Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Rétrospective Historique

 

Lorsqu'on évoque les premiers prophètes, on pense souvent à Abraham, non pas parce qu'il était le premier prophète - selon la tradition musulmane, ce n'est pas le cas - mais parce que Dieu l'a honoré en confiant la mission prophétique à sa descendance. Pourtant, à un âge avancé, Abraham n'avait toujours pas d'enfant et Sarah, sa femme bien-aimée, n'était plus en âge de procréer. Dans sa foi inébranlable en la toute-puissance divine, Abraham espérait encore qu'un jour viendrait où il aurait un enfant qui lui apporterait joie et bonheur dans ses vieux jours.

Sarah avait une servante nommée Hagar qu'elle avait ramenée d'Egypte. Elle offrit cette servante à Abraham en disant : « Je suis maintenant une vieille femme, beaucoup trop âgée pour avoir des enfants. Je te donne ma servante, Hagar, et j'espère que Dieu te donnera un enfant avec elle. » Peu après, Hagar était enceinte. Elle donna naissance à un fils qu'on appela Ismaël.

La joie d'Abraham était immense, tout comme celle de Hagar. Elle savait que maintenant sa place dans la maison n'était plus celle d'une servante : elle était la mère du seul enfant de la famille. En regardant Hagar s'occuper de son fils nouveau-né, Sarah éprouva une jalousie de plus en plus vive, surtout lorsqu'elle remarqua toute l'attention, l'amour et la tendresse qu'Abraham portait à Hagar et Ismaël.

Pourtant, le bonheur de Sarah tenait à coeur à Abraham. Après tout, elle était depuis de longues années l'épouse qui partageait sa vie. Il se dit que le seul moyen d'assurer le bonheur des deux femmes serait de les séparer. Comme il réfléchissait à la manière d'y parvenir, il reçut des ordres divins qui mirent un terme à ses hésitations. En parfait croyant toujours prêt à exécuter les ordres de Dieu, Abraham se mit en route avec Hagar et Ismaël, pénétrant au plus profond de la péninsule arabe par des chemins inconnus, et parvint à l'endroit où se trouve actuellement la Mecque. À l'époque, la région était désertique, on n'y trouvait ni eau, ni végétation. Personne n'y habitait. Mais Abraham reçut de Dieu l'ordre de laisser son fils Ismaël et Hagar à cet endroit. Il laissa donc l'enfant là avec sa mère, leur donnant un sac de dattes et le peu d'eau qu'il avait avec lui. Puis il repartit pour la Palestine où il avait laissé Sarah.

Hagar lui demanda comment il pouvait les abandonner dans cette vallée aride : Abraham ne répondit pas. Il ne pouvait même pas regarder en arrière, tellement il était triste de les laisser là. On imagine facilement ses yeux pleins de larmes, tandis qu'il s'éloignait en les abandonnant. Cherchant désespérément à être rassurée, Hagar lui demanda s'il les abandonnait là sur un ordre de Dieu. Il répondit que oui, et elle dit alors : « Celui qui t'a ordonné de faire cela ne nous abandonnera pas. »

Dans la solitude de son long voyage de retour, Abraham dut ressentir toutes les émotions d'un vieux père abandonnant son enfant unique, seul avec sa jeune mère dans le désert. Croyant profondément à la sagesse divine, il était cependant convaincu qu'il pouvait les confier au soin de Dieu. Il leva les mains et prononça du fond du coeur cette prière : « Seigneur, j'ai installé une partie de mes descendants dans une vallée sans culture, auprès de Ton oratoire sacré afin, Seigneur, qu'ils puissent accomplir la prière ! Seigneur, dispose en leur faveur les coeurs d'un certain nombre d'hommes ! Veille à leur procurer des fruits pour leur subsistance. Peut-être seront-ils reconnaissants. » (Coran 14.37) Soulagé par le sentiment que Dieu n'abandonnerait pas ces deux êtres sans défense qui lui étaient si chers, Abraham put poursuivre son voyage.

Une mère solitaire avec son enfant

Dans la vallée aride, Hagar s'occupait de son jeune fils, rassurée de savoir que c'était pour un dessein de Dieu qu'ils se trouvaient dans ce désert sans vie. Elle ne voyait pas de raison de désespérer. Pendant quelques jours, son fils et elle survécurent grâce aux dattes et à l'eau qu'Abraham avait laissées. Elle rendait grâce à Dieu pour Ses bienfaits et L'implorait d'avoir pitié d'elle et de son fils. Bientôt, cependant, sa réserve de dattes et d'eau s'épuisa. Elle n'avait rien pour se nourrir ni pour nourrir son enfant. Tous deux avaient faim et soif.

Au milieu des cris du petit enfant, Hagar était désemparée, envahie par le désespoir. Elle courait çà et là, dans l'espoir de trouver quelque chose pour calmer Ismaël. Elle grimpa sur la colline la plus proche pour tenter d'observer les environs. Cette colline, c'était as-Safa. Ne voyant personne, elle descendit et grimpa sur la colline voisine, al-Marwa. Là non plus, aucun signe de vie n'était visible. Elle retourna à la première colline, puis continua ainsi à aller et venir entre les deux collines. À chaque fois, il lui semblait entendre des voix venant de la direction opposée. Comme elle avait couru sept fois entre les deux collines et se trouvait au sommet d'al-Marwâ, elle entendit une voix tout près d'elle, sans voir personne. Elle dit alors : « Qui que tu sois, aide-nous si tu le peux. »

Se tournant vers son enfant au creux du vallon, elle le vit frotter la terre de son pied. Puis elle entendit l'ange lui demander qui elle était. Elle répondit : « Je suis Hagar, mère du fils d'Abraham. » Il lui demanda ensuite : « À qui t'a-t-il confiée dans ce lieu désolé ? » Elle répondit : « Il nous a confiés à Dieu. » L'ange dit alors : « Eh bien, il vous a confiés au Miséricordieux, au Compatissant. »

À ce moment, tandis que l'enfant frottait encore le sol, de l'eau jaillit entre ses pieds. Hagar s'écria : « Dieu est Grand. » Elle courut rejoindre son fils et se mit à former une barrière autour de la source pour éviter que l'eau ne s'écoule dans la vallée. Elle remplit son outre, et l'eau jaillissait toujours. Après avoir fait boire son enfant, elle but elle-même et se prosterna pour exprimer sa reconnaissance envers Dieu. Elle savait désormais qu'elle avait été conduite à cet endroit pour que se réalise un dessein précis de Dieu.

L'eau continua de jaillir et attira des oiseaux. Il se trouva qu'une tribu arabe appelée les Jurhum voyageait alors vers le Nord à travers le désert. Voyant passer un oiseau, ces gens se rendirent compte qu'une source devait se trouver aux alentours, car les oiseaux n'allaient que là où il y avait de l'eau. Désireux de se réapprovisionner en eau, ils s'efforcèrent de déterminer la position exacte de la source. Leurs émissaires eurent tôt fait de revenir avec la bonne nouvelle, et ils se rendirent sur place pour boire et se laver. Lorsqu'ils virent Hagar, ils comprirent que la source lui appartenait. Cette dernière était cependant fort heureuse de les voir et leur permit d'établir leur camp.

Les Jurhum se plurent à cet endroit, et Hagar était ravie de leur compagnie. Ils décidèrent de s'installer là, abandonnant leur projet d'aller plus au Nord. Ce fut le commencement d'une vie sédentaire dans la vallée de La Mecque. Ismaël grandit parmi la tribu des Jurhum ; il apprit à parler leur langue, l'arabe, et se mêla à leurs enfants. Devenu un jeune homme, il épousa une jeune fille de cette tribu qui lui donna des fils et des filles. De fait, Ismaël était devenu l'un des Jurhum.

Lui-même et ses enfants vécurent dans cette vallée, et bien des générations plus lard, Muhammad , Messager de Dieu et descendant direct d'Ismaël, naquit au même endroit. Abraham ne se contenta pas d'abandonner son enfant seul avec sa mère et de les oublier ; un prophète n'abandonne pas ainsi sa famille. Malgré la distance séparant la Palestine du lieu où il avait laissé Ismaël, Abraham rendait visite à Hagar et Ismaël de temps à autre. Il reconnaissait la grâce divine, manifeste dans le fait que les Jurhum étaient venus s'installer dans cette vallée, permettant ainsi à Ismaël de grandir parmi eux.

Le Grand Sacrifice

Lors d'une de ses visites, Abraham fit un rêve lui ordonnant de sacrifier à Dieu son fils Ismaël. Ce dernier était alors adolescent, et capable de comprendre qu'un prophète comme son père n'avait pas de fausses visions. Le premier signe de la prophétie est que les rêves d'un prophète sont aussi vrais que ce qu'il voit dans la vie réelle. Le rêve se répéta durant trois nuits consécutives et Abraham comprit qu'il n'avait pas d'autre issue que d'exécuter l'ordre divin. Il expliqua la situation avec la plus grande douceur possible à son fils, qui était encore tout jeune, et lui demanda : « Qu'en dis-tu, mon fils ? »

Ismaël, élevé par une mère dont la foi profonde ne lui avait pas fait défaut même lorsqu'elle se trouvait abandonnée seule avec son enfant au milieu du désert, et par un père qui était prophète, portait la foi en lui depuis son plus jeune âge. Il affronta donc clairement le problème et se déclara prêt à se soumettre à la volonté divine : « Père, fais ce qui t'est ordonné. Tu verras, s'il plaît à Dieu, que je suis de ceux qui savent s'armer de patience dans l'épreuve. » (Coran 37.102)

Le père et le fils s'éloignèrent de la ville jusqu'à un lieu aujourd'hui appelé Mina, où ils s'apprêtèrent à obéir à l'ordre divin. Satan tenta alors de dissuader Abraham de sacrifier son fils en éveillant en lui l'amour paternel. Abraham, cependant, ne faiblit nullement dans sa soumission à la volonté divine : il lapida Satan en trois endroits différents, une action commémorée par les pèlerins lorsqu'ils lapident les stèles lors d'un des rites du pèlerinage. Au moment où Abraham s'apprêtait, dans sa soumission absolue à la volonté divine, à sacrifier son fils, un ange lui apparut et lui ordonna de s'arrêter. Dieu, lui dit-il, avait accepté son offrande et était satisfait de son obéissance : Il épargnait Ismaël pour le laisser à son vieux père. L'ange donna à Abraham un bélier de belle taille à sacrifier à la place de son fils.

La construction de la Ka'ba

Lors d'une autre visite, peut-être quand Ismaël était déjà marié et avait des enfants, Abraham lui dit que Dieu lui avait ordonné d'édifier une Maison à cet endroit pour en faire un temple sacré. Ismaël se montra prêt à aider son père à bâtir l'édifice souhaité. Le père et le fils travaillèrent dur pour poser les fondations et élever le bâtiment. Ismaël apportait les pierres et les posait à leur place tandis qu'Abraham s'assurait que la construction était solide et fiable. Lorsque le bâtiment fut plus haut qu'Abraham, Ismaël apporta une grosse pierre sur laquelle son père monta pour continuer le travail. Tout en oeuvrant à l'édification du bâtiment, le père et le fils imploraient Dieu d'accepter leur travail et de bénir leur descendance. Le Coran mentionne leurs prières :

Et quand Abraham et Ismaël élevaient les assises de la Maison : « ô notre Seigneur, accepte ceci de notre part! Car c´est Toi l´Audient, l´Omniscient. Notre Seigneur! Fais de nous Tes Soumis, et de notre descendance une communauté soumise à Toi. Et montre nous nos rites et accepte de nous le repentir. Car c´est Toi certes l´Accueillant au repentir, le Miséricordieux. Notre Seigneur! Envoie l´un des leurs comme messager parmi eux, pour leur réciter Tes versets, leur enseigner le Livre et la Sagesse, et les purifier. Car c´est Toi certes le Puissant, le Sage! » (Coran 2.127)

Dieu accepta l'oeuvre d'Abraham et Ismaël et exauça leurs prières. Il fit de l'édifice qu'ils avaient construit un centre religieux accueillant des pèlerins du monde entier. Dieu enjoignit à Abraham d'annoncer aux êtres humains que Dieu leur demandait d'accomplir le pèlerinage à cette Maison. Abraham demanda : « Jusqu'où ma voix pourra-t-elle porter, Seigneur ? » Dieu lui dit que sa tâche ne consistait qu'à l'annoncer, et que Lui-même ferait en sorte que cette annonce soit entendue de tous. Cette annonce ayant été faite, les gens commencèrent à affluer à la Maison, qu'on appela la Ka'ba. Abraham leur enseigna les rites du pèlerinage, tels que Dieu les lui avait enseignés par l'intermédiaire d'un ange.

Dieu dit à Abraham que Sa volonté était que La Mecque soit un sanctuaire où tout combat serait interdit : les animaux devaient y circuler librement, sans crainte d'être chassés ; il était interdit d'y couper les arbres ; les gens devaient y être en sécurité. Tel est le statut de La Mecque depuis qu'Abraham a construit cette Maison, le premier centre religieux édifié pour l'humanité. Dieu avait enjoint à Abraham de construire la Ka'ba pour servir de point de rassemblement à ceux qui adorent Dieu Seul, sans Lui attribuer d'associés ni d'égaux. Elle devait aussi être un refuge où chacun serait en sécurité.

La Ka'ba a toujours été une construction de pierre sombre sans signification propre particulière ; son plafond reposait sur des piliers faits du meilleur bois. Le caractère sacré qu'a acquis la Ka'ba provient des souvenirs qui s'y attachent et, plus important encore, du concept dont elle symbolise la propagation : l'unicité de Dieu, la seule Divinité digne d'être adorée. Par contre, attribuer à la Ka'ba elle-même, ou à une quelconque de ses parties, un effet bénéfique ou néfaste propre, serait se rendre coupable d'idolâtrie, une erreur que l'islam tentera toujours, de toutes ses forces, d'éradiquer.

La Ka'ba continua à être révérée et sanctifiée par les Arabes même à l'apogée de leur polythéisme. Ceux qui vivaient loin de La Mecque s'y rendaient pour visiter le sanctuaire. Le prestige des Quraysh en tant que principale tribu d'Arabie reposait en grande partie sur leur statut de gardiens de la Ka'ba. Dieu répondit également à la prière d'Abraham et Ismaël d'envoyer parmi leurs descendants un messager pour leur enseigner la foi pure fondée sur la soumission absolue à Dieu : ce messager fut Muhammad , le dernier des prophètes.

La construction de la Ka'ba et le pèlerinage qui s'y déroulait régulièrement conférèrent à La Mecque une importance particulière en Arabie. Par la suite, d'autres tribus vinrent s'y installer. L'autorité était toutefois exercée par la tribu qui avait la garde de la Ka'ba. C'était elle qui en détenait les clés et dirigeait le pèlerinage, montrant aux pèlerins comment en accomplir les rites. C'était là un grand honneur, et les tribus arabes rivalisaient entre elles pour obtenir la garde de la Ka'ba. Lorsqu'une tribu s'assurait une position dominante à La Mecque, ses nobles jouissaient de cet honneur aussi longtemps qu'ils parvenaient à le conserver face à l'opposition constante des autres tribus.

Naturellement, ce fut d'abord Ismaël et ses descendants qui exercèrent la garde de la Ka'ba. Elle demeura entre leurs mains jusqu'au moment où elle passa à la tribu des Jurhum. Ce transfert se fit sans violence, car les Jurhum étaient considérés comme les oncles maternels des Ismaélites, Ismaël ayant épousé une femme de leur tribu. Les Jurhum demeurèrent longtemps les gardiens de la Ka'ba. Au fil du temps, cependant, ils laissèrent des changements s'infiltrer dans les rites du pèlerinage et leur domination devint tyrannique. Tout au long de l'histoire de La Mecque, chaque fois que les gardiens de la Mosquée Sacrée, c'est-à-dire la Ka'ba, permirent à la corruption de se développer, Dieu leur fit perdre l'honneur de la garde de la Ka'ba au profit d'une autre tribu.

Ainsi les Jurhum durent-ils céder aux Khuzâ'a l'honneur suprême de la garde de la Ka'ba. Mais ils ne l'abandonnèrent pas de bon coeur : dès qu'ils comprirent qu'ils ne pourraient plus défendre leur position, ils rassemblèrent tous les trésors dédiés à la Ka'ba et les enfouirent dans le puits de Zamzam, la source qui avait jailli entre les pieds d'Ismaël lorsqu'il était tout petit. Ils rasèrent le puits et effacèrent toute trace de son emplacement. Une fois certains que personne ne pourrait découvrir l'emplacement du puits, ils quittèrent La Mecque pour s'installer ailleurs.

Les Khuzâ'a conservèrent longtemps la garde de la Ka'ba. Le pouvoir demeura entre leurs mains à La Mecque jusqu'à ce que les Quraysh le leur prennent. Les Quraysh, en tant que descendants directs d'Ismaël et d'Abraham (la paix soit sur eux), possédaient la lignée la plus noble d'Arabie. L'homme qui obtint cet honneur pour les Quraysh était Qusayy ibn Kilâb, cinquième aïeul de notre Prophète Muhammad ibn Abdullâh .

Il est important de mentionner ici que ces changements politiques furent accompagnés de modifications fondamentales dans les croyances des peuples d'Arabie. Au cours du temps, le concept d'unicité divine s'affaiblit dans les esprits. L'introduction d'un symbole physique de la puissance divine était le commencement de l'idolâtrie. De plus en plus nombreux, ces symboles vinrent à être considérés comme des divinités et des partenaires de Dieu. À l'époque où Qusayy était le maître de La Mecque, les croyances païennes s'étaient étendues à toute l'Arabie.

Qusayy prend le pouvoir à la Mecque

L'histoire de l'ascendance de Qusayy vaut la peine d'être relatée. Son père mourut lorsqu'il était très jeune. Sa mère épousa un membre de la tribu de Qudâ'a nommé Rabî'a ibn Harâm. Rabî'a emmena sa femme et son enfant vivre avec sa tribu dans le nord de l'Arabie, aux confins de la Palestine. Qusayy vécut là en pensant être le fils de Rabî'a. Lorsque, devenu jeune homme, il apprit qu'il appartenait aux Quraysh et que son frère Zuhra en était le chef, il partit rejoindre ce dernier à La Mecque.

Les Mecquois ne tardèrent pas à reconnaître en Qusayy un jeune homme très prometteur. Au sérieux de son caractère s'alliaient une grande sagacité et un coeur noble. Il se fit de nombreux amis. Lorsqu'il voulut se marier, son choix se porta sur Hubbâ, la fille de Hulayl ibn Hubshiyya, chef des Khuzâ'a et maître de La Mecque, qui occupait la position de gardien de la Ka'ba. Hulayl reconnaissait les dispositions de Qusayy pour le commandement et l'aimait beaucoup. Il le traitait comme son propre fils. Sur son lit de mort, Hulayl fit savoir qu'il avait choisi Qusayy pour lui succéder en tant que gardien de la Ka'ba et chef de La Mecque.

La passation de pouvoirs ne se fit pas, néanmoins, sans résistance de la part des Khuzâ'a. Qusayy demanda l'aide de ses frères de la tribu des Qudâ'a qui accoururent à son secours avec une importante armée. Il eut tôt fait de soumettre les Khuzâ'a et de devenir maître de La Mecque. Les deux camps s'affrontèrent et beaucoup de sang fut versé. Ils se mirent ensuite d'accord sur un arbitrage, et l'arbitre choisi, Ya'mur ibn Awf, donna l'avantage à Qusayy. Une fois devenu le chef incontesté de La Mecque, Qusayy appela tous les clans de Quraysh, qui s'étaient dispersés de toutes parts, à venir s'y réinstaller. Il attribua à chaque clan un district afin de leur assurer le contrôle total de la ville.

Tous les Quraysh étaient enchantés d'avoir Qusayy pour chef. Ils le surnommèrent « le rassembleur » parce qu'il avait fait se regrouper leur tribu. Ils voyaient en lui un homme de bon augure. Ils l'honoraient tellement que chaque fois qu'un homme ou une femme de Quraysh se mariait, qu'une consultation avait lieu sur une affaire publique ou qu'une guerre était déclarée, cela devait absolument se passer chez lui. Une demande de sa part était un ordre et sa parole était sacrée pour eux. Il construisit près de la Mosquée Sacrée une grande salle destinée à servir de lieu de réunion aux Quraysh et qu'on appela Dâr an-Nadwa.

Ils s'y rassemblaient en toute occasion heureuse ou triste, y tenaient leurs consultations et y organisaient leurs célébrations. Dâr an-Nadwa était liée à Qusayy et continua à jouer son rôle après la mort de celui-ci. L'une des actions nobles de Qusayy fut l'introduction d'une pratique qu'on appela Rifâda. Il avait remarqué que les pèlerins arrivaient toujours à La Mecque de loin : ils arrivaient fatigués, leurs chameaux ou leurs chevaux complètement épuisés ; ils étaient mal nourris, mal vêtus, surtout les plus pauvres d'entre eux.

Reconnaissant que La Mecque devrait leur montrer beaucoup plus d'hospitalité, il appela les notables de Quraysh et leur dit :

Gens de Quraysh, vous êtes les voisins de Dieu et les gardiens de Sa Maison, vivant dans cette cité sacrée. A la saison du pèlerinage, vous accueillez les pèlerins qui viennent rendre visite à la Maison de Dieu, vénérant sa sainteté et pratiquant ses rites. Les hôtes les plus dignes d'hospitalité sont les hôtes de Dieu. Vous devez être hospitaliers envers eux. Fournissons-leur donc à boire et à manger jusqu'à ce qu'ils quittent notre ville pour rejoindre leur foyer et leur famille.

Les Quraysh réagirent favorablement à la proposition de Qusayy et répondirent à son appel. Chaque famille fournit, en fonction de ses moyens, une quantité déterminée de nourriture et de boisson. Tout cela fut mis à la disposition de Qusayy, qui supervisa les mesures prises pour que tous les pèlerins reçoivent à boire et à manger en quantité suffisante. Il prit personnellement part à la tâche et offrit aux pèlerins le pain, la viande et les plats divers que les Quraysh avaient préparés pour eux. Le prestige des Quraysh et l'honneur de Qusayy en furent accrus. Toutes les marques de l'honneur et du commandement étaient réunies chez lui. Nul ne pouvait entrer à la Ka'ba si Qusayy lui-même ne lui avait pas ouvert la porte.

Pendant la saison du pèlerinage, les gens ne mangeaient et ne buvaient que ce que Qusayy avait fourni. Son honneur était l'honneur des Quraysh : ils aimaient et vénéraient leur chef. À la mort de Qusayy, les institutions qu'il avait mises en place continuèrent à prospérer. Le chef des Quraysh était le personnage le plus respecté d'Arabie. Les Quraysh eux-mêmes inspiraient un immense respect.

Après Qusayy, ses descendants fournirent plusieurs chefs compétents. Ils perpétuèrent ses traditions de veiller sur la tribu et de s'occuper des pèlerins. Cette dernière tâche et la garde de la Ka'ba constituaient un grand honneur pour les Quraysh. Hâshim, le petit-fils de Qusayy, accorda une place sans précédent à l'hospitalité envers les pèlerins. Il était très riche et son hospitalité était à la mesure de sa richesse. Il dit aux Quraysh qu'il ne leur aurait pas demandé de contribuer à l'alimentation des pèlerins si ses propres ressources y avaient suffi : cela les encouragea à se montrer encore plus généreux. Hâshim devait sa richesse au commerce.

Lorsqu'il devint chef de La Mecque, il tint à faire profiter toute sa tribu de son expertise commerciale. Ce fut lui qui institua les expéditions commerciales qui devinrent bientôt une tradition bien établie dans la vie des Mecquois. En été, une grande caravane commerciale se rendait de La Mecque en Syrie ; en hiver, une autre allait au Yémen. Chaque caravane était une entreprise commune à laquelle tous les Mecquois prenaient part. C'était une source de bénéfices pour la population et de prospérité pour la ville.

'Abd Al-Muttalib, Chef des Quraysh

Ce furent d'abord ses frères, puis son fils Abd al-Muttalib, qui succédèrent à Hâshim. Abd al-Muttalib était le grand-père du Prophète . Il perpétua les traditions des chefs de La Mecque et se montra d'une grande intégrité et un chef exceptionnel. Sa popularité à La Mecque et dans toute l'Arabie dépassait celle de tous ses prédécesseurs.

'Abd al-Muttalib continua la pratique de Rifâda, qui consistait à nourrir les pèlerins durant leur séjour à La Mecque pour accomplir les rites du pèlerinage. Il était cependant extrêmement difficile de leur fournir de l'eau. La Mecque ne possédait que quelques puits épars, suffisant tout juste aux besoins de sa propre population. C'était une rude tâche que d'aller chercher de l'eau à ces puits et de la rapporter dans des outres de cuir et divers récipients. Abd al-Muttalib réfléchit longuement à la solution de ce problème : il aurait donné n'importe quoi pour trouver le moyen d'assurer aux pèlerins un approvisionnement en eau suffisant.

Une nuit, tandis qu'il concentrait ses pensées sur cette question, Abd al-Muttalib fut envahi par le sommeil. Il entendit en rêve quelqu'un qui lui disait : « Abd al-Muttalib, creuse le bon. » Il demanda : « Le bon quoi ? » mais il ne reçut aucune réponse. La nuit suivante, il entendit la même voix lui dire : « Abd al-Muttalib, creuse le béni. » Il demanda : « Qu'est-ce que le béni ? » Cette fois encore, il ne reçut pas de réponse. La troisième nuit, la même voix lui enjoignit de creuser « le précieux ». À nouveau, il demanda des précisions et ne reçut pas de réponse. Il réfléchit toute la journée à ces messages sibyllins.

Tout cela le mettait mal à l'aise et lui apparaissait comme un mystère. La nuit suivante, il n'osait pas aller se coucher de crainte d'entendre à nouveau ces paroles énigmatiques. Il pria pour que cette affaire se résolve d'une manière ou d'une autre. Cette nuit-là, pendant son sommeil, Abd al-Muttalib entendit clairement la même voix lui dire : « Creuse Zamzam. » Il s'écria avec colère : « Qu'est-ce que Zamzam ? » Cette fois, il reçut la réponse recherchée : la voix lui expliqua que c'était la source qui suffirait aux besoins des pèlerins et lui donna suffisamment d'indications pour en déterminer l'emplacement exact. Abd al-Muttalib se réveilla très heureux, le coeur plein d'espoir.

L'endroit se situait entre les deux collines d'as-Safâ et al-Marwâ, où les pèlerins accomplissaient le rite de la course. À cette époque de paganisme, les Arabes avaient une idole placée sur chacune de ces collines. Isâf était l'idole placée sur as-Safâ, tandis que Nâ'ila était sur al-Marwâ. À l'époque préislamique, c'était à cet endroit que les Arabes accomplissaient leur sacrifice.

Ce matin-là, Abd al-Muttalib se rendit à l'emplacement indiqué en compagnie d'al-Hârith, son fils unique. Ils apportèrent tous les outils nécessaires pour creuser, et Abd al-Muttalib commença à creuser pendant qu'al-Hârith l'aidait à déblayer le sable. De nombreux hommes de Quraysh arrivèrent, inquiets de le voir creuser. Ils dirent à Abd al-Muttalib qu'il ne pouvait pas creuser à cet endroit, si près de la Ka'ba et de leurs deux idoles, Isâf et Nâ'ila. Il leur expliqua qu'il ne faisait que ce qu'on lui avait ordonné. Ils n'acceptèrent pas ses arguments et lui signifièrent qu'ils étaient prêts à s'opposer physiquement à son action.

Certains lui dirent que s'il n'avait qu'un seul fils, eux-mêmes en avaient beaucoup. Cela causa une grande peine à Abd al-Muttalib. Il implora Dieu de lui donner dix fils pour le soutenir et lui apporter la protection qui lui faisait défaut. Il fit même le voeu, si Dieu lui donnait dix fils, de Lui en sacrifier un. La position de Abd al-Muttalib, son insistance et sa détresse manifeste firent changer d'avis les Quraysh : ils laissèrent Abd al-Muttalib continuer à creuser, mais personne ne l'aida.

Il continua à creuser pendant trois jours, puis le désespoir commença à l'envahir. Il commença même à douter de la véracité de la voix qu'il avait entendue pendant ces quatre nuits. Mais, comme il envisageait de mettre un terme à sa tentative, sa pelle heurta un objet métallique. Les espoirs de Abd al-Muttalib en furent réveillés. Il continua à ôter le sable autour de l'objet, et eut tôt fait de dégager deux gazelles d'or et une quantité de boucliers, de sabres et d'armes diverses. Il comprit qu'il s'agissait des trésors enterrés dans le puits de Zamzam par les Jurhum avant de quitter La Mecque.

Il continua à creuser de plus belle et découvrit bientôt le puits. Il s'écria : « Dieu est Grand. C'est bien le puits d'Ismaël. C'est Zamzam, l'eau pour abreuver les pèlerins. » Lorsque les Quraysh entendirent l'exclamation de 'Abd al-Muttalib, ils comprirent qu'il avait trouvé l'eau et accoururent pour réclamer leur part de tout ce qu'il avait découvert. Abd al-Muttalib leur dit que l'or et les armes n'appartenaient à personne : ils avaient été donnés en offrandes à la Ka'ba et continueraient de lui appartenir ; personne ne pourrait en prendre.

Quant à l'eau, elle était à lui et personne d'autre ne pourrait y prétendre. Après tout, c'était lui qui avait reçu les indications permettant d'en retrouver l'emplacement, c'était lui qui avait été choisi pour le creuser. Les Quraysh arguèrent qu'il s'agissait du puits de leur aïeul Ismaël, et que c'était donc leur bien commun : il ne pouvait prétendre le garder pour lui tout seul. On débattit beaucoup sur ce point. Abd al-Muttalib, qui possédait un sens aigu de la justice, proposa alors qu'on choisisse un arbitre. Si l'arbitre décidait que l'eau appartenait à la tribu, il renoncerait à ses prétentions. Si l'arbitre jugeait en sa faveur, ses contribules feraient de même. Les Quraysh trouvèrent cela juste et acceptèrent l'arbitrage.

L'arbitrage du conflit

On avait l'habitude à l'époque de soumettre de tels conflits à l'arbitrage de devins et de personnes qui semblaient dotées de pouvoirs surnaturels. Il existe un récit de Alî ibn Abî Tâlib qui était, comme le Prophète , le petit-fils de Abd al-Muttalib, selon lequel tous s'accordèrent à consulter une devineresse de la tribu de Sa'd Hudhaym, établie aux confins de la Syrie.

Les Quraysh choisirent une délégation de vingt hommes de différents clans. Abd al-Muttalib avait lui aussi une délégation de vingt hommes de son propre clan, les Abd Manâf. Ils voyagèrent en suivant des pistes connues, traversant aussi des zones désertiques où il n'y avait pas de chemin établi. En traversant l'une de ces régions désertiques, ils s'égarèrent. Bientôt toute l'eau qu'avaient apportée Abd al-Muttalib et sa délégation fut épuisée. Ils avaient très soif et étaient certains de mourir s'ils ne trouvaient pas d'eau. Ils demandèrent à l'autre délégation de partager son eau avec eux mais se heurtèrent à un refus.

Les autres arguèrent en effet qu'ils se trouvaient tous dans le désert et qu'ils craignaient eux aussi de mourir de soif. Désespéré, Abd al-Muttalib demanda l'avis de ses hommes. Un homme dit : « Nous sommes sûrs de mourir. Si nous continuons notre route, nous allons mourir l'un après l'autre et nous disparaîtrons dans le désert sans qu'on puisse nous retrouver. Restons ici, et que chacun creuse sa tombe. Quand l'un de nous mourra, les autres le pousseront dans sa tombe. Ainsi, seul le dernier sera perdu : ce sera mieux que si nous étions tous perdus. Peut-être un jour les nôtres retrouveront-ils nos tombes. »

Ils se rangèrent à cette proposition et commencèrent à creuser leurs tombes. Cependant, Abd al-Muttalib leur dit : « Attendre ainsi passivement la mort, sans rien faire pour l'éviter, est la pire des solutions. Qui sait, peut-être Dieu nous donnera-t-Il de l'eau à un endroit ou un autre. Continuons donc notre route en espérant être sauvés. » Ils rassemblèrent leurs affaires et préparèrent leurs chameaux, tandis que l'autre délégation les regardait. Abd al-Muttalib se mit en selle et fit lever sa chamelle : lorsqu'elle se mit en marche, une source jaillit sous l'un de ses sabots. Abd al-Muttalib et les membres de son clan s'exclamèrent : « Dieu est Grand ! » Ils mirent pied à terre et burent à satiété, puis remplirent leurs outres.

Ensuite, Abd al-Muttalib invita les Quraysh à boire et à prendre toute l'eau dont ils avaient besoin. Il leur dit : « Dieu nous a donné cette eau : venez boire. » Une fois désaltérés, ils lui dirent : « Dieu a donné Son jugement en ta faveur, Abd al-Muttalib. Nous ne disputerons jamais tes droits sur Zamzam. Celui qui t'a donné cette eau dans le désert est Celui qui t'a donné Zamzam. Rentrons chez nous, et nous nous engageons à respecter tes droits sur Zamzam. » Ils firent demi-tour, renonçant à consulter la devineresse. Zamzam demeura la propriété exclusive de Abd al-Muttalib et de ses descendants, qui à leur tour continuèrent à fournir de l'eau aux pèlerins.

Les années passèrent, et le voeu le plus cher de Abd al-Muttalib se réalisa : il avait maintenant dix fils, tous adultes. Il avait aussi six filles. En tout, Abd al-Muttalib avait cinq épouses. Un jour, Abd al-Muttalib fit venir tous ses fils pour leur parler du voeu qu'il avait fait lorsqu'il creusait le puits de Zamzam. Il leur dit que le moment était venu de s'acquitter de ce voeu en sacrifiant l'un d'eux à Dieu près de la Ka'ba. Tous se déclarèrent prêts à se soumettre au sacrifice. Il fallait alors en choisir un. Il proposa de suivre la coutume arabe, qui consistait à procéder à un tirage au sort sous la direction du gardien de la Ka'ba. Ils allèrent donc le trouver pour le tirage au sort.

Abdullâh était le cadet des fils de Abd al-Muttalib. C'était aussi son préféré. C'était un jeune homme très prometteur, calme, très sociable, au comportement exemplaire et doté de hautes qualités morales. Son père ne l'en aimait que davantage. Le vieil homme se disait donc que si le sort épargnait Abdullâh, la peine qu'il aurait à sacrifier l'un de ses autres enfants en serait amoindrie. Le tirage au sort alla toutefois à l'encontre des désirs de Abd al-Muttalib : c'était Abdullâh qui devait être sacrifié. À l'époque, Abd al-Muttalib était très âgé et était chef de La Mecque depuis de nombreuses années.

Il n'eut aucune hésitation à s'acquitter de son voeu. Il prit son fils par la main, prit son couteau et se rendit à la mosquée pour le sacrifier. L'une des soeurs de 'Abdullâh essaya de le retenir. Elle criait et gémissait, implorant les Quraysh de le sauver. Un certain nombre d'hommes de Quraysh décidèrent d'agir. Ils allèrent dire à 'Abd al-Muttalib : « Tu ne le tueras pas tant que toutes les alternatives n'auront pas été explorées. »

Comme Abd al-Muttalib protestait qu'il s'agissait d'un voeu fait à Dieu et qu'il n'avait pas le choix, ils lui montrèrent le grave danger que son acte risquait de causer. Ils lui dirent : « Tu es notre chef. Tu es respecté dans toute l'Arabie. Si tu sacrifiais ton fils maintenant, ton acte serait imité par d'autres. De nombreux hommes amèneraient leur fils ici pour le sacrifier. Cela ne pourrait que nous affaiblir et semer le chaos dans notre société. »

Al-Mughîra ibn Abdullâh, qui appartenait au même clan que la mère de Abdullâh, dit à Abd al-Muttalib : « Tu ne pourras le sacrifier que lorsque tu te seras assuré qu'il n'y a absolument aucune alternative. S'il est possible de payer une forte rançon pour l'épargner, nous la paierons certainement, aussi importante soit-elle. » Certains hommes de Quraysh conseillèrent à Abd al-Muttalib d'attendre d'avoir consulté une devineresse de Yathrib réputée avoir des contacts avec les djinns. Si elle trouvait une issue, il épargnerait son fils ; sinon, il serait encore temps d'accomplir son voeu. Lorsque cette devineresse fut informée de l'histoire, elle demanda à Abd al-Muttalib et à ses compagnons d'attendre qu'elle ait consulté son djinn. Abd al-Muttalib ne cessait d'implorer Dieu d'épargner son fils. Quoiqu'il ne voie pas ce qui pourrait être fait, il conservait un faible espoir qu'une solution puisse être trouvée.

La femme ne tarda pas à trouver cette solution. Elle lui demanda quelle compensation ils payaient lorsque quelqu'un était tué accidentellement : ils répondirent qu'ils donnaient dix chameaux. Elle leur dit alors : « Retournez chez vous, et organisez un tirage au sort entre votre homme (c'est-à-dire Abdullâh) et dix chameaux. Si le sort est contre l'homme, ajoutez dix autres chameaux. Continuez ainsi ! aussi longtemps que le sort sera contre lui. Lorsque le sort désignera les chameaux, cela montrera que votre Dieu a accepté l'offrande et épargné votre homme. Alors, sacrifiez ces chameaux comme rançon à sa place. »

Une vie épargnée

Abd al-Muttalib et ses compagnons retournèrent à La Mecque heureux de cette solution. Lorsqu'il fut procédé au tirage au sort, Abd al-Muttalib se leva pour implorer Dieu d'épargner son fils. Chaque tirage au sort successif était défavorable à Abdullâh, et à chaque fois le nombre de chameaux était augmenté de dix. Lorsque le nombre de cent chameaux fut atteint, le sort indiqua que les chameaux devaient être sacrifiés. Pendant tout ce temps, Abd al-Muttalib priait et implorait Dieu d'épargner son fils. Lorsqu'il apprit la nouvelle, il voulut en être sûr : il ordonna à l'homme qui supervisait le tirage au sort de le recommencer trois fois. A chaque fois, le résultat fut le même. Les chameaux furent alors amenés et sacrifiés, et tous les habitants purent venir prendre de la viande selon leurs besoins.

Abd al-Muttalib fut extrêmement heureux que la vie de son fils soit épargnée. Il lui sembla que son fils cadet renaissait. Comme tout père affectueux, il voulait faire de son mieux pour le bonheur de son fils. Il se mit donc immédiatement à organiser le mariage de Abdullâh. Il alla trouver Wahb ibn Abd Manâf, le chef du clan des Zuhra, et lui proposa de marier Abdullâh à sa fille Âmina. La proposition fut acceptée et, au bout de quelques jours seulement, le mariage fut célébré.

Ce fut une union heureuse. Les deux époux furent bientôt très attachés l'un à l'autre. Il semble qu'ils s'accordèrent dès le premier jour et formaient un couple harmonieux. Mais Abd al-Muttalib, qui voulait que ses enfants acquièrent autant d'expérience pratique que cela était possible dans leur société, conseilla à son fils cadet de participer à la caravane commerciale qui s'apprêtait à partir pour la Syrie cet été-là. Malgré sa réticence à voir son mari partir si peu de temps après leur mariage, Âmina se rendait compte que Abd al-Muttalib ne recherchait que le bien de son fils.

Comme Abdullâh se préparait à partir, Âmina lui annonça l'heureuse nouvelle qu'elle était enceinte. Il partit donc pour son voyage en pensant abondamment à sa femme et en nourrissant l'espoir d'un avenir brillant et heureux. Le voyage éprouva rudement le jeune homme. Traverser le désert au coeur de l'été torride d'Arabie ne convenait pas à sa constitution. Quoique jeune - tout juste une vingtaine d'années - et vigoureux, il contracta une maladie qui mina ses forces. Il n'avait toutefois pas d'autre choix que de poursuivre sa route avec la caravane. Sur le chemin du retour, son état empira : il avait besoin de soins adéquats. Lorsque la caravane arriva à Yathrib (plus tard connue sous le nom de Médine) il était devenu évident que Abdullâh devait être soigné. Il resta donc en arrière, confié à ses cousins du clan d'an-Najjâr.

Lorsque la caravane arriva à La Mecque, Abd al-Muttalib s'inquiéta de ne pas y retrouver son fils. Informé qu'il avait été laissé à Yathrib pour reprendre des forces pendant quelque temps avant de poursuivre son voyage, Abd al-Muttalib envoya son fils aîné, al-Hârith, pour aider son frère lors du voyage de retour. En arrivant à Yathrib, al-Hârith apprit la triste nouvelle de la mort de Abdullâh.

Cette tragique nouvelle était terrible pour Abd al-Muttalib, le vieillard, et pour Amina, la jeune épouse attendant un enfant désormais orphelin. Pourtant, Abd al-Muttalib devait bien se dire que la vie de Abdullâh n'avait été épargnée que pour être prolongée de quelques mois : il semblait que son destin avait été de vivre seulement afin qu'Amina puisse être enceinte. Il était loin de se douter, cependant, que le bébé d'Âmina serait le dernier messager que Dieu enverrait à l'humanité.

Une campagne pour détruire la Ka'ba

La même année, un événement très grave eut lieu en Arabie. Cet événement affecta tous les Arabes et leur foi, et marqua tellement leurs esprits qu'ils prirent l'habitude de s'y référer pour dater d'autres événements. En effet, les Arabes ne possédaient pas à l'époque de calendrier précis permettant de dater les événements : ils utilisaient comme points de repère chronologiques les événements marquants qui se produisaient dans leur vie.

Les différents récits de cet événement qui nous sont parvenus relatent que peu après que les Abyssins avaient chassé les Perses du Yémen pour y instaurer leur propre domination, Abraha, le gouverneur abyssin du Yémen, y avait fait construire une magnifique église à laquelle il avait donné le nom de l'empereur abyssin de l'époque. Son action était motivée par l'attachement et l'enthousiasme qu'il avait pu constater chez les Arabes du Yémen - des sentiments partagés par tous les habitants de l'Arabie - pour la Ka'ba, la Mosquée Sacrée de La Mecque. Il espérait ainsi que les Arabes se détourneraient de la Mosquée de La Mecque pour venir à la place à sa luxueuse église.

Mais les Arabes n'abandonnèrent pas leur Maison Sacrée, la Ka'ba. Ils étaient convaincus d'être les descendants d'Abraham et Ismaël, les constructeurs de la Maison, et en tiraient une immense fierté, conformément à leur tradition de trouver en leurs ancêtres une source de gloire. Il leur paraissait donc totalement absurde de détourner leur affection et leur respect vers cette nouvelle église bâtie par un simple chef d'armée qui suivait une religion qu'ils considéraient comme inférieure à la leur.

Toute l'entreprise d'Abraha était pour eux une source de ridicule. L'un d'eux alla jusqu'à utiliser le plus magnifique endroit de cette église pour faire ses besoins, afin de souligner tout le mépris des Arabes pour l'idée d'Abraha. Lorsque Abraha apprit cela, il décida de démolir la Ka'ba afin de réaliser son objectif d'en détourner les Arabes. Il prit donc la tête d'une grande armée, équipée d'éléphants. Au premier rang marchait un très grand éléphant qui jouissait d'un prestige particulier auprès des hommes d'Abraha.

La nouvelle de l'approche d'Abraha et de son objectif se répandit dans toute l'Arabie, les Arabes s'apprêtant avec ferveur à défendre leur Maison Sacrée. Un noble de la famille royale du Yémen, Dhû Nafar, tenta de s'opposer au gouverneur abyssin, appelant sa tribu et d'autres à combattre Abraha et à défendre la Ka'ba. Plusieurs tribus arabes se joignirent à lui dans une bataille contre Abraha que Dhû Nafar perdit ; ce dernier fut fait prisonnier. Plus loin, Abraha fut attaqué par Nufayl ibn Habib al-Khath'amî, qui avait mobilisé deux tribus arabes ainsi que des combattants d'autres tribus alliées : Abraha remporta la bataille et captura Nufayl.

Nufayl accepta alors de guider Abraha à travers l'Arabie. Lorsque le gouverneur abyssin approcha de Ta'if, un certain nombre de chefs locaux vinrent lui dire que la Maison qu'il voulait détruire se trouvait à La Mecque et non pas à Tâ'if : ils craignaient qu'il ne détruise le temple qu'ils avaient construit pour leur idole, al-Lât. Ils lui fournirent également un guide pour lui montrer le chemin de la Ka'ba.

En arrivant à al-Mughammas, une vallée à mi-chemin entre Tâ'if et La Mecque, Abraha envoya l'un de ses chefs de troupe à La Mecque, où il s'empara de possessions des Quraysh et d'autres tribus arabes, dont deux cents chameaux appartenant à Abd al-Muttalib. Les Quraysh, les Kinâna, les Hudhayl et d'autres tribus voisines se rassemblèrent pour combattre Abraha, mais y renoncèrent en se rendant compte que leur tentative était vouée à l'échec. Ensuite, Abraha envoya un messager à La Mecque pour rencontrer son chef et lui signifier que le gouverneur du Yémen n'était pas venu pour combattre les Mecquois mais seulement pour détruire la Maison : si on le laissait accomplir son but, il ne souhaitait pas que le sang soit versé.

Lorsque le messager eut transmis les propos de son maître à Abd al-Muttalib, celui-ci répondit : « Par Dieu, nous ne voulons pas le combattre et nous n'avons pas le pouvoir de lui résister. Cette Maison Sacrée appartient à Dieu, elle a été bâtie par Son ami choisi, Abraham. S'il la protège contre lui, c'est que la Maison Lui appartient, et s'il la laisse détruire, nous n'avons pas le pouvoir de la protéger. » Abd al-Muttalib accompagna alors le messager auprès d'Abraha.

Malgré son âge avancé, Abd al-Muttalib était un bel homme, à l'air plaisant et noble. Abraha éprouva d'emblée un grand respect pour lui. Il sentait que Abd al-Muttalib était trop noble pour s'asseoir au pied de sa couche royale, mais en même temps il n'avait pas envie que les Abyssins le voient assis à côté de Abd al-Muttalib sur sa couche : il en descendit donc et s'assit sur le tapis avec Abd al-Muttalib. Puis Abraha ordonna à son interprète de demander à son hôte ce qu'il voulait. Abd al-Muttalib répondit qu'il voulait demander au « roi » de lui rendre ses deux cents chameaux, pris comme butin par son chef de troupe.

Abraha dit à son interprète de lui répondre : « Je t'ai admiré lorsque je t'ai vu pour la première fois, mais après t'avoir parlé je suis déçu. Viens-tu me parler de deux cents chameaux pris comme butin, en oubliant la Maison qui est le symbole de la religion en laquelle tu crois, comme le faisaient tes ancêtres, et que je suis venu détruire ? Tu n'as même pas dit un mot pour me persuader de l'épargner. »

Abd al-Muttalib répondit : « Je ne suis maître que de mes chameaux. La Maison, elle, a son propre Maître qui la protégera certainement. » Abraha répliqua : « Elle ne peut pas être défendue contre moi. » Le chef des Mecquois dit alors : « Tu tentes ta chance ! » Abraha lui rendit ses chameaux. Un récit suggère qu'un certain nombre de chefs arabes avaient accompagné Abd al-Muttalib dans sa visite à Abraha. Ils offrirent de donner au chef abyssin le tiers de tous les profits de leurs terres s'il repartait sans détruire la Ka'ba : celui-ci refusa leur proposition.

Abd al-Muttalib partit ensuite retrouver les Quraysh et leur relata son entrevue avec Abraha. Il leur ordonna de quitter La Mecque et de se réfugier dans les montagnes voisines. Puis il se rendit à la Ka'ba en compagnie de quelques personnages importants de Quraysh ; là, tous implorèrent Dieu de les aider et de protéger la Maison. On a dit que Abd al-Muttalib serrait dans sa main l'anneau de la porte dans un geste de supplication insistante. Il aurait récité ces vers :

Notre Seigneur, toute créature protège son bien : protège le Tien.
Ne laisse pas leur croix et leur pouvoir l'emporter sur Ton pouvoir.
Si Tu les laisses détruire notre Maison Sacrée, Tu as sûrement quelque dessein.

Le matin venu, Abraha donna l'ordre à son armée de se préparer à se mettre en marche avec les éléphants pour achever sa mission. Durant ces préparatifs, Nufayl s'approcha de l'éléphant et lui murmura à l'oreille : « Assieds-toi, éléphant, ou retourne d'où tu viens. C'est la cité sacrée de Dieu. » L'énorme éléphant s'assit lorsque l'armée arriva devant La Mecque, refusant d'aller plus loin. Les soldats déployèrent tous leurs efforts pour persuader l'éléphant de pénétrer dans la ville, mais en vain. Cet incident est un fait reconnu par le Prophète : lorsque sa chamelle al-Qaswâ' s'assit à une certaine distance de La Mecque, le jour où fut conclu le traité d'al-Hudaybiyya, le Prophète dit à ceux de ses Compagnons qui prétendaient qu'elle était devenue têtue que ce n'était pas le cas car telle n'était pas sa nature : « Mais, ajouta-t-il, elle a été retenue par la même force qui a empêché l'éléphant de pénétrer à La Mecque. » (Rapporté par al-Bukhârî)

Alors, la volonté de Dieu de détruire l'armée abyssine et son chef s'accomplit. Il envoya des nuées d'oiseaux bombarder les assaillants de pierres de sable et d'argile, les laissant pareils à des feuilles desséchées et déchiquetées, comme nous le dit le Coran. La majorité des soldats - mais pas tous - fut atteinte par ces pierres. Tous ceux qui étaient atteints mouraient rapidement. Abraha subit des blessures. Ceux de ses soldats qui restaient le ramenèrent au Yémen, mais ses membres commencèrent à se détacher de son corps et il se mit à perdre ses doigts les uns après les autres, jusqu'à son arrivée à San'a. Selon divers récits, Abraha serait mort la poitrine fracassée.

Ainsi Dieu déjoua-t-Il le plan d'Abraha pour détruire la Ka'ba. À leur manière, les Arabes furent très reconnaissants envers Dieu d'avoir sauvé Sa Maison de la destruction aux mains d'Abraha. Lorsque Dieu envoya Son messager avec Son ultime message, Il rappela aux Arabes cet événement dans une courte sourate du Coran qui porte le titre « L'Eléphant », afin d'évoquer une partie de Ses faveurs envers les Arabes. Cette sourate dit : « Ne sais-tu pas le traitement que ton Seigneur a infligé aux gens de l'Eléphant ? N'a-t-Il pas déjoué leurs manoeuvres, en lançant contre eux des oiseaux par nuées, qui les bombardèrent de pierres d'argile, au point de les réduire à l'état d'une balle dont le grain a été dévoré ? »