Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

20,00 €

La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

5,90 €

 

Une pluie de difficultés

 

Bien que la période de boycott, qui dura trois ans, ait représenté de grandes difficultés pour une partie importante de la population mecquoise, elle fut aussi bénéfique à l'islam. D'une part, même si les nouveaux adeptes étaient moins nombreux qu'auparavant, ceux qui rejoignirent les rangs des musulmans durant cette période appartenaient à cette catégorie de personnes qui soutiennent la vérité quelles que puissent en être les conséquences.

D'autre part, la manière dont le boycott prit fin était également à l'avantage de l'islam. Les souffrances des Hachémites poussèrent les plus compatissants des polythéistes à agir en bravant les irréductibles comme Abu Jahl. Les Mecquois ne parlaient donc plus d'une seule voix. En outre, les plus acharnés donnaient une mauvaise image d'eux-mêmes, puisqu'ils s'opposaient à un acte de bonté envers leurs contribules.

Cette période du boycott vit, qui plus est, une relative accalmie du conflit opposant les musulmans aux négateurs. Les contacts étaient rares entre les deux camps. Cela laissa à de nombreux notables de Quraysh le temps de réfléchir à l'islam, le message du Prophète contenu dans le Coran. Le Coran était pour eux quelque chose d'extraordinaire. Son discours était si puissant qu'ils ne pouvaient pas s'en détourner quand ils l'entendaient réciter. Les irréductibles, qui avaient toujours le dessus, s'efforçaient d'empêcher leurs concitoyens d'écouter le Coran, leur recommandant de ne pas l'écouter lorsqu'ils l'entendaient mais d'élever la voix pour en couvrir le son.

Mais le Coran exerçait son attrait même sur les ennemis les plus acharnés de l'islam. Ils savaient que Muhammad passait une partie de la nuit à prier en récitant le Coran. Sous couvert de l'obscurité, plusieurs d'entre eux s'assirent près de sa maison pour écouter ce qu'il récitait à l'intérieur. Chacun était seul et pensait que personne ne saurait ce qu'il avait fait. On peut supposer que leur motivation était soit d'essayer de juger objectivement le message de l'islam, soit de savoir à quoi s'en tenir exactement, soit d'écouter le style magnifique du Coran.

L'aube arrivant, chacun prit le chemin du retour afin que personne ne s'aperçoive de ce qu'il avait fait. Bientôt cependant, Abu Jahl, Abu Sufyân et al-Akhnas se rencontrèrent. Ils n'avaient pas besoin de se demander mutuellement ce qu'ils faisaient là : il ne pouvait y avoir qu'une seule raison à leur présence à cet endroit à une heure pareille. Ils se conseillèrent donc de ne plus revenir ; l'un d'eux dit : « Si vos partisans vous voyaient, cela sèmerait le doute dans leur esprit. »

La nuit suivante tous trois revinrent, et ils se rencontrèrent à nouveau au point du jour. Ils se recommandèrent encore de ne plus se comporter de manière aussi « irresponsable ». Néanmoins, la troisième nuit, ils retournèrent tous les trois écouter le Coran près de la maison du Prophète . Lorsqu'ils se rencontrèrent au petit matin, ils eurent honte d'eux-mêmes. L'un d'eux suggéra qu'ils se jurent solennellement de ne plus revenir : c'est ce qu'ils firent avant de rentrer chez eux.

Plus tard dans la matinée, al-Akhnas ibn Sharîq alla voir Abu Sufyân chez lui. Il lui demanda ce qu'il pensait de ce qu'il avait entendu Muhammad réciter. Abu Sufyân répondit : « J'ai entendu des choses que je sais et que je reconnais comme vraies, mais j'ai aussi entendu d'autres choses dont je ne comprends pas la nature. » Al-Akhnas lui dit qu'il partageait ses sentiments. Il partit ensuite poser la même question à Abu Jahl. La réponse d'Abû Jahl fut totalement différente. Pour une fois, il fut honnête envers lui-même et son interlocuteur et répondit sans détour : « Je vais te dire ce que j'ai entendu ! Nous avons rivalisé pour les honneurs avec le clan de Abd Manâf : ils nourrissaient les pauvres, et nous faisions de même ; ils soutenaient ceux qui en avaient besoin, et nous faisions de même. Alors que nous étions ensemble au même niveau, comme deux chevaux de course galopant côte à côte, ils ont dit que l'un d'eux était un prophète recevant des révélations des cieux ! Quand pourrons-nous parvenir à un tel honneur ? Par Dieu, nous ne croirons jamais en lui. »

Décès de l'oncle protecteur

Peu après, Abu Tâlib, le protecteur du Prophète , tomba malade. Il avait plus de soixante-dix ans, et il était clair que la maladie lui serait fatale. Les chefs de Quraysh discutèrent entre eux de la manière dont la mort d'Abû Tâlib affecterait leurs relations avec son neveu Muhammad, le Prophète de l'islam. Ils se dirent :
« Depuis que Hamza et 'Umar sont devenus musulmans, la force de l'islam n'a cessé d'augmenter. Maintenant, les partisans de Muhammad viennent de tous les clans de Quraysh. Allons trouver Abu Tâlib pour qu'il trouve un accord entre son neveu et nous. Qui nous garantit qu'ils ne tenteront pas de prendre le pouvoir dans notre cité ? »

Une délégation importante, composée des plus éminents d'entre eux comme 'Utba, Shayba, Abu Jahl, Umayya ibn Khalaf et Abu Sufyân, se rendit chez Abu Tâlib pour prendre des nouvelles de sa santé. Ces notables lui dirent ensuite : « Tu sais quelle haute position tu occupes parmi nous et combien nous te respectons. Dans ta situation présente, nous disons honnêtement que nous craignons le pire pour toi. Tu es conscient que les relations sont tendues entre ton neveu et nous. Nous te proposons de l'appeler afin que lui et nous nous engagions à ce que chaque camp vive en paix avec l'autre sans lui chercher querelle. »

En apparence, c'était là une approche des plus innocentes. Les Quraysh semblaient offrir un pacte juste garantissant la liberté aux deux parties. En fait, ils ne voulaient rien d'autre qu'un arrêt complet de la nouvelle prédication. Le Prophète ne devrait plus parler de l'unicité divine, comme le montre clairement le dialogue qui eut lieu entre les deux parties.

Abu Tâlib appela le Prophète et lui dit : « Voici les chefs de notre peuple. Ils ont demandé à te voir pour un engagement mutuel. » S'adressant à la délégation, le Prophète dit alors : « Je ne vous demande qu'une parole. Si vous me l'accordez, votre autorité sur tous les Arabes en sera renforcée. Les non-Arabes aussi se soumettront à vous. »

Pensant voir là un changement d'attitude de la part du Prophète , Abu Jahl dit : « Oui, certes. Nous t'accordons cette parole, et dix autres pareilles. Que nous demandes-tu ? » Abu Jahl offrait-il là un chèque en blanc au Prophète ? C'était ce qu'il semblait, mais Abu Jahl n'était pas homme à faire des compromis. Le Messager de Dieu formula clairement sa requête : « Vous déclarez que vous croyez en l'unicité de Dieu et vous renoncez à adorer toute autre divinité que Lui. »

Il ne voulait rien pour lui-même : ni la richesse, ni le rang, ni les honneurs, ni le commandement. Il voulait tout pour son message. Il exigeait qu'ils abandonnent toutes leurs idoles, qu'elles soient en pierre ou en chair et en os. Les délégués de Quraysh comprirent clairement ce que Muhammad voulait d'eux : ils frappèrent des mains pour exprimer leur désapprobation. L'un d'eux dit : « Toi, Muhammad, tu voudrais avoir un seul Dieu à la place de toutes ces divinités ? Voilà qui est bien étrange ! »

Reconnaissant l'impossibilité de parvenir à un compromis, les délégués repartirent déçus. Après leur départ, Abu Tâlib dit au Prophète : « Mon neveu, je ne pense pas que tu leur aies demandé trop. » Encouragé par cette remarque, le Prophète dit : « Alors toi, mon oncle, prononce cette parole. Elle te sera utile le Jour du Jugement. » Abu Tâlib répondit : « Si je ne craignais pas que toi et ton clan soyez insultés quand je ne serai plus là, et si je ne craignais pas que les Quraysh pensent que je l'ai prononcée parce que j'avais peur de la mort, je l'aurais certainement prononcée pour te faire plaisir. »

Le Prophète fut très affecté par la perte de son oncle. Abu Tâlib était l'homme qui avait élevé Muhammad, l'orphelin de huit ans qui avait déjà perdu ses deux parents et son grand-père. Il l'avait pris dans sa famille et traité comme son propre enfant, la pitié le poussant sans doute à lui témoigner encore plus de bonté. Lorsque Muhammad avait grandi, Abu Tâlib avait reconnu les immenses qualités de son neveu, alliant la force de caractère aux plus hautes valeurs morales et aux meilleures manières. De plus, Abu Tâlib avait protégé Muhammad, le Prophète de l'islam, lorsqu'il en avait besoin. Sa perte était donc très grave pour le Prophète. Après la mort d'Abû Tâlib, les irresponsables de Quraysh commencèrent à outrager le Prophète par la parole et l'action.

Décès de Khadija

Peut-être cinq semaines à peine après la mort d'Abû Tâlib, le Prophète subit une autre immense perte : sa chère femme Khadîja mourut elle aussi. Les récits ne permettent pas de déterminer avec certitude lequel des deux mourut en premier, mais les deux morts furent très rapprochées. Khadîja avait été pour Muhammad une épouse tendre et affectueuse, profondément attachée à son époux et à sa mission. Il trouvait auprès d'elle tout le réconfort qu'un homme peut espérer d'une épouse compréhensive. Elle partageait ses sentiments et ses inquiétudes.

Consciente de sa valeur, elle lui avait proposé le mariage. Dès le début de sa mission, elle avait été la première à croire en lui. Elle avait toujours été son principal soutien. Confronté aux pires problèmes à l'extérieur, il ne manquait jamais de trouver le réconfort chez lui. Sa disparition signifiait qu'il ne trouverait plus la compassion avec laquelle elle le réconfortait après les nombreuses déceptions qu'il subissait de la part des Quraysh.

Autrement dit, le Prophète avait, en très peu de temps, perdu à la fois le soutien dont il bénéficiait à l'extérieur et à l'intérieur. Il était maintenant plus vulnérable aux attaques des Quraysh. Plus tard, en se remémorant cette période, le Prophète devait dire : « Les Quraysh ne purent pas me faire beaucoup de mal avant la mort d'Abû Tâlib. »

Abu Tâlib parti, le Prophète dut subir de plus en plus la persécution des Quraysh. Un jour, un sot arrêta le Prophète et lui jeta de la poussière à la tête. Certains notables de Quraysh se montrèrent ravis de voir le Prophète humilié publiquement. Il rentra chez lui la tête pleine de poussière. L'une de ses filles, en larmes, s'avança pour lui nettoyer la tête. Il la réconforta en disant : « Ne pleure pas, petite fille, Dieu protégera ton père. » Dans un hadîth authentique, Muslim rapporte d'après Abdullâh ibn Mas ud :

Un jour, le Messager de Dieu priait à la Ka'ba, tandis qu'Abû Jahl était assis non loin de là avec quelques amis. Des chameaux avaient été tués la veille. Abu Jahl fit à ses amis une suggestion démoniaque : « Lequel d'entre vous serait prêt à prendre les entrailles du chameau tué hier et à les mettre sur le dos de Muhammad quand il se prosternera ? » L'un d'eux le fit, tandis que les autres riaient. J'étais présent, impuissant même à ôter les saletés du dos du Prophète. Le Prophète resta prosterné, incapable de relever la tête, jusqu'à ce que quelqu'un aille avertir sa fille, Fâtima, qui était toute jeune : elle vint les ôter de son dos. Elle s'approcha de ces hommes de Quraysh et les insulta. Lorsque le Prophète eut terminé sa prière, il leva la tête vers le ciel et prononça une invocation : « Seigneur, je T'implore contre les Quraysh. » Il la répéta trois fois. Lorsque les hommes l'entendirent, ils cessèrent de rire et eurent peur. Il dit ensuite : « Seigneur, je T'implore contre Abu Jahl ibn Hishâm, 'Utba ibn Rabî'a, Shayba ibn Rabî'a, al-Walîd ibn 'Utba, 'Umayya ibn Khalaf, 'Uqba ibn Abî Mu'ayt. » - et il mentionna un septième nom qui m'échappe. Par Dieu, qui a envoyé Muhammad avec le message de vérité, j'ai vu tous ces hommes tués à Badr. Ils ont été enterrés dans le puits qui a servi de fosse commune aux négateurs tués à Badr.

Certains voisins du Prophète étaient tentés de lui faire tout le mal possible. Quand sa famille voulait lui faire cuire un repas, ils mettaient des excréments d'animaux dans sa marmite. Le Prophète les enlevait avec un bâton et, se tenant sur le pas de sa porte, interpellait son clan : « Vous, les descendants de Abd Manâf ! Est-ce ainsi que vous traitez votre voisin ? » Puis il jetait la saleté.

La situation n'allait qu'empirer, car il semble qu'avec la mort d'Abû Tâlib, la résolution des Hachémites à protéger le Prophète s'était considérablement affaiblie. Le souvenir des souffrances subies lors du boycott infligé par les Quraysh étant encore frais, et Abu Lahab, l'oncle du Prophète, s'étant joint à l'opposition acharnée du reste de Quraysh, les Hachémites étaient conscients du lourd tribut que leur soutien à Muhammad leur faisait payer.

Comme les autres clans de Quraysh, la majorité des Hachémites restait attachée à leurs croyances païennes. Il n'est donc pas étonnant que beaucoup aient décidé de limiter les pertes et de retirer le soutien qu'ils avaient précédemment accordé à Muhammad par loyauté tribale.

Tâ'if, le voyage éprouvant

Dans ces nouvelles circonstances, le Prophète devait tenter d'obtenir de nouveaux soutiens. Après avoir mûrement réfléchi, il partit à pied pour Tâ'if, une ville de montagne à environ cent dix kilomètres de La Mecque. Il n'était accompagné pour ce voyage que de son fidèle serviteur, Zayd ibn Hâritha.

Tâ'if était habitée par les Thaqîf, la seconde tribu d'Arabie du point de vue numérique. Lorsqu'il entreprit son voyage, Muhammad était plein d'espoir. Si les Thaqîf répondaient favorablement à l'appel de l'islam, ce serait le début d'une nouvelle phase plus heureuse de l'histoire du message divin.

À son arrivée à Tâ'if, le Prophète contacta les principaux notables, expliquant son message et les invitant à croire en Dieu er à soutenir ses efforts pour mettre en pratique le mode de vie musulman. Tâ'if était la ville où se trouvait le temple d'al-Lât, la principale idole. Les Thaqîf avaient essayé de conférer à al-Lât un statut particulier et de faire de son temple l'un des plus visités par les Arabes, au même titre que la Ka'ba. Les Thaqîf étaient pleinement conscients de ce que le Prophète prêchait.

L'attitude de leurs chefs vis-à-vis du Prophète était déterminée par des considérations semblables à celles des Quraysh. Pendant dix jours, le Prophète parla à un chef après l'autre : pas un ne lui adressa une parole d'encouragement. La pire réaction vint de trois frères, les fils de Amr ibn 'Umayr. Ces trois frères, Abd Yâlîl, Mas'ud et Habîb, étaient reconnus comme les chefs de Tâ'if. L'un d'entre eux était marié à une femme de Quraysh, et le Prophète espérait que ce lien jouerait en sa faveur.

Au contraire, les trois hommes rejetèrent très brutalement la démarche du Prophète. Le premier dit : « Je déchirerais les draperies de la Ka'ba s'il était vrai que Dieu t'avait choisi comme messager. » Le second dit : « Dieu n'a-t-Il trouvé que toi pour être Son messager ? » Quant au troisième, il dit : « Par Dieu, je ne te parlerai jamais. S'il est vrai que tu es le Messager de Dieu, tu es trop grand pour que je te parle. Si, au contraire, tu mens, tu ne mérites pas que je te réponde. »

Craignant que la nouvelle de son rejet ne fasse qu'aggraver l'hostilité des Quraysh envers l'islam, le Prophète demanda aux notables de Thaqîf de ne pas parler de sa démarche. Ils refusèrent même cela. Au lieu de cela, ils lancèrent après lui une foule de jeunes gens et de serviteurs qui le pourchassèrent et lui jetèrent des pierres. Bientôt, ses pieds saignaient et il était en piteux état. Zayd faisait de son mieux pour le défendre et le protéger des pierres.

Puis le Prophète se réfugia dans un verger appartenant à deux frères mecquois. Ceux-ci se trouvaient dans leur verger et virent Muhammad entrer. Ils commencèrent par l'observer discrètement, tandis qu'il ne les voyait pas. Le Prophète s'assit et prononça cette prière vibrante d'émotion :

Je me plains à Toi, Seigneur, de ma faiblesse, de mon manque de soutien et de l'humiliation que je subis. Toi le Clément, le Miséricordieux ! Tu es le Seigneur des faibles, et Tu es mon Seigneur. À qui m'abandonnes-Tu ? À un étranger qui me réserve un accueil hostile ? Ou à un ennemi à qui Tu as donné le dessus sur moi ? Si Tu n'es pas mécontent de moi, peu m'importe ce qui m'arrive. Mais je serais bien plus heureux avec Ta miséricorde. Je me réfugie dans la lumière de Ta Face, par laquelle toute obscurité est dissipée et qui régit cette vie et la vie future, contre le fait de mériter Ta colère ou d'être l'objet de Ton courroux. À Toi je me soumets, espérant Te satisfaire. Il n'est de force et de puissance qu'en Toi.

Les propriétaires du verger n'étaient autres que 'Utba et Shayba, les deux lils de Rabî'a, qui jouissaient d'une haute position chez, les Quraysh. Bien qu'opposés à l'islam et à Muhammad , les deux frères eurent pitié de lui dans son épreuve. Ils appelèrent l'un de leurs esclaves, nommé Addâs, et lui demandèrent d'apporter à Muhammad une grappe de raisin dans un plat. Addâs, un chrétien originaire de la ville irakienne de Ninive, obéit.

En prenant le raisin, le Prophète dit, comme le font les musulmans avant de manger : « Au nom de Dieu ». Surpris, Addâs remarqua : « C'est quelque chose que personne ne dit par ici. » Lorsque Addâs répondit aux questions du Prophète sur sa religion et ses origines, ce dernier observa : « Alors, tu viens du même endroit que le noble prophète Jonas. » Encore plus surpris, Addâs demanda : « Comment as-tu entendu parler de Jonas ? Quand j'ai quitté Ninive, c'est tout juste si dix personnes connaissaient son existence. » Le Prophète répondit : « C'était mon frère. Comme moi, c'était un prophète. »

Alors, Addâs baisa la tête, les mains et les pieds du Prophète, dans un geste d'amour et de respect sincères. Voyant cela, l'un des deux propriétaires du verger dit à son frère : « Cet homme a assurément corrompu ton esclave. » Lorsque Addâs les rejoignit, ils lui demandèrent la raison du respect qu'il avait marqué à Muhammad . Il répondit : « Personne sur terre ne peut être meilleur que lui. Il m'a dit quelque chose que seul un prophète pouvait savoir. » Ils lui dirent : « Fais attention, Addâs. Il pourrait essayer de te convertir alors que ta religion est meilleure que la sienne. »

Leur attitude montre clairement que malgré la bonté qu'ils avaient manifestée au Prophète dans une situation qui avait éveillé leurs nobles sentiments de pitié et de compassion, ils ne voulaient pas que son voyage infructueux lui rapporte ne fût-ce que le moindre profit. Addâs ne suivait pas la religion de ses maîtres. Ces derniers ne pensaient guère de bien du christianisme. Cependant, ils préféraient que leur esclave reste chrétien plutôt que de le voir suivre Muhammad, afin que le camp musulman demeure faible.

Le Prophète se mit alors en route pour La Mecque. Il s'arrêta à Nakhla, non loin de La Mecque. En examinant tous les aspects de sa situation, il se rendait compte que les Quraysh risquaient de l'empêcher de retourner à La Mecque. Ils risquaient même de le tuer ou de le faire enfermer. La seule issue était de rechercher la protection de l'un de leurs notables. La nature de la société tribale arabe était telle que tout individu arrivant dans une ville ou dans une tribu devait bénéficier de l'alliance ou de la protection d'un personnage influent de cette ville ou de cette tribu.

Généralement, ces personnages accordaient leur protection à tous ceux qui la demandaient car ils rehaussaient ainsi leur propre notoriété. Dans le cas du Prophète , toutefois, les deux premiers notables contactés, al-Akhnas ibn Sharîq et Suhayl ibn Amr, refusèrent cette protection. Le troisième, al-Mut'im ibn Adî, l'accorda. Lui-même, ses fils et ses neveux prirent leurs armes et se rendirent dans l'enceinte sacrée. Puis il fit dire au Prophète d'entrer dans la ville. Le Prophète se rendit à la Ka'ba et en fit le tour sept fois, sous la garde de ses protecteurs.

Abu Jahl, dépité d'avoir perdu cette occasion d'en finir avec Muhammad, demanda à al-Mut'im : « Es-tu un partisan ou un protecteur ? » Al-Mut'im confirma qu'il ne faisait que protéger Muhammad. Abu Jahl déclara alors que personne n'interviendrait pour mettre en cause cette protection. Le Prophète rentra donc chez lui sans encombre. Il avait toutefois appris une leçon très importante : il ne devait pas s'aventurer hors de La Mecque avant d'avoir auparavant préparé le terrain afin de garantir le succès de son entreprise et sa propre sécurité.

Ce voyage décevant à Tâ'if affecta profondément le Prophète. Il fut vivement peiné par l'hostilité de certains notables de Tâ'if. Plusieurs années plus tard, son épouse Aïsha demanda au Prophète, après la défaite subie par les musulmans à Uhud, leur seconde grande bataille contre les Quraysh : « As-tu jamais vécu plus dure journée que celle de Uhud ? » Il répondit : « J'ai beaucoup souffert à cause de tes concitoyens. Mais le pire que j'ai enduré, c'était le jour d'al-'Aqaba. Je me suis proposé à Abd Yâlîl ibn Abd Kallâl, mais il a repoussé mon offre. Je l'ai quitté envahi par la peine, et je n'ai retrouvé mes esprits que quand je suis arrivé à Qarn ath-Tha'alib. En levant la tête, j'ai aperçu un nuage au-dessus de moi. J'ai regardé, et j'ai vu Gabriel qui me disait : "Dieu a entendu la réponse que t'ont donnée tes concitoyens, et Il t'a envoyé l'ange des montagnes pour exécuter tes ordres." L'ange des montagnes m'a alors salué : "Dieu a entendu ce que tes concitoyens t'ont répondu, et Il m'a envoyé pour être à ton service. Si tu veux, je ferai s'écrouler les montagnes sur leur tête, et si tu veux, je les ferai avaler par la terre." Je lui répondis : "Non, j'espère que Dieu fera naître de leurs descendants un peuple qui n'adorera que Lui et ne Lui associera aucun partenaire." »

Lorsque le Prophète revint à La Mecque après l'échec de Tâ'if, sa situation était dramatique. Il avait, la même année, perdu sa tendre épouse et l'oncle qui l'avait toujours soutenu. Non seulement sa tentative de compenser cette double perte en obtenant des appuis extérieurs n'avait pas abouti, mais il avait été contraint de rechercher la protection d'al-Mut'im, un notable de Quraysh non musulman.

Muhammad devait maintenant être pleinement conscient qu'il ne pouvait plus compter sur le soutien de son propre clan, les Hachémites.

L'ascension et le voyage nocturne, un soutien inattendu

Un événement hors du commun se produisit alors. Une nuit, tandis que le Prophète dormait chez sa cousine Umm Hâni' bint Abî Tâlib à La Mecque, l'ange Gabriel vint le réveiller et le conduisit par la main jusqu'à la Mosquée Sacrée, où il trouva un animal plus petit qu'une mule mais légèrement plus grand qu'un âne. L'animal possédait quatre pattes mais aussi deux ailes, et flottait facilement en se déplaçant à une vitesse inimaginable. Le Prophète lui-même a décrit son mouvement en disant : « Il mettait son pied le plus loin possible de son flanc ».

Le Prophète et Gabriel voyagèrent ensemble sur l'animal qui portait le nom d'al-Burâq, du mot arabe barq qui signifie l'éclair. En quelques instants, ils atteignirent Jérusalem en Palestine. Là, le Prophète rencontra Abraham, Moïse, Jésus et d'autres nobles prophètes. Il dirigea leur prière. Puis on lui apporta trois coupes, l'une contenant du lait, la seconde du vin et la troisième de l'eau. Il but le lait. Quand il eut fini, Gabriel lui dit : « Ta nation et toi, vous êtes bien guidés. »

Depuis Jérusalem, ils montèrent au Ciel. Le Prophète nous dit que chaque fois qu'ils pénétraient dans l'un des sept Cieux, Gabriel confirmait à l'ange qui le gardait que Muhammad avait déjà reçu sa mission. Dans chacun des Cieux, il rencontra l'un ou l'autre des prophètes qui avaient prêché le message divin à l'humanité. Les récits authentiques de ce voyage très particulier mentionnent les noms d'Adam, Jésus, Jean, Joseph, Moïse et Abraham.

Il vit aussi des exemples des tourments que subiraient certaines catégories de personnes vouées à l'Enfer dans l'au-delà. La description de ces groupes et de leurs tourments est si précise que l'on peut presque les voir ; leur souffrance était si terrible que l'on ferait n'importe quoi pour l'éviter. Le Prophète fut ensuite admis au Paradis et y vit des exemples du bonheur dont jouiraient ceux qui rechercheraient la satisfaction de Dieu et Lui obéiraient.

Le Prophète fut enchanté de ce qu'il vit et exprima le souhait que tous ses adeptes puissent jouir de tels délices. Lorsqu'il était devant Dieu, il fut informé des prières que lui-même et ses adeptes devaient accomplir. Lorsqu'il passa près de Moïse à son retour, celui-ci l'interrogea au sujet des prières. Quand Muhammad l'informa que les musulmans devraient prier cinquante fois par jour, Moïse lui conseilla de retourner implorer Dieu de réduire cette exigence en disant : « Les prières sont une lourde charge, et ta nation est faible. »

Le Prophète suivit ce conseil et Dieu ramena l'obligation à quarante prières par jour. Lorsque le Prophète s'arrêta à nouveau près de Moïse, celui-ci réitéra son conseil. Là encore, le Prophète le suivit. Le même processus se répéta plusieurs fois, jusqu'à ce que le nombre de prières quotidiennes soit réduit à cinq. Moïse, trouvant toujours cela trop difficile, conseilla au Prophète de demander encore une réduction. Cependant, ce dernier n'osa pas retourner une nouvelle fois.

Le Prophète rentra ensuite à La Mecque, dont il n'avait été absent qu'une partie de la nuit. Il arriva peu avant l'aube. Durant ce voyage unique, il avait pu contempler l'étendue de l'univers ainsi que le lien entre notre vie de ce monde et la vie plus vaste et plus grandiose de l'au-delà. Dieu voulait aussi qu'il voie d'autres signes et d'autres symboles destinés à emplir son coeur béni d'une foi inébranlable.

Puisqu'il avait été emmené pour ce voyage unique de la maison de sa cousine Umm Hâni chez qui il passait la nuit, ce fut là qu'il retourna. Les habitants de la maison ne tardèrent pas à se réveiller. Lorsqu'ils eurent accompli leur prière de l'aube, le Prophète parla à Umm Hâni de son voyage. Celle-ci, qui était croyante, ne douta pas de la vérité de ce que le Prophète relatait. Toutefois, comme il s'apprêtait à partir pour la mosquée, elle le retint en disant : « J'ai peur que les gens ne te croient pas si tu leur racontes ce que tu viens de me raconter. » Le Prophète manifesta néanmoins son intention de le leur relater, « même s'ils ne me croient pas ».

Le Prophète était assis à la mosquée, totalement absorbé par ses pensées. Abu Jahl, l'ennemi déclaré de l'islam, le remarqua et vint lui demander : « Du nouveau ? » Le Prophète répondit : « Oui. J'ai été conduit à Jérusalem la nuit dernière. » S'assurant d'avoir bien entendu, Abu Jahl demanda : « À Jérusalem ? » Le Prophète répondit que oui. Comprenant qu'il avait là une occasion de renforcer l'opposition à Muhammad et à son message, Abu Jahl demanda encore : « Si j'appelle les autres, leur répèteras-tu ce que tu viens de me dire ? » Le Prophète répondit sans hésiter : « Oui. »

Ce fut donc Abu Jahl qui fit ce que le Prophète avait l'intention de faire, à savoir réunir les gens afin qu'il les informe de son voyage. Lorsque le Prophète eut terminé son récit, tout le monde exprimait son incrédulité d'une manière ou d'une autre. Les uns frappaient des mains, d'autres mettaient leurs mains sur leur tête, d'autres encore huaient. Quelqu'un demanda des nouvelles de la caravane que les Quraysh avaient envoyée en Syrie. Le Prophète en donna des nouvelles détaillées et précisa quand elle arriverait. Les gens sortirent à l'heure indiquée et eurent la surprise de voir arriver la caravane, exactement telle que le Prophète l'avait décrite.

Pourtant, cela ne parvint pas à atténuer leur opposition au Prophète. Quand le Prophète eut terminé le récit de son voyage, de nombreux négateurs se mirent à parcourir La Mecque pour raconter ce qui leur semblait être l'histoire la plus incroyable qu'on ait jamais entendue. Certains allèrent directement trouver Abu Bakr, le meilleur ami du Prophète, pour lui relater l'affaire et voir quelle serait sa réaction. Abu Bakr commença par les accuser de lui raconter des mensonges. Mais lorsqu'ils insistèrent sur le fait que Muhammad affirmait réellement avoir fait l'aller-retour jusqu'à Jérusalem pendant la nuit, Abu Bakr répondit : « S'il dit vraiment cela, il dit la vérité. »

Devant leur stupéfaction de le voir croire une histoire aussi singulière, Abu Bakr dit : « Qu'est-ce qui est si étonnant ? Je le crois lorsqu'il dit quelque chose de bien plus incompréhensible. Il affirme qu'il reçoit des révélations de Dieu et je le crois. » Abu Bakr se rendit ensuite à la mosquée où les gens étaient encore réunis autour du Prophète , en train d'exprimer leur incrédulité. Il demanda au Prophète s'il avait bien dit qu'il était allé jusqu'à Jérusalem et revenu en une seule nuit. Le Prophète répondant que oui, Abu Bakr dit : «Je te crois ; tu dis toujours la vérité. » Puis il demanda au Prophète de décrire Jérusalem. Tandis qu'il la décrivait, Abu Bakr ne cessa de répéter : « Je te crois ; tu dis toujours la vérité. »

L'attitude d'Abû Bakr plut tellement au Prophète qu'il lui donna le titre de Siddîq, qui désigne un croyant profondément sincère. Abu Bakr était très attaché à ce titre qu'il garda jusqu'à la fin de ses jours.

Suite à cet événement, un petit nombre de personnes renoncèrent à l'islam pout rejoindre les rangs des négateurs. Leur apostasie n'affecta cependant pas le Prophète : il continua à prêcher son message avec la même détermination sans faille.