Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Affaires de famille

 

Peu après que le Prophète avait commencé à recevoir les révélations divines, sa fille aînée, Zaynab, embrassa l'islam comme le reste de la famille. Son époux Abu al-As ibn ar-Rabî', quant à lui, ne le fit pas. Il n'existait à l'époque aucune injonction quant à la validité des mariages dans lesquels un des époux n'était pas musulman. Zaynab continua donc à vivre avec son époux pendant un certain nombre d'années, et leur mariage était heureux. Quand le Prophète émigra à Médine, Zaynab resta à La Mecque avec son époux.

Comme nous l'avons dit précédemment, Abu al-As participa à la bataille de Badr avec les Quraysh, contre les musulmans. Il fut fait prisonnier et traité de la même manière une les autres prisonniers de Quraysh, qui furent invités à racheter leur liberté, Zaynab envoya la rançon demandée, et elle y inclut un collier que sa mère défunte, Khadîja, lui avait donné à porter pour sa nuit de noces. En voyant le collier, le Prophète fut profondément touché et dit à ses compagnons : « Si vous jugez, bon de libérer son mari et de lui rendre son argent, faites-le. » C'est ainsi qu'Abù al-As fut libéré sans rançon.

Peu après son retour à La Mecque, Abu al-As envoya sa femme à Médine rejoindre son père, le Prophète . Il s'acquittait ainsi d'une promesse qu'il avait faite au Prophète au moment de quitter Médine. Nous avons déjà relaté en détail les événements qui accompagnèrent le voyage de Zaynab et la tentative des Quraysh de l'empêcher de quitter La Mecque. Zaynab continua à vivre à Médine avec le Prophète tandis que son époux restait à La Mecque, parce qu'elle était musulmane alors qu'il suivait encore les croyances idolâtres associant d'autres divinités à Dieu. Ils demeurèrent séparés environ quatre ans, avant les événements que nous allons relater.

Interception d'une caravane

Au mois de jumâda al-ûlâ de la sixième année après l'émigration du Prophète à Médine (septembre 627 apr. J.-C), le Prophète envoya une troupe de cent soixante-dix hommes, sous le commandement de Zayd ibn Hâritha, intercepter une caravane commerciale de Quraysh revenant de Syrie. La mission de Zayd fut un succès. Il parvint à intercepter la caravane et tout ce qu'elle transportait.

Certains des hommes accompagnant la caravane furent faits prisonniers. Abu al-As, qui dirigeait la caravane, parvint à s'échapper lors de l'attaque. Quand il fut certain de ne plus être rattrapé, il s'assit un moment pour réfléchir à sa situation et comprit qu'il était en difficulté. Son lien si proche avec le Prophète l'exposait à être soupçonné de ne pas s'être acquitté de sa mission avec suffisamment de zèle. On risquait de l'accuser de complaisance ou de complicité. Il se rendit compte qu'il pouvait difficilement se contenter de rentrer à La Mecque et d'informer les Quraysh que la caravane avait été interceptée, même si c'était loin d'être la première caravane commerciale interceptée par les musulmans de Médine.

Abu al-As se rendit donc à Médine. Il dut s'approcher avec précaution pour éviter d'être fait prisonnier. Quand il fut arrivé dans les environs de la ville, il ne se déplaça plus que de nuit. Lorsque presque tout le monde fut endormi à Médine, il se rendit furtivement jusqu'à la maison de Zaynab, à côté de la mosquée. Il demanda à être son hôte et son protégé. Elle accepta, car rien dans les enseignements de l'islam n'interdisait à un musulman d'agir de la sorte. Au contraire, l'islam encourage à protéger ceux qui craignent pour leur vie.

L'heure de la prière de l'aube arriva bientôt et les croyants se réunirent dans la mosquée où le Prophète dirigeait la prière. Quand la prière en commun commença et que tous les musulmans furent occupés à la prière, Zaynab sortit des appartements des femmes et dit d'une voix forte : « Que chacun sache que j'ai pris sous ma protection Abu al-As ibn ar-Rabî'. »

Les prières terminées, le Prophète se tourna vers les fidèles et leur demanda s'ils avaient entendu la même chose que lui. Quand ils répondirent que oui, il poursuivit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, je ne savais rien de cela avant d'entendre ce que vous avez entendu. Les croyants sont une seule communauté : le plus humble d'entre eux peut parler en leur nom à tous et accorder sa protection en leur nom. Nous honorerons cet engagement. » Lorsque les fidèles eurent quitté la mosquée, le Prophète alla trouver sa fille et lui dit de faire preuve d'hospitalité envers Abu al-As.

Il lui expliqua qu'elle ne devait pas le traiter comme son époux, bien qu'ils n'aient pas divorcé. Abu al-As n'étant pas musulman, son épouse était séparée de lui à cause de sa religion. Il ne pouvait donc pas s'attendre à être traité comme un époux chez Zaynab : ils ne pouvaient pas avoir de rapports conjugaux. Toutefois, cela n'empêchait pas la bonté et l'hospitalité. Zaynab demanda alors au Prophète de rendre à Abu al-As tout ce qu'on lui avait pris. Zaynab pensait sans doute qu'un tel traitement apporterait les meilleurs résultats.

Le Prophète était le meilleur des hommes envers ses enfants et envers la communauté musulmane en général. Nous possédons de nombreux exemples de requêtes formulées par des musulmans ordinaires dans toutes sortes de circonstances, et on peut aisément en conclure que le Prophète accédait toujours à de telles requêtes tant que cela n'était pas en contradiction avec une prescription divine. Toutefois, dans ce cas précis, l'affaire ne dépendait pas entièrement de lui. Il du à ses compagnons : « Vous connaissez le lien qui nous unit à cet homme. Vous lui avez pris de l'argent et des biens. Si vous avez la bonté de lui rendre ce que vous lui avez pris, nous vous en saurons gré. Si vous refusez, vous serez entièrement dans votre droit. Ce que vous avez gagné est quelque chose que Dieu vous à donné. »

Il va sans dire que le Prophète ne fit nullement pression sur les musulmans pour qu'ils rendent à Abu al-As ce qu'ils lui avaient pris. Le Prophète dit clairement que garder le butin était leut droit. Cependant, les compagnons du Prophète ne lui refusaient rien. Dès lors qu'ils comprenaient qu'il lui plairait de les voir se comporter d'une certaine façon, ils s'empressaient de lui donner satisfaction. Dans le cas présent, ils rapportèrent, jusqu'au moindre objet, tout ce qui avait été pris à Abu al-As et sa caravane. Il constata que tout lui avait été rendu lui intact, comme si cela n'avait jamais été pris.

Abu al-As se rendit ensuite à La Mecque. Il rendit leurs biens à tous ceux qui avaient une part dans la caravane. Personne ne subit aucune perte : au contraire, ils perçurent tous les bénéfices réalisés par Abu al-As dans cette entreprise commerciale. Quand il eut fait cela et que tout le monde fut content de ses gains, Abu al-As demanda à ses concitoyens : « Est-ce que je vous dois encore quelque chose ? » Comme ils répondaient que non, il poursuivit : « Me suis-je acquitté de ma charge et de ma mission à votre satisfaction ? » Tous répondirent : « Oui, certes. Nous avons trouvé en toi, comme toujours, un homme honnête et intègre. »

Il dit ensuite : « Je voudrais que vous sachiez, alors, que j'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son messager. Je veux aussi vous dire que la seule chose qui m'a empêché de déclarer ma foi en l'islam quand j'étais à Médine, était la crainte que vous ne pensiez que je voulais garder votre argent. Maintenant que Dieu vous a rendu vos biens et que je me suis acquitté de ma charge, je me sens libre de toute obligation envers vous et je déclare ma foi en l'Islam. »

Abu al-As retourna alors à Médine, où il reprit la vie commune avec sa femme. Aucun nouveau contrat de mariage ne fut nécessaire pour cela. Dans cette affaire, le Prophète et sa famille s'étaient conformés entièrement et sans hésiter à ce que leur religion leur demandait. Une séparation d'environ quatre ans avait eu lieu entre la propre fille du Prophète et son époux parce que celui-ci n'avait pas embrassé l'islam assez rapidement.

Mariage à distance

La vie maritale du Prophète lui-même avait considérablement changé depuis son émigration à Médine. Quand il était à La Mecque, le Prophète n'avait qu'une épouse, Khadîja, avec qui il avait vécu vingt-cinq ans, jusqu'à ce qu'elle meure trois ans avant son émigration. Aucun récit ne fait allusion à un quelconque projet du Prophète de contracter un autre mariage pendant que Khadîja était en vie, alors même que la polygamie était une pratique habituelle et une institution reconnue de la vie sociale d'Arabie.

Il n'existait pas de limite au nombre d'épouses qu'un homme pouvait avoir. L'islam, lui, devait restreindre la polygamie, limitant à quatre le nombre d'épouses qu'un homme pouvait avoit en même temps. Rien, religieusement ou socialement, n'aurait donc pu empêcher le Prophète de prendre une autre épouse pendant cette longue période de sa vie. C'était le propre choix du Prophète de n'avoir qu'une épouse, avec qui il vécut très heureux.

À Médine, le Prophète prit plusieurs épouses en une période de dix ans. Quand il mourut, il laissa neuf veuves. Dieu avait en effet exempté le Prophète de la restriction du nombre d'épouses applicable à l'ensemble des musulmans. Un examen attentif des mariages du Prophète ne manquera pas de révéler, pour chaque mariage, des motifs importants qui ne sauraient être négligés. Ces motifs sont le plus souvent liés à l'établissement de liens solides entre le Prophète et des personnages importants de la communauté musulmane, entraînant des conséquences indéniables pour l'avenir de l'État de Médine.

Certains de ces mariages apportaient un grand avantage aux tribus auxquelles appartenaient les épouses concernées. Un mariage de cette dernière catégorie fut celui qui unit le Prophète à Umm Habîba bint Abî Sufyân. Ramla, mieux connue sous le nom d'Umm Habîba, n'était autre que la fille d'Abû Sufyân, le chef de Quraysh qui commanda l'armée de sa tribu dans plusieurs batailles contre le Prophète et les musulmans.

Umm Habîba avait été parmi les premiers musulmans. Elle était mariée à un homme appelé 'Ubaydallâh ibn Jahsh, qui était aussi devenu musulman. Douze ou treize ans avant son mariage avec le Prophète, Umm Habîba avait émigré avec son époux en Abyssinie quand le Prophète avait recommandé à ses compagnons de s'y rendre pour échapper à la persécution des Quraysh et établir une nouvelle base pour l'islam dans un pays exempt de persécution religieuse. Il se trouva que son époux, 'Ubaydallâh ibn Jahsh, se convertit au christianisme durant son séjour en Abyssinie. Il continua à vivre avec Umm Habîba mais ne cessait de narguer les musulmans qui se trouvaient là-bas en disant qu'il était le seul à voir la vérité claire du christianisme. Il leur disait : « Je suis le seul à avoir une vision claire, tandis que vous n'avez qu'une vision obscurcie de la vérité. »

Cela brisait le coeur d'Umm Habîba, qui continuait néanmoins à vivre avec lui parce que les injonctions séparant les femmes musulmanes de leurs époux non musulmans n'avaient pas encore été révélées. Peu de temps après les expéditions du Fossé et de Qurayza, le Prophète apprit la mort de 'Ubaydallâh ibn Jahsh. Il comprit qu'Umm Habîba se trouvait dans une situation très difficile en Abyssinie, vivant seule avec sa fille, alors que son père Abu Sufyân menait une lutte prolongée contre l'islam. Il n'était pas question qu'elle retourne chez ses parents, tandis que rester seule en Abyssinie n'était pas envisageable à long terme.

Par ailleurs, la situation entre l'État musulman de Médine et les Quraysh était maintenant très différente. Après l'échec du plan de grande envergure qui avait bousculé toutes les forces hostiles à l'islam dans un ultime effort pour l'écraser et anéantir les musulmans, l'initiative était désormais entre les mains de ces derniers.

L'équilibre continuait indiscutablement à évoluer en leur faveur. Or, le Prophète n'était pas un chef d'État ordinaire, ayant pour but de bâtir un empire ou d'étendre sa domination. Il voulait que tout le monde reconnaisse la véracité de l'islam et les avantages apportés par la conversion à l'islam. Il voulait que ses ennemis voient la lumière de l'islam et apprécient l'immense changement qui se produirait dans leur vie s'ils embrassaient cette religion.

Il pensait donc aux futures relations entre les musulmans et les Quraysh lorsqu'il envoya son émissaire 'Amr ibn Umayya ad-Damrî au Négus, le souverain d'Abyssinie qui avait montré tant d'hospitalité envers les musulmans et était lui-même devenu musulman. Le Prophète voulait qu'on organise son mariage avec Umm Habîba.

Umm Habîba a relaté :

Quand je vivais en Abyssinie, je reçus une visite inattendue d'une servante du Négus appelée Abraha, qui s'occupait de son habillement et de sa toilette. Elle demanda à me voir et je la fis entrer. Allant droit au but, elle me dit : « Le Roi voudrait que tu saches que le Messager de Dieu (la paix soit sur lui) lui a envoyé une lettre pour te demander en mariage et lui a demandé d'organiser ton mariage avec lui. » Je lui répondis : « Que Dieu t'apporte d'heureuses nouvelles. » Elle ajouta que le Roi voulait que je désigne un homme pour me représenter lors de la conclusion du contrat de mariage. J'envoyai chercher Khâlid ibn Sa'îd ibn al-'Âs et je le désignai comme mon représentant. Je donnai à Abraha deux bracelets d'argent, deux bracelets de cheville et plusieurs bagues en argent que je portais aux orteils. Je fis cela parce que la nouvelle qu'elle m'avait apportée m'avait comblée de joie.

Vêrs le soir, le Négus fit appeler Ja'far ibn Abî Tâlib et le reste des musulmans. Quand tous furent réunis à sa cour, il prononça le discours suivant : « Gloire à Dieu, le Souverain de l'Univers, Celui qui est digne de louange, le Tout-Puissant. J'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager, et qu'il est celui dont la mission a été annoncée par Jésus, fils de Marie. Le Messager de Dieu m'a demandé de le marier à Umm Habîba bint Abî Sufyân et j'accomplis sa requête. Il lui donne une dot de quatre cents dinars. »

Il plaça alors l'argent devant l'assistance. Puis Khâlid ibn Sa'îd parla à son tour : « Louange à Dieu. Je Le loue et j'implore Son pardon. J'atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son serviteur et Son messager. Il l'a envoyé avec la bonne direction et la religion vraie pour la faire triompher de toutes les autres religions, en dépit des négateurs. J'accepte la proposition du Messager de Dieu et je le marie à Umm Habîba bint Abî Sufyân. Puisse Dieu bénir ce mariage et combler Son messager de Ses bienfaits. »

Le Négus versa alors la dot à Khâlid ibn Sa'îd et les musulmans manifestèrent l'intention de se retirer. Le Négus leur dit de s'asseoir, parce que la tradition de tous les prophètes voulait qu'un repas soit servi aux gens quand un prophète se mariait. Il fit dresser une table et tous prirent part au repas de noces avant de partir.

Peu de temps après, le Négus fit préparer le départ d'Umm Habîba pour Médine. Elle devait être escortée par Zayd ibn Hâritha, un compagnon du Prophète . Le Négus prit aussi en charge toutes les dépenses du mariage. On notera ici qu'Umm Habîba reçut la dot la plus importante de toutes les épouses du Prophète. Celles-ci recevaient en dot quatre ou cinq cents dirhams, tandis qu'Umm Habîba reçut quatre cents dinars, soit quatre mille dirhams. (Le dirham était la monnaie d'argent de l'époque. Dix dirhams équivalaient à un dinar, la monnaie d'or).

Lorsque Abu Sufyân apprit le mariage de sa fille au Prophète, il dit : « Muhammad est un éminent personnage au sujet duquel on ne peut rien dire de mal. » Il reconnut qu'être lié par mariage au Prophète était un honneur pour n'importe qui.

Un mariage contraire aux habitudes

Quand Muhammad avait seulement vingt-cinq ans, c'est-à-dire une quinzaine d'années avant le début de sa mission, il avait épousé Khadîja bint Khuwaylid. Celle-ci lui avait offert un jeune esclave nommé Zayd ibn Hâritha pour le servir. Déjà à cette époque, Muhammad détestait l'esclavage. Il ne souhaitait pas posséder un esclave. Il affranchit donc Zayd et le garda à son service en tant qu'homme libre. Ayant compris quel homme Muhammad était et combien son caractère était noble, Zayd s'y attacha si profondément qu'il voulut rester près de lui.

Zayd appartenait à l'origine à une tribu arabe et avait été fait prisonnier lors d'un raid d'une autre tribu contre la sienne. Puis il avait été vendu à La Mecque et s'était retrouvé en la possession de Khadîja, comme nous l'avons relaté précédemment. Le père et l'oncle de Zayd voulurent racheter sa liberté, mais Muhammad leur dit que Zayd était libre de partir avec eux s'il le souhaitait. « Si, au contraire, il décide de rester avec moi, je ne m'en séparerai pas pour tout ce que vous pouvez offrir. » Zayd décida sans hésiter de rester auprès de Muhammad, disant à son père et à son oncle que, connaissant Muhammad depuis plusieurs années, il ne voudrait pour rien au monde le quitter.

En conséquence, Muhammad annonça devant tous les Mecquois sa décision d'adopter Zayd en tant que fils. Tous ces événements eurent lieu bien avant l'islam. Quand le Prophète reçut les premières révélations, Zayd fut le premier homme à embrasser l'islam. Il connaissait trop bien Muhammad pour avoir le moindre doute quant à la véracité de son message. Il devint l'un des meilleurs partisans et soldats de l'islam. Le Prophète lui confia le commandement de plusieurs expéditions. Zayd était sans doute l'homme que le Prophète aimait le plus, à part peut-être Usâma, le fils de Zayd.

Quand le Prophète se fut établi à Médine, il voulut marier Zayd à l'une de ses parentes, Zaynab bint Jahsh, dont la mère était la tante paternelle du Prophète Umayma bint Abd al-Muttalib. Elle-même ne souhaitait pas ce mariage, et son frère encore moins. Après tout, Zaynab appartenait à la même famille que le Prophète, la plus noble famille de toute l'Arabie. Qu'était Zayd comparé à une telle lignée ? N'était-il pas un simple esclave qui avait bénéficié de la bonté du Prophète ? Certes, on l'appelait Zayd ibn Muhammad, mais cette appellation ne changeait rien aux faits.

Cependant, Zaynab, bonne musulmane, ne pouvait pas refuser un souhait exprimé par le Prophète . Le but du Prophète en mariant sa propre cousine à un ancien esclave était d'abolir pour toujours toute forme de distinction de classe. Zaynab et son frère consentirent à contrecoeur au mariage pour obéir au Prophète. Ils comprenaient qu'ils n'avaient pas le droit de refuser, d'autant plus que Dieu avait révélé dans le Coran qu'un ordre du Prophète était irrévocable, même s'il concernait la vie privée d'un croyant. « Il ne convient pas à un croyant ni à une croyante de suivre leur propre choix dans une affaire, une fois que Dieu et Son Prophète en ont décidé autrement. Quiconque désobéit à Dieu et à Son Prophète s'égare de toute évidence. » (33.36)

Le mariage de Zayd et Zaynab ne fut pas heureux. Elle ne l'aimait pas et ne parvenait pas à surmonter ses sentiments de classe. Elle lui faisait constamment sentir qu'elle lui était socialement supérieure. Zayd, qui n'avait jamais accepté d'être un esclave et n'en avait pas la mentalité, ne pouvait tolérer l'attitude de Zaynab. Il s'en plaignit au Prophète à plusieurs reprises. Le Prophète était toujours prêt à l'aider. Il conseilla à Zaynab de surmonter sa fierté et d'accepter la décision de Dieu au sujet de son mariage.

Malgré cela, des tensions persistaient dans le ménage de Zayd. Dieu ordonna alors au Prophète de laisser Zayd divorcer, puisqu'il en exprimait fréquemment le désir sans pour autant le faire par égard pour les recommandations du Prophète. Le Prophète reçut aussi l'ordre d'épouser Zaynab quand le divorce serait effectif.

Le Prophète fut profondément perturbé lorsqu'il reçut ces instructions. Il appréhendait les conséquences d'un tel mariage. Il garda l'affaire pour lui et n'en parla à personne. Il se rendait compte que s'il épousait Zaynab, les gens commenceraient à parler et à l'accuser d'épouser sa belle-fille. Le but de Dieu était cependant de mettre un terme à ces affirmations erronées. Personne ne peut affirmer être le père d'un autre que son propre enfant. Le système de l'adoption avec toutes ses conséquences devait être aboli pour toujours.

Cette fois, cependant, le Prophète ne s'empressa pas de se conformer aux instructions de Dieu. Peut-être espérait-il que Dieu lui épargnerait ce devoir difficile qui lui causait tant d'inquiétude. Il alla plus loin. Quand Zayd vint à nouveau se plaindre de sa femme et exprimer le désir de divorcer, le Prophète lui dit : « Garde ta femme et crains Dieu. » Le Prophète reçut alors des révélations coraniques le blâmant pour son attitude et l'incitant à permettre à Zayd de divorcer de Zaynab. Il reçut à nouveau l'ordre d'épouser Zaynab quand le divorce serait effectif.

Le fait que des gens puissent dire que Muhammad épousait sa belle-fille n'était pas une raison pouvant retenir le Prophète de se conformer aux instructions de Dieu. L'adoption est aptes tout une forme de falsification. Puisque le système de l'adoption était profondément ancré dans la société arabe, seul un exemple pratique donné par le Prophète en personne pourrait suffire à y mettre fin. L'autorité qui nous informe de ces événements n'est rien moins que le Coran lui-même. Dieu S'adresse au Prophète dans le Coran, indiquant clairement qu'il connaît parfaitement les sentiments du Prophète :

Souviens-toi de celui que Dieu et toi-même avez comblé de bienfaits, et auquel tu disais : « Garde pour toi ton épouse, et crains Dieu », tout en dissimulant au fond de toi-même ce que Dieu allait rendre public. Tu redoutais l'opinion publique, alors que c'est Dieu que tu devais craindre. Lorsque Zayd eut cessé toute relation avec sa femme, Nous te la donnâmes en mariage afin qu'il ne soit plus interdit aux musulmans d'épouser les femmes avec lesquelles leurs fils adoptifs auront cessé toute relation conjugale. (33.37)

Le propos est on ne peut plus clair. Le Prophète conseillait à Zayd de ne pas divorcer de sa femme, tout en gardant pour lui-même quelque chose que Dieu voulait rendre public. En outre, ces versets confirment que le mariage du Prophète et de Zaynab était l'accomplissement des instructions de Dieu Lui-même : « Nous te la donnâmes en mariage. » Le but de tout cela est également indiqué très clairement : il s'agissait de mettre un terme au système d'adoption et à tout ce qu'il impliquait.

Malgré ces propos très clairs de Dieu, les ennemis de l'islam continuèrent à propager des rumeurs et à émettre de fausses accusations. L'une des plus stupides est celle qui suggère que le Prophète était amoureux de Zaynab et tentait de dissimuler son amour. Ceux qui soutiennent ce point de vue indéfendable avancent aussi que le verset coranique cité ci-dessus critique le Prophète pour avoir dissimulé ses sentiments envers Zaynab.

Ces affirmations sont pour le moins contradictoires. Qui aurait pu empêcher le Prophète d'épouser Zaynab, qui était sa cousine et une pieuse musulmane ? C'était lui qui lui avait demandé d'épouser Zayd alors qu'elle ne le souhaitait pas. Il avait aussi tenté à maintes reprises de l'apaiser afin qu'elle soit satisfaite de ce mariage. Quand Zayd eut divorcé de sa femme et qu'elle eut achevé sa période d'attente, le Prophète demanda à Zayd d'aller demander pour lui la main de Zaynab. Celui-ci se rendit donc chez elle, où elle pétrissait la pâte pour faire le pain.

Zayd a relaté : « Quand je la vis, je me sentis gêné. Je ne pouvais même pas la regarder parce que c'était le Prophète qui la demandait. Je lui tournai donc le dos, et je dis : "Zaynab, je t'apporte une bonne nouvelle. Le Messager de Dieu m'a envoyé te dire qu'il désire t'épouser." Elle dit : "Je ne suis pas prête à faire quoi que ce soit avant d'avoir demandé à mon Seigneur de me guider." » Elle alla tout de suite prier. Puis le verset coranique mentionnant ce mariage fut révélé et le Prophète se rendit chez Zaynab et y entra sans attendre qu'on l'y autorise.

L'action du Prophète , lorsqu'il entra chez Zaynab sans attendre d'en avoir la permission, indique que l'affaire n'était plus entre ses mains ni entre celles de Zaynab. Ce mariage avait été ordonné par Dieu, entre autres dans un but législatif. Zaynab était une femme de noble caractère, pieuse et bonne. Peu de femmes pourraient égaler sa bonté envers les pauvres. Elle était un exemple pour toutes les femmes musulmanes, par la force de sa foi et ses actes surérogatoires. Elle jeûnait fréquemment et passait une partie de la nuit en prière. Rien ne parvenait cependant a lui ôter le sentiment que son mariage avec le Prophète lui conférait une position unique.

Elle disait au Prophète : « Je suis fière de trois choses, qu'aucune autre de tes épouses ne peut avoir : nous avons toi et moi le même grand-père ['Abd al-Muttalib était le père de Abdullâh, le père du Prophète, et d'Umayma, la mère de Zaynab] ; c'est Dieu, gloire à Lui, qui m'a mariée à toi par un ordre qu'il a envoyé du ciel, et l'émissaire de notre mariage était l'ange Gabriel. »

Une leçon de bonnes manières

La tradition prophétique veut qu'un mariage soit célébré par un repas de noces auquel les gens sont conviés. Cela a pour but de rendre public le mariage. Un repas de noces n'est pas seulement un excellent procédé de publicité, dans toute société quel que soit son niveau de développement ; c'est aussi un moyen de faire du mariage une occasion heureuse pour toute la communauté. Quand le Prophète épousa Zaynab, une femme nommée Umm Sulaym prépara de la nourriture et la donna à Anas ibn Mâlik en lui disant : « Porte ceci au Messager de Dieu et dis-lui que c'est un modeste présent que nous lui offrons. »

Anas, qui a relaté ce récit, a fait remarquer qu'à l'époque, la plupart des marchandises étaient rares. Il apporta la nourriture au Prophète en lui transmettant le message d'Umm Sulaym. Voici la suite de son récit :

Le Prophète regarda le plat et me dit de le mettre de côté et d'aller inviter des gens à venir manger. Il nomma un grand nombre de personnes puis ajouta : « Et tous les musulmans que tu rencontreras. » J'allai inviter les gens qu'il avait nommés, invitant aussi ceux que je rencontrais sur mon chemin. Quand je revins, la maison et la cour de la mosquée étaient pleines de monde. Le Prophète me dit de m'approcher de lui et je lui apportai la nourriture. Il posa la main sur le plat et implora Dieu et dit : « Tout ce que Dieu veut est fait. »

Puis il demanda aux gens de former de petits groupes de dix hommes et d'invoquer le nom de Dieu avant de commencer à manger. Il leur recommanda aussi de manger chacun ce qui était le plus près de lui. Ils firent ce qu'on leur avait dit et commencèrent à manger. Chacun mangea à sa faim. Quand ils eurent tous fini, le Prophète me demanda d'emporter la nourriture. Je regardai le plat, et je ne suis pas sûr s'il était plus plein quand je l'avais posé, avant que personne n'en mange, ou quand je le repris une fois que tout le monde avait mangé.

La plupart des gens partirent après avoir terminé leur repas, mais quelques hommes s'attardèrent dans la maison du Prophète. L'épouse du Prophète était là aussi. Elle se tournait vers le mur par pudeur. Les hommes continuèrent cependant à bavarder longuement et le Prophète était embarrassé. Il était extrêmement pudique. S'ils avaient su que leur comportement embarrassait le Prophète, ils l'auraient fort regretté. Le Prophète sortit rendre visite à ses autres épouses. Il commença par 'Aïsha. En entrant dans sa chambre, il dit : « Membres de cette maisonnée, que la paix soit avec vous ainsi que la miséricorde et la bénédiction de Dieu. » Elle répondit à son salut dans les mêmes termes, puis demanda : « Comment as-tu trouvé ta nouvelle épouse, que Dieu te bénisse ? »

Il rendit visite à chacune de ses épouses et chacune dit la même chose que Aïsha. Quand il eut terminé, il retourna à l'appartement de Zaynab et s'aperçut que trois hommes s'y trouvaient encore. Très gêné et embarrassé, il fit demi-tour pour retourner chez Aïsha. Les hommes comprirent qu'ils devaient partir et se dépêchèrent de sortir. Je ne suis pas sûr si je le lui dis moi-même ou si l'ange Gabriel l'informa du départ des hommes. Il revint chez Zaynab et dès qu'il y eut mis le pied, le rideau fut abaissé entre nous.

C'est d'ailleurs à cette occasion que furent révélées les injonctions particulières concernant les épouses du Prophète et leur apparition en public. Ces injonctions indiquent très clairement que, malgré le statut particulier dont bénéficiaient les épouses du Prophète en vertu du fait que chacune d'elles était considérée comme la « mère des croyants », elles ne pouvaient parler aux hommes que de derrière une séparation quelconque. Ces injonctions indiquent aussi très clairement que les épouses du Prophète n'avaient pas le droit de se remarier après sa mort.

Ces injonctions sont exprimées dans le verset suivant :

Ô croyants ! N'entrez dans les demeures du Prophète que si vous êtes invités à un repas. Evitez d'être là à attendre que le repas soit prêt. Quand vous êtes invités, entrez et après avoir mangé, dispersez-vous, sans vous livrer à des propos familiers. En vérité, cela offenserait le Prophète qui aurait honte de vous en faire part. Mais Dieu n'a pas honte de dire la vérité. Quand vous demandez quelque chose aux épouses du Prophète, faites-le derrière un voile. Vos coeurs et les leurs n'en seront que plus purs. Vous ne devez pas offenser l'Envoyé de Dieu ni épouser ses femmes après lui. Ce serait une énormité auprès de Dieu. (33.53)

Telle est l'histoire du mariage de Zaynab. Deux paroles de 'Aïsha fournissent un épilogue à cette histoire. Dans la première, elle dit : « Je n'ai jamais vu une femme plus pieuse que Zaynab. Elle était exemplaire dans sa crainte de Dieu, sa loyauté, sa bonté envers ses proches, sa sincérité et sa générosité. » 'Aïsha dit également : « Nous, les épouses du Prophète , lui demandâmes laquelle d'entre nous serait la première à le suivre après sa mort. Il répondit : "Celle qui a le bras le plus long." Nous mesurions nos bras pour voir laquelle avait le bras le plus long, lorsque Zaynab mourut la première après la mort du Prophète, nous comprîmes qu'il avait voulu désigner par cette expression la plus généreuse d'entre nous, Zaynab travaillait de ses mains et dépensait ses gains en charité. »