais ni où j'étais. Ce n'était plus la ville que je connaissais. Mon monde avait changé. Cette situation se poursuivit cinquante jours durant.

Mes deux compagnons, Murâra ibn ar-Rabî' et Hilâl ibn Umayya, restèrent chez eux. J'étais le plus jeune des trois. Je continuai à sortir et à me rendre aux prières en commun avec les autres musulmans. Je fréquentais tous les marchés, mais personne ne voulait me parler. J'allais aussi saluer le Prophète quand il restait assis après les prières. Je me disais toujours : « Ai-je remarqué un mouvement de ses lèvres suggérant qu'il a répondu à mon salut ? » Je priais près de lui et je l'observais en cachette. Quand j'étais absorbé dans mes prières, il me regardait, mais quand je regardais dans sa direction, il se détournait.

Quand ce boycott de toute la communauté musulmane me parut avoir duré trop longtemps, j'escaladai le mur d'un verger appartenant à un cousin qui m'était très proche, appelé Abu Qatâda. Je le saluai, mais il ne répondit pas. Je lui dis : « Abu Qatâda, je t'adjure par Dieu de me répondre. Sais-tu que j'aime Dieu et Son messager ? » Il ne répondit pas. Je répétai ma question à trois reprises, mais il gardait toujours le silence. Je l'implorai à nouveau, et il répondit alors : « Dieu et Son messager sont mieux informés. » Mes yeux débordèrent de larmes et je descendis.

Je me rendis au marché ; tout en marchant, je vis un étranger, semblant venir de Syrie, qui demandait où me trouver. Les gens m'indiquèrent à lui. Il s'approcha et me tendit une lettre du roi des Ghassan, la tribu arabe de Syrie. La lettre, écrite sur un morceau de soie, disait : « Nous avons appris que ton compagnon a imposé un boycott à ton encontre. Dieu ne t'a pas placé dans une position d'humiliation. Si tu te joins à nous, nous ferons en sorte d'alléger tes difficultés. » Quand je lus cette lettre, je me dis que ma sincérité était à nouveau mise à l'épreuve : j'étais tombé si bas qu'un négateur espérait que j'accepterais facilement de me rallier à son camp.

Je jetai la lettre dans un four et la brûlai. Quand cette situation eut duré quarante nuits, un messager du Prophète vint me dire : « Le Messager de Dieu t'ordonne de t'éloigner de ta femme. » Je demandai si cela signifiait que je devais divorcer et il répondit que non. Il me dit de rester seulement éloigné d'elle. Mes deux compagnons reçurent eux aussi les mêmes instructions. Je dis à mon épouse d'aller dans sa famille et d'y rester jusqu'à ce que Dieu ait donné Son jugement sur cette affaire. Hilâl ibn Umayya était un vieillard. Son épouse alla trouver le Prophète et lui dit : « Messager de Dieu, Hilâl ibn Umayya est très âgé et n'a pas de serviteur.

Me permets-tu de continuer à m'occuper de lui ? » Il répondit : « C'est entendu, mais ne le laisse pas t'approcher. » Elle dit : « Par Dieu, il est loin de penser à ces choses. Il ne cesse de pleurer depuis que cela lui est arrivé, au point que je crains pour sa vue. » Certains membres de ma famille suggérèrent que je devrais moi aussi demander au Prophète la permission de garder ma femme pour s'occuper de moi. Je répondis : « Je ne vais pas lui demander cela. Je ne sais pas ce qu'il répondrait, étant donné que je suis un homme jeune. »

Dix autres nuits passèrent, ce qui faisait cinquante nuits depuis que le Prophète avait ordonné aux musulmans de ne pas nous adresser la parole. À l'aube faisant suite à la cinquantième nuit, je priais sur le toit d'une de nos maisons. J'étais toujours dans la condition que j'ai décrite : le monde semblait avoir rétréci au point que j'étouffais et je ne me reconnaissais plus. Quand je m'assis après les prières de l'aube, cependant, j'entendis une voix venant du Mont Sila' qui disait : « Ka'b ibn Mâlik ! Réjouis-toi ! »

Je compris que mon épreuve était terminée et je me prosternai pour remercier Dieu. Ce qui était arrivé, c'était que le Prophète avait informé les fidèles, après la prière de l'aube, que Dieu nous avait pardonnés. Les gens s'étaient dépêchés de nous apporter cette heureuse nouvelle. Un homme avait enfourché son cheval pour venir me l'annoncer, tandis qu'un homme de la tribu d'Aslam était monté sur la colline pour me crier la nouvelle. Sa voix avait été plus rapide que le cheval. Quand j'entendis la voix de cet homme m'annoncer la plus heureuse nouvelle que j'avais jamais reçue, je lui offris mes deux vêtements pour exprimer ma reconnaissance.

Par Dieu, c'étaient les seuls vêtements que j'avais à l'époque. J'empruntai deux vêtements et je m'empressai d'aller trouver le Prophète. Les gens se pressaient autour de moi pour me dire : « Félicitations, Dieu t'a pardonné. » J'entrai à la mosquée et je vis le Prophète assis au milieu d'un groupe de fidèles. Talha ibn 'Ubaydallâh vint rapidement à ma rencontre, me serra la main et me félicita. Il fut le seul des muhâjirûn à agir ainsi. Jamais je n'oublierai la bonté de Talha.

Quand je saluai le Prophète , il me dit, le visage rayonnant de plaisir : « Réjouis-toi, car ce jour est pour toi le plus heureux depuis ta naissance ! » Je lui demandai : « Est-ce toi qui m'as accordé ce pardon, Messager de Dieu, ou est-ce Dieu ? » Il répondit : « C'est Dieu. » Quand le Prophète était heureux de quelque chose, son visage rayonnait comme la pleine lune : nous nous en apercevions toujours.

Quand je m'assis face à lui, je lui dis : « Messager de Dieu, je vais parfaire mon repentir en donnant tous mes biens en aumône. » Le Prophète répondit : « Garde une partie de tes biens, c'est meilleur pour toi. » Je répondis que je garderais donc ma part de Khaybar. J'ajoutai que je n'avais été pardonné que parce que j'avais dit la vérité et que, pour parfaire mon repentir, je ne dirais plus jamais de mensonge ma vie durant. Je pense que la plus grande grâce que Dieu m'ait accordée depuis qu'il m'a guidé vers l'islam est le fait que j'aie dit la vérité au Prophète ce jour-là. Si j'avais inventé quelque prétexte, j'aurais été perdu comme tous ceux qui lui ont menti.

Dieu a décrit ces gens de la manière la plus effroyable. Il dit dans le Coran : « Ils prendront Dieu à témoin de leur loyauté afin d'éviter vos reproches. Détournez-vous de ces êtres immondes dont le dernier refuge sera la Géhenne, pour prix de leurs forfaits. Ils vous adjurent d'accepter leurs excuses. Sachez que si vous les agréez, Dieu n'agréera point les excuses des gens pervers ! » (9.95-96) Je n'ai jamais sciemment ni délibérément prononcé de mensonge depuis le jour où j'ai dit cela au Prophète. J'implore Dieu de me permettre de tenir parole le restant de mes jours.

Telle est l'histoire de ces trois hommes qui durent attendre le jugement de Dieu, relatée par l'un d'entre eux. Chaque paragraphe de ce récit est une leçon. Il dépeint également cette première société musulmane, montrant la solidité de sa structure, la pureté de sa foi, sa conception claire de l'unité de la communauté.