Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Médine

 

Dans sa biographie du Prophète , le cheikh Abu al-Hasan Alî al-Hasanî Nadwî consacre tout un chapitre à la description détaillée de l'ordre social en vigueur à Médine à l'époque où le Prophète et ses compagnons mecquois s'y installèrent avec leurs frères originaires de la ville. Une étude de ce type est très utile à la compréhension des événements qui eurent lieu au cours des années suivantes, qui virent l'émergence du premier Etat islamique de l'Histoire.

Il souligne qu'à Médine, des religions, des cultures et des communautés différentes se côtoyaient, donnant ainsi à la ville une vie sociale particulièrement riche et colorée. Cette ville était en cela nettement différente de La Mecque qui ne possédait qu'une seule religion et une seule communauté. Nous donnons ci-dessous un résumé de l'analyse du cheikh Nadwî.

On pense que les tribus juives arrivèrent en Arabie, à Médine en particulier, au cours du premier siècle après J.C. Le Dr Israël Wilfonson fait remarquer qu'après leur sévère défaite aux mains des Romains en 70 apr. J.-C, ils avaient cherché refuge un peu partout dans la région. Certains parmi eux s'étaient dirigés vers l'Arabie. Trois tribus juives principales vivaient à Médine ; elles comptaient plus de 2 000 hommes adultes. Ces tribus étaient celles de Qaynuqâ', an-Nadîr et Qurayza.

On estime que les Qaynuqâ' disposaient d'une force armée d'environ 700 hommes, les an-Nadîr d'autant, tandis que les Qurayza devaient compter 900 hommes adultes. Les relations entre toutes ces tribus n'étaient pas toujours pacifiques. Il leur arrivait de se battre entre elles. Peut-être les autres communautés juives de Médine étaient-elles hostiles à la tribu de Qaynuqâ' en raison de l'alliance de celle-ci avec la tribu arabe de Khazraj. Lors de la bataille connue sous le nom de Bu'âth, les an-Nadîr et les Qurayza avaient mené des combats acharnés contre les Qaynuqâ' et tué un grand nombre de leurs hommes.

En même temps, ils avaient payé la rançon de tous les soldats juifs que ces derniers avaient capturés. Les hostilités se poursuivirent après la bataille de Bu'âth. Lorsque, plus tard, les ansars s'apprêtaient à se battre contre la tribu juive des Qaynuqâ', aucune autre communauté juive n'était disposée à se joindre à ces derniers contre les ansâr. La tribu des Qaynuqâ' possédait ses propres quartiers à l'intérieur de Médine, après avoir été chassée par les an-Nadîr et les Qurayza de leurs forts situés à l'extérieur de la ville. Les quartiers des an-Nadîr étaient situés à quatre ou cinq kilomètres au nord de Médine, dans une vallée fertile appelée Bâdhân.

Les quartiers des Qurayza se situaient quant à eux à un endroit appelé Mahzûr, à quelques kilomètres au sud de Médine. Toutes les tribus juives possédaient des forts et des quartiers où elles vivaient de manière indépendante. Elles disposaient de leur autonomie sous la protection des chefs des tribus arabes à qui elles payaient un tribut annuel afin d'être à l'abri de toute agression. Chaque chef juif avait un allié parmi les chefs de tribus arabes.

Ils se vantaient souvent de leur connaissance des religions et des lois et possédaient leurs propres écoles où ils étudiaient leur religion, leur code juridique et leur histoire. Ils possédaient également leurs lieux de culte et des écoles juridiques où ils débattaient de leurs affaires. Certains de leurs lois et règlements provenaient de leurs écritures tandis que d'autres émanaient de leurs rabbins. Ils possédaient leurs fêtes particulières et leurs jours de jeûne, comme le dix muharram, où leur jeûne commémorait le sauvetage de Moïse.

La plupart de leurs transactions financières et commerciales se faisaient selon un système fondé sur les gages et l'usure. Dans leurs boutiques, les prêteurs sur gages acceptaient comme garantie de remboursement des prêts non seulement des objets de valeur, mais même des femmes et des enfants. Ces transactions où l'emprunteur mettait en gage sa femme ou son enfant engendraient inévitablement des ressentiments.

Dans la vie courante, les juifs parlaient arabe, avec un net accent hébreu puisqu'ils n'avaient pas totalement cessé de parler l'hébreu, employé particulièrement dans les prières et l'étude. S'ils l'avaient souhaité, ils auraient pu exercer une influence religieuse considérable sur les Arabes et ainsi enraciner davantage le judaïsme en Arabie. Il ne fait aucun doute qu'un certain nombre d'Arabes des tribus des Aws et des Khazraj, et d'autres encore, se convertirent au judaïsme de leur propre gré, ou bien suite à un mariage avec une personne juive, ou encore simplement parce qu'ils avaient été élevés parmi les juifs.

Un personnage important des juifs, Ka'b ibn al-Ashraf, qui était marchand et poète, appartenait à la tribu arabe de Tayy, mais son père avait épousé une femme juive d'an-Nadîr et Ka'b avait été élevé dans le judaïsme. En outre, si un Arabe perdait deux ou trois enfants en bas âge, il pouvait faire le voeu, s'il avait un fils qui vivait, d'en faire un juif : certains arabes suivaient donc le judaïsme.

Les deux principales tribus arabes de Médine, les Aws et les Khazraj, descendaient de tribus du Yémen et d'Azd à la suite de vagues d'émigration répétées à différentes époques. Cette émigration était due à plusieurs causes, dont la conquête du Yémen par les Abyssins et la grave crise économique qui suivit l'effondrement du barrage de Ma'rib. Cela suggère que les tribus juives s'étaient déjà établies à Médine lorsque les Aws et les Khazraj y arrivèrent.

Les clans des Aws occupaient les zones sud et est de Médine, qu'on appelait la Partie Haute, tandis que les Kahzraj occupaient la Partie Basse, c'est-à-dire le centre et le nord de la ville. Il existait quatre clans issus des Khazraj, tous appartenant aux Banû an-Najjâr qui vivaient dans la partie centrale, où la mosquée du Prophète allait plus tard être construite. Les Aws avaient leurs quartiers dans des zones très fertiles et côtoyaient les principales communautés juives, tandis que les Khazraj habitaient une zone moins fertile dans le voisinage de la tribu juive de Qaynuqâ'.

Il est extrêmement difficile d'estimer la population arabe de Médine, mais on peut évaluer assez précisément ses forces armées dans les batailles qu'elle mena après l'établissement du Prophète à Médine. Elle constituait, lors de la prise de La Mecque, un contingent de quatre mille hommes dans l'armée musulmane. À l'époque de l'émigration du Prophète à Médine, les tribus arabes y occupaient une position dominante. Les tribus juives n'étaient pas parvenues à s'unir contre elles. Certains clans juifs étaient même alliés aux Aws, tandis que d'autres étaient alliés aux Khazraj.

Lorsqu'ils se combattaient, ils se montraient plus hostiles les uns envers les autres que les Arabes. L'antagonisme entre d'une part la tribu de Qaynuqâ' et d'autre part celles d'an-Nadîr et Qurayza était si exacerbé que les membres de la tribu de Qaynuqâ' avaient été obligés d'abandonner leurs femmes pour devenir des travailleurs journaliers. De même, les Aws et les Khazraj s'étaient combattus lors de plusieurs batailles.

La première était connue comme la bataille de Samîr et la dernière comme celle de Bu'âth ; celle-ci avait eu lieu cinq ans avant l'émigration du Prophète à Médine. En raison de sa situation géographique, Médine était divisée en plusieurs quartiers dont chacun appartenait à un clan arabe ou juif. Chaque quartier comportait une partie agricole avec ses habitations, et une autre partie constituée d'un ou plusieurs forts. Il y avait à Médine cinquante-neuf forts juifs. Ces forts étaient particulièrement importants car ils constituaient un abri en temps de guerre, surtout pour les femmes, les enfants et les vieillards. Ils étaient aussi utilisés comme granges pour stocker le grain et les récoltes ; on y entreposait également des armes.

En outre, certains forts servaient de halte aux caravanes de passage. Qui plus est, les forts comportaient des temples et des écoles possédant leurs propres bibliothèques. C'est la combinaison de ces quartiers qui constituait la ville de Médine, c'est-à-dire que la ville était le résultat de l'expansion d'un groupe de villages. L'ordre religieux et social était pratiquement déterminé par les Quraysh. Tous les Arabes reconnaissaient l'autorité des Quraysh dans les questions religieuses, parce que les Quraysh étaient les gardiens de la Maison Sacrée de La Mecque.

Les Arabes se conformaient donc aux pratiques religieuses des Quraysh. Cela conduisit à la propagation des croyances païennes. Tous les Arabes adoraient les idoles adorées par les Quraysh, tout en accordant parfois plus d'importance à certaines idoles qu'à d'autres. Ainsi, l'idole nommée Manât était connue comme la déesse de Médine. C'était l'idole la plus ancienne, et les Aws comme les Khazraj lui vouaient une immense vénération. Sa place était près du Mont Qa'dîd, au bord de la mer, sur la route entre La Mecque et Médine.

Al-Lât était l'idole des habitants de Tâ'if, tandis qu'al-'Uzzâ était celle des habitants de La Mecque. Tout habitant de Médine qui voulait avoir sa propre idole, faite de bois ou d'une autre matière, l'appelait Manât du nom de la déesse principale du lieu. Il ne semble pas que les Arabes de Médine aient eu une idole propre à leur ville qui ait acquis un grand prestige et été adorée à l'extérieur, comme c'était le cas d'al-Lât, Manât, al-'Uzzâ ou Hubal.

Il semble d'ailleurs que les idoles n'étaient pas aussi courantes à Médine qu'à La Mecque, où chaque maisonnée avait la sienne. Cela suggère que les habitants de Médine ne faisaient que suivre ce que les gens de La Mecque inventaient. Les Quraysh reconnaissaient la haute position des Aws et des Khazraj, puisqu'ils appartenaient à la branche arabe centrale des Qahtân. Les mariages entre ces tribus et les Quraysh étaient courants. Hâshim ibn Abd Manâf, arrière-grand père du Prophète et maître des Quraysh, avait épousé Salmâ bint Amr du clan d'an-Najjâr, qui faisait partie des Khazraj.

Mais les Quraysh s'attribuaient toujours la position prédominante. En outre, ils méprisaient l'agriculture comme moyen de subsistance, tandis que le mode de vie des habitants de Médine était fondé sur l'agriculture en raison de la fertilité de leurs terres. La situation économique était confortable, d'une manière générale. Médine et ses environs étaient célèbres pour leurs dattes et leurs raisins. Les dattes constituaient l'aliment de base de la population locale, en particulier lors des périodes de sécheresse. Les dattes servaient également de monnaie d'échange pour acheter d'autres produits.

Le palmier était aussi utilisé pour la construction et l'artisanat, ainsi que comme combustible et pour l'alimentation animale. Les terres agricoles de Médine produisaient diverses variétés de dattes, et les habitants possédaient une vaste expérience qui leur permettait d'en accroître le rendement. Cela n'empêchait pas pour autant les Médinois de pratiquer le commerce, quoique moins que les Mecquois qui, eux, dépendaient essentiellement de leurs activités d'importation et d'exportation. Médine possédait en outre un artisanat florissant, où les juifs occupaient une place particulièrement importante.

On relate que les juifs de Qaynuqâ' étaient des bijoutiers expérimentés. Les champs de Médine produisaient essentiellement de l'orge et du blé, ainsi que des légumes verts et différentes sortes de légumes secs. La location des terres agricoles et la vente des produits de la terre se faisaient selon diverses pratiques : l'islam allait en interdire certaines, ne conservant que celles qui ne lésaient aucune des parties. Outre la fertilité de son sol volcanique, Médine devait le succès de son agriculture à l'abondance de ses sources. Un grand nombre de rivières et de puits permettaient d'avoir de l'eau toute l'année.

La Mecque et Médine employaient la même monnaie, celle de Byzance ou de Perse, mais l'une comme l'autre étaient en argent. Pour le commerce, les Médinois utilisaient le volume plutôt que le poids ; ils possédaient plusieurs unités de volume reconnues. Il est important de noter que malgré la fertilité de ses terres, Médine ne pouvait pas produire assez de nourriture pour assurer ses besoins. Certaines denrées alimentaires devaient donc être importées : par exemple, on importait de Syrie de la farine, de la graisse et du miel. Les Médinois possédaient aussi des troupeaux abondants : des chameaux, des bovins et des ovins.

Les chameaux servaient à l'irrigation. Ils possédaient leurs propres pâturages, où l'on ramassait du bois pour le feu et où l'on emmenait paître les troupeaux et les chevaux. Les chevaux servaient à la guerre, mais ils étaient relativement moins nombreux qu'à La Mecque. Le clan de Sulaym était néanmoins célèbre pour les prouesses de ses cavaliers et importait les chevaux de divers endroits.

Plusieurs bazars et marchés se tenaient à Médine : les plus importants étaient le marché aux bijoux des juifs de Qaynuqâ', un marché aux tissus où l'on vendait de la soie, du coton et d'autres textiles, ainsi que les bazars aux parfums. Diverses pratiques commerciales avaient cours, mais l'islam en interdit un certain nombre. Certains marchands arabes des tribus d'Aws ou de Khazraj basaient leurs transactions sur l'usure, tout autant que les juifs.

En général, la vie était confortable à Médine avant l'avènement de l'islam. De nombreuses maisons avaient plus d'un étage, certaines possédaient leur propre jardin. Les gens allaient parfois loin chercher leur eau parce qu'ils voulaient la meilleure eau potable disponible. Ils possédaient leurs outils, de beaux meubles, des objets de décoration et des bijoux. Les femmes avaient pour tâches la filature, la couture et la teinture. On savait sculpter et fabriquer des briques.

La vie était donc beaucoup plus complexe à Médine qu'à La Mecque, en raison de la présence d'une diversité de religions, de cultures et de communautés. Le Prophète ne pouvait manquer, par conséquent, d'être confronté à différents problèmes. Seule la force pénétrante de la foi pouvait réussir à forger la population de Médine en une seule communauté. Ainsi le Prophète Muhammad, soutenu par Dieu, était-il à ce moment précis le seul capable de réaliser cette unité. (Ici s'achève le résumé du texte du cheikh Nadwî.)

C'est dans ce cadre que le Prophète arriva pour édifier une communauté cohérente et un nouvel État. Comme nous l'avons dit, son hôte était Abu Ayyûb al-Ansârî, qui était extrêmement heureux d'accueillir le Prophète chez lui. Abu Ayyûb n'était pas très riche mais il faisait preuve de la plus grande hospitalité, conscient qu'être l'hôte du Prophète était une bénédiction pour laquelle il devait toujours remercier Dieu. Sa femme et lui faisaient donc de leur mieux pour rendre le séjour du Prophète le plus confortable possible.

Un jour, une jarre dans laquelle ils conservaient leur eau se cassa et l'eau fut renversée. Craignant que l'eau ne traverse le plancher et ne mouille le Prophète, ils se précipitèrent pour l'essuyer avec une épaisse pièce d'étoffe qui leur servait de couverture lorsqu'ils dormaient. Ils m'avaient pas d'autre couverture : s'en servir pour éponger l'eau renversée impliquait que leur couverture serait mouillée et qu'ils ne pourraient pas s'en servir cette nuit-là.

Toutefois, ils auraient préféré rester éveillés toute la nuit que de déranger le Prophète en laissant de l'eau couler à travers le plancher. Umm Ayyûb préparait à manger pour le Prophète . Ni elle ni son époux ne mangeaient rien tant que le Prophète n'avait pas fini son repas. S'il rendait le plat en y laissant de la nourriture, tous deux commençaient à manger à l'endroit où le Prophète avait mangé, espérant ainsi la bénédiction divine. Avec de tels hôtes, le Prophète savait bien qu'il pouvait rester aussi longtemps qu'il le souhaiterait.

Cependant, il ne voulait pas rester plus longtemps que nécessaire. Il devait bientôt faire construire ses appartements près de la mosquée et s'y installer avec son épouse Sawda. Celle-ci allait être rejointe quelque temps après par 'Aïsha, une autre épouse du Prophète. Peu après l'arrivée du Prophète à Médine, ce dernier envoya son compagnon Zayd ibn Hâritha et Abu Rafi' à La Mecque, en leur donnant deux chameaux et cinq cents dirhams.

Ils ramenèrent avec eux les deux filles du Prophète, Fâtima et Umm Kulthûm, ainsi que son épouse Sawda. Ruqayya, une autre fille du Prophète, avait déjà émigré à Médine avec son époux Uthmân ibn Affân. La fille aînée du Prophète, Zaynab, resta à La Mecque avec son époux Abu al-'As ibn ar-Rabî', qui n'était pas encore musulman. Zayd ibn Hâritha ramena aussi avec lui sa propre épouse, Umm Ayman, qui avait été la nourrice du Prophète dans son enfance. Celle-ci avait un fils, Usâma, que le Prophète aimait beaucoup. Abdullâh ibn Abî Bakr se joignit aussi à eux avec les membres de la famille d'Abû Bakr, y compris Aïsha. Lorsqu'ils arrivèrent à Médine, le Prophète les installa chez Hâritha ibn an-Nu'mân.

En s'installant à Médine, les musulmans émigrés se rendaient compte qu'ils ne verraient plus La Mecque pendant bien longtemps. Il était donc naturel qu'ils en éprouvent de la nostalgie. Les choses étaient encore compliquées par le fait qu'une épidémie de malaria sévissait à l'époque à Médine. Abu Bakr et Bilâl, entre autres, contractèrent la maladie. Le Prophète dut donc rassurer ses compagnons et calmer leurs inquiétudes. Il implora Dieu de rendre Médine aussi attrayante pour ses compagnons que La Mecque, de la bénir et de mettre fin à l'épidémie.

Le Prophète était conscient qu'il lui fallait s'occuper de tâches très importantes afin d'établir son nouvel État. Il commença par construire une mosquée. En face de chez Abu Ayyûb se situait un terrain découvert où l'on faisait sécher les dattes. Le Prophète demanda à qui il appartenait, et on lui répondit qu'il était la propriété de deux jeunes orphelins. Mu'âdh ibn Afrâ' s'engagea à leur payer une généreuse compensation et dit au Prophète qu'il pouvait l'utiliser pour construire une mosquée.

Le Prophète demanda à ses compagnons de travailler ensemble à la construction de la mosquée. Lui-même travailla aussi dur que les autres. En le voyant travailler si dur, ils redoublèrent d'efforts afin que l'édifice soit achevé le plus vite possible. Ils coupèrent un certain nombre de palmiers et égalisèrent le sol, puis ils creusèrent les fondations, profondes de deux mètres. Les murs étaient de briques nues. C'était une construction carrée d'environ 65 mètres de côté. La Qibla (la direction vers laquelle on se tourne pour prier) fut orientée vers Jérusalem, car les musulmans priaient encore dans cette direction.

Le plafond était de branches de palmier, ce qui n'empêchait pas la pluie de s'infiltrer à l'intérieur. Le sol ne comportait pas de plancher ni de tapis, mais tout juste quelques nattes qui ne suffisaient pas à couvrir toute la surface. Beaucoup de fidèles priaient à même le sable. On construisit deux pièces contiguës à la mosquée, pour servir d'appartements au Prophète . Les mêmes matériaux furent utilisés, et le plafond était aussi fait de branches de palmier. Lorsqu'elles furent prêtes, le Prophète y emménagea.

La construction de la mosquée fut la première mesure importante prise par le Prophète à son arrivée à Médine. Il avait aussi construit une mosquée à Qubâ', où il avait fait halte pendant quelques jours avant de poursuivre sa route jusqu'à Médine. On peut donc légitimement se demander pourquoi il attachait autant d'importance à la construction de mosquées.

La mosquée n'est pas simplement un lieu de culte. Si cela avait été le cas, le Prophète ne lui aurait accordé qu'une priorité secondaire : les musulmans peuvent prier et pratiquer leur culte où qu'ils se trouvent. Mais la mosquée est un symbole de l'islam en tant que mode de vie complet et exhaustif. La mosquée du Prophète à Médine était tout à la fois un centre spirituel pour le culte, le lieu où se géraient les affaires intérieures et extérieures du nouvel État, un centre de diffusion du savoir où se tenaient des débats et des séminaires, et une institution sociale où les musulmans apprenaient et pratiquaient l'égalité, l'unité et la fraternité.

Ainsi la mosquée était-elle un lieu où s'accomplissaient de nombreuses fonctions. C'était, de fait, la cellule de base de la structure de la nouvelle communauté. Cette mosquée forma tous les grands hommes de cette époque de l'histoire musulmane. C'était un endroit simple, produisant des résultats admirables. Mais lorsque les mosquées ont perdu leur rôle fondamental dans la vie de la communauté musulmane, elles sont devenues des édifices immenses et magnifiques, ne produisant que de maigres résultats.

Le Prophète s'attaqua sans perdre de temps aux problèmes essentiels liés à l'établissement du premier État islamique. Il tourna immédiatement ses efforts vers un problème crucial : la consolidation de liens permanents entre les différents éléments qui constituaient la communauté musulmane. Il faut se rappeler que les ansâr (les musulmans de Médine) appartenaient à deux tribus distinctes qui s'étaient encore récemment fait la guerre.

Les deux camps étaient pleins d'espoir de voir se substituer à leur vieille hostilité, avec l'adoption de l'islam, un lien permanent et inébranlable de fraternité. Il existait aussi à Médine une communauté d'immigrés (les muhâjirûn), qui appartenaient à différentes branches indépendantes des Quraysh. Bien que les muhâjirûn aient été bien reçus à Médine, ils n'avaient pas l'habitude du mode de vie de cette ville.

La plupart étaient des marchands, comme le reste des Quraysh, tandis que les ansâr étaient surtout des fermiers. De nombreux ajustements devaient se faire pour réduire au minimum les risques de frictions. Le Prophète appela donc ses adeptes à contracter un lien spécial de fraternité. Chacun des muhâjirûn devait être le frère de l'un des ansâr. Ce nouveau lien de fraternité était différent des liens fraternels ordinaires qui constituaient la base des relations sociales au sein de la société musulmane.

Ces liens fraternels ordinaires sont cruciaux dans toute communauté qui fait de l'islam sa foi et son code social. Le lien de fraternité établi par le Prophète entre les muhâjirûn et les ansâr était, quant à lui, particulier à la société musulmane de Médine. C'était beaucoup plus qu'un lien spirituel. Il se traduisait, dans la réalité, en quelque chose de beaucoup plus fort qu'aucune relation tribale ou familiale.

Il était si réel pour les personnes concernées qu'un frère des muhâjirûn héritait de son frère des ansâr à la mort de celui-ci, et vice-versa. Pour illustrer la réalité de ce lien, on peut citer l'exemple de 'Abd ar-Rahmân ibn Awf des muhâjirûn, dont le frère chez les ansâr était Sa'd ibn ar-Rabî'. Sa'd était conscient qu'il devait faire en sorte que son frère se sente chez lui à Médine.

Il lui dit : « Dieu soit loué, je suis assez riche, et j'ai décidé de partager exactement mes biens avec toi. J'ai aussi deux épouses : dis-moi laquelle tu préfères, et j'en divorcerai pour que tu puisses l'épouser. » Abd ar-Rahmân fut très touché par cette offre extrêmement généreuse. Il refusa cependant de prendre quoi que ce soit à son frère. Il se contenta de lui demander le chemin du marché, où il eut tôt fait de mettre sur pied un petit commerce.

Quelques jours plus tard, 'Abd ar-Rahmân se rendit auprès du Prophète , qui dut remarquer qu'il avait célébré quelque chose. 'Abd ar-Rahmân expliqua qu'il venait d'épouser une femme des ançâr. Il lui avait donné pour dot, dit-il au Prophète, un petit morceau d'or du poids d'un noyau de datte. Ce petit événement est révélateur du genre de sentiments qui régnaient parmi les deux principaux groupes de musulmans de Médine : une générosité sans pareille d'un côté, et un haut degré d'intégrité de l'autre. De tels sentiments contribuèrent à forger, à partir de ces deux groupes, une seule communauté unie qui continua à donner l'exemple aux générations successives de musulmans.

Exprimant leur réaction à l'accueil reçu à Médine, les muhâjirûn dirent au Prophète : « Nous n'avons jamais entendu parler de gens aussi généreux que nos hôtes : ils apportent le meilleur réconfort lorsque leurs moyens sont réduits, et ils sont les plus généreux lorsqu'ils sont aisés. Ils nous ont épargné tous les efforts et ont partagé avec nous leurs richesses. Nous craignons qu'ils ne reçoivent toute la récompense de Dieu, tandis qu'il ne nous en restera que très peu. »

Le Prophète répondit : « Il n'en sera pas ainsi, si vous leur êtes sincèrement reconnaissants et priez Dieu pour eux. » Le Prophète établit ainsi des liens solides et serrés au sein de la communauté musulmane. Il devait aussi s'occuper des relations de sa communauté avec les autres groupes de la société médinoise.