Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

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Le Prophète ne cessait de souligner que son message s'adressait « à l'humanité tout entière ». Jamais dans sa vie il n'a accordé une importance particulière aux Arabes en tant que nation ou que race, malgré le fait que le Prophète était issu d'une société tribale où la fierté de la lignée et le chauvinisme tribal étaient la règle générale. Jamais le Prophète ne s'est considéré comme un réformateur arabe ayant pour tâche de redresser sa nation. Il soulignait toujours que le message qu'il apportait s'adressait à tout le monde et à toutes les époques.

Si le message de l'islam n'avait pas dépassé jusqu'alors les frontières de l'Arabie, c'était parce que l'islam luttait encore pour consolider sa base à Médine et pour s'assurer la suprématie en Arabie. Il était improbable que le Prophète parvienne à étendre sa prédication au delà de l'Arabie tant qu'il n'avait pas encore consolidé sa position sur place.

Durant les premiers mois de la septième année de l'établissement du Prophète à Médine, un changement de scène radical se produisit en Arabie. D'abord, le traité d'al-Hudaybiyya, signé au cours du dernier mois de l'année précédente, neutralisa en pratique les Quraysh, la principale force arabe opposée à l'islam. Puis Khaybar tomba aux mains des musulmans. En chef d'État habile et avisé, le Prophète s'empressa d'élargir le champ de sa prédication. Il choisit un certain nombre de ses compagnons alliant à une personnalité engageante l'intelligence et la capacité de gérer les situations difficiles, et les envoya comme émissaires porter ses messages aux souverains des pays voisins, dont certains étaient les grandes puissances de l'époque : Byzance et la Perse.

Il est important de voir comment ces ambassadeurs furent reçus, afin de juger de la manière dont le reste du monde pouvait accueillir l'islam. L'issue de leurs missions respectives nous donne un aperçu de la manière dont l'islam modèle la personnalité d'un musulman. Commençons par Dihya ibn Khalîfa, de la tribu des Kalb, qui apporta le message du Prophète à Héraclius, l'empereur de Byzance. Dihya était un homme charmant et de belle allure. Certains récits nous disent que l'ange Gabriel apparaissait parfois au Prophète sous la même forme que Dihya.

Le Prophète demanda à ses compagnons : « Qui est prêt à porter ma lettre à l'empereur de Byzance et à recevoir le Paradis en retour ? » Un homme demanda : « Même s'il rejette le message ? » Le Prophète confirma que la récompense serait le Paradis même si Héraclius rejetait le message. Dihya prit alors la lettre et partit pour la capitale de l'empire byzantin.

En présence de l'Empereur Byzantin

Héraclius était l'homme qui avait redressé l'empire byzantin et lui avait donné un nouveau souffle après qu'il avait failli s'effondrer devant l'empire perse. Il était commandant militaire de Carthage quand il fut appelé à prendre la position d'empereur et de commandant militaire de l'empire en 610 apr. J.-C. Il parvint à transformer radicalement le sort de l'empire byzantin. Au bout de quelques années, il infligea une sévère défaite à l'empire perse, au point d'en menacer l'existence même. Cette victoire eut lieu en 625 apr. J.-C.

Quatre ans plus tard, il se rendit à Jérusalem pour accomplir son voeu d'y ramener la sainte croix après l'avoir reprise aux Perses. Il y reçut un accueil grandiose, les gens déroulant des tapis sous ses pieds et le saluant avec des fleurs et des acclamations. Une cérémonie solennelle fut organisée pour célébrer le retour de la sainte croix. Ce fut durant cette visite à Jérusalem que Dihya, l'émissaire du Prophète alla trouver Héraclius pour lui remettre le message du Prophète. Voici ce que disait ce message :

De Muhammad, Messager de Dieu, à Héraclius, souverain de Byzance. Que la paix soit sur ceux qui suivent le bon chemin. Je t'appelle à croire à l'islam. Deviens musulman et tu seras en sécurité, et Dieu t'accordera une double récompense. Si tu refuses, tu en porteras la responsabilité pour les ariens. [Les ariens étaient les adeptes d'Arius, prêtre égyptien qui croyait en l'unicité divine et niait que le père et le fils soient deux manifestations du Seigneur.]

Héraclius fit bon accueil à l'émissaire du Prophète , mais il voulut se faire une idée personnelle de la véritable nature du Prophète. Il ordonna donc à ses assistants de trouver dans la région quelqu'un venant d'Arabie afin de l'interroger sur le Prophète. Il se trouva qu'Abû Sufyân, le chef des Quraysh, était alors à Gaza. Il fut conduit auprès d'Héraclius avec un certain nombre de ses compatriotes. Héraclius s'adressa à eux par l'intermédiaire d'un interprète, demandant tout d'abord :

« Lequel d'entre vous est le plus proche parent de cet homme qui se prétend prophète ? » Abu Sufyân dit que c'était lui. Héraclius lui demanda de s'avancer. Il fit placer les autres Arabes derrière Abu Sufyân et leur dit qu'il allait lui poser des questions : il leur demanda de l'avertir si Abu Sufyân prononçait le moindre mensonge. Cependant, Abu Sufyân ne souhaitait pas être accusé de mensonge en pareille compagnie. Leur conversation se déroula comme suit.

Le verdict de l'Empereur

Héraclius : - Quelle lignée a-t-il parmi vous ?
Abu Sufyân : - Ses origines sont éminentes.
- Compte-t-il un roi parmi ses ancêtres ?
- Non.
- Quelqu'un d'entre vous a-t-il jamais affirmé pareille chose avant lui ?
- Non.
- La majorité de ses adeptes appartiennent-ils à l'aristocratie, ou sont-ils pauvres ?
- Ils sont pauvres.
- Augmentent-ils ou diminuent-ils ?
- Ils augmentent.
- Certains d'entre eux se détournent-ils de sa religion après l'avoir embrassée ?
- Non.
- L'avez-vous jamais entendu mentir avant qu'il ne commence à affirmer ce qu'il affirme ?
- Non.
- A-t-il l'habitude de trahir sa parole ?
- Non. Cependant, nous avons un accord de paix avec lui en ce moment et nous ne savons pas ce qu'il fera durant cette période.
- L'avez-vous jamais combattu ?
- Oui.
- Comment se sont passées les batailles ?
- Parfois il gagne et parfois c'est à nous que revient la victoire.
- Que vous ordonne-t-il ?
- Il nous dit de n'adorer que Dieu sans attribuer la divinité à aucun autre que Lui. Il nous dit de ne pas imiter nos ancêtres. Il nous ordonne de prier, d'être sincères et chastes et de pratiquer la bonté.
- Tu as dit que sa lignée est éminente, et c'est le cas de tous les prophètes et les messagers. Puisque tu dis que personne d'autre parmi vous n'a affirmé la même chose, je ne peux pas dire qu'il imite qui que ce soit. Tu as aussi dit qu'aucun de ses ancêtres n'était roi, de sorte qu'il ne peut pas prétendre à un royaume. Tu as dit aussi qu'on ne l'a jamais entendu prononcer un mensonge avant qu'il n'apporte ce message.

Je sais donc qu'il ne commencerait pas par mentir à Dieu. Tu as affirmé que les pauvres sont ses adeptes, et c'est le cas de tous les messagers de Dieu. Tu as dit aussi que personne ne se détourne de sa religion après l'avoir embrassée. C'est une caractéristique de la foi quand sa lumière éclaire le coeur des gens. Tu as aussi dit qu'il ne trahit pas sa parole, et aucun messager de Dieu n'a jamais trahi sa parole.

Tu as dit encore qu'il vous appelle à croire en l'unicité divine, à prier et à être sincères et chastes. Si ce que tu m'as dit est vrai, il aura la suprématie ici même où je me trouve. Je savais qu'il devait arriver, mais je ne pensais pas qu'il appartiendrait à votre peuple. Si j'en avais eu le pouvoir, je me serais certainement donné la peine de le rencontrer et de lui laver les pieds.

C'est là le récit le plus authentique concernant la réaction d'Héraclius lorsqu'il reçut le message envoyé par le Prophète . Il existe d'autres récits à l'authenticité moins avérée, selon lesquels Héraclius aurait tenté de persuader ses évêques et ses conseillers d'embrasser l'islam, mais ils s'y seraient opposés unanimement, à une exception près. Un récit avance que l'exception était l'archevêque, qui fut tué sur-le-champ lorsqu'il déclara qu'il croyait au nouveau Messager. Quelle que soit l'authenticité de ces récits, il demeure qu'Héraclius n'adhéra pas à l'islam, peut être de peur de perdre son trône.

Héraclius choisit également d'envoyer une réponse diplomatique, affirmant qu'il embrassait personnellement l'islam mais que l'opposition de son Eglise l'empêchait de le déclarer publiquement. Il donna à Dihya, l'émissaire du Prophète , une somme en pièces d'or, que le Prophète distribua aux pauvres de la communauté musulmane.

L'Empereur de Perse

L'autre grande puissance de l'époque était l'empire perse. Son empereur était Chosroes II, qui avait accédé au trône de Perse en 590 apr. J.-C. Peu après, il dut faire face à une rébellion dont il sortit vaincu. Il dut se réfugier à la cour de Maurice, l'empereur byzantin, qui l'aida à retrouver son trône. Lorsque Maurice fut tué par l'usurpateur Phokas, Chosroes à son tour marcha sur Byzance pour venger la mort de son vieil ami et protecteur. Il put remporter d'importantes victoires contre « le vieil ennemi ». Il fallut ensuite plusieurs années à Héraclius pour prendre le pouvoir à Byzance et reprendre les provinces occupées de l'empire byzantin.

Il entreprit alors une campagne d'envergure contre la capitale de l'empire perse. Chosroes fut contraint de quitter sa capitale et de trouver refuge ailleurs. Il fut ensuite tué au cours d'un soulèvement qui eut lieu en 628 apr. J.-C. Les historiens s'accordent à dire que Chosroes II fut l'un des plus puissants empereurs de Perse. Durant son règne, l'empire perse atteignit l'apogée de sa prospérité. Il affirmait même être un dieu sous forme humaine.

Le Prophète envoya son compagnon 'Abdullâh ibn Hudhâfa apporter son message à Chosroes. Voici ce que disait la lettre du Prophète :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De Muhammad, Messager de Dieu, à Chosroes, souverain de Perse. La paix soit sur ceux qui suivent le droit chemin, croient en Dieu et Son messager, et déclarent qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager. Je souhaite te transmettre l'appel de Dieu, car je suis le Messager de Dieu à toute l'humanité, envoyé pour avertir ceux qui sont vivants que la ruine attend les négateurs. Si tu te soumets à Dieu, tu seras en sécurité. Si tu refuses, tu en porteras la responsabilité pour les mazdéens.

Quand Chosroes lut la lettre du Prophète , il la déchira en disant : « Comment ose-t-il m'écrire une telle lettre alors qu'il est mon esclave ? » Chosroes écrivit ensuite à Bâdhân (ou Bâdhâm) qui était gouverneur du Yémen, province perse. Il lui ordonna d'envoyer deux robustes soldats arrêter le Prophète et l'emmener en Perse. Bâdhân envoya immédiatement l'un de ses aides, Abâdhweih, ainsi qu'un officier perse du nom de Kharhara, avec un décret ordonnant au Prophète de se rendre à eux et de les accompagner auprès de Chosroes.

Bâdhân demanda toutefois aussi à son aide de découvrir la vérité au sujet du Prophète. Abâdhaweih et son compagnon traversèrent le Yémen et parvinrent à Tâ'if, à une centaine de kilomètres de La Mecque. Là, on leur dit que le Prophète se trouvait alors à Médine. Les habitants de Tâ'if, qui n'étaient pas encore musulmans à l'époque, et ceux de La Mecque furent ravis d'apprendre que l'empereur de Perse avait ordonné l'arrestation de Muhammad. Ils pensaient que Muhammad se trouvait dans la situation la plus difficile qu'il ait connue.

La barbe rasée mais portant de grosses moustaches, les deux officiers venus du Yémen allèrent trouver le Prophète à Médine. Abâdhaweih lui dit : « Chosroes, le roi des rois, a écrit à Bâdhân, le roi du Yémen, pour lui ordonner de nous envoyer te conduire à lui. Si tu obéis, Bâdhân écrira au roi des rois pour intercéder en ta faveur, ce qui t'évitera bien des ennuis. Si tu refuses, tu sais quel est son pouvoir. Il ne manquera pas de te détruire, toi et les tiens ainsi que votre pays. »

Le Prophète n'aimait pas leur apparence. Il leur demanda qui leur ordonnait de se raser la barbe, et ils répondirent : « Notre seigneur », voulant parler de Chosroes. Le Prophète dit : « Quant à moi, mon Seigneur m'a ordonné de porter la barbe et de me tailler la moustache. » Il leur demanda également d'attendre jusqu'au lendemain, où il les recevrait à nouveau. Entre-temps, le Prophète apprit par l'intermédiaire de l'ange Gabriel que Dieu avait fait que Chosroes soit tué par son propre fils, Shirweih ; il apprit exactement à quel moment de la nuit et à quelle date Chosroes avait été tué.

Le Prophète fit appeler les émissaires perses et les informa du meurtre de leur empereur. Ils lui dirent : « Te rends-tu compte de ce que tu dis ? Ton arrestation a été ordonnée pour quelque chose de bien plus futile que cela. Veux-tu toujours que nous écrivions cela et que nous informions le roi Bâdhân de ce que tu viens de dire ? » Le Prophète répondit : « Oui. Dis-lui aussi de ma part que ma religion et mon royaume remplaceront ceux de Chosroes et emporteront tout sur leur passage. Dis lui également que s'il embrasse l'islam, je lui donnerai ce qui est maintenant sous son autorité et je ferai de lui le gouverneur de la région qu'il gouverne actuellement. » Le Prophète donna aussi à Kharkhara un sac d'or et d'argent qui lui avait été envoyé comme présent par un autre roi.

Les deux envoyés partirent et rentrèrent au Yémen, où ils relatèrent à Bâdhân ce que le Prophète avait dit. Il leur dit : « Ce n'est pas le genre de propos qu'un roi pourrait tenir. À mon avis, l'homme est bien un prophète comme il l'affirme. Si tel est le cas, ce qu'il vous a dit se réalisera. S'il est vrai que Chosroes a été tué, cet homme est un prophète et un messager. Sinon, nous déciderons de ce qu'il faudra faire de lui. »

Bâdhân reçut peu après un message de Shirweih l'informant qu'il avait tué son père après que celui-ci avait adopté des mesures tyranniques à l'encontre de la noblesse perse. Il lui ordonnait également de demander à ses commandants de lui prêter serment d'allégeance en tant que nouvel empereur. Il ajoutait qu'il ne devrait rien faire au sujet du Prophète avant d'avoir reçu de nouvelles instructions.

Bâdhân comprit alors que Muhammad était véritablement le Messager de Dieu. Il fit appeler Abâdhaweih et lui posa de nouvelles questions au sujet du Prophète. Son émissaire lui dit que le Prophète n'avait aucun garde pour le protéger de son peuple ni de quiconque. « Néanmoins, jamais je n'ai parlé à quelqu'un qui m'a inspiré autant de respect que lui », ajouta-t-il. Bâdhân fut alors tout à fait certain que Muhammad était bien le Messager de Dieu et fit part de sa conviction à ses conseillers. Il déclara qu'il voulait devenir musulman et ils embrassèrent tous l'islam avec lui.

Ce fut le point de départ de l'expansion de l'islam au Yémen. La majorité des habitants du Yémen, chrétiens comme mazdéens, commença à adhérer à l'islam. Ils le firent savoir au Prophète, qui leur envoya plusieurs de ses compagnons pour leur enseigner les principes de l'islam et leur apprendre comment vivre en musulmans.

Al-Hârith ibn Abî Shammar des Arabes de Ghassan, le souverain de Damas nommé par l'empereur byzantin, eut une réaction semblable à celle de Chosroes. Shujâ' ibn Wahb, un compagnon du Prophète, apporta son message à al-Hârith. Quand il lut la lettre, al-Hârith la jeta au sol en disant : « Qui peut m'enlever mon royaume ? Je marcherai sur lui, même s'il est au Yémen. » Il commença immédiatement à mobiliser ses forces.

Il faut se rappeler qu'al-Hârith n'était qu'un gouverneur dont la juridiction ne s'étendait qu'à sa tribu arabe, qui était soumise aux souverains byzantins. Pourtant, il était si vaniteux qu'il s'imaginait que personne ne pourrait lui prendre son royaume. Il faut remarquer ici que son attitude était beaucoup plus arrogante que celle de son maître Héraclius. Il écrivit cependant à Héraclius pour lui faire part de son intention de marcher sur le Prophète avec ses forces. Héraclius répondit de Jérusalem : il lui ordonnait de ne pas mettre son intention à exécution et de le rejoindre à Jérusalem.

Shujâ' ibn Wahb relata au Prophète à son retour à Médine qu'al-Hârith avait pour commandant de la garde de son palais un Byzantin chrétien nommé Marri. Celui-ci interrogea Shujâ' au sujet du Prophète et de son message. Quand Shujâ' le lui eut expliqué, il dit, les yeux pleins de larmes : « J'ai lu des références claires à ce Prophète dans la Bible, mais je pensais qu'il arriverait en Syrie. Néanmoins, je crois en lui en tant que Messager de Dieu, mais je crains qu'al-Hârith ne me tue si je déclare ouvertement ma foi. » Il demanda à Shujâ' de transmettre ses respects au Prophète et de lui dire qu'il croyait en lui et en son message.

Nouveau message au Négus

Amr ibn Umayya ad-Damrî fut le quatrième émissaire du Prophète , et sa mission le conduisit en Abyssinie où il apportait une lettre du Prophète au souverain de ce pays, portant le titre de Négus. L'Abyssinie se situe en Afrique de l'Est, en bordure du sud-ouest de la Mer Rouge. Il est difficile de définir précisément les frontières qu'elle avait à l'époque : elle comprenait très probablement l'Erythrée actuelle ainsi que différentes parties de l'Ethiopie.

L'Abyssinie était un pays entièrement indépendant, ayant pour capitale Aksoum. Ses relations avec l'empire byzantin étaient cordiales puisque les deux pays étaient chrétiens. Au milieu du troisième siècle, l'empereur byzantin Justinien avait nommé un homme appelé Julien ambassadeur de Byzance à la cour d'Abyssinie. Ce n'était pas le premier voyage de Amr en Abyssinie, et la lettre qu'il apportait n'était pas la première que le Prophète ait envoyée au Négus.

Nous avons déjà évoqué les relations antérieures entre l'islam et le roi d'Abyssinie, qui avait accordé son hospitalité et sa protection aux musulmans qui avaient cherché refuge dans son royaume et y avaient vécu près de treize années durant. Il existe une certaine confusion dans les ouvrages historiques quant à l'identité du Négus auquel le Prophète envoya sa lettre par l'intermédiaire de Amr ibn Umayya. Beaucoup ont tendance à considérer que le même roi régnait durant toute la période.

Cela est tout à fait possible, étant donné qu'il avait accédé jeune au trône d'Abyssinie, mais il est également possible que le Prophète se soit cette fois adressé à un autre Négus. Quand le Prophète avait précédemment contacté le Négus pour lui demander de bien accueillir ses adeptes, aucun récit ne suggère qu'il l'ait invité à devenir musulman. De fait, il n'avait écrit à aucun souverain pour lui expliquer le message de l'islam et l'y inviter.

Toutefois, que le Prophète envoie maintenant une lettre au Négus dans les mêmes termes qu'aux autres rois et empereurs correspond tout à fait au déroulement logique des événements. Ibn Kathîr, un éminent historien et biographe du Prophète, considère que le Prophète écrivit au Négus à la même période où il « écrivit aux rois et empereurs du monde pour leur communiquer le message divin, avant la conquête de La Mecque. »

Voici ce que le Prophète écrivit au Négus :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De Muhammad, Messager de Dieu, au Négus, roi d'Abyssinie. Que la paix soit avec toi. Louange à Dieu, l'Unique, le Souverain, Celui qui est digne de louange, la Paix, Celui qui contrôle toute chose. Je témoigne que Jésus, fils de Marie, était l'esprit de Dieu et Son verbe donné à Marie, vierge et pure. Elle conçut ainsi Jésus que Dieu créa de Son propre esprit, tout comme Il créa Adam de Sa propre main. Je t'invite à croire à Dieu Seul, sans Lui associer d'autre divinité, à continuer à Lui obéir, à me suivre et à croire à ce qui m'a été révélé. Je suis le Messager de Dieu et je t'invite ainsi que tes sujets et tes soldats à croire en Dieu, le Tout-Puissant. J'ai ainsi transmis mon message et donné de bons conseils. Il vaut mieux pour toi que tu suives mes conseils. La paix soit sur ceux qui suivent le bon chemin.

'Amr ibn Umayya parla également au Négus en ces termes :

Tu es aussi bon pour nous que l'un des nôtres, et nous te faisons confiance comme si nous appartenions à ton peuple. Tu as répondu à toutes nos espérances et nous n'avons rien eu à craindre de toi. Cependant, nous trouvons dans tes propres paroles de quoi appuyer notre argument. La Bible est notre dernier témoin et notre arbitre impartial. Il ne saurait exister de preuve plus claire ni d'argument plus décisif. Si tu ne te soumets pas à sa parole, alors ton attitude envers ce Prophète sera pareille à l'attitude des juifs envers Jésus, fils de Marie. Le Prophète a envoyé ses émissaires à tous les peuples, mais il place de plus grands espoirs en toi qu'en eux. Il a pu te confier ce qu'il n'a pas pu leur confier, grâce à ton passé de bienfaiteur. En outre, une immense récompense t'attend.

Le Négus répondit en disant : « Je le jure par Dieu, il est le Prophète attendu par les gens des Écritures antérieures. Moïse a annoncé la venue prochaine d'un prophète montant un âne, de même que Jésus a annoncé la venue prochaine d'un prophète montant un chameau. »

Ainsi le Négus déclara-t-il son adhésion au message de Muhammad et sa foi en l'islam. Il écrivit également au Prophète :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. A Muhammad, Messager de Dieu, de la part du Négus. Que la paix soit sur toi, Prophète, ainsi que la miséricorde et la bénédiction de Dieu. J'ai reçu ta lettre, Messager de Dieu, et j'ai pris note de ce que tu as dit au sujet de Jésus. Par le Seigneur des Cieux et de la Terre, Jésus, fils de Marie, n'est rien de plus que ce que tu as dit. Je connais la vérité de ce que tu m'as dit, et j'ai accordé mon hospitalité à ton cousin et à ses compagnons. Je témoigne que tu es le Messager de Dieu qui dit la vérité. Je te prête serment d'allégeance, et j'ai déclaré cette allégeance à ton cousin et suis devenu musulman. Je me soumets à Dieu, le Seigneur de tout l'univers.

Ce fut la réponse la plus favorable que le Prophète reçut à tous ses messages et lettres aux rois et aux empereurs de différents pays. Cette réponse montrait que l'islam s'était constitué une base solide de l'autre côté de la Mer Rouge, sur le continent africain. Le Négus resta au pouvoir jusqu'à sa mort deux ans plus tard. Quand il mourut, pendant la neuvième année du calendrier musulman, le Prophète annonça sa mort aux musulmans et prononça sur lui la prière funéraire de l'absent.

Un émissaire au souverain d'Egypte

Hârib ibn Balta'a, un autre compagnon du Prophète , apporta sa lettre au souverain d'Egypte à Alexandrie, un gouverneur général nommé par l'empereur byzantin. La plupart des historiens arabes désignent ce souverain d'Egypte de l'époque sous le nom d'al-Muqawqis. Les avis divergent cependant parmi les historiens quant à son véritable nom, son titre et son identité. Certains historiens, comme Abu Sâlih, qui vécut au sixième siècle de l'histoire musulmane (treizième siècle du calendrier grégorien) l'appellent Grîg ibn Mina al-Muqawqis.

Le célèbre historien Ibn Khaldûn affirme qu'il était copte, tandis qu'al-Maqrîzî, un autre historien musulman, pense qu'il était un chef byzantin désigné par Héraclius et que son nom était Georges. D'autres historiens pensent qu'il fut nommé en l'an 621 apr. J.-C. Alfred Butler, l'auteur d'un livre sur la conquête arabe de l'Egypte, affirme quant à lui que les Arabes croyaient que le gouverneur d'Egypte nommé par l'empereur byzantin après sa victoire sur la Perse portait le titre d'al-Muqawqis et combinait les deux fonctions de gouverneur et de chef de l'Église : c'est pourquoi ils donnèrent ce titre à Georges, qui était le délégué d'Héraclius en Egypte.

Il ramène ce titre à des origines coptes. Or, il est tout à fait possible qu'un évêque copte ait assumé le gouvernement de l'Egypte en plus de ses fonctions de chef de l'Église quand les Perses prirent le contrôle de l'Egypte. Les forces perses se retirèrent d'Egypte en 627 apr. J.C, mais aucun accord de paix ne fut conclu avant l'année suivante. Il est aussi tout à fait possible que la lettre du Prophète à al-Muqawqis ait été envoyée pendant cette période où le gouverneur d'Egypte jouissait d'une certaine autonomie.

Le Prophète s'adressait donc à lui comme « le chef des coptes ». Voici le texte de la lettre du Prophète :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De Muhammad ibn 'Abdullâh à al-Muqawqis, le chef des Coptes. La paix soit sur ceux qui suivent le bon chemin. Je souhaite te transmettre le message de l'islam. Embrasse l'islam et tu seras en sécurité. Embrasse-le et Dieu doublera ta récompense. Si tu lui tournes le dos, tu en porteras la responsabilité pour les Coptes. Ô gens des Écritures ! Mettons-nous d'accord sur une formule valable pour nous et pour vous, à savoir de n'adorer que Dieu Seul, sans rien Lui associer et de ne pas nous prendre les uns les autres pour des maîtres en dehors de Dieu. S'ils s'y refusent, dites : « Soyez témoins que, en ce qui nous concerne, notre soumission à Dieu est totale et entière ».

Après avoir cacheté cette lettre, le Prophète la donna à son compagnon, Hâtib ibn Abî Balta'a, qui se rendit directement à Alexandrie où il se présenta sans tarder à al-Muqawqis. Hâtib s'adressa ainsi au souverain égyptien : « Un homme qui vécut avant toi affirmait être le souverain suprême de l'univers, mais Dieu l'a frappé de Son châtiment dans cette vie et dans l'autre. Il l'a utilisé pour punir d'autres hommes avant qu'il ne soit lui-même puni par Dieu. Prends donc garde à ce qui est arrivé à d'autres, avant qu'il ne soit fait de toi un exemple pour ceux qui viendront après toi. » Al-Muqawqis demanda à Hâtib de préciser son propos, et Hâtib poursuivit :

Nous avons une religion que nous n'abandonnerons jamais à moins d'en trouver une autre meilleure. Notre religion est l'islam, et avec elle Dieu compense à tous les êtres humains tout ce qu'ils pourraient perdre d'autre. Notre Prophète a invité les gens à croire en Dieu. Ses adversaires les plus acharnés étaient les arabes de Quraysh, tandis que les plus hostiles étaient les juifs. Les chrétiens étaient les plus proches de lui. Je peux t'assurer que de même que Moïse a annoncé la venue future de Jésus, fils de Marie comme messager, Jésus a annoncé la venue de Muhammad . Quand nous t'invitons à croire au Coran, c'est comme lorsque toi, tu invites ceux qui croient à la Thora à accepter l'Évangile. Tous les contemporains d'un nouveau prophète appartiennent à sa nation et doivent donc le suivre. Tu es assurément contemporain de ce Prophète. Nous ne t'interdisons pas de suivre la foi de Jésus : au contraire, nous te demandons de la suivre.

Al-Muqawqis répondit : « J'ai examiné la question et réfléchi au message de ce Prophète. Je m'aperçois qu'il n'ordonne rien que les gens feraient mieux d'abandonner, et qu'il n'interdit rien qui ne soit nuisible. Il n'est assurément ni un sorcier malfaisant ni un devin menteur. J'ai aussi trouvé certaines indications qui confirment sa mission prophétique. Je vais étudier plus profondément la question. »

Al-Muqawqis plaça la lettre du Prophète dans un coffret d'ivoire qu'il scella. Puis il appela quelqu'un de son peuple qui savait écrire l'arabe et rédigea cette réponse :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. À Muhammad ibn Abdullâh, de la part d'al-Muqawqis, chef des Coptes. Paix. J'ai lu ta lettre et compris son contenu et ce que tu m'invites à faire. Je sais assurément qu'un autre prophète doit être envoyé, mais je pensais qu'il apparaîtrait en Syrie. J'ai accordé mon hospitalité à ton messager et je t'envoie deux jeunes filles très respectées chez les Coptes ; je t'offre aussi des vêtements et une mule à monter. La paix soit avec toi.

Al-Muqawqis n'adhéra pas à l'islam, quoiqu'il ait décrit à Hâtib les principales caractéristiques qu'il savait appartenir au dernier Prophète et que Hâtib lui ait confirmé qu'elles étaient vraies de Muhammad. Al-Muqawqis expliqua que même s'il conseillait à ses concitoyens de suivre le Prophète Muhammad et de devenir musulmans, ils n'accepteraient pas. Il demanda aussi à Hâtib de ne pas rendre publiques ses discussions avec lui parce qu'il lui était difficile de renoncer à son royaume. Al-Muqawqis ajouta encore que l'islam s'étendrait certainement à l'Egypte. Il donna à Hâtib des habits d'or comme cadeau personnel.

Lorsque Hâtib rentra à Médine et informa le Prophète de sa discussion avec al-Muqawqis et des cadeaux qu'il lui avait envoyés, le Prophète dit que l'homme craignait pour son pouvoir, qui serait de courte durée.

Correspondance avec le souverain de Bahrein

Un autre émissaire du Prophète fut al-'Ala ibn al-Hadramî, qui apporta son message à al-Mundhir ibn Sâwâ al-Abdî, le souverain de Bahreïn. La lettre était la même que celle envoyée par le Prophète aux autres souverains. Al-Mundhir répondit : « Messager de Dieu, j'ai lu ta lettre aux gens de Bahreïn. Elle a plu à certains, qui sont devenus musulmans. D'autres ont refusé. Mon peuple comprend des mazdéens et des juifs, et j'attends tes instructions. »

Le Prophète répondit en ces termes :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De la part de Muhammad, Messager de Dieu, à al-Mundhir ibn Sâwâ. La paix soit avec toi. Je loue Dieu qui n'a point d'associé, et je témoigne qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager. Je te rappelle Dieu, le Tout-Puissant. Celui qui fait le bien ne le fait que pour lui-même ; celui qui obéit à mes émissaires m'obéit, et celui qui agit bien envers eux agit bien envers moi. Mes émissaires m'ont parlé de toi en termes élogieux et j'accepte ton intercession pour ton peuple. Laisse aux musulmans de ton peuple ce qu'ils possèdent. J'absous tous ceux qui ont commis des péchés : reçois donc leur serment d'allégeance. Nous ne t'écarterons pas de ta fonction tant que tu te comporteras bien. Ceux qui souhaitent rester juifs ou mazdéens devront payer un tribut en gage de loyauté.

À la suite de cela, le souverain de Bahreïn répondit en signifiant son acceptation totale et il resta un bon musulman jusqu'à sa mort quelques années plus tard.