Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Les premières années

 

Les récits relatent qu'Amina, la mère du Prophète , ne rencontra guère de difficultés au cours de sa grossesse ; tout se passa bien pour elle. Malgré tout ce qu'elle avait entendu des problèmes que connaissaient les autres femmes lorsqu'elles étaient enceintes, sa propre grossesse fut très facile. Elle espérait en outre que l'enfant qui allait naître égayerait sa vie après la tragédie si inattendue du décès de son époux.

La naissance de Muhammad ne fut marquée par aucun fait inhabituel. Tout ce que l'on peut signaler, c'est que sa mère raconta plus tard que son accouchement avait été facile. Les historiens n'ont pas pu déterminer avec certitude l'année exacte de sa naissance. La plupart des récits s'accordent cependant à considérer que c'était en 570 apr. J.-C, l'année où Abraha, le souverain abyssin du Yémen, avait attaqué La Mecque. Quant à la date, c'était très probablement le 12 du mois de rabî' al-awwal de l'année 53 avant l'hégire. Déterminer la date exacte de la naissance du Prophète n'apporte rien de particulièrement significatif. En effet, les célébrations qui ont lieu à cette date de nos jours n'ont pas de réel fondement religieux : ce sont uniquement des célébrations traditionnelles dépourvues de signification cultuelle.

Lorsque Amina eut son bébé, elle fit appeler Abd al-Muttalib pour qu'il vienne voir son petit-fils. Il en fut très heureux : Abd al-Muttalib était encore très affecté par la mort de son fils Abdullâh, mais la naissance de Muhammad apaisa sa tristesse, offrant l'espoir d'un avenir heureux pour le nouveau-né. Il emporta l'enfant à la Ka'ba où il pria longuement pour lui. Il remercia Dieu de lui avoir donné un garçon pour porter le nom de son fils défunt. Puis il ramena le bébé à sa mère, qui lui dit qu'elle avait entendu des voix lui ordonnant d'appeler son enfant Muhammad.

Muhammad signifie « souvent loué » ou « digne de louange ». Ce nom n'était pas du tout habituel en Arabie, mais Abd al-Muttalib n'hésita pas à le donner à son petit-fils. Il ne pouvait s'empêcher de penser que les événements qui avaient conduit à la naissance de l'enfant laissaient présager qu'il exercerait une grande influence sur la vie de sa communauté. Lorsque les notables de La Mecque l'interrogeaient sur le nom inhabituel qu'il avait donné à son petit-fils, il répondait qu'il souhaitait que l'enfant soit loué par les êtres humains sur terre et par Dieu au Ciel. Ce fut Thuwayba, une servante de son oncle Abu Lahab, qui allaita Muhammad durant une courte période, le temps qu'on lui trouve une nourrice.

L'enfance dans le désert

Les nobles de La Mecque avaient coutume d'envoyer leurs enfants en nourrice chez les bédouins. Les grands espaces du désert leur paraissaient en effet bien meilleurs pour leurs enfants en bas âge que l'atmosphère confinée de la ville. Ils pensaient qu'un enfant qui avait été en nourrice dans le désert ne manquerait pas de devenir un adulte robuste et en bonne santé.

De temps à autre, des femmes bédouines venaient à La Mecque chercher des nouveaux-nés à allaiter. En échange, elles recevaient des parents un salaire et des cadeaux. La rétribution n'était pas fixe, mais laissée à la générosité du père. Un groupe de ces femmes arriva à La Mecque peu après la naissance de Muhammad . Toutes regardèrent Muhammad mais refusèrent de le prendre en apprenant que son père était mort. Apparemment, aucune ne pensait que le grand-père les rétribuerait aussi bien que le propre père de l'enfant.

Elles trouvèrent toutes un enfant à prendre en nourrice, à l'exception de Halîma bint Abî Dhu'ayb. Voici le récit que cette dernière donna plus tard de cette journée :

Je partis avec mon époux et notre petit garçon, en compagnie d'autres femmes de notre tribu, les Sa'd ibn Bakr, pour chercher un bébé à allaiter. L'année avait été mauvaise dans notre partie du désert. Nous n'avions rien pour survivre. Je cheminais sur une mule, et nous avions une vieille chamelle qui ne nous donnait pas une goutte de lait. Nous ne dormions guère la nuit, parce que notre petit garçon pleurait toujours de faim. Je n'avais pas assez de lait pour le satisfaire. Notre chamelle était en piteux état, mais nous espérions toujours la pluie et des jours meilleurs.

Notre mule était si faible que je restais toujours en arrière de mes compagnes. Je les dérangeais beaucoup à cause de notre faiblesse. Lorsque nous arrivâmes à La Mecque, chaque femme se vit proposer d'allaiter Muhammad, et le refusa en apprenant qu'il était orphelin. Nous espérions seulement des cadeaux et des dons du père de l'enfant. C'est pourquoi, chaque fois qu'on nous le proposait, nous répondions : « Un orphelin ! Qu'est-ce que sa mère ou son grand-père pourraient faire pour nous ? »

Chaque femme du groupe put obtenir un enfant à allaiter, sauf moi. Comme nous nous apprêtions à repartir, je dis à mon époux : « Je n'aime pas être la seule à repartir les mains vides. Je vais prendre cet orphelin. » Il répondit : « C'est une bonne idée. Peut-être nous apportera-t-il quelque bénédiction. » Je retournai donc le chercher. Dès que je lui donnai le sein, je sentis ma poitrine se remplir de lait. Il but a satiété, ainsi que son frère, mon propre fils. Tous deux s'endormirent tout de suite après : nous n'avions pas beaucoup dormi les nuits précédentes à cause des pleurs de notre enfant.

On raconte également qu'à cette époque, le Prophète tétait toujours le même sein et n'acceptait jamais l'autre, comme s'il avait su qu'il avait un frère de lait et avait voulu lui laisser sa part. Halîma a relaté : « Mon époux pensa que nous pourrions essayer de traire notre vieille chamelle. Il s'aperçut bientôt que ses mamelles étaient pleines. Il put traire assez de lait pour nous satisfaire tous les deux. Il y avait longtemps que nous n'avions pas passé une aussi bonne nuit. Mon époux me dit au matin : "Tu sais, Halîma, tu as pris un enfant béni." Je répondis : "Je l'espère sincèrement." »

Voici la suite de son récit : Nous nous mîmes en route ce matin-là : je montais la même mule et portais Muhammad avec moi. Elle marchait vite maintenant, devançant toutes mes compagnes. Celles-ci s'en étonnèrent et me demandèrent si c'était la même mule que j'avais montée pour venir à La Mecque. Elles furent très surprises lorsque je répondis que oui. Lorsque nous arrivâmes chez nous, nous connûmes une grave sécheresse. Néanmoins, nos brebis avaient toujours beaucoup de lait. Nous avions plus que nécessaire, tandis que personne d'autre n'en avait assez.

La plupart des autres brebis n'avaient pas de lait du tout. Les gens disaient à leurs bergers de faire paître leurs moutons à côté des miens, espérant ainsi avoir du lait : seules mes brebis avaient les mamelles pleines tous les soirs. Cette bénédiction divine se poursuivit jusqu'à ce que l'enfant ait deux ans : alors, je le sevrai. Il grandissait mieux qu'aucun autre enfant. À deux ans, il était très robuste pour son âge. Je le ramenai à sa mère, préparant dans mon esprit les meilleurs arguments possibles pour la persuader de me le laisser encore un peu. Je lui dis : « J'aimerais que tu me laisses ton enfant encore un peu, jusqu'à ce qu'il devienne plus fort. Je crains qu'il n'attrape quelque infection à La Mecque. » J'insistai tellement que je parvins à la persuader de le renvoyer avec moi.

Un événement étrange

Muhammad demeura dans le désert avec sa nourrice Halîma pendant près de quatre ans en tout. Rien de remarquable n'arrive habituellement à un enfant si jeune, c'est pourquoi les historiens ne relatent pas grand-chose de cette époque. Néanmoins, un événement qui se produisit durant cette période perturba tellement Halîma qu'elle préféra retourner à La Mecque et rendre l'enfant à sa mère Âmina.

Tandis que Muhammad jouait avec d'autres enfants, l'Ange Gabriel apparut et le prit par la main. Il allongea Muhammad et lui ouvrit la poitrine. Il en sortit son coeur et en ôta une tache noire qu'il jeta en disant : « C'est la part de Satan en toi. » Puis il lava le coeur de Muhammad dans un récipient d'or plein d'eau glacée avant de le remettre en place. Il referma ensuite l'incision et partit.

Le fils de Halîma, le frère de lait de Muhammad , courut annoncer à sa mère que celui-ci était mort. Elle se précipita vers lui et le trouva debout, mais pâle. Comme elle lui demandait ce qui s'était passé, il relata ce que lui avaient fait « deux inconnus vêtus de blanc ».

Cet incident perturba énormément Halîma. Des nuits durant, elle réfléchit à Muhammad et à ce qui lui était arrivé. Certains récits suggèrent qu'elle l'emmena voir un devin pour essayer de comprendre le sens de ce qui s'était passé. L'authenticité de ces récits peut être mise en doute. Ce qui est certain, toutefois, c'est que Halîma jugea plus prudent de rendre l'enfant à sa mère. Ce fut son époux qui fit cette suggestion, exprimant la crainte que le petit garçon ait été attaqué par les mauvais esprits. « Il est plus sage de le ramener maintenant chez les siens, avant que des conséquences néfastes n'apparaissent. »

Âmina fut surprise de voir Halîma ramener Muhammad. Elle lui en demanda la raison, lui rappelant son insistance pour le garder. Halîma répondit : « Tout va bien pour lui et pour nous. Nous nous sommes acquittés de notre tâche le mieux possible. Nous avons pensé qu'il serait mieux avec vous de peur que quelque chose ne lui arrive. » Âmina, sentant que Halîma ne lui disait pas tout, insista tant qu'elle finit par lui avouer ce qui s'était passé. Âmina lui dit alors : « Ne crains pas Satan pour cet enfant. Mon fils aura un avenir glorieux. Je te dis que ma grossesse a été la plus facile jamais vécue par une femme. Une nuit, lorsque j'étais enceinte, il m'a semblé en rêve qu'une lumière sortait de moi pour illuminer tous les palais de Syrie. Lorsqu'il est né, il a levé la tête vers le ciel. Laisse-le auprès de moi et rentre chez les tiens. »

Nouvelle tragédie

Muhammad vécut ensuite avec sa mère, qui le chérissait et veillait sur lui comme la plus affectueuse des mères veille sur son enfant préféré. Notons que Amina ne s'était pas remariée après la mort de son jeune époux. C'était là un fait inhabituel dans la société mecquoise, où il était courant d'épouser des femmes veuves ou divorcées. Âmina possédait plusieurs qualités faisant d'elle un parti désirable : la principale était la noblesse de sa lignée, un facteur très important dans cette société. Malgré cela, elle ne se remaria pas. Peut-être ne parvenait-elle pas à chasser de son esprit les événements qui avaient précédé la perte tragique de son époux. Suffisamment de signes indiquaient que son fils ne manquerait pas de jouer un rôle important. Elle pensait probablement qu'élever son enfant suffirait à la combler.

C'est dans ce contexte qu'il faut considérer son voyage à Yathrib avec son fils, maintenant âgé de six ans, et sa nourrice Umm Ayman. Elle voulait qu'il rende visite au clan des an-Najjâr, ses oncles maternels. En effet, quand un homme épousait une femme d'une autre tribu ou d'un autre clan, tout membre de ce groupe était dès lors considéré comme l'oncle de ses enfants et de ses petits-enfants, et ce, pour toujours. La mère de Abd al-Muttalib appartenait au clan des an-Najjâr, et c'est pourquoi ils sont considérés comme les oncles du Prophète. Plus important encore, Amina voulait que son fils visite la tombe de son père. Peut-être pensait elle qu'il était temps qu'il comprenne que son père était enterré à Yathrib, loin de la Mecque.

Muhammad et sa mère passèrent un mois à Yathrib avant de prendre le chemin du retour. Ce fut un bien triste voyage pour le jeune garçon. En effet, ils n'avaient pas été très loin lorsque sa mère tomba malade. La maladie fut rapide et fatale. Amina ne put ni parcourir la courte distance qui la séparait de Yathrib, ni poursuivre sa route. Muhammad, à six ans, n'avait plus ni père ni mère. Amina ayant été enterrée sur le lieu de sa mort, à al-Abwa, Muhammad poursuivit son voyage de retour à La Mecque avec sa nourrice, Umm Ayman, le coeur plein de peine. Rien, lui semblait-il, ne pourrait remplacer l'amour et la tendresse de sa mère. Jusqu'à la fin de sa vie, il devait se souvenir d'Amina et ressentir le chagrin de sa perte.

Sa vie durant, le Prophète se montra reconnaissant envers les femmes qui s'étaient occupées de lui pendant son enfance. Sa gratitude envers Thuwayba, la première femme à l'avoir allaité juste après sa naissance, était telle qu'il demanda de ses nouvelles lorsqu'il conquit La Mecque plus de soixante ans plus tard. En apprenant qu'elle était morte, il s'enquit aussi de son fils, qu'elle allaitait quand lui même était né : il voulait se montrer généreux envers lui ; mais il apprit qu'il était mort également.

Halîma, elle, lui rendit visite à Médine. Quand elle arriva, il se leva pour la recevoir en s'exclamant : « Ma mère ! Ma mère ! » Il lui montra toute la reconnaissance d'un fils affectueux et dévoué. Il fit également preuve de bonté envers sa soeur de lait Shaymâ, la fille de Halîma. Après la bataille de Hunayn, où la tribu des Hawâzin fut vaincue, Shaymâ fut faite prisonnière par les soldats musulmans. Elle les informa de sa relation au Prophète et ils la conduisirent près de lui. Il lui fit un accueil généreux et lui offrit des présents avant de la renvoyer honorablement auprès des siens ; auparavant, il lui avait proposé de rester près de lui, mais elle avait choisi de partir.

Umm Ayman, quant à elle, demeura proche du Prophète le restant de ses jours. Plus tard, il la maria à Zayd ibn Hâritha, le premier homme à embrasser l'islam, que le Prophète aimait plus que quiconque. Elle donna naissance à Usâma, que le Prophète aimait plus qu'aucun enfant à part les siens. Après la mort de sa mère, Muhammad était à la charge de son grand-père, Abd al-Muttalib. Umm Ayman, une jeune esclave dont le vrai nom était Baraka, continua à s'occuper de lui. Elle avait appartenu à son père, et maintenant elle était à lui. Elle l'aimait tendrement, peut-être plus encore parce qu'elle savait qu'il avait perdu ses deux parents avant d'atteindre l'âge de six ans.

Le grand-père de Muhammad était plus indulgent envers lui que ce n'était habituel dans la société arabe, où les enfants étaient élevés dans la plus stricte discipline. Aucun enfant n'était admis dans une pièce où son père recevait d'autres hommes. Pourtant, Abd al-Muttalib, le chef de La Mecque, permettait à son petit-fils de s'asseoir sur son tapis lorsqu'il recevait des notables mecquois. Ses autres enfants, maintenant adultes, restaient debout, mais Muhammad avait le droit de s'asseoir sur le tapis de son grand-pèrè. Lorsque les oncles de Muhammad tentaient de l'en empêcher, Abd al-Muttalib leur disait de n'en rien faire. Il leur dit un jour : « Laissez mon enfant tranquille. Il sent qu'un jour il obtiendra un royaume. » À une autre occasion, il dit : « Il aura certainement un grand avenir. »

Un nouveau tuteur

Abd al-Muttalib pressentait qu'il ne tarderait pas à mourir. L'avenir de l'orphelin était dès lors sa préoccupation la plus urgente. Il appela donc son fils Abu Tâlib et lui demanda personnellement de s'occuper de Muhammad , son neveu, lorsque lui-même serait mort. Il eut raison de le faire, car Abd al-Muttalib mourut moins de deux ans après avoir assumé la charge de Muhammad. On relate que Abd al-Muttalib avait cent vingt ans lorsqu'il mourut ; son petit-fils, lui, n'avait alors que huit ans. Une fois encore, la mort retirait à Muhammad un parent affectueux.

La mort de son grand-père l'attrista profondément : nul, semblait-il, ne pourrait jamais se montrer aussi bon envers lui. Son chagrin était celui de l'enfant affectueux qui comprend que jamais plus il ne verra l'être aimé. Peut-être Abd al-Muttalib avait-il choisi de confier Muhammad à Abu Tâlib parce que ce dernier avait la même mère que Abdullâh, le père de Muhammad. Il voyait peut-être aussi qu'Abû Tâlib était le plus généreux et le plus affectueux de ses enfants. Tout cela explique pourquoi cette charge fut confiée à Abu Tâlib malgré le fait qu'il avait lui-même plusieurs enfants et ne disposait que de faibles ressources.

Plusieurs autres oncles de Muhammad auraient été mieux placés pour s'occuper de lui, financièrement parlant. Ce fut pourtant Abu Tâlib que Abd al-Muttalib choisit, et ce choix s'avéra le plus juste. Abu Tâlib s'occupa de Muhammad jusqu'à l'âge adulte. Même alors, il continua à lui témoigner toute l'attention d'un père affectueux envers son fils adulte. Il était toujours prêt à le conseiller et à guider ses choix. Lorsque Muhammad commença à recevoir la révélation et à transmettre son message, Abu Tâlib le soutint face à l'opposition violente des Quraysh. Il ne lui fit jamais défaut, même quand les pressions se firent trop dures pour le vieillard qu'il était alors. Une relation d'amour et de respect mutuels unissait l'oncle et son neveu orphelin.

Abu Tâlib aimait Muhammad autant, sinon plus, que le plus cher de ses enfants. À l'époque où il était chez son oncle, certains signes montrèrent que la présence de Muhammad apportait la bénédiction divine. Bien que la maison d'Abû Tâlib ne se soit pas subitement remplie de richesses, les ressources étaient toujours suffisantes quand Muhammad était là. Si le dîner était servi et que Muhammad était absent, Abu Tâlib ordonnait à ses enfants de l'attendre. Il avait remarqué que quand Muhammad était présent, la nourriture semblait abondante et chacun mangeait à sa faim. S'il était absent, la nourriture ne semblait pas suffire et chacun en redemandait.

Dans l'ensemble, l'enfance de Muhammad fut très heureuse. Il faisait rayonner le bonheur autour de lui. Il n'est donc pas étonnant que tout son entourage l'aimait tendrement. Plusieurs récits concernant cette période de la vie de Muhammad suggèrent que diverses personnes reconnurent en lui le futur Prophète.

D'après un récit, Abu Tâlib, qui s'apprêtait à entreprendre un voyage commercial en Syrie, décida d'emmener son neveu Muhammad, âgé de douze ans. Le récit relate que lors du voyage de retour, un moine, Bahîra, invita toute la caravane à dîner. C'était là un acte inhabituel chez lui. Il insista pour que tout le monde soit présent. Il reconnut Muhammad et lui parla, l'interrogeant sur différents aspects de sa vie. Il reconnut également une marque sur l'épaule de Muhammad indiquant qu'il serait le dernier des prophètes. Une fois certain de cela, Bahîra demanda à Abu Tâlib ce qu'était le jeune garçon pour lui. Lorsque Abu Tâlib répondit qu'il était son fils - car les Arabes plaçaient l'oncle dans la même position que le père - Bahîra dit : « Il n'est pas ton fils. Le père de ce garçon ne peut être en vie. » Abu Tâlib lui expliqua que Muhammad était son neveu et que son père était mort avant sa naissance. Bahîra dit alors : « C'est cela. Ramène ton neveu chez lui et surveille-le bien. Si les juifs le reconnaissaient comme je l'ai fait, ils essaieraient de lui faire du mal. Ton neveu aura certainement un avenir glorieux. »

Quelle que soit l'authenticité de cette histoire, il est certain que ces incidents n'eurent aucune influence sur Muhammad . Il faut se rappeler qu'il était encore enfant, et n'aurait pu aspirer à aucune reconnaissance en conséquence des propos de Bahîra. En outre, il ne semble pas que les hommes qui entendirent peut-être la conversation de Bahîra et Abu Tâlib aient jugé utile de l'ébruiter. La seule valeur de ces récits réside dans le fait qu'ils confirment que des érudits d'autres religions étaient conscients de l'imminence de la venue d'un prophète en Arabie. Cette connaissance était fondée sur des textes explicites de leurs Ecritures.

Dans la société mecquoise de l'époque, un garçon de l'âge de Muhammad ne pouvait pas faire grand-chose. La vie de toute la communauté dépendait en grande partie du commerce, alimenté par les voyages régulièrement entrepris vers la Syrie et le Yémen. Ces voyages signifiaient que le commerce de La Mecque était essentiellement ce qu'on appellerait aujourd'hui du « commerce extérieur », basé sur les importations et les exportations. Réussir dans ce domaine demandait une expérience variée que ne pouvait encore posséder un garçon entrant tout juste dans l'adolescence.

De plus, il aurait été trop risqué pour un si jeune garçon de voyager dans une région aussi difficile que l'Arabie. L'agriculture n'était quasiment pas pratiquée à La Mecque ni aux environs. Les métiers artisanaux étaient rares, et d'ailleurs peu appréciés des Arabes qui les considéraient avec mépris : le commerce était la seule occupation digne des Arabes de La Mecque. Pour aider son oncle, Muhammad n'avait donc pas d'autre solution que de travailler comme berger.

La vie d'un berger est associée à la contemplation et à la patience. Un berger dispose de longues périodes où il n'a rien à faire, à part regarder paître ses bêtes. Dans sa solitude, il ne peut manquer de méditer sur l'univers qui l'entoure. Il pense à sa création, à ses étendues infinies. Il médite sur les nombreuses variétés de créatures qui vivent ensemble dans un petit coin de cet univers, et sur tout ce qui dépasse les limites de la perception humaine. Il pense à la grande diversité des plantes qui poussent de la terre, chacune avec ses caractéristiques et ses fruits si différents : pourtant, toutes sortent du même type de sol et se nourrissent de la même eau. Ses méditations ne peuvent que le conduire à penser au pouvoir infini qui contrôle tout ce qui existe dans l'univers.

Un berger a besoin de patience, et la pratique de son métier ne peut que lui inculquer cette qualité sans laquelle il ne peut pas s'occuper de ses moutons. Peut être, est-ce en raison de ces deux qualités, ainsi que d'autres moins importantes, que Dieu a choisi ce métier pour Ses messagers et Ses prophètes. Il est bien connu que Moïse et David ont reçu la prophétie alors même qu'ils étaient occupés à garder leurs moutons. Comme on demandait un jour au Prophète si lui aussi avait gardé les moutons, il répondit : « Oui. Chaque prophète a un jour ou l'autre gardé les moutons. » Lorsque nous réfléchissons à cela, nous ne pouvons que conclure que les prophètes, qui plus tard dans leur vie se sont occupés d'êtres humains dont ils étaient en quelque sorte les bergers, ont commencé à être formés à leur tâche lorsqu'ils exerçaient dans leur jeunesse le métier de berger.

Ce métier est en lui même une forme d'éducation. Il aide le berger à se doter d'un sens aigu de ce qui l'entoure et à développer sa perception des détails. Le berger acquiert aussi une qualité essentielle à un prophète : la capacité d'oeuvrer régulièrement pour accomplir un but prédéfini et de persévérer jusqu'à ce qu'il soit accompli.

Muhammad n'était pas le seul jeune garçon de La Mecque à travailler tomme berger - ce métier n'était pas dédaigné par les nobles familles mecquoises. D'autres garçons de son âge s'occupaient aussi de chameaux et de moutons. Ils se réunissaient parfois et des amitiés se tissaient. Ils parlaient de ce qu'ils faisaient la nuit. Souvent, des fêtes et des célébrations étaient organisées à La Mecque, et les garçons de l'âge de Muhammad y participaient. Lorsqu'ils se retrouvaient durant leurs longues journées, ils se racontaient comment ils s'étaient amusés. Il aurait donc été naturel que Muhammad pense à en faire autant. Pourtant, d'après son cousin Alî ibn Abî Tâlib, il a dit :

Je n'ai jamais pensé à participer aux divertissements qu'organisaient les gens de l'époque de l'ignorance, sauf deux nuits. Dans les deux cas, Dieu me préserva du mal. Une nuit, je dis à un autre berger : « Pourrais-tu surveiller mes moutons pour que je puisse descendre à La Mecque et assister à une fête comme le font les autres garçons ? » Il accepta et j'allai donc à La Mecque. A mon arrivée, j'entendis de la musique et des chants dans la première maison. Je demandai ce que c'était, et on me répondit que c'était une noce. Je m'assis pour regarder, mais bientôt ma tête s'alourdit et je m'endormis. Ce ne fut qu'au matin que la chaleur du soleil me réveilla. Je retournai auprès de mon ami et je lui racontai ce qui s'était produit. Je recommençai, et la même chose m'arriva. Dès lors, jamais plus je ne pensai ni ne fis rien de tel, jusqu'à ce que Dieu m'honore de la mission prophétique.

Ainsi Muhammad fut-il préservé par Dieu de toute forme de divertissement indigne de celui qui serait appelé à être le dernier de Ses messagers à l'humanité. D'autres récits suggèrent que Muhammad fut ainsi « protégé » depuis son enfance de tout manquement à la morale. Certaines valeurs introduites par l'islam étaient inconnues de la société mecquoise où il grandit. Or, dans sa jeunesse, Muhammad n'avait nullement conscience de ces règles de décence : pourtant, il fut astreint à les observer.

Ainsi, quelques années avant le commencement de la révélation du Coran, les Quraysh avaient décidé de réparer l'édifice de la Ka'ba (nous y reviendrons plus en détail). Le Prophète , comme beaucoup de Mecquois, participa aux travaux de réparation. Ceux qui allaient et venaient en portant les pierres ôtaient leur pagne pour le placer sur leurs épaules comme un coussin sur lequel ils posaient les pierres. Comme les Arabes ne portaient pas de sous-vêtements à l'époque, cela signifie que ces hommes travaillaient nus. Seul Muhammad portait les pierres en conservant son pagne. Son oncle al-Abbâs, qui travaillait avec lui, lui suggéra d'utiliser son pagne pour se protéger l'épaule. Lorsqu'il fit cela, Muhammad perdit connaissance. Un moment plus tard, il reprit ses sens, chercha son pagne et le serra autour de sa taille ; puis il se remit au travail.

Un récit très semblable suggère que la même chose se produisit beaucoup plus tôt. Il est rapporté que le Prophète a dit que lorsqu'il était enfant, il jouait à transporter des pierres avec d'autres garçons de son âge. Il dit : « Nous étions tous dévêtus. Nous avions ôté nos pagnes pour les placer sur nos épaules et mettre les pierres dessus. Je marchais avec les autres enfants quand quelqu'un que je ne vis pas me donna un grand coup de poing en me disant de remettre mon pagne. Je m'en enveloppai et le serrai bien. Je continuai à porter les pierres sur mon épaule, mais j'étais le seul à être vêtu de mon pagne. »

Ces deux récits montrent clairement comment les valeurs morales essentielles de la nature humaine pure étaient appliquées à Muhammad avant même qu'il ne devienne prophète. Cela faisait partie de « l'éducation » qu'il reçut. Bien que Muhammad n'ait jamais reçu d'instruction dans une école ou d'un quelconque maître, il fut placé au coeur de nombreux événements qui lui conférèrent un sens aigu des valeurs devant être préservées dans toute société moralement saine.

Une éducation personnelle lui fut aussi donnée afin qu'il se forge un code de comportement éloignant de lui toute forme de frivolité. Une telle éducation est bien plus efficace et durable qu'aucun cursus scolaire. Comme nous le verrons au cours des chapitres qui vont suivre, Muhammad possédait une compréhension de tous les aspects de la vie beaucoup plus profonde que celle d'aucun philosophe ou d'aucun sage.