Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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De nouvelles formes d'hostilité à Médine

 

La victoire obtenue par les musulmans à la bataille de Badr fit trembler tous ceux qui voulaient du mal à l'islam. On aurait tort de penser que les Quraysh étaient les seuls ennemis de l'islam. Le Prophète avait instauré son État à Médine, où une alliance et un lien de fraternité avaient été établis entre les habitants musulmans et les quelques centaines de personnes qui avaient émigré de La Mecque avec le Prophète. De nouveaux adeptes venaient tous les jours grossir les rangs des musulmans. Cependant, une partie non négligeable de la population de Médine préférait encore conserver ses croyances idolâtres.

Il est très difficile d'évaluer le poids respectif des musulmans et des non-musulmans à Médine. Il est certain néanmoins que les musulmans étaient très nombreux. Plusieurs facteurs contribuaient à cette situation, le plus important étant que les musulmans étaient unis sous le commandement du Prophète dont l'attention et la compassion ne faisaient jamais défaut. En outre, son indéniable sagesse était grandement renforcée par l'orientation divine dont il bénéficiait.

L'opposition, quant à elle, ne bénéficiait pas d'un commandement avisé et était tout sauf unie. Conscients que la victoire de Badr ne pourrait que renforcer la position des musulmans et étendre leur réputation en Arabie, un grand nombre des Arabes de Médine qui avaient choisi de ne pas devenir musulmans pensèrent que le seul moyen de préserver leurs intérêts était de rejoindre le nouveau camp.

Cette attitude n'était toutefois nullement fondée sur une appréciation de la vérité de l'islam : elle était uniquement motivée par leur instinct de conservation. Ils craignaient qu'après la victoire remportée à Badr, le Prophète et ses compagnons n'enchaînent les victoires et ne deviennent les maîtres incontestés de l'Arabie tout entière. Si cela se produisait et qu'eux-mêmes restaient idolâtres, ils perdraient, pensaient-ils, l'occasion de partager les bénéfices de cette suprématie.

Rejoindre les rangs des croyants leur semblait une solution très attrayante car cela leur éviterait d'être en butte à l'hostilité des musulmans. Mais comment pouvaient-ils s'intégrer dans la nouvelle société s'ils ne croyaient pas en l'islam et ne reconnaissaient pas Muhammad comme le Messager de Dieu ?

C'était pour eux une question difficile. Par ailleurs, qu'est-ce qui pourrait prouver que la victoire remportée à Badr ne résultait pas de la capacité des musulmans à saisir leur chance ce jour-là ? Qui pouvait être sûr que cela se reproduirait ? Qu'arriverait-il si les Quraysh, remis de leur échec, rassemblaient leurs forces pour attaquer Muhammad et ses compagnons ? Si les Quraysh étaient capables d'écraser les musulmans lors de la prochaine bataille, cela ne signifierait-il pas la fin de l'islam ? Si cela se produisait, pensaient ces gens, ils n'auraient rien obtenu en rejoignant les musulmans maintenant. Au contraire, ils se seraient attirés l'hostilité de leurs voisins juifs et celle de leurs coreligionnaires, les Arabes polythéistes de La Mecque et d'ailleurs.

Un ralliement de façade de certains arabes de Médine

Tel était le dilemme auquel étaient confrontés de nombreux négateurs de Médine. Ils ne tardèrent pas à trouver la solution : ils décidèrent d'adopter une attitude hypocrite. Ils firent semblant d'être musulmans, tandis qu'au fond d'eux mêmes, ils n'éprouvaient pas la moindre foi en l'islam. Dieu a décrit leur attitude dans le Coran : « Lorsqu'ils rencontrent des croyants, ils leur disent : "Nous sommes des vôtres" ; mais, dès qu'ils se retrouvent avec leurs démons, ils se déclarent des leurs en disant : "Nous sommes avec vous. Nous ne faisions que plaisanter, rien de plus." » (2.14)

Ils jouaient un double jeu. En apparence, ils étaient musulmans. Ils priaient, jeûnaient et parlaient comme s'ils appartenaient à la communauté musulmane. Au fond de leur coeur, toutefois, ils restaient négateurs. Ils n'avaient rien en commun avec les musulmans. Leurs coeurs étaient pleins de haine envers le Prophète et ses compagnons et ils espéraient que quelque chose se produirait pour anéantir définitivement l'islam. Le pire était que ces gens-là parvenaient à connaître de nombreux secrets des musulmans et à transmettre ces secrets aux autres ennemis de l'islam.

Ils déployaient tous les efforts possibles pour causer du tort aux musulmans. Les musulmans ne savaient pas comment se comporter avec ces gens-là. Ils n'affirmaient pas ouvertement leur rejet de l'islam, de sorte qu'on ne pouvait pas les traiter comme des ennemis. Ils n'étaient pas non plus de véritables croyants avec qui les musulmans pouvaient partager toutes leurs préoccupations. Ils étaient entre les deux, sans opter franchement pour un camp. C'est pourquoi Dieu réprouve leur comportement dans le Coran ; Il les condamne dans de nombreux versets et les menace du plus terrible châtiment dans l'au-delà : « En vérité, les hypocrites seront relégués au plus bas degré de l'Enfer, où ils ne pourront recevoir aucun secours. » (4.145)

Il souligne que Lui Seul décidera de leur châtiment parce que Lui Seul connaît leurs véritables motifs derrière leurs apparences trompeuses ; Il sait ce qu'ils se disent mutuellement en privé et Il connaît les mensonges derrière lesquels ils dissimulent leur vraie nature. De fait, ils parvenaient si bien à se donner une apparence trompeuse que le Prophète lui-même ne savait guère à quoi s'en tenir avec eux. Même ce fait est évoqué dans le Coran : « Il y a parmi les nomades qui vous entourent des hypocrites, et il y en a aussi parmi les habitants de Médine, qui sont passés maîtres dans l'art de la traîtrise. Tu ne les connais pas ; mais Nous, Nous les connaissons. Nous les châtierons doublement. Puis ils seront livrés à un affreux supplice. » (9.101)

Ces hypocrites étaient sans aucun doute les plus redoutables ennemis de l'islam. Leur objectif, toujours présent dans leurs esprits et pour lequel ils oeuvraient sans cesse, était l'élimination totale de l'islam et des musulmans en général. Ils saisissaient la moindre occasion de nuire aux musulmans autant qu'ils le pouvaient. Ils employaient pour cela des tactiques et des moyens divers.

Ils s'efforçaient de démoraliser les musulmans lorsqu'ils partaient en guerre et faisaient de leur mieux pour les diviser ; ils dénigraient le message de Muhammad afin que les musulmans le respectent moins ; ils entretenaient des contacts secrets avec d'autres ennemis de l'islam à l'intérieur et à l'extérieur de Médine, afin de forger une alliance qui regrouperait toutes ces forces pour tenter d'éliminer définitivement l'islam.

Dieu ordonna néanmoins au Prophète de les accepter pour ce qu'ils prétendaient être et de Lui laisser le soin de les juger car Il savait ce qu'ils étaient réellement. Le Prophète était cependant triste pour eux parce qu'ils connaissaient les enseignements de l'islam et étaient aptes à comprendre qu'il s'agissait d'un message divin : malgré cela, ils le rejetaient sciemment et préféraient leur égarement à leurs croyances erronées. Il leur laissait entendre en diverses occasions qu'il était conscient de leur hypocrisie. Il ne prit aucune mesure contre eux, hormis le fait qu'il les décrivait, en tant que groupe, comme des lâches sans importance. Mais il n'émit aucune accusation personnelle publiquement.

Différentes attitudes des tribus juives

Les hypocrites jouèrent certainement un rôle significatif dans les événements qui se déroulèrent à Médine et ailleurs à l'époque du Prophète. Nous aborderons plus tard cette question ainsi que leurs plans et leurs tactiques dans la guerre contre l'islam. Une autre source d'hostilité, qui allait se manifester ouvertement peu après la bataille de Badr, provenait des tribus juives. D'après leurs propres affirmations, ils étaient venus s'établir à Médine parce qu'ils savaient que c'était là que le dernier des prophètes émigrerait et instaurerait son État.

Ils espéraient que ce dernier Prophète serait des leurs. Ils s'étaient donc rassemblés à Médine dans l'espoir de le suivre et de fonder avec lui un nouveau royaume comme celui de David et de Salomon. Le Prophète aurait pu espérer remporter l'adhésion des juifs, puisque leur religion, d'origine divine, émanait de la même source que l'islam. Il ne pensait pas au début que la haine aveugle de tout ce qui ne provenait pas des Israélites déterminerait leur attitude vis-à-vis de l'islam.

Durant les premiers temps de la présence du Prophète à Médine, quelques signes encourageants apparurent dans l'attitude des juifs, mais les indices de la lutte acharnée à venir étaient tout aussi nombreux chez eux que chez les polythéistes arabes. Quelques exemples de ces deux types de comportement nous donneront une idée plus claire du contexte de l'époque.

Le premier récit concerne un vieillard juif qui était venu de Syrie s'installer à Médine quelques années avant que son peuple n'entende parler de l'islam. Cet homme, du nom d'Ibn al-Hayyabân, fut bientôt hautement réputé pour sa piété et son érudition. Son comportement témoignait de sa profonde piété. Il gagna le respect de ses coreligionnaires comme des Arabes. Si la pluie manquait, les gens lui demandaient de prier pour qu'il pleuve. Il refusait à moins qu'ils n'acceptent de faire un don conséquent pour les pauvres. Il se rendait alors à l'extérieur de la ville avec les gens pour implorer Dieu de leur accorder la pluie. Dès qu'il avait terminé, le ciel se couvrait et il se mettait à pleuvoir à verse. Cela se reproduisit à plusieurs reprises.

Il tomba bientôt malade, et il apparut que sa maladie serait fatale. Lorsqu'il en fut certain, il s'adressa à ses coreligionnaires en leur posant cette question : « Mes frères juifs, pourquoi pensez-vous que j'ai quitté la terre de fertilité et d'abondance pour m'installer dans cette terre de faim et de misère ? » Ils répondirent qu'il devait avoir une bonne raison. Il poursuivit : « Je ne suis venu ici que pour attendre l'avènement d'un prophète qui doit apparaître incessamment. C'est dans cette ville qu'il émigrera. J'avais espéré pouvoir le voir et le suivre. Comme je l'ai dit, le moment de sa venue est arrivé. Ne laissez personne vous devancer pour le suivre, mes frères juifs. Il aura la permission de verser le sang et de prendre comme captifs les femmes et les enfants de ses adversaires. Que cela ne soit pas un obstacle vous empêchant de le suivre. »

Ibn al-Hayyabân mourut peu après. Plusieurs années plus tard, lorsque le Prophète , alors installé à Médine, assiégea la tribu juive de Qurayza qui l'avait trahi, plusieurs jeunes hommes de cette tribu juive rappelèrent à leurs contribules la prophétie d'Ibn al-Hayyabân et affirmèrent que Muhammad était bien le Prophète dont il avait parlé. Les chefs de la tribu nièrent qu'il soit le Prophète annoncé. Ces jeunes hommes, sûrs d'eux mêmes, dirent à leurs contribules que toutes les descriptions de ce Prophète correspondaient bien à Muhammad. Ils sortirent des forts de Qurayza et déclarèrent leur conversion à l'islam. Ils protégèrent ainsi leurs biens et leurs familles.

Un autre signe encourageant provenait de Mukhayrîq, un rabbin de renom doté d'une grande fortune, essentiellement composée de palmeraies. Cet homme reconnut le Prophète d'après sa description dans les Écritures juives. Il lui semblait toutefois difficile de renoncer au judaïsme pour suivre l'islam. Il hésita pendant plus de deux ans. Lorsque les Quraysh tentèrent d'attaquer Médine pendant la troisième année de la présence du Prophète dans cette ville et que cette tentative conduisit à la bataille d'Uhud (dont nous reparlerons en détail au prochain chapitre), Mukhayrîq dit à ses coreligionnaires : « Mes frères juifs, vous savez certainement qu'il est de notre devoir de soutenir Muhammad. »

Ils répondirent que c'était le Sabbat et qu'ils ne pouvaient rien faire. Il répliqua qu'il n'y avait pas de Sabbat. Il prit son armure et partit rejoindre le Prophète à Uhud. Avant de partir, il fit un testament selon lequel, s'il était tué, tous ses biens reviendraient au Prophète pour en disposer à sa guise. Lorsque la bataille éclata, il combattit vaillamment et fut tué. Le Prophète reçut la fortune de Mukhayrîq et ce fut sur cet argent qu'il préleva la plupart de ses aumônes.

Un autre récit, encore plus révélateur, concerne Abdullâh ibn Sallâm, un éminent rabbin. Voici son récit :

Lorsque j'entendis parler du Messager de Dieu , je reconnus sa description, son nom et l'époque où nous attendions sa venue. Je ne révélai rien de cela mais je le gardai pour moi jusqu'à ce que le Messager de Dieu arrive à Médine. Quand il arriva à Qubâ' et fit halte chez le clan de Amr ibn Awf, un homme vint nous annoncer son arrivée. J'étais en haut d'un palmier en train de travailler tandis que ma tante paternelle, Khâlida bint al-Hârith, était assise au pied de l'arbre. Quand j'appris l'arrivée du Messager de Dieu, je louai Dieu. Ma tante, m'ayant entendu, s'exclama : « Maudit sois tu ! Par Dieu, si tu avais entendu annoncer l'arrivée de Moïse en personne, tu n'aurais rien dit de plus. »

Je répliquai : « Ma tante, par Dieu, il est le frère de Moïse, il suit la foi de Moïse et il a été envoyé apporter le même message que Moïse. » Elle répondit : « Mon neveu, s'agit-il du prophète dont on nous a annoncé qu'il viendrait à l'approche de l'Heure ? » Je répondis que oui. Elle dit : « C'est cela, alors. » J'allai à la rencontre du Prophète et j'embrassai l'islam. Puis je dis à ma famille d'en faire autant, et tous devinrent musulmans.

Au début, je gardai ma conversion secrète. Puis j'allai trouver le Prophète et je lui dis : « Envoyé de Dieu, les juifs sont toujours prêts à suivre l'erreur. Je voudrais que tu me caches dans une pièce de tes appartements et que tu les questionnes à mon sujet sans qu'ils sachent que je suis là, afin que tu saches quelle est ma position parmi eux avant qu'ils n'apprennent ma conversion à l'islam. S'ils l'apprenaient d'abord, ils m'insulteraient et diraient du mal de moi. » Le Prophète me permit de me cacher dans une pièce. Ils vinrent le voir pour lui poser des questions. Il leur demanda alors : « Quelle est votre opinion d'al-Husayn ibn Sallâm [le vrai nom de l'homme] ? » Ils répondirent : « Il est notre maître, et son père aussi était notre maître. C'est un rabbin d'une grande érudition. »

Lorsqu'ils eurent dit cela, je sortis et je leur dis : « Mes frères juifs, craignez Dieu et acceptez ce que vous dit Muhammad. Par Dieu, vous savez certainement qu'il est le Messager de Dieu mentionné par son nom et ses qualités dans votre Thora. Quant à moi, j'atteste qu'il est le Messager de Dieu : je crois en lui et je sais qu'il est un prophète. » Ils répondirent : « Tu mens », et commencèrent à m'insulter. Je me tournai vers le Prophète et lui dis : « Messager de Dieu, ne t'ai-je pas dit qu'ils suivent l'erreur et sont des gens déloyaux qui n'hésitent pas à mentir ? Je déclare que moi-même et ma famille suivons la religion de l'islam. » Ma tante paternelle, Khâlida bint al-Hârith, se convertit également et devint une bonne musulmane.

Ce dernier récit est celui d'un rabbin honnête avec lui-même. Une fois certain que Muhammad était le Prophète que Dieu avait promis d'envoyer à l'humanité, il ne pouvait pas s'opposer à lui. Il fallait qu'il tire les conséquences de cette certitude. Cependant, la majorité de ses coreligionnaires n'était pas prête à en faire autant. Ils préféraient s'opposer au Prophète, sachant pourtant qu'ils encouraient ainsi la colère divine. Plusieurs autres incidents similaires confirment cette hostilité.

Le premier est relaté par Safiyya bint Huyay, qui allait plus tard épouser le Prophète. Son père était un rabbin très haut placé, connaissant parfaitement les Écritures juives. Voici son récit :

J'étais l'enfant préférée de mon père, et j'étais aussi la préférée de mon oncle, Abu Yâsir. Ils ne me voyaient jamais en compagnie d'un de leurs autres enfants sans me prendre dans les bras plutôt que l'autre enfant. Lorsque le Messager de Dieu arriva à Médine et séjourna à Quba, mon père, Huyay ibn Akhrab et mon oncle, Abu Yâsir, allèrent le voir avant le lever du soleil. Ils ne rentrèrent qu'au coucher du soleil. Ils étaient si fatigués à leur retour qu'ils semblaient sur le point de s'écrouler en marchant. J'allai à leur rencontre avec un sourire rayonnant, mais aucun des deux ne me remarqua : ils étaient de toute évidence démoralisés. J'entendis mon oncle, Abu Yâsir, dire à Huyay, mon père : « Est-ce vraiment lui ? » Mon père répondit : « Oui, certes. Par Dieu, c'est bien lui. » Mon oncle dit encore : « Tu l'as parfaitement reconnu ? » Mon père acquiesça encore. Mon oncle demanda alors : « Que vas-tu faire ? » Mon père répondit : « Par Dieu, je serai son ennemi aussi longtemps que je vivrai. »

Ces deux derniers événements illustrent bien le fait que certains juifs de Médine décidèrent sciemment de s'opposer au Prophète , tout en sachant qu'il était le Messager de Dieu et le dernier Prophète envoyé à l'humanité. C'est bien là la pire forme d'opposition, car elle émane d'un choix fait en dépit de l'admission claire qu'une telle opposition va à l'encontre de la vérité. Ceux qui choisissent cette opposition seront donc toujours endurcis par cette connaissance, car ils sont conscients que tout fléchissement de leur opposition exposera leur mensonge et révélera combien ils trahissent leur propre foi.

De fait, Huyay ibn Akhtab allait tenir parole et déployer tous ses efforts pour tenter d'étouffer la voix de l'islam. Malgré cela, le Prophète ne désespéra pas de les inviter à être honnêtes avec eux-mêmes et à embrasser l'islam. Il écrivit par exemple une lettre aux juifs de Khaybar, dans le nord de l'Arabie, leur rappelant la grâce de Dieu et soulignant que leur devoir exigeait qu'ils le suivent :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
De la part de Muhammad, le collègue et le frère de Moïse, qui confirme le message révélé par Moïse. Dieu vous a dit, peuple de la Thora, ce que vous trouvez assurément dans vos Écritures : Muhammad est le Messager de Dieu ; et ceux qui sont avec lui sont fermes et inflexibles envers tous les négateurs, mais pleins de miséricorde les uns envers les autres. Vous les voyez s'incliner, se prosterner en prière, recherchant la faveur et l'agrément de Dieu. Les marques de la prosternation sont tracées sur leur front. Telle est l'image qui en est donnée dans la Thora, et dans l'Évangile [ils sont décrits] comme une semence qui germe, se gonfle de sève et grandit pour enfin se dresser sur sa tige, pour le plaisir des semeurs, afin qu'à travers eux il puisse confondre les négateurs.

Dieu a promis à ceux d'entre eux qui croient et font le bien Son pardon et une immense récompense. Je vous appelle, par Dieu, par ce qui vous a été révélé, par la manne et les cailles dont Dieu a nourri vos prédécesseurs, je vous appelle par Celui qui a divisé la mer pour vos prédécesseurs pour les sauver de Pharaon et de sa puissance, à me dire : Trouvez-vous dans vos Écritures qui vous ont été révélées, que vous devez croire en Muhammad ? Si vous ne trouvez pas cela dans vos Écritures, qu'il en soit ainsi. La voie droite est maintenant distincte de l'erreur. Je vous appelle donc à croire en Dieu et Son messager.

Shâs ibn Qays était un vieillard juif sans égal dans sa haine de l'islam. Un jour, il passa auprès d'un groupe de compagnons du Prophète comprenant des membres des deux tribus. Il fut consterné de les voir ensemble. Il comprenait bien que cette amitié n'avait pas d'autre cause que l'islam. Il se dit qu'une telle unité représentait une menace pour la position des tribus juives de Médine. Il appela le jeune homme juif qui se trouvait en leur compagnie et lui suggéra, lorsqu'il les rejoindrait, de leur rappeler la bataille de Buath et d'autres batailles qui avaient opposé les deux tribus, et de réciter des vers composés à ces occasions, où chaque tribu faisait l'éloge de ses combattants et dénigrait ses adversaires.

Le jeune homme fit ce qu'avait dit Shâs. Cela suffit à conduire certains compagnons à dire du bien de cette époque, ce qui réveilla les rancoeurs entre les deux tribus. Cela continua pendant un certain temps, et la bonne entente fit place à la colère. Certains suggérèrent qu'ils se remettent à se battre le jour même pour déterminer lesquels étaient supérieurs.

Le Prophète eut tôt fait d'apprendre cela et arriva en toute hâte, accompagné de certains muhâjirûn. Il fit appel à leur foi : « Musulmans, craignez Dieu. Allez-vous retourner aux querelles de l'ignorance alors que je suis encore parmi vous, et après que Dieu vous a guidés à croire en l'islam et à vous soumettre à Lui ? Oubliez-vous le bienfait de Dieu, qui vous a sauvés de l'ignorance et de l'incroyance et a implanté dans vos coeurs l'affection et l'amitié à la place de l'hostilité ? »

Ils reconnurent immédiatement qu'ils s'étaient laissés induire en erreur par leurs ennemis. En larmes, ils tombèrent dans les bras les uns des autres. Ils suivirent le Prophète , implorant Dieu de leur pardonner.

Bien que le Prophète ait, à son arrivée à Médine, conclu avec les tribus juives un traité selon lequel ces derniers devaient soutenir les musulmans dans leur lutte contre tout ennemi menaçant les musulmans de Médine, il devint bientôt clair qu'elles n'avaient nullement l'intention d'appliquer cette clause. De fait, leur haine de l'islam, qui n'avait pas d'autre cause que le fait que le Prophète n'était pas juif, ne tarda pas à se manifester au grand jour, au point que lorsqu'ils comprirent que les musulmans avaient remporté une victoire éclatante à Badr, ils en furent peinés pour les idolâtres et ne se sentirent plus en sécurité à Médine.

L'un de leurs chefs, Ka'b ibn al-Ashraf, commenta ainsi la victoire du Prophète sur la noblesse d'Arabie : « Ce sont là les plus nobles des Arabes, leurs véritables rois. Si Muhammad les a si durement frappés, la mort vaut mieux que la vie. » Ils montraient donc clairement qu'ils considéraient leur traité de paix avec les musulmans comme caduc. Leurs poètes commencèrent à ridiculiser les musulmans et à dénigrer leur victoire.
Ils se mirent aussi, sans aucune retenue, à dire du mal du Prophète et à le tourner en dérision.

L'hostilité de la tribu des Qaynuqa'

Plusieurs tribus juives vivaient à Médine et aux environs. La tribu des Qaynuqâ' était, parmi toutes, réputée pour son courage. C'était celle qui vivait le plus près des quartiers des Arabes. Ce fut peut-être cette proximité qui conduisit la tribu de Qaynuqâ' à se montrer beaucoup plus hostile que les autres. L'ambiance devint très tendue entre musulmans et juifs. La première provocation ne manquerait pas de déclencher une guerre entre les deux camps. Et cette provocation n'allait pas tarder.

Une femme musulmane se rendit au marché des Qaynuqâ' et s'assit devant la boutique d'un bijoutier. Afin de se moquer d'elle, un juif vint par-derrière, souleva le bas de sa robe et l'accrocha à ses épaules, tandis qu'elle ne se rendait pas compte de ce qu'on lui faisait. Lorsqu'elle se leva, le bas de son corps était découvert et tous les présents se mirent à rire. Elle appela au secours, et un musulman qui passait attaqua le provocateur et le tua. Plusieurs hommes se jetèrent alors sur le musulman et le tuèrent à leur tour. Il s'ensuivit une grande confusion, juifs et musulmans appelant au secours et se rassemblant.

La situation aurait certainement mené à un carnage, mais le Prophète , informé, arriva à la hâte et s'efforça de calmer tout le monde. Le Prophète appela les notables de la tribu de Qaynuqâ' et les mit en garde contre toute rupture de leur traité : « Vous feriez mieux de vous préserver d'une calamité comme celle qui a frappé les Quraysh. Vous ferez bien d'embrasser l'islam, car vous savez que je suis un messager de Dieu. Vous trouvez cela dans votre propre Livre, qui contient la promesse que Dieu vous a faite. »

Cependant, ils n'écoutèrent pas. Leur réponse fut tout sauf conciliante : « Muhammad , crois-tu que nous sommes une proie si facile ? Ne laisse pas l'euphorie t'emporter. Tu as simplement affronté des gens qui ne connaissaient pas la guerre et ses tactiques, ce qui t'a permis de remporter facilement la victoire. Si nous nous battions contre toi, tu t'apercevrais certainement que nous sommes des véritables combattants. »

La situation avait donc radicalement changé. La tribu juive de Qaynuqâ' était passée dans le camp ennemi alors qu'elle était auparavant amie des musulmans. Son hostilité n'était pas passive : ses membres appelaient à l'affrontement dans chacun de leurs actes et de leurs propos. Les musulmans durent donc faire face à la situation avec les moyens appropriés et avec toute la fermeté nécessaire.

Les musulmans n'étaient certainement pas rassurés devant cette probable trahison des juifs de Qaynuqâ' à un moment où l'état de guerre existait encore entre les musulmans et les Quraysh. Le Prophète reçut cette injonction divine : « Et si tu redoutes la trahison d'un peuple, dénonce en toute franchise l'acte qui te lie à lui, car Dieu n'aime point les traîtres. » (8.58)

Il était clair que les juifs de Qaynuqâ' avaient choisi la trahison, rompu leurs engagements et leurs promesses et entrepris une campagne de provocation qui pourrait aboutir à une véritable guerre. Il faut se rappeler ici que le quartier de cette tribu était très proche de ceux occupés par les musulmans, de sorte que les contacts entre les deux groupes étaient constants. Tout cela nécessitait une action décisive de la part du Prophète pour mettre un terme à cette menace.

Le Prophète passa donc à l'action : il déclara caduc le traité entre les deux parties, et annonça aux Qaynuqâ' qu'il se considérait en guerre avec eux. Ces derniers se retranchèrent dans leurs fortifications, que les musulmans assiégèrent. Le siège dura quinze jours, durant lesquels les Qaynuqâ' ne reçurent aucune aide de quiconque. Nous avons évoqué précédemment les alliances existant entre les tribus juives et arabes de Médine. Chaque tribu juive avait des alliances avec plusieurs clans des tribus arabes. C'était naturel dans une société tribale comme celle d'Arabie, et dans une communauté plurielle comme celle de Médine.

Les juifs de Qaynuqâ' espéraient de toute évidence que leurs anciens alliés viendraient à leur secours. Les deux chefs qui étaient liés aux juifs de Qaynuqâ' par des alliances fermes étaient 'Ubâda ibn as-Sâmit et Abdullâh ibn Ubayy. 'Ubâda était maintenant un bon musulman. Il alla trouver le Prophète lorsqu'il comprit que ses alliés avaient trahi leurs engagements et lui dit : « Messager de Dieu, je n'ai d'autre loyauté qu'envers Dieu, Son messager et les croyants. Je renonce à toute alliance avec ces négateurs et je ne leur apporterai aucun soutien. »

Le cas de Abdullâh était totalement différent. Il se prétendait musulman, mais les actes allaient à l'encontre de cette allégation. Il devait par la suite se distinguer comme chef de file des hypocrites. Mu par la crainte de voir son pouvoir à Médine réduit à néant si les juifs de Qaynuqâ', ses alliés, subissaient une sévère défaite, il alla trouver le Prophète et lui dit : « Sois généreux envers mes alliés. »

Le Prophète ne répondit pas et 'Abdullâh répéta ce qu'il avait dit d'un ton rude. Le Prophète se contenta de se détourner. 'Abdullâh mit alors la main dans l'armure du Prophète, qui lui demanda de le lâcher. 'Abdullâh n'écouta pas. Le Prophète se mit en colère et lui dit : « Lâche-moi ! » Abdullâh répliqua : « Je ne te lâcherai pas tant que tu ne te montreras pas généreux envers mes alliés. Ce sont 700 combattants qui me protégeaient contre tous mes ennemis et tu viens les achever en une seule journée. Je suis un homme qui craint les revirements du sort. » Le Prophète répondit alors : « Ils sont à toi. »

Lorsque les juifs de Qaynuqâ' virent que le siège était rude et qu'ils ne recevraient aucun secours des autres tribus juives ni de leurs alliés, ils comprirent que l'affaire était perdue. Envahis par la peur, ils décidèrent de demander au Prophète de les laisser quitter Médine. Il accepta leur offre de quitter la ville et les laissa partir avec leurs femmes et leurs enfants à condition qu'ils laissent derrière eux leurs biens et leurs armes. Il désigna leur ancien allié, 'Ubâda ibn as-Sâmit, pour superviser leur départ : c'était là un geste très généreux de la part du Prophète car 'Ubâda ne manquerait pas de les traiter avec bonté. C'est ainsi que la première tribu juive quitta Médine.

Il est clair qu'en la circonstance, le Prophète adopta une attitude relativement indulgente envers les hypocrites et cette tribu juive. Bien que Abdullâh ibn Ubayy se soit comporté avec autant d'insolence et ait mis le Prophète en colère, ce dernier ne laissa pas la colère dicter ses actes : il permit à Abdullâh de conserver son alliance avec les juifs de Qaynuqâ' et les autorisa à quitter Médine en paix avec leurs femmes et leurs enfants.

Cette attitude modérée ne fit guère d'effet sur Abdullâh, qui demeura hostile à l'islam tout en se proclamant musulman. À diverses reprises, il prit des positions qui nuirent gravement à la cause de l'islam. Certains historiens suggèrent que si le Prophète s'était montré intransigeant avec lui dès le début, il aurait réfléchi à deux fois avant d'adopter à nouveau une posture hostile. Cet argument ne tient toutefois pas compte du fait que Abdullâh disposait d'un fort soutien chez ceux des Arabes de Médine qui considéraient l'islam avec haine et suspicion. Abdullâh était un homme très influent. Avant l'émigration du Prophète à Médine, des préparatifs étaient en cours pour le proclamer roi de Médine. Ce ne fut qu'en raison de l'avènement de l'islam à Médine que cette position lui échappa.

Le principal objectif du Prophète était d'élargir la base de l'islam et de le diffuser de toutes parts. Il considérait qu'une confrontation entre ses partisans et les Arabes de Médine aurait un effet négatif sur la cause de l'islam en dehors de la ville. D'autres tribus arabes y verraient un simple conflit interne entre deux groupes de musulmans : ils ne pouvaient pas savoir que Abdullâh et ses partisans n'étaient pas de vrais musulmans, puisqu'ils s'en donnaient l'apparence. La rumeur se répandrait que Muhammad tuait ses propres adeptes.

Cela ne pourrait que donner aux autres tribus et nations une idée extrêmement fausse de l'islam et de son message. Le mal généré par une telle attitude dépasserait donc de loin les avantages qu'aurait pu apporter une plus grande fermeté envers les hypocrites. En revanche, la confrontation avec la tribu de Qaynuqâ' était inévitable. Les relations n'avaient pas été calmes entre eux et les musulmans au cours des dix-huit mois écoulés depuis l'émigration du Prophète à Médine. Il était clair que cette tribu encourageait les hypocrites à s'opposer à l'islam et tentait de semer la discorde entre les deux principaux groupes de musulmans, les muhâjirûn (qui avaient émigré de La Mecque) et les ansâr (originaires de Médine).

Les juifs de Qaynuqâ' tentèrent même de persuader le Prophète de quitter Médine pour Jérusalem. Ils essayèrent aussi de le mettre dans l'embarras en posant des questions sur tous les aspects de la foi et de la religion, dans l'espoir que ces questions pousseraient certains de ses adeptes à reconsidérer leur attitude envers l'islam. Le Prophète resta cependant ferme face à toutes ces tentatives. Le Coran, dont la révélation se poursuivait, répondait à toutes leurs questions et donnait aux musulmans le dernier mot sur tous les aspects de la foi et de la religion.

Tout cela conduisit néanmoins à une escalade de la tension entre les deux camps. La tribu de Qaynuqâ', qui vivait au milieu des musulmans, fut la première tribu juive à tenter de s'opposer à eux. Il est difficile de comprendre comment les membres de cette tribu ont pu croire qu'ils pourraient être assez forts pour affronter les musulmans, d'autant plus que ces derniers venaient de remporter une victoire éclatante contre les Quraysh. Leur moral était donc excellent : ils étaient certains du soutien de Dieu et convaincus que Lui Seul leur avait accordé la victoire à Badr. Ils étaient conscients que s'ils étaient sincères dans leur soumission à Dieu, Il les soutiendrait dans toute confrontation.

Les dirigeants de Qaynuqâ' avaient probablement pensé que si les musulmans ne subissaient pas rapidement un coup sévère ou une défaite, ils ne feraient que devenir de plus en plus forts et que bientôt rien ne pourrait plus les arrêter. Ils se sont peut-être dit que c'était dans un affrontement avec les musulmans à ce moment précis que résidait leur meilleure chance d'obtenir la victoire.

Le cas d'un notable Juif

Un personnage important de la tribu juive d'an-Nadîr, Ka'b ibn al-Ashraf, fut tellement accablé par la défaite des Quraysh à Badr qu'il dit que la mort serait préférable à la vie maintenant que les chefs de Quraysh avaient été tués. Peu après la victoire des musulmans à Badr, Ka'b se rendit à La Mecque pour présenter ses condoléances aux Arabes païens et les encourager à se préparer à un autre affrontement où ils pourraient se venger de Muhammad et de ses compagnons.

Lorsqu'il était à La Mecque, il composa des poèmes condamnant les musulmans et particulièrement le Prophète et prenant ouvertement parti pour les idolâtres de Quraysh. Après un long séjour à La Mecque où il déploya tous ses efforts pour persuader les Quraysh de préparer une offensive contre les musulmans, il retourna à Médine où il commença, pour ainsi dire, à assener des coups bas aux musulmans.

Il rédigea des poèmes d'amour obscènes mentionnant des femmes musulmanes. C'était là une grave offense pour les musulmans, très attachés à leur honneur. Cela avait aussi pour but de causer des problèmes conjugaux dans certains foyers musulmans. L'homme était donc un ennemi déclaré, qui ne cachait pas son hostilité envers le Prophète et les musulmans en général.

Le Prophète se rendit compte qu'il fallait mettre fin aux agissements de Ka'b ibn al-Ashraf. Il dit donc à quelques-uns de ses compagnons : « Qui nous débarrassera de Ka'b ibn al-Ashraf, qui nous a déclaré si ouvertement son hostilité ? » Un homme des ansâr du nom de Muhammad ibn Maslama dit : « Je me porte volontaire, je le tuerai. » Cet homme demanda au Prophète, qui la lui accorda, la permission de faire semblant d'être opposé au Prophète avec ses amis.

Un groupe des ansâr, comprenant Muhammad ibn Maslama et Silkân ibn Salâma, alla trouver Ka'b. Silkân était le frère de lait de Ka'b, ayant eu la même nourrice. Ce facteur incitait donc à la confiance, et c'est pourquoi Silkân fut le premier à approcher Ka'b. Ils bavardèrent un moment et chacun récita à l'autre ses poèmes, dans une ambiance amicale. Ensuite, Silkân dit qu'il était venu dans un certain but mais qu'il voulait d'abord que Ka'b lui promette de garder son secret.

Ka'b ayant donné sa parole, Silkân dit : « La venue de cet homme [le Prophète ] et son installation parmi nous ont été pour nous un véritable désastre. Tous les Arabes sont maintenant contre nous et se sont unis dans leur hostilité envers nous. Nous sommes pratiquement en état de siège ; nos enfants souffrent ; nous endurons de graves difficultés et nous ne pouvons pas subvenir correctement aux besoins de nos enfants. »

Ka'b répondit : « Je suis Ibn al-Ashraf ! Je t'avais bien dit maintes fois que tu te trouverais dans cette situation. » Silkân dit alors : « Je suis venu t'acheter de la nourriture, et nous te donnerons un gage en garantie de notre dette. » Ka'b demanda s'ils seraient prêts à donner leurs femmes en gage. Silkân objecta qu'il était connu à Médine pour son penchant pour les femmes, et qu'il leur était impossible de lui confier les leurs. Ka'b leur proposa alors de lui donner leurs enfants en gage. Silkân répondit : « Tu veux nous couvrir de honte devant les Arabes. Je te dis que j'ai des amis qui partagent mon opinion. J'aimerais que tu les rencontres et que tu leur vendes ce dont ils ont besoin. Nous ferons tous une bonne affaire. Nous te donnerons assez de nos armes pour garantir le prix de la nourriture que tu nous vendras. »

Le but de Silkân était qu'Ibn al-Ashrâf ne s'étonne pas et n'éprouve pas de soupçons en les voyant arriver avec leurs armes. Ka'b répondit : « Vos armes seront un gage acceptable. » Silkân retourna auprès de ses compagnons et leur dit de se préparer. Ils se retrouvèrent chez le Prophète , puis ils se mirent en route, le Prophète les accompagnant une partie du chemin. Avant qu'ils ne se séparent, il bénit leur mission et implora Dieu de les aider.

Lorsqu'ils arrivèrent au fort de Ka'b, Silkân l'appela pour qu'il descende. Apparemment, Ka'b s'était marié récemment, mais il sauta de son lit pour répondre. Son épouse s'écarta tout en lui disant : « Tu es en guerre, et lorsqu'on est en guerre, on ne sort pas de son fort à une heure aussi avancée de la nuit. » Ka'b répondit : « C'est Silkân, Abu Na'ila. S'il m'avait trouvé endormi, il ne m'aurait pas réveillé. » Elle insista : « J'entends la trahison dans sa voix. » Ka'b dit : « L'homme [c'est-à-dire lui-même] répondrait même si on l'appelait pour le poignarder. »

Il descendit et ils parlèrent un moment, puis ses visiteurs lui proposèrent de marcher avec eux jusqu'à Shi'b al-Ajûz, un endroit à la sortie de Médine, où ils passeraient quelques heures ensemble. Il accepta et ils partirent ensemble. Au bout d'un moment, Silkân passa la main sur les cheveux de Ka'b et dit : « Je n'ai jamais senti un parfum aussi agréable. » Il répéta ce geste à deux reprises durant le trajet, afin que Ka'b ne se doute de rien. Quand ils se furent suffisamment éloignés, Silkân saisit soudain Ka'b par la tête et cria à ses amis : « Tuez l'ennemi de Dieu ! » Ils le frappèrent de leurs sabres, mais il semble qu'il portait son armure et que les sabres ne le blessèrent pas.

Ka'b poussa un tel cri que tous les forts des alentours s'allumèrent : il n'y avait plus un instant à perdre. Cependant, Muhammad ibn Maslama avait un couteau, dont il frappa Ka'b à l'abdomen. Ka'b s'écroula. S'étant assurés qu'il était mortellement atteint, ils se mirent à courir. Ils se rendirent compte alors qu'un des leurs, al Hârith ibn Aws, était blessé et ne pouvait pas courir aussi vite qu'eux. Ils l'attendirent après s'être mis à l'abri ; lorsqu'il les rejoignit, ils le portèrent et se rendirent directement chez le Prophète . La nuit était très avancée lorsqu'ils arrivèrent, et le Prophète était en prière. Quand il eut terminé, il sortit les rejoindre et ils l'informèrent du succès de leur mission.

Il essuya la blessure d'al-Hârith avec sa salive, et le sang cessa de couler. Puis chacun rentra chez soi et y resta jusqu'au matin. L'incident effraya les juifs, qui se rendaient compte désormais que les musulmans ne toléreraient l'hostilité de personne. De nombreux orientalistes ont condamné ce qu'ils ont appelé « l'assassinat politique » de Ka'b ibn al-Ashraf. Les plus hostiles à l'islam s'en servent pour dénigrer l'islam et le Prophète lui-même. Les plus modérés se contentent de dire que cet acte entacha l'histoire généralement brillante du Prophète. Il convient cependant de considérer cet incident dans sa juste perspective.

Tous les récits historiques confirment qu'à son arrivée à Médine, le Prophète conclut un traité avec les juifs, stipulant qu'ils vivraient en paix avec les musulmans et qu'aucune des deux parties n'interviendrait dans les affaires ou la religion de l'autre. Le traité précisait également que les juifs ne soutiendraient jamais un ennemi qui attaquerait Yathrib ou combattrait ses habitants.

Le traité comportait aussi les clauses suivantes :

Celui qui fait du tort à un autre n'entraînera de punition que pour lui-même et sa famille. Les parties du présent accord se soutiendront mutuellement contre tout tiers qui leur ferait la guerre, se conseilleront mutuellement et n'approuveront que les bonnes actions et non pas les mauvaises. Le soutien ira à l'opprimé. Aucune protection ne sera accordée à aucun membre de Quraysh ni à aucun de leurs partisans. Cet accord ne préserve pas de la punition quiconque est coupable d'injustice ou de crime. Quiconque quittera Médine sera en sécurité, et quiconque y restera sera en sécurité, sauf s'il est coupable de transgression.

Il est clair que le traité aurait pu permettre une coexistence pacifique. Ses clauses étaient précises et contraignantes. Si chaque partie avait fidèlement respecté ce traité, ils auraient pu vivre en paix, sans que le moindre incident ne vienne troubler cette coexistence. Il faut noter ici que le traité prévoyait un soutien mutuel contre tout ennemi, mais mentionnait les Quraysh en particulier puisqu'ils étaient l'ennemi immédiat des musulmans. Il déclarait aussi que tout individu qui commettrait une transgression en porterait la responsabilité.

On peut légitimement se demander pourquoi Ka'b ibn al-Ashraf était allé chez les Quraysh, les ennemis jurés de l'islam, pour pleurer leurs morts et encourager leurs chefs à entreprendre une nouvelle campagne pour se venger des musulmans. Des récits authentiques suggèrent qu'il resta à La Mecque jusqu'à ce qu'il soit certain qu'une décision irréversible d'attaquer les musulmans avait été prise.

Certains récits ajoutent même qu'il avait contracté une alliance avec les Quraysh pour combattre les musulmans à leurs côtés. En outre, pourquoi avait-il rédigé ces poèmes obscènes au sujet de femmes musulmanes, alors qu'il savait que rien ne pouvait offenser plus gravement les musulmans ? Toutes ces actions de Ka'b ibn al-Ashraf l'avaient engagé dans une guerre contre les musulmans. C'était lui-même qui avait décidé d'adopter une telle attitude. Même son épouse, lorsqu'elle avait tenté de le persuader de ne pas répondre à l'appel de Silkân, avait avancé comme argument ce qu'elle savait être un fait établi : qu'il était un ennemi en guerre ouverte contre les musulmans.

Une délégation juive vint protester auprès du Prophète contre l'assassinat de Ka'b ibn al-Ashraf. Le Prophète expliqua que Ka'b, contrairement à eux, était activement hostile aux musulmans. Il ajouta : « S'il était resté ici en paix, comme d'autres qui partageaient son opinion, il n'aurait pas été tué. » La délégation reconnut que Ka'b avait choisi d'être un ennemi actif et de soutenir le camp hostile à l'islam, et qu'en tant que tel, il s'était exposé à être tué.

Tentative de vengeance

Il n'est pas dans l'ordre des choses qu'une grande puissance, où qu'elle se trouve, accepte facilement un échec sans rien faire pour relever la tête. En pareil cas, les pressions sont énormes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Des voix s'élèvent de toutes parts pour réclamer vengeance, en particulier lorsque l'ennemi qui a porté le coup est, selon les critères habituels, plus faible que le camp qui l'a reçu.

Telle était exactement la situation en Arabie après la défaite des Quraysh à Badr. Les tribus arabes étaient totalement indépendantes, chacune gérant ses propres affaires, contractant ses propres alliances et menant ses propres guerres. Toutefois, les Quraysh étaient indéniablement la principale tribu et c'étaient eux que toutes les autres tribus considéraient comme leurs chefs et leurs guides. L'idée de vengeance était donc dans tous les esprits à La Mecque où les Quraysh vivaient, bien que rien de précis n'ait été proposé ni envisagé.

La nature de la société arabe de l'époque rendait l'idée de vengeance non seulement souhaitable mais même hautement valorisée. C'était une société où les guerres tribales éclataient pour un oui ou pour un non et où la vengeance d'une défaite, ou même simplement de la mort de quelqu'un, était une priorité pour toutes les tribus. Toute l'Arabie pensait donc que les Quraysh devaient faire quelque chose pour effacer l'humiliation de la défaite de Badr.

Mais les Quraysh étaient en état de choc. Ils étaient accablés par la défaite. Après la mort de nombreux notables, il ne restait personne pour combler le vide du pouvoir. Les Quraysh pleurèrent leurs morts un mois entier. Puis ils cessèrent, non pas parce que les blessures étaient cicatrisées ou que la douleur était moindre, mais parce que quelqu'un suggéra que le Prophète et ses compagnons se réjouiraient de les voir pleurer.

D'autres aspects du deuil se poursuivirent toutelois. Tout le monde chez les Quraysh portait des vêtements de deuil. Les femmes se coupaient les cheveux très courts et désertaient le lit conjugal tandis que les hommes, mélancoliques et mal soignés, vaquaient à leurs occupations en affichant un air sombre. Il fallait que quelque chose se produise pour ramener les Quraysh à la vie.

La tragédie était ressentie le plus durement par Abu Sufyân et sa femme, Hind bint 'Utba ibn Rabî'a. À Badr, Hind avait perdu son père, son frère et son oncle, tandis qu'un autre de ses frères était dans le camp des musulmans. Abu Sufyân était le chef de la caravane que le Prophète et les musulmans avaient tenté d'intercepter, une tentative qui avait été la cause directe de la bataille de Badr. Il aspirait désormais à devenir le chef des Quraysh.

Il voyait que le bon moment était venu pour lui, avec la mort de tant de chefs de Quraysh. Hind fut la première femme de Quraysh à s'exiler du lit conjugal. Elle fit le voeu de ne plus se parfumer avant de s'être vengée. Son époux, quant à lui, fit le voeu de ne pas prendre de bain tant qu'il n'aurait pas obtenu une vengeance apte à relever l'honneur des Quraysh.

Près de deux mois et demi après la bataille de Badr, Abu Sufyân mobilisa une force de deux cents cavaliers et partit en direction de Médine. Ils allèrent tout d'abord chez la tribu juive d'an-Nadir. Ils se rendirent chez le notable juif Huyay ibn Akhtab en quête de renseignements sur le Prophète et ses compagnons, mais Huyay refusa de les recevoir. Ils se tournèrent alors vers Sallâm ibn Mishkam qui leur fit bon accueil, leur offrit à manger et leur dit tout ce qu'il savait au sujet du Prophète et des musulmans.

Le lendemain, avant l'aube, Abu Sufyân et ses hommes se rendirent à un endroit appelé 'Urayd, à quelques kilomètres de Médine, où ils tuèrent deux hommes des ansâr et brûlèrent plusieurs maisons. Abu Sufyân, pensant avoir ainsi suffisamment honoré son voeu, repartit rapidement avec ses hommes. Lorsque le Prophète apprit ce qui s'était passé, il rassembla ses compagnons pour poursuivre les agresseurs. À la tête d'une troupe de deux cents hommes des muhâjirûn et des ansâr, il se lança à la poursuite d'Abû Sufyân et de ses hommes.

Quand ceux-ci s'aperçurent qu'ils étaient poursuivis, ils commencèrent à jeter la majeure partie de leurs provisions afin d'améliorer leurs chances de s'échapper. Ces provisions étaient essentiellement constituées d'un aliment appelé sawîq, fait à base de céréales et qui se conservait longtemps. La troupe d'Abû Sufyân, qui avait beaucoup d'avance, parvint à s'échapper. Néanmoins, les musulmans furent heureux de ramasser les abondantes provisions jetées par les Quraysh. C'est pourquoi cette poursuite dans le désert est connue comme « l'expédition du sawîq ».

Un siège économique efficace

Ce raid n'apporta pas grand-chose aux Quraysh. Ils entamèrent donc des préparatifs pour un affrontement majeur, sans qu'aucun plan précis n'ait encore vu le jour. Cependant, au besoin de relever l'honneur des Quraysh s'ajoutait la nécessité d'assurer la sécurité des routes commerciales vers la Syrie, qui étaient constamment menacées par les musulmans de Médine. Ils n'avaient guère d'alternatives, comme l'indiquent ces propos de Safwân ibn Umayya :

« Muhammad et ses compagnons ont ruiné notre commerce, tandis que nous ne savons pas quelles mesures prendre contre eux. Ils menacent sans cesse la zone côtière, dont les habitants sont soit en paix avec eux, soit liés à eux par une alliance. Où allons-nous vivre, et où allons nous rester ? Si nous restons ici, dans notre ville, nous serons contraints à vivre de notre capital qui sera vite consommé. Nous dépendons pour notre survie du commerce avec la Syrie en été et avec le Yémen et l'Abyssinie en hiver. »

Al-Aswad ibn al-Muttalib lui recommanda d'éviter la route côtière et de prendre celle qui menait en Irak en traversant le Najd, car cette région n'était pas fréquentée par les partisans de Muhammad . Il conseilla aussi à Safwân d'employer Furât ibn Hayyân comme guide. Une caravane fut donc équipée avec tous les produits habituellement exportés par les Quraysh et Safwân partit à sa tête en direction de l'Irak.

Cependant, le Prophète avait ses informateurs guettant toutes les directions. Il eut tôt fait d'apprendre le départ de la caravane et l'itinéraire choisi. Il envoya une troupe de cent hommes des muhâjirûn et des ansâr, sous le commandement de Zayd ibn Hâritha, pour intercepter la caravane. Ils la rejoignirent à un point d'eau appelé Qarada, dans le Najd. Lorsque Zayd et ses hommes encerclèrent tout d'un coup la caravane, tous ses membres prirent la fuite à l'exception du guide, qui fut fait prisonnier et ne tarda pas à embrasser l'islam.

Les musulmans prirent possession de la caravane d'une valeur de cent mille dirhams, ce qui était considérable à l'époque. Le Prophète distribua le butin parmi ses compagnons. Le siège économique imposé aux Quraysh par le Prophète et ses compagnons était maintenant très pénible. Les Quraysh ne risquaient pas de tolérer cela longtemps. Il ne s'agissait plus uniquement d'orgueil blessé : pour les Quraysh, la situation était devenue une question de vie ou de mort. S'ils se soumettaient à la suprématie des musulmans, ils perdraient tout prestige et leur cause serait définitivement compromise.

Les préparatifs pour un nouvel affrontement redoublèrent donc. La décision fut unanimement prise par les Quraysh que la caravane conduite par Abu Sufyân, qui avait échappé aux musulmans, serait entièrement utilisée pour les préparatifs de la nouvelle bataille. Pourtant, plusieurs mois passèrent avant que les Quraysh ne parviennent à lever une armée bien équipée pour attaquer les musulmans. Entre-temps, plusieurs affrontements se produisirent entre les musulmans et certaines tribus arabes vivant près de Médine. Le Prophète recourut à l'effet de surprise. Chaque fois qu'il apprenait qu'une tribu ou un groupe de tribus se préparait à attaquer les musulmans, il les prenait par surprise avec une attaque préventive. Ces affrontements n'étaient que des escarmouches et ne pouvaient guère nuire aux musulmans. Ils ne risquaient pas non plus de les empêcher de se concentrer sur la préparation à une attaque que pourraient lancer leurs pires ennemis, les Quraysh.