Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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De la jeunesse à la maturité

 

Les récits que nous possédons à propos de la jeunesse de Muhammad ne sont pas nombreux. Cela n'a rien d'étonnant car d'une part, les Arabes de l'époque étaient majoritairement illettrés, et d'autre part, personne n'aurait pu imaginer quel rôle capital Muhammad était destiné à jouer dans la vie de l'humanité en général. Les récits dont nous disposons sont toutefois suffisants pour établir que dès sa jeunesse, Muhammad se distinguait par son honnêteté, sa bonté, sa patience, son humilité et son empressement à aider les autres. Il était aussi connu comme un jeune homme qui ne s'adonnait à aucun des vices alors couramment pratiqués dans la société mecquoise, comme la boisson, le jeu ou la débauche.

On ne peut que remarquer, rétrospectivement, que Muhammad était ainsi préparé au grand rôle qu'il allait jouer. L'un des aspects de cette préparation est que jamais il ne se mêla au culte des idoles adorées par son peuple. Il ne vénéra jamais aucune de ces idoles, ne se prosterna jamais devant elles, ne leur fit jamais d'offrandes comme les gens en avaient l'habitude, pas plus qu'il ne participa aux festivités organisées dans le cadre du culte des idoles.

Sa nourrice Umm Ayman a relaté que les Quraysh rendaient hommage à une idole appelée Buwâba. Un certain jour, chaque année, ils organisaient une fête en son honneur ; ils restaient toute la journée près de l'idole et se rasaient la tête. Abû Tâlib, l'oncle du Prophète, participait lui aussi à cette fête. Chaque année, il demandait à son neveu orphelin d'y assister, mais Muhammad refusait. Abu Talib était en colère contre lui, et même ses tantes reprochèrent à Muhammad son manque de respect apparent pour les idoles. Elles s'efforcèrent de le persuader de ne pas rester à part dans sa famille. Insistant sur le devoir d'un jeune homme de manifester sa loyauté aux siens, elles lui dirent : « Tu semblés ne vouloir partager aucune fête avec ton peuple, et ne pas compter comme l'un des leurs. »

Muhammad finit par céder aux arguments de ses tantes et se rendit à la fête. Il en revint effrayé et dit à ses tantes qu'il craignait d'être possédé par un démon. Elles l'assurèrent que Dieu ne le laisserait jamais subir pareille chose, étant donné ses nombreuses qualités. Il leur relata alors son expérience en ces termes : « Chaque fois que j'approchais d'une idole, je voyais un homme blanc, de haute taille, qui me disait de rester en arrière et de ne pas toucher l'idole. » Umm Ayman affirme que ce fut la première et la dernière célébration du culte des idoles à laquelle Muhammad participa avant le début de la révélation coranique.

Ce n'est là que l'un des divers récits qui nous sont parvenus à propos de l'attitude de Muhammad envers le culte païen, bien avant le début de sa mission prophétique. Ces récits, mis ensemble, montrent clairement que Muhammad était délibérément tenu à l'écart du culte des idoles. Il est logique en effet que Dieu ait protégé de tout soupçon d'idolâtrie, même dans sa jeunesse, l'homme qu'il avait choisi pour être Son dernier messager à l'humanité et apporter l'ultime message soulignant l'unicité absolue de Dieu.

L'engagement au service de la justice

Néanmoins, Muhammad menait une vie normale parmi les siens. Il était sociable, aimé et respecté. Le fait qu'il ne s'adonnait à aucun vice le faisait respecter plus encore. En outre, il ne manquait jamais de s'impliquer dans les affaires importantes préoccupant sa tribu ou sa société.

On en trouve un exemple dans le cas de la guerre connue sous le nom d'al-Fijâr, c'est-à-dire « la guerre de profanation ». Cette guerre doit son nom au fait qu'elle commença par un meurtre commis par un homme de Quraysh en violation d'un des quatre mois sacrés. Durant ces quatre mois, traditionnellement considérés comme sacrés par les Arabes, la guerre était totalement interdite. Commettre un meurtre durant ces mois constituait donc une profanation extrêmement grave. Il n'est pas étonnant, par conséquent, qu'une guerre ait éclaté entre les Quraysh et les Hawâzin, les tribus auxquelles appartenaient le meurtrier et sa victime.

Muhammad n'avait que quinze ans lorsque cette guerre éclata. Elle dura quatre ans. Il y prit part, mais sans s'engager dans les combats eux-mêmes, d'après les récits les plus fiables. Il aidait toutefois ses oncles en les protégeant des flèches lancées par leurs ennemis ou encore en récupérant ces flèches et en les préparant pour qu'ils les réutilisent au combat.

Peu après la fin de cette guerre, lorsque Muhammad avait presque vingt ans, il joua un rôle dans la conclusion d'une alliance entre les différents clans de Quraysh. C'était une noble alliance, dont Muhammad continua de faire l'éloge longtemps après être devenu prophète. L'alliance était appelée al-Fudûl d'après trois des principaux participants qui portaient le titre d'al-Fadl. On dit aussi que cette alliance était ainsi nommée parce qu'elle avait un but noble, ce nom évoquant la préservation de l'honneur.

La raison immédiate de la conclusion de cette alliance était qu'un homme du clan de Zubayd était arrivé à La Mecque avec des marchandises à vendre. Un homme important de La Mecque, al-As ibn Wâ'il, acheta toutes les marchandises mais n'en paya pas le prix. Lorsque l'homme comprit qu'il allait tout perdre, il demanda secours à tous les clans de Quraysh. Tous refusèrent de s'opposer à al-As Ibn Wâ'il et blâmèrent l'homme pour son comportement. Désespéré, l'homme se mit debout sur une colline surplombant la Ka'ba au lever du soleil, à un moment où les hommes de Quraysh se rassemblaient en groupes autour de la Ka'ba.

Il les implora, plaidant sa cause avec passion et désespoir. Il leur rappela leur position de gardiens de la Maison Sacrée. Az-Zubayr ibn Abd al-Muttalib un oncle du Prophète, fut le premier à réagir : il se leva et déclara qu'aucune injustice ne devait être tolérée.

Une réunion fut organisée dans la maison de Abdullâh ibn Jud'ân, un homme d'honneur très respecté à La Mecque. Des représentants de nombreux clans de Quraysh étaient présents. Les termes du pacte furent définis au cours de cette réunion : les participants s'engagèrent solennellement, jurant par Dieu de rester unis, de soutenir quiconque à La Mecque serait victime d'injustice, qu'il soit mecquois ou étranger et de s'opposer à l'auteur de cette injustice jusqu'à ce que justice soit faite.

Cette alliance conclue, les participants allèrent trouver al-As ibn Wâ'il et l'obligèrent à rendre à l'homme de Zubayd les marchandises qu'il lui avait prises. Lorsqu'on connaît la nature de cette alliance, on comprend facilement pourquoi le Prophète continua à exprimer son soutien pour les idéaux qu'elle préconisait. Longtemps après le début de sa mission, il dit : « J'ai assisté, chez Abdullâh ibn Jud'ân, à la formation d'une alliance que je ne voudrais échanger contre aucun gain matériel. Si maintenant, après l'islam, je suis appelé à l'honorer, je le ferai certainement. » Cela montre combien l'islam est favorable à toute action ou à tout pacte ayant pour but de garantir la justice pour tous.

Lors de la conclusion du pacte d'al-Fudûl, Muhammad , alors âgé de vingt ans, arrivait à une nouvelle époque de sa vie. Sa naissance noble, sa force de caractère et sa vigueur physique lui auraient sûrement assuré la prospérité. Nous disposons de récits évoquant l'exceptionnelle force physique de Muhammad à un âge avancé : dans sa jeunesse, il devait être plein de vigueur et de capacités. Lorsqu'on ajoute à cela son honnêteté bien connue, une sagesse inhabituelle à son âge et son noble caractère, on ne peut qu'être sûr que s'il avait aspiré au succès matériel dans sa société, il n'aurait pas manqué d'y parvenir.

Muhammad continua de se fixer un code d'honneur des plus exigeants. Sa force de caractère et son sens moral indéfectible régulaient ses désirs physiques, le retenant de commettre le moindre écart. En outre, son honnêteté scrupuleuse, pour laquelle il était bien connu dans cette société, lui avait valu le surnom d'al-amîn, qui signifie honnête et digne de confiance. La richesse matérielle ne paraissait aucunement le tenter. Il ne méprisait pas la richesse, il n'était pas à la recherche de vains idéaux, mais il possédait simplement un sens aigu des proportions. Il comprenait que la richesse n'était pas une fin en soi, mais un moyen vers un objectif plus noble.

C'est avec sérieux et dignité qu'il cherchait donc comment gagner sa vie ; il fut bientôt décidé qu'il essaierait de trouver du travail dans le commerce et les affaires. Muhammad ne possédait pas d'argent pour établir un commerce. Son oncle Abu Tâlib n'était pas non plus assez riche pour l'aider. La seule possibilité qui lui restait était donc de faire ses preuves en tant qu'agent, en faisant du commerce pour quelqu'un d'autre. Il semble qu'il n'ait guère eu de mal à trouver un tel emploi, grâce à sa réputation croissante d'honnêteté et de sagesse.

Certains récits le représentent travaillant dans des marchés et des foires. Il s'associa à un autre agent du nom d'as-Sâ'ib ibn Abî as-Sâ'ib, dont il devait plus tard louer l'intégrité et l'honnêteté. Lorsque, bien des années après, le Prophète rencontra as-Sâ'ib le jour de la conquête de La Mecque, il l'accueillit chaleureusement avec ces mots : « Bienvenue à mon frère et associé, un homme honnête et droit. »

On ne sait pas avec certitude pour qui Muhammad travaillait comme agent durant ces premières années. Il est toutefois raisonnable de penser que c'était Khadîja bint Khuwaylid, une riche veuve, qui bénéficiait de ses précieux services. Plus tard, elle devait l'envoyer en mission commerciale en Syrie avec une grande quantité de marchandises. Elle n'aurait probablement pas fait cela sans l'avoir mis à l'épreuve au préalable sur les marchés locaux. On relate qu'il dit plus tard qu'elle était très bonne envers ses employés : chaque fois que son associé et lui-même allaient la voir, elle leur offrait à manger.

Muhammad acquit une grande expérience commerciale alors qu'il n'avait qu'une vingtaine d'années. Il travaillait à la commission. Khadîja le payait toutefois davantage que ses autres agents : elle se rendait compte que son employé était un homme chez qui l'honnêteté et l'intégrité étaient alliées à un sens commercial très sûr. Son admiration pour Muhammad ne cessait de croître. Elle voulait conserver ses services et le meilleur moyen lui semblait être d'augmenter ses revenus.

Un Voyage d'affaires

La situation devenait très difficile à La Mecque. Les affaires marchaient mal après deux ans de sécheresse. Il était donc important pour les commerçants mecquois de se concentrer sur leurs voyages traditionnels vers la Syrie et le Yémen. Une année, comme les préparatifs de l'expédition de Syrie étaient en cours, Abu Tâlib proposa à son neveu d'y participer en tant qu'agent de Khadîja.

Au fond de lui, Abu Tâlib n'avait sans doute pas envie que son neveu parte en Syrie car il craignait pour sa sécurité. Mais la situation se dégradait et un tel voyage était porteur d'espoirs pour la famille. Abu Tâlib avait appris que Khadîja avait l'intention d'envoyer quelqu'un commercer pour elle en échange de deux chameaux. Il pensait que s'il le lui proposait, elle serait heureuse d'envoyer Muhammad pour le double de cette commission. Muhammad, quant à lui, était opposé à cette démarche. Néanmoins, il reçut bientôt la nouvelle qu'elle souhaitait qu'il la représente dans son expédition commerciale.

Certains récits suggèrent que c'était Khadîja qui l'avait proposé d'abord à Abu Tâlib. Elle savait que celui-ci était réticent à voir son neveu s'éloigner de La Mecque, mais elle tenait à envoyer un homme sur qui elle pouvait compter. Abu Tâlib céda à son insistance lorsque Khadîja accepta de payer à Muhammad le double de la commission habituelle ; elle enverrait avec lui son serviteur Maysara.

Le voyage fut un succès. Muhammad parvint à vendre avec profit toutes les marchandises emportées en Syrie et ramena des marchandises syriennes pour les vendre à La Mecque. Là encore, il en tira des bénéfices importants pour Khadîja. Un récit avance qu'elle obtint le double des bénéfices espérés. Sa reconnaissance envers Muhammad fut telle qu'elle doubla sa commission.

Maysara fit à sa maîtresse un compte-rendu détaillé du voyage. Il ne tarissait pas d'éloges envers Muhammad, en qui il avait trouvé un compagnon charmant - un homme honnête, bon et sincère, qui ne réclamait rien aux autres mais était toujours prêt à les aider, sans même attendre qu'on le lui demande.

Khadîja, étant une riche veuve, recevait de nombreuses demandes en mariage. Elle se rendait compte toutefois que c'était son argent qui attirait les prétendants, et déclinait donc régulièrement ces offres. Cependant, son partenariat commercial avec Muhammad lui avait permis de reconnaître en lui un homme pour qui l'argent n'était pas la principale priorité. Elle commença à le considérer sous un jour différent.

Khadîja était une femme très intelligente et d'une lignée noble. Elle possédait une forte personnalité et aimait n'agir en toute chose qu'après avoir considéré tous les aspects de la question. Il semble qu'elle ait consulté un ou deux parents en qui elle avait confiance, et qui lui tinrent sur Muhammad des propos très élogieux. L'un d'eux était Waraqa ibn Nawfal, un vieil oncle, qui pressentait que Muhammad était destiné à un avenir très important. Khadîja avait décidé depuis longtemps qu'elle ne choisirait son futur époux que lorsqu'elle serait absolument sure de son caractère. Sur la base de ses relations d'affaires avec Muhammad, elle se décida à aller plus loin.

Khadîja envoya une amie proche, Nufaysa bint Munya, faire une proposition indirecte à Muhammad . Lorsqu'elle le rencontra, cette dernière lui dit : « Muhammad, qu'est-ce qui t'empêche de te marier ? » Il répondit : « Je n'en ai pas les moyens. » Elle demanda alors : « Et si tu n'avais rien à dépenser ? Que dirais-tu si une femme belle, riche et de haut rang était prête à t'épouser ? L'épouserais-tu ? » Il demanda : « Qui est cette femme ? » Elle répondit : « Khadîja. » Muhammad demanda alors : « Qui pourrait arranger ce mariage pour moi ? » Elle lui dit : « Laisse-m'en le soin. » Sa réponse fut : « Je l'épouserais volontiers. »

Le mariage

Lorsque Khadîja se fut assurée de la réaction de Muhammad , elle lui envoya demander de venir la voir. Elle lui dit : « Cousin [elle utilisait ce terme au sens le plus large, n'étant qu'une cousine très éloignée de Muhammad : leurs lignées respectives ne se rejoignaient qu'au cinquième aïeul], je t'admire pour la haute position que tu occupes parmi les tiens, ton honnêteté et tes bonnes manières, et parce que tu es un homme de parole. » Elle poursuivit en lui proposant le mariage. Muhammad en fut très heureux et alla prévenir ses oncles, qui furent enchantés d'une telle alliance.

Muhammad se rendit avec ses oncles chez l'oncle de Khadîja, 'Amr ibn Asad. Abu Tâlib parla pour son neveu : « Mon neveu, Muhammad ibn Abdullâh, est sans égal par sa noblesse de caractère et sa lignée. Certes, il n'est pas riche, mais la richesse est quelque chose d'accidentel. L'argent va et vient, et bien des riches deviennent pauvres. Il est certainement promis à un grand avenir. Il demande en mariage ton honorable fille, Khadîja. Il lui donne tant en dot. » Le mariage fut alors conclu pour une dot de vingt jeunes chameaux.

Le mariage fut heureux. La plupart des biographes du Prophète considèrent qu'il avait alors vingt-cinq ans, et Khadîja quarante. Muhammad allait vivre avec Khadîja vingt-cinq années heureuses. Ce mariage donnait à Khadîja un homme qu'elle pouvait aimer et respecter en toute confiance. C'était un époux tendre et attentionné, qui veillait sur sa famille avec son sérieux habituel. Elle lui donna quatre filles et deux fils. Quoique la polygamie ait alors été habituelle en Arabie, Muhammad n'épousa pas une seconde femme du vivant de Khadîja.

Ce mariage procura à Muhammad une vie stable, mais l'avantage réel du mariage avec Khadîja n'apparut pleinement que lorsqu'il eut commencé à recevoir des révélations et à être confronté à une opposition incessante à son message. À cette époque, le soutien de Khadîja lui fut des plus précieux. Elle était présente à ses côtés, le rassurant et lui apportant tout le réconfort dont il avait besoin. Aussi grands qu'aient pu être ses problèmes à l'époque où il appelait son peuple à l'islam, il était certain de recevoir, en rentrant chez lui, un accueil réconfortant de la part de sa femme.

Longtemps après la mort de Khadîja, et après avoir épousé plusieurs autres femmes, le Prophète continua de chérir sa mémoire. Khadîja donna d'abord naissance à un garçon qui fut appelé al-Qâsim. Vinrent ensuite quatre filles : Zaynab, Ruqayya, Umm Kulthûm et Fâtima. Abdullâh fut le dernier enfant qu'eut Khadîja. Une seule de ses épouses ultérieures donna un enfant au Prophète : Marya, l'esclave copte que le souverain d'Egypte lui envoya comme présent, et qui donna naissance à un garçon, Ibrahim.

Al Qasim ne vécut que quelques années, tandis que Abdullâh mourut avant d'être sevré. Ibrahim, lui, ne vécut que dix-huit mois. Les quatre filles du Prophète vécurent toutes jusque après le début des révélations coraniques. Toutes embrassèrent l'islam. Les trois premières moururent à Médine, tandis que Fâtima fut la seule fille du Prophète à lui survivre : elle mourut six mois après lui.

La reconstruction de la Ka'ba

Muhammad avait trente-cinq ans lorsque les Quraysh se rendirent compte qu'il était absolument nécessaire qu'ils reconstruisent la Ka'ba. Il était bien normal en effet qu'un bâtiment aussi ancien ait subi avec le temps des dégradations structurelles. La vieille construction devait être démolie et reconstruite ; de simples réparations ne pouvaient suffire.

La Mecque avait été touchée peu de temps auparavant par de graves inondations et les murs de la Ka'ba étaient fissurés. La décision ne fut pas facile à prendre pour les chefs de La Mecque : ils envisageaient avec réticence la démolition de la Ka'ba, mais ne voyaient pas comment ils pourraient réussir à préserver l'édifice s'ils se contentaient de réparations de fortune. Ils se décidèrent finalement et fixèrent une date au début des travaux.

Ce fut A'idh ibn 'Imrân ibn Makhzûm, un oncle maternel du père du Prophète, qui commença les travaux. Il ôta l'une des pierres, qui aussitôt revint à sa place. C'était, semble-t-il, un homme sage. Lorsqu'il vit la pierre reprendre sa place, il dit : « Peuple de Quraysh, choisissez votre argent le plus pur pour construire la Ka'ba. Ne mettez pas parmi les fonds destinés à la construction d'argent gagné par une prostituée ni de produit de l'usure, ni de biens extorqués à quelqu'un par la force. »

Cela montre que même à l'époque la plus sombre du paganisme, les Arabes reconnaissaient que la fornication et l'usure étaient de mauvaises actions. Un lieu destiné au culte de Dieu ne pouvait être financé par des gains provenant de sources aussi impures.

Les chefs de La Mecque eux-mêmes et les nobles de tous les clans de Quraysh s'impliquèrent personnellement dans les travaux de construction. Ils y voyaient un honneur à ne pas manquer. Ils organisèrent le travail afin que tous les hommes travaillent deux par deux, pour porter les pierres et les placer au bon endroit. Les femmes prenaient aussi part à la besogne et portaient le mortier destiné à sceller les pierres ensemble. Le Prophète participa également aux travaux de construction, aux côtés de son oncle al-'Abbâs.

On relate également que lorsque les hommes de Quraysh se réunirent pour commencer la démolition afin de reconstruire la Ka'ba, personne n'était disposé à commencer. Tous étaient très réticents à démolir l'édifice de crainte que quelque chose ne leur arrive. Al-Walîd ibn al-Mughîra, l'un de leurs chefs, se porta volontaire pour commencer. Il prit sa hache et s'avança en répétant ces mots :

« Seigneur, nous ne voulons pas faire de mal. Seigneur, nous agissons dans un but honorable. » Il se mit alors au travail, démolissant une partie de l'édifice, près de l'angle où se trouvait la Pierre Noire. Personne ne se joignit à lui : tous pensaient qu'il vaudrait mieux attendre le lendemain. Ils se disaient entre eux : « Attendons cette nuit. Si quelque chose arrive à al-Walîd, nous ne poursuivrons pas notre entreprise et nous remettrons ce qu'il a enlevé comme auparavant. S'il va bien, c'est que Dieu a accepté ce que nous faisons et nous continuerons. »

Le lendemain matin, al-Walîd fut l'un des premiers à arriver pour se mettre au travail : il continua la démolition et d'autres se joignirent à lui. Lorsqu'ils arrivèrent aux fondations posées par Abraham, ils trouvèrent des pierres vertes bien taillées, solidement scellées ensemble. Un récit avance qu'un homme inséra un levier entre deux de ces pierres pour les séparer : lorsque la pierre bougea, la ville tout entière fut secouée. Ils cessèrent immédiatement les travaux de démolition et commencèrent la reconstruction.

À l'époque, la Ka'ba était beaucoup plus basse qu'aujourd'hui : sa hauteur n'était que de neuf coudées. Les Quraysh décidèrent de la doubler. Lorsque, quatre-vingt-dix ans plus tard, la Ka'ba fut à nouveau reconstruite par Abdullâh ibn az-Zubayr, celui-ci l'éleva encore jusqu'à sa hauteur actuelle, à savoir vingt sept coudées. Cette élévation supplémentaire signifiait qu'il fallait apporter plus de pierres. Tous les clans de Quraysh travaillaient dur à cette tâche. Chaque clan travaillait séparément. Lorsqu'ils pensèrent avoir réuni suffisamment de pierres, ils élevèrent le bâtiment, très fiers de leur oeuvre. Il semble que chaque clan voulait pouvoir revendiquer davantage l'honneur d'avoir construit la Ka'ba.

Les vieilles jalousies refaisaient surface et des querelles éclataient fréquemment. Ce fut au moment de remettre en place la Pierre Noire que le désaccord entre les clans fut le plus violent. Chaque clan voulait obtenir cet honneur. Les esprits étaient échauffés et les gens commencèrent à vouloir résoudre la querelle par les armes. Ils furent vite sur le point de se battre.

Quatre ou cinq nuits passèrent, dans une tension extrême. Une alliance se forma entre le clan des Abd ad-Dâr et celui des Adî ibn Ka'b pour combattre jusqu'au bout ; l'alliance fut scellée par le sang. Quelques sages tentèrent néanmoins de désamorcer le conflit. Une réunion fut organisée dans la mosquée elle-même et l'on discuta de la manière de résoudre l'affaire à l'amiable. Ce n'était toutefois pas facile. Le doyen des Quraysh, Abu Umayya ibn al-Mughîra, émit une suggestion qui fit l'unanimité : il suggéra qu'on demande au premier homme à entrer dans la mosquée d'arbitrer la dispute, et que tous se soumettent à son jugement.

Le premier homme à entrer ne fut autre que Muhammad . Il n'avait encore reçu aucune révélation et ignorait sa mission prophétique. Cependant, il était respecté de tous pour son intégrité et sa justice. La satisfaction fut donc unanime lorsqu'il apparut. Les gens dirent : « C'est l'homme digne de confiance, al-amîn, et nous l'acceptons comme arbitre. » Ils lui soumirent leur querelle, et il reconnut immédiatement qu'il s'agissait d'une question très sensible, nécessitant beaucoup de tact. Il leur demanda d'apporter une pièce d'étoffe et de désigner un représentant de chaque clan.

Lorsqu'ils eurent obéi, il plaça la Pierre Noire sur l'étoffe et demanda à ces représentants des clans de la soulever tous ensemble, avec la Pierre Noire dessus, et de porter ainsi cette dernière à sa place. Lorsqu'ils l'eurent apportée jusqu'à son emplacement exact, il l'y plaça lui-même et l'y scella. Tous étaient satisfaits de cette solution qui garantissait qu'aucun clan ne pourrait revendiquer à lui seul l'honneur d'avoir remis en place la Pierre Noire. Chacun avait sa pair dans cet honneur. En outre, cette solution éleva le statut de Muhammad parmi les siens.