Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

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La bataille des coalisés

 

Certains indices donnaient à comprendre qu'un nouvel affrontement majeur entre les musulmans et leurs ennemis ne manquerait pas de se produire prochainement. Ainsi, les Quraysh avaient besoin de justifier leur absence au rendez-vous fixé avec les musulmans en organisant une nouvelle attaque contre eux. Cependant, la tribu d'an-Nadîr fut la première à comprendre que les ennemis de l'islam n'auraient une chance de l'éradiquer que s'ils réunissaient leurs forces pour lancer une attaque conjointe susceptible d'anéantir les musulmans.

Un groupe de chefs de la tribu d'an-Nadîr, où figuraient Sallâm ibn Mishkam ibn Abî al-Huqayq, son cousin Kinâna ibn ar-Rabî' ibn Abî al-Huqayq et Huyay ibn Akhtab, ainsi que Hawtha ibn Qays et Abu Ammâr de la tribu juive de Wâ'il, quittèrent Khaybar où les an-Nadir s'étaient installés pour tenter de forger une alliance avec les Quraysh et d'autres ennemis de l'islam.

Ces hommes se rendirent d'abord chez les Quraysh pour leur proposer une alliance dans le seul but d'anéantir les musulmans. Ils leur dirent : « Nous nous battrons à vos côtés jusqu'à ce que nous ayons exterminé Muhammad et ses hommes. » Les Quraysh ne se firent pas prier pour accepter une telle alliance : ils n'avaient rien à y perdre. En outre, elle leur permettrait d'accroître leur puissance de frappe lors des combats.

Il se produisit alors un incident singulier qu'on peut difficilement justifier. Certains chefs de Quraysh avaient quelques hésitations. Peut-être se rendaient-ils compte que lors de leurs précédents affrontements avec le Prophète , ils avaient toujours été les agresseurs. Muhammad et les musulmans s'étaient toujours battus pour défendre leur vie et leur nouvelle religion. Ils ne voulaient pas imposer leur religion par la force, mais seulement être libres de transmettre le message divin aux gens afin qu'ils puissent choisir de l'accepter ou de le rejeter. Peut-être certains des Quraysh doutaient-ils quelque peu de leur religion idolâtre en la comparant à l'islam fondé sur la foi en l'unicité divine.

Les chefs de Quraysh demandèrent donc aux chefs israélites, dont certains étaient rabbins : « Vous, les juifs, êtes détenteurs des anciennes Écritures. Vous connaissez notre différend avec Muhammad. Maintenant, nous voulons vous demander ceci : laquelle des deux religions est la meilleure, la nôtre ou la sienne ? » Sans hésiter, les chefs juifs répondirent aux idolâtres : « Votre religion est assurément meilleure que la sienne et vous êtes plus proches que lui de la vérité. »

Comment peut-on expliquer un tel témoignage ? De toute évidence, le ressentiment, l'amertume et l'hostilité que les Fils d'Israël éprouvaient envers le Prophète et l'islam les avaient aveuglés au point de les pousser à témoigner que les croyances païennes et l'adoration des statues valaient mieux que la foi en Dieu, le Seigneur de l'Univers, le Créateur de toute chose. Ces Israélites agissaient ainsi en totale contradiction avec les fondements mêmes de leur religion monothéiste, partageant avec l'islam la foi en l'unicité divine. Le Coran réprouve fermement leur attitude aux versets 51 et 52 de la sourate 4, intitulée « Les Femmes » :

« N'as-tu pas remarqué que ceux qui ont reçu une partie des Écritures continuent à croire à la sorcellerie et aux idoles, en disant des païens qu'ils sont sur une voie meilleure que celle des croyants ? Voilà ceux que Dieu a maudits ! Et jamais ceux que Dieu a maudits ne trouveront de protecteur ! »

Les Quraysh, quant à eux, étaient ravis de recevoir de telles assurances de la part des chefs juifs et l'alliance fut ainsi conclue sur des bases solides. Les délégués juifs cherchèrent ensuite à étendre leur alliance afin de s'assurer que, dans la bataille à venir, l'équilibre des forces soit totalement défavorable aux musulmans. Ils allèrent trouver la tribu de Ghatafân, une tribu arabe importante composée de plusieurs clans. Ils s'efforcèrent de persuader les Gharafân de se joindre à l'alliance et finirent par y parvenir après leur avoir promis de leur remettre leur récolte de dattes d'une année entière quand ils auraient remporté la victoire sur Muhammad .

Ils parvinrent également à s'assurer le soutien d'autres tribus arabes comme celles de Sulaym, Asad, Ashja' et Fazâra. Quand toutes ces tribus eurent mobilisé leurs forces, elles constituaient une armée de dix mille hommes qui marcha sur Médine sous le commandement d'Abû Sufyân au mois de shawwâl de la cinquième année après l'arrivée du Prophète à Médine (février 627 apr. J.-C).

Plan de défense

Quand le Prophète eut vent de la nouvelle menace à laquelle les musulmans allaient être confrontés, il consulta ses compagnons quant à la meilleure manière d'assurer la défense de Médine contre les assaillants. Conscient que ses compagnons ne pouvaient pas se mesurer à l'immense armée de leurs ennemis, le Prophète ne vit pas d'autre possibilité que d'adopter une attitude défensive. La plupart des récits avancent que ce fut Salmân, le compagnon perse du Prophète, qui proposa de creuser un fossé autour de Médine afin d'empêcher les assaillants d'engager des combats ouverts contre les musulmans.

L'idée était novatrice dans l'histoire des luttes entre tribus arabes. Les Arabes avaient l'habitude de se battre uniquement à découvert. Jamais au cours de leurs précédents combats ils n'avaient eu à construire une tête de pont pour franchir une rivière ou une autre barrière naturelle. Cette fois-ci, au contraire, ils allaient être confrontés à un tel obstacle. La géographie de Médine était parfaitement adaptée à l'exécution de cette idée. Seules les parties nord de la ville étaient vulnérables à une attaque extérieure. Les autres parties bénéficiaient de fortifications naturelles.

À l'Est, une ancienne plaine volcanique appelée Wâqim s'étendait sur une distance considérable, et une plaine volcanique semblable, appelée Wabara, s'étendait vers l'Ouest. Au Sud, des palmeraies densément plantées, s'étendant sur une grande distance, constituaient une barrière naturelle. Au-delà de ces palmeraies, la tribu juive de Qurayza, liée aux musulmans par un traité de paix, vivait dans des demeures fortifiées. Pour compléter les fortifications et les défenses de Médine, il suffisait donc de creuser un fossé assez large et assez profond pour être infranchissable.

Le Prophète et ses compagnons apprécièrent beaucoup l'idée de creuser un fossé et il demanda à ses compagnons de se mettre à l'ouvrage sans tarder. Le Prophète divisa ses trois mille compagnons, qui constituaient la force armée de Médine, en groupes de dix et donna à chaque groupe une quarantaine de mètres à creuser. Tout en travaillant dur, les compagnons du Prophète déclamaient des vers exprimant leur détermination à défendre leur foi. Quand les forces alliées ennemies arrivèrent, le plan de défense des musulmans était entièrement opérationnel.

Le fossé constituait une barrière imprenable entre les deux camps. Le Prophète participait aux travaux au même titre que n'importe quel autre individu de la communauté musulmane. Il travaillait avec une pioche et une pelle et transportait la terre comme chacun de ses compagnons. À un certain moment, il était si fatigué qu'il s'assit pour se reposer en s'appuyant contre un rocher et s'endormit. Ses deux compagnons Abu Bakr et 'Umar, qui étaient à proximité, firent signe aux autres de s'éloigner afin de ne pas déranger le sommeil du Prophète.

Quand celui-ci s'éveilla brusquement, il leur dit cependant : « Pourquoi m'avez-vous laissé dormir ? Vous auriez dû me réveiller. » Le comportement du Prophète motiva les musulmans qui travaillèrent de toutes leurs forces afin d'achever le fossé en un temps record de six jours. Certains récits parlent de dix-sept jours, d'autres vont jusqu'à vingt-quatre jours. Le chiffre inférieur nous semble toutefois être le plus probable étant donné l'urgence de la situation, les troupes ennemies étant déjà en marche lorsque les travaux avaient commencé.

Comme nous l'avons dit précédemment, il existait à Médine un groupe d'hypocrites. Ces gens étaient mécontents de devoir accomplir une tâche aussi ingrate que de creuser un fossé. Ils tentaient toujours de trouver une excuse pour s'absenter de leur poste. Beaucoup venaient pendant quelques instants puis s'éclipsaient. Quand les autres musulmans remarquèrent leur conduite, ils décidèrent de ne jamais quitter leur poste sans avoir d'abord obtenu l'autorisation du Prophète . Chaque fois qu'un croyant avait besoin de s'absenter, même pour une raison urgente, il allait d'abord trouver le Prophète pour lui en demander la permission.

La moindre absence était donc signalée à l'avance. Cette discipline était volontaire et non pas imposée. C'est pourquoi Dieu félicite les musulmans pour leur comportement et réprouve la conduite des hypocrites aux trois derniers versets de la sourate 24, intitulée an-Nûr (La Lumière).

Des signes indicateurs

Plusieurs incidents qui eurent lieu durant la période où le fossé était creusé confirment l'authenticité de la mission prophétique de Muhammad . Comme nous l'avons dit, le Prophète participait aux travaux au même titre que n'importe quel individu de la communauté. En creusant, les musulmans déclamaient des vers en choeur et le Prophète se joignait à eux. Les musulmans étaient très pauvres.

A cette époque, la plupart d'entre eux souffraient de la faim. La dureté de la tâche rendait la faim encore plus pénible. Beaucoup recouraient à des pierres qu'ils s'attachaient sur l'estomac pour oublier leur faim. Le Prophète avait deux pierres sur l'estomac. Tandis qu'il travaillait, l'un de ses compagnons remarqua qu'il devait avoir extrêmement faim. Cet homme, Jâbir ibn Abdullâh, très attristé par ce spectacle, demanda à s'absenter temporairement. Il rentra chez lui et dit à sa femme :

« J'ai vu le Prophète dans un état que je ne peux tolérer. As-tu quelque chose à manger ? » Elle répondit qu'elle avait une petite quantité d'orge et une petite chèvre. Il tua immédiatement la chèvre et la dépeça pour la faire cuire. Sa femme moulut l'orge et commença à faire cuire la chèvre dans une grande marmite. Quand le repas fut presque prêt, Jâbir retourna auprès du Prophète et lui dit : « Messager de Dieu, j'ai à manger chez moi. Veux-tu être mon hôte avec un ou deux de tes compagnons ? » Le Prophète lui demanda alors combien de nourriture il avait, et en entendant la réponse de Jâbir, il dit : « C'est beaucoup. Dis à ta femme de ne pas descendre sa marmite du feu ni sortir son pain du four avant que je n'arrive. »

Puis il appela ses compagnons et les invita au repas de Jâbir. Tous les hommes qui creusaient le fossé, muhâjirûn et ansâr, l'accompagnèrent. Dans le récit qu'il fit de cette histoire, Jâbir dit qu'il fut très embarrassé de voir tout ce monde arriver, car sa petite chèvre et sa petite quantité de pain étaient loin de suffire. Précédant les autres, il alla dire à sa femme : « Le Prophète arrive en amenant avec lui tous les muhâjirûn et les ansâr ! » Elle demanda : « A-t-il demandé combien de nourriture nous avions ? » Comme il répondait par l'affirmative, elle lui dit : « Dieu et Son messager sont mieux informés. » Sa réponse suffit à dissiper l'embarras de Jâbir.

En arrivant chez Jâbir, le Prophète dit à ses compagnons : « Entrez, mais ne vous bousculez pas. » Le Prophète lui-même commença à couper le pain, le disposant sur des plats et y posant la viande. Pendant ce temps, il laissa la marmite sur le feu et la couvrit ainsi que le four, à chaque fois qu'il en prélevait de la nourriture. Il servit ainsi plat après plat à ses compagnons, jusqu'à ce que chacun ait mangé à sa faim. La marmite et le four étaient encore pleins de viande et de pain quand tout le monde eut fini de manger. Le Prophète dit alors à la femme de Jâbir : « Mangez en et envoyez-en à d'autres personnes, car ce que nous avons vécu était presque une famine. » Elle obéit et envoya de grandes quantités de pain et de nourriture pendant le reste de la journée.

D'autres récits rapportent cette histoire. Certains avancent que huit cents personnes participèrent au repas de Jâbir. Si tous les hommes qui travaillaient à creuser le fossé avaient suivi le Prophète chez Jâbir, le nombre était peut-être encore plus élevé. Cela n'est pas étonnant, non pas parce qu'une petite chèvre, ou même une grande, suffisait à nourrir autant de monde, mais parce que Dieu avait béni ce repas et accordé un tel privilège au Prophète à ce moment précis.

Un autre incident semblable eut lieu pendant que le fossé était creusé, confirmant que les musulmans connaissaient une pénurie de nourriture à l'époque où les Quraysh avaient décidé de les attaquer conjointement avec les autres tribus arabes et la tribu juive d'an-Nadîr. Une jeune fille de Bashîr ibn Sa'd a relaté que sa mère, Amra bint Rawâha, lui avait donné une petite quantité de dattes en lui disant d'aller les porter à son père et à son oncle, Abdullâh ibn Rawâha, pour leur repas de midi. En chemin, elle passa près du Prophète qui lui demanda ce qu'elle portait.

Elle répondit : « Des dattes que ma mère envoie à mon père, Bashîr ibn Sa'd, et à mon oncle Abdullâh ibn Rawâha pour leur repas. » Le Prophète lui dit : « Donne-les moi. » Elle les plaça dans les mains du Prophète et remarqua que ses mains n'étaient pas pleines. Le Prophète demanda à ce qu'on étale un linge et il y disposa les dattes. Il demanda à quelqu'un d'inviter tout le monde à venir manger : les dattes ne cessèrent d'augmenter jusqu'à ce que tout le monde ait mangé, et même alors il en restait encore sur le linge.

Un autre incident eut lieu durant cette période : un groupe de compagnons du Prophète se plaignait d'avoir rencontré, dans la partie qu'ils avaient à creuser, un gros rocher qui était trop dur pour leurs pelles et leurs pioches. Ils ne pouvaient en venir à bout. Le Prophète dit : « J'arrive. » Il prit une pioche et en frappa le rocher, qui fut réduit en un tas de poussière très facile à déblayer. Quand le Prophète et ses compagnons eurent fini de creuser le fossé, ils se mirent beaucoup plus en sécurité. Le fossé était trop large et trop profond pour être franchi à cheval. Avec les cailloux et le sable issus du creusement du fossé, on avait formé un parapet qui constituait une barrière supplémentaire entre les musulmans et leurs ennemis.

Les femmes et les enfants étaient à l'abri dans des bâtiments fortifiés. Le Prophète et ses soldats campaient au pied du mont Sil', le dos à la montagne.

Les Quraysh et la coalition de tribus arabes ayant rejoint l'armée des négateurs qui marchait vers Médine avaient un motif bien défini et un objectif précis. Ils voulaient en finir avec Muhammad et ses compagnons et éradiquer complètement l'islam. Huyay ibn Akhab et les autres chefs de la tribu juive d'an-Nadîr qui étaient à l'origine de cette alliance et s'étaient donné beaucoup de mal pour la réaliser et obtenir la mobilisation de la grande armée des tribus coalisées, avaient dit clairement aux chefs des tribus de Quraysh et de Ghatafàn que cette fois il ne fallait pas perdre de vue le but ultime, à savoir l'extermination du Prophète et de ses compagnons.

Les engagements pris par les coalisés indiquent clairement que tous partageaient le même objectif. Lorsque cette grande armée avançait vers Médine, ses chefs envisageaient de déferler sur la ville en ne laissant aux musulmans aucune chance de leur opposer la moindre résistance qui aurait pu permettre à l'islam de survivre, même diminué. Dans le camp adverse, la situation était très différente. En adoptant leur stratégie défensive, ils savaient que la persévérance et l'endurance seraient de première importance pour remporter la victoire. Ils savaient qu'il leur faudrait épuiser la patience de l'ennemi afin de le pousser à commettre des erreurs fatales. Autrement dit, c'était essentiellement une guerre des nerfs qui se préparait.

Les coalisés surpris

Quand les Quraysh et leurs alliés arrivèrent et virent ce que les musulmans avaient fait pour défendre leur ville, ils furent stupéfiés et déconcertés. Ce plan était totalement nouveau pour eux. Ils ne savaient pas comment construire une tête de pont pour franchir le fossé, et même s'ils l'avaient su, cela leur aurait coûté beaucoup de vies humaines. Ils établirent donc leur camp près du fossé, restant dans l'expectative. Des troupes à cheval allaient et venaient nuit et jour devant le fossé, cherchant un point faible par où il pourrait être franchi, guettant une occasion de prendre les musulmans par surprise.

Les musulmans, quant à eux, étaient pleinement conscients que toute défaillance de leur système de défense leur serait fatale. Ils campaient donc tout près du fossé, et dès qu'une troupe, petite ou grande, approchait, elle était contrainte à reculer par une pluie de flèches en provenance du camp musulman. Les musulmans gardaient leurs lignes de défense nuit et jour. Ils étaient aux aguets, attentifs et déterminés. Muhammad ibn Maslama, un compagnon du Prophète , a relaté :

« Nos nuits s'étaient transformées en jours. Les chefs des idolâtres faisaient à tour de rôle des démonstrations de force de l'autre côté du fossé. Nous vîmes Abu Sufyân diriger certaines de ses troupes de l'autre côté du fossé, puis d'autres chefs de troupes prirent sa suite les jours suivants - Khalid ibn al-Walîd, Amr ibn al-As, Hubayra ibn Ubayy, 'Ikrima ibn Abî Jahl et Dirâr ibn al-Khattâb. »

Tout en montrant que les négateurs disposaient de troupes importantes, ces démonstrations de force révélaient aussi que les coalisés n'avaient pas de chef suprême reconnu de tous. C'était là sans doute le principal point faible des ennemis. Les défenseurs de Médine, eux, ne montraient aucun signe de faiblesse. L'inquiétude quant à l'issue de ce face-à-face prolongé était donc compréhensible.

Plusieurs jours s'étant écoulés sans que la situation ne change, un groupe des héros les plus célèbres de Quraysh tentèrent de franchir le fossé. Quelques-uns parvinrent à faire sauter leurs chevaux par-dessus à l'endroit le plus étroit. Un groupe de combattants musulmans, mené par Alî ibn Abî Tâlib, se précipita pour colmater la brèche et repousser les assaillants. Ceux qui avaient traversé le fossé durent reculer ou furent tués.

L'un d'eux, Amr ibn Abd Wadd, était célèbre pour son courage et ses prouesses guerrières. Alî lui dit : « Amr, tu as dit que si un homme de Quraysh t'invitait à accepter l'une de deux alternatives, tu le ferais certainement. » Amr le confirma. Alî lui dit alors : « Alors je t'invite à croire en Dieu et Son messager et à embrasser l'islam. » Amr répondit : « Je n'ai pas de temps pour cela. »

Alî poursuivit : « Alors je te défie en combat singulier. » Amr rétorqua d'un ton condescendant : « Et pourquoi fais-tu cela, mon neveu ? Par Dieu, je ne veux pas te tuer. » Alî répliqua : « Mais moi, je veux te tuer. » Furieux, 'Amr mit pied à terre et fit face à Alî. Les deux hommes s'engagèrent dans un violent combat à l'issue duquel Alî, le plus jeune, tua le héros des idolâtres, dont toute la bravoure n'égalait pas le courage et l'assurance de Alî, le fidèle compagnon du Prophète .

Tout poussait à croire que le siège serait prolongé. Toute personne avisée pouvait se rendre compte que si les lignes musulmanes n'étaient pas franchies à un endroit ou un autre, les défenseurs pourraient survivre ainsi longtemps. Ils étaient dans leur ville et leurs fermes étaient derrière eux. Leur approvisionnement en nourriture ne pouvait pas être bloqué. Leur position n'était certes pas confortable, mais elle n'était nullement désespérée. La position de leurs ennemis était pire. Ils n'avaient quasiment aucune source d'approvisionnement, et devaient donc compter uniquement sur ce qu'ils avaient apporté avec eux.

Ces provisions seraient bientôt épuisées. Ils ne pourraient pas poursuivre leur siège très longtemps. Huyay Ibn Akhtab, le rabbin de la tribu d'an-Nadîr, fut le premier à comprendre qu'une action audacieuse devait être entreprise pour éviter l'enlisement. De tous les principaux ennemis des musulmans, Huyay ibn Akhtab était sans doute le plus déterminé à mener leur entreprise jusqu'à une issue favorable. Cette coalition des forces hostiles à l'islam était son idée. Il savait qu'un échec serait cette fois irrémédiable. Il fallait rompre le statu quo, et, pour cela, il ne pouvait compter que sur lui-même.

Tentation et trahison dans le camp musulman

Au-delà des palmeraies situées à l'arrière de Médine vivaient les Qurayza, la plus importante des tribus juives qui s'étaient installées à Médine longtemps auparavant pour attendre l'avènement du dernier des prophètes. Comme les autres tribus arabes et juives de Médine, les Qurayza étaient liés par un traité de paix conclu avec le Prophète peu après son arrivée à Médine. Jusqu'alors, les Qurayza avaient respecté les termes de l'accord.

Les deux autres tribus juives, celles de Qaynuqâ' et an-Nadir, avaient été expulsées de Médine après avoir violé le traité. Les gens de Qurayza craignaient donc les musulmans plus que tout, et ceux-ci, ne se sentant pas menacés par eux, n'avaient pris aucune précaution particulière à leur encontre. Huyay ibn Akhtab comprenait maintenant que le seul moyen de parvenir à son but d'éradiquer l'islam et d'anéantir Muhammad et ses compagnons serait de persuader les Qurayza de se joindre aux idolâtres arabes et à leurs alliés juifs pour lancer une attaque en tenaille contre la défense musulmane.

Il s'introduisit donc jusqu'à la maison fortifiée de Ka'b ibn Asad, le chef des Qurayza. Par ces temps agités que connaissait Médine, les juifs prenaient toutes les précautions et gardaient fermées leurs demeures fortifiées. Quand Huyay ibn Akhtab frappa à la porte de Ka'b ibn Asad, ce dernier refusa de lui ouvrir. Huyay l'appela et lui demanda d'ouvrir, mais il refusa en disant : « Huyay, tu es un homme de mauvais augure. J'ai un traité avec Muhammad et je compte le respecter. Je n'ai vu de sa part que l'honnêteté et le respect de ses obligations. »

Huyay ne comptait pas se laisser éconduire, et il insista de plus en plus pour que Ka'b lui ouvre sa porte. Celui-ci persistait toutefois dans son refus. En fin de compte, Huyay insulta délibérément Ka'b pour le pousser à le laisser entrer. Il lui dit : « Si tu as verrouillé ta porte, c'est seulement parce que tu ne veux pas partager ton dîner. » La ruse réussit et Ka'b fut contraint de laisser entrer l'ami dont il ne voulait pas.

Une fois assis, Huyay ibn Akhrab dit : « Ka'b, ne vois-tu pas que je suis venu t'apporter la gloire éternelle ? Je t'apporte un océan de bien. » Ka'b demanda : « De quoi s'agit-il ? » Huyay répondit : « Je t'ai amené les Quraysh, avec tous leurs chefs et leurs notables, jusqu'à leur campement de Mujtama' al-Asyâl, le point de convergence des rivières. J'ai aussi amené les Ghatafàn, avec tous leurs chefs et leurs notables, jusqu'à leur campement proche du mont Uhud. Les uns et les autres se sont engagés solennellement à ne pas repartir avant d'avoir anéanti Muhammad et ses partisans. »

Ka'b répondit : « Ce que tu m'as apporté, c'est une honte éternelle. Tu ne m'apportes qu'un nuage qui a déjà produit sa pluie : il peut donner des éclairs et du tonnerre, mais il n'a rien de bon à offrir. Laisse-moi tranquille, Huyay, car je n'ai vu de Muhammad que l'honnêteté et le respect fidèle de notre traité. »

Un homme de Qurayza du nom de Amr ibn Sa'd intervint à son tour. Il rappela à ses contribules le traité qui les liait au Prophète et leur obligation de soutenir Muhammad contre ses ennemis. Puis il ajouta : « Si vous ne voulez pas vous battre aux côtés de Muhammad, laissez-le donc affronter ses ennemis sans intervenir. » Huyay ibn Akhtab ne se laissa pas décourager par cette réponse négative. Il possédait un grand pouvoir de persuasion. Il ne cessa de faire pression sur Ka'b et de s'efforcer de le convaincre, jusqu'à ce qu'il cède à la tentation de se joindre à la coalition hostile au Prophète.

En retour, Huyay lui jura par Dieu que si les Quraysh et les Ghatafàn venaient à partir avant d'avoir pu infliger une défaite à Muhammad, lui-même et les hommes qu'il commandait rejoindraient Ka'b ibn Asad et les Qurayza dans leurs forts et partageraient leur sort, quel qu'il soit. Cela fait, les Qurayza suivirent leur chef Ka'b ibn Asad dans sa révocation unilatérale du traité qui les liait aux musulmans.

Le Prophète ne tarda pas à apprendre la trahison des Qurayza. Il était conscient que si l'armée musulmane apprenait la nouvelle, son moral ne manquerait pas d'en être affecté. Il voulait donc être absolument certain de l'évolution de la situation. Il envoya quatre de ses compagnons, Sa'd ibn Mu'âdh le chef de la tribu des Aws, Sa'd ibn 'Ubâda le chef de celle des Khazraj, Abdullâh ibn Rawâha et Khawât ibn Jubayr, s'assurer de l'attitude des Qurayza. Il leur donna les instructions suivantes : « Si vous vous apercevez que les choses sont bien telles qu'on nous les a relatées, faites-le moi comprendre par une allusion. Essayez de ne pas affecter le moral des musulmans. Si, au contraire, vous vous apercevez que les Qurayza demeurent fidèles au traité qui les lie à nous, annoncez la nouvelle à tout le monde. »

La délégation alla donc rencontrer les Qurayza et les appela à poursuivre leurs relations pacifiques et à confirmer leur alliance avec le Prophète . Au lieu de cela, les Qurayza répondirent par une attitude de défi. Ils dirent : « Vous voulez que nous confirmions l'alliance maintenant que nous avons été affaiblis par l'expulsion des an-Nadîr. Qui est ce Messager de Dieu ? Nous ne le connaissons pas. »

Sa'd ibn 'Ubâda les injuria et ils répondirent sur le même ton. Sa'd ibn Mu'âdh lui dit cependant : « Ce n'est pas pour cela que nous sommes venus. L'affaire est bien plus sérieuse qu'un échange d'insultes avec eux. » Puis il leur dit : « Qurayza, vous savez quelles étaient nos relations dans le passé. Je crains pour vous un sort semblable à celui qu'ont connu les an-Nadîr, ou pire encore. » Ils se mirent alors à l'injurier dans les termes les plus vulgaires et les plus obscènes. Il répondit : « Vous auriez été bien avisés d'employer un autre ton. »

La délégation musulmane quitta les Qurayza et retourna apporter au Prophète la mauvaise nouvelle qu'ils ne reconnaissaient plus le traité de paix qui les liait à lui. En arrivant, Sa'd ibn Mu'âdh et Sa'd ibn 'Ubâda trouvèrent le Prophète avec un groupe de ses compagnons. Se conformant à sa recommandation de l'informer de la trahison des Qurayza par un sous-entendu plutôt que de l'annoncer publiquement, ils mentionnèrent le nom des deux tribus arabes de 'Adal et al-Qâra, faisant ainsi allusion à la trahison commise par ces tribus à ar-Rajî'. Le Prophète ne fut nullement troublé. Il dit au contraire : « Dieu est Grand. Réjouissez-vous, musulmans, car l'issue sera heureuse. »

Les musulmans ne tardèrent pas à comprendre que les Qurayza étaient revenus sur leurs engagements et s'étaient joints à la campagne d'éradication de l'islam. Tous étaient très inquiets quant à l'issue du conflit. Leur principale source d'inquiétude était la facilité avec laquelle les Qurayza pouvaient accéder à Médine. Il leur serait possible d'y faire pénétrer des troupes de Quraysh et de leurs alliés et d'attaquer à leurs côtés la population civile de la cité. Naturellement, tous les hommes musulmans valides et forts se trouvaient avec l'armée et il ne restait dans Médine que les femmes, les enfants et les vieillards.

On ne pouvait plus les laisser seuls sans protection. Mais, si les musulmans devaient diviser leurs forces pour lutter sur les deux fronts, leurs lignes seraient trop réduites pour pouvoir résister à une attaque résolue d'un côté ou de l'autre, et à plus forte raison à une attaque concertée visant de manière prolongée les deux côtés à la fois. L'inquiétude et la crainte étaient donc grandes.

Le Prophète s'efforça de réconforter les musulmans en leur disant de cesser de s'inquiéter et de placer leur confiance en Dieu. Il leur dit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, Dieu vous fournira un moyen de sortir de cette situation difficile. J'espère pouvoir accomplir le circuit de la Ka'ba en parfaite sécurité, et que Dieu me permettra de tenir à la main les clés de la Ka'ba. Dieu détruira assurément les empereurs de Perse et de Byzance, et leurs trésors seront dépensés pour la cause de Dieu. »

Pendant cette période critique, les hypocrites révélèrent leurs véritables sentiments et la faiblesse de leur foi en Dieu et Son Prophète . Ils cherchaient surtout à avoir la vie sauve. Certains allèrent trouver le Prophète pour demander la permission de retourner chez eux, leurs maisons étant exposées à une attaque. Certains firent remarquer que le Prophète leur promettait les trésors des grands empires de Perse et de Byzance « alors que nous ne sommes pas en sécurité même pour aller faire nos besoins ». D'autres disaient que les promesses du Prophète étaient fausses et essayaient de persuader certains musulmans de rentrer chez eux.

Dieu décrit clairement leur attitude dans le récit fait dans le Coran de cette confrontation entre les musulmans et leurs ennemis. Ce récit se trouve dans la sourate 33, intitulée al-Ahzâb (Les Coalisés). Seuls les véritables croyants, le noyau dur de la communauté, restèrent fermes et acceptèrent les promesses de victoire du Prophète.

La pression s'intensifie

Pendant ce temps, Huyay ibn Akhtab était retourné apporter au commandement des Quraysh la nouvelle que les Qurayza allaient se joindre à la coalition. Cela les encouragea tellement qu'ils se mirent à allumer de grands feux tous les soirs pour intimider les musulmans et les affaiblir moralement. Les Qurayza demandèrent dix jours pour se préparer avant de pouvoir se battre. L'une de leurs conditions était que pendant cette période, les Quraysh et leurs alliés augmentent la pression à l'encontre des musulmans afin qu'ils n'essaient pas d'en finir d'abord avec les Qurayza.

Les accrochages s'intensifièrent donc, et des attaques répétées par dessus le fossé ne firent que mettre en évidence que les musulmans étaient le camp le plus faible. Le Prophète chercha le moyen de diviser les rangs de l'ennemi. Il envisagea de persuader les Ghatafàn de se retirer de la coalition. Il envoya un messager à 'Uyayna ibn Hisn de Fazâra et al-Hârirh ibn Awf de Murra, les deux principaux chefs des Ghatafàn, leur proposant le tiers des récoltes de Médine s'ils retiraient leurs troupes. Ils acceptèrent la proposition et le texte de l'accord fut écrit.

Avant de procéder à la signature du pacte devant témoin, le Prophète appela les deux chefs des ansâr, Sa'd ibn Mu'âdh et Sa'd ibn 'Ubâda : il voulait les consulter au sujet du pacte étant donné que les ansâr seraient les plus lésés par son application. Quand il leur eut dit ce qu'il avait proposé aux Ghatafàn, Sa'd ibn Mu'âdh lui demanda : « Est-ce quelque chose que tu souhaites que nous fassions ? Dans ce cas, nous l'accepterons pour toi. Ou est-ce quelque chose que tu as ordonné et que nous devons accepter ? Ou bien est-ce quelque chose que tu fais pour nous ? »

Le Prophète répondit que s'il agissait ainsi, c'était pour eux, en raison de la situation extrêmement difficile où ils se trouvaient maintenant que tous les Arabes et leurs alliés s'étaient unis contre eux. Il ajouta qu'il ne cherchait qu'à diviser l'unité de leurs ennemis. Sa'd ibn Mu'âdh dit alors :

Messager de Dieu, quand nous étions idolâtres comme ces gens et que nous ne connaissions pour toute religion que le culte des idoles, ils n'espéraient pas obtenir un seul fruit de Médine à moins que nous ne leur en fassions cadeau ou que nous ne le leur vendions. Maintenant que Dieu nous a gratifiés de l'islam, nous a guidés et nous a accordé l'honneur et la force de l'avoir parmi nous, nous leur donnerions nos biens de notre propre gré ? Nous n'avons nul besoin de ce pacte. Nous ne leur donnerons rien d'autre que le sabre jusqu'à ce que Dieu décide entre nous.

Le Prophète répondit : « C'est à vous qu'il appartient de choisir. » Sa'd prit alors le feuillet où l'accord avait été écrit et l'effaça. Il dit : « Qu'ils fassent le pire qu'ils pourront. Nous sommes prêts à les affronter. » Aucun accord de paix ne lui donc conclu avec personne, et le siège se poursuivit sans relâche. Les musulmans se trouvaient dans une situation extrêmement difficile. L'armée des arabes païens de Quraysh et des Ghatafân fit monter la pression, occupant sans cesse les musulmans afin de permettre aux Qurayza de se préparer à combattre et d'empêcher les musulmans de lancer une attaque éclair contre les Qurayza visant à rétablir la situation qui existait avant la trahison de ces derniers.

Les Quraysh et leurs alliés étaient tellement satisfaits de l'exploit accompli par Huyay ibn Akhrab lorsqu'il avait persuadé les Qurayza de changer de camp, qu'ils étaient maintenant absolument certains d'obtenir la victoire souhaitée. Les accrochages se faisaient de plus en plus fréquents sur le front de Quraysh. Les chefs de Quraysh se livraient quotidiennement à des démonstrations de force à tour de rôle. Il faut se rappeler qu'à chaque fois que cela se produisait, les musulmans étaient totalement en alerte. Se trouvant dans une position défensive, ils devaient se préserver de toute action que leurs ennemis pourraient entreprendre.

Ils observaient chaque mouvement de l'ennemi et se tenaient prêts à toutes les éventualités. Tandis que ces démonstrations de force retenaient l'attention des musulmans pendant un certain temps, des accrochages de plus en plus intenses représentaient, eux, un danger imminent. Un engagement de ce type eut lieu lorsqu'une troupe de l'armée de Quraysh lança une attaque contre la position où se trouvait le Prophète lui-même. Ses compagnons et lui luttèrent avec acharnement pour la repousser. Les combats, très violents, se poursuivirent toute la journée et tard dans la nuit, au point que ni le Prophète ni aucun de ses compagnons ne put accomplir ce jour-là les prières obligatoires.

Tous manquèrent les trois prières de duhr, 'asr et maghrib. Certains récits suggèrent que l'engagement dura moins longtemps et que le Prophète et ses compagnons ne manquèrent que la prière de 'asr, qu'ils accomplirent en même temps que celle de maghrib. Toutefois, tous les récits concordent à dire que des prières furent manquées et ne purent être accomplies qu'après le coucher du soleil. Lorsque le Prophète et ses compagnons furent prêts à prier, Bilâl fit une seule fois l'appel à la prière (adhân), puis fit une annonce (iqâma) pour chaque prière.

Les Qurayza eux-mêmes participèrent à l'intensification systématique de la pression exercée sur les musulmans. Ils voulaient semble-t-il donner l'impression qu'ils étaient prêts à attaquer les musulmans à tout moment, afin de détourner leur attention et de permettre ainsi aux Quraysh de franchir plus facilement le fossé et de mettre leur plan à exécution. La situation était si critique pour les musulmans que le Prophète ne permettait pas à ses compagnons de retourner à Médine, pour quelque raison que ce fût, sans revêtir toute leur armure. C'était une précaution au cas où les Qurayza tendraient un guet-apens aux soldats musulmans.

Un soir, le Prophète fut informé que les Qurayza s'apprêtaient à lancer une attaque nocturne sur Médine et sa population civile. Ce n'était pas une simple rumeur, et le Prophète devait prendre l'information au sérieux. Il envoya deux troupes de ses compagnons garder Médine cette nuit-là. Une première troupe de deux cents hommes, sous le commandement de Salama ibn Aslam, avait pour tâche de garder un côté de la ville. L'autre troupe était encore plus importante : Zayd ibn Hâritha, à la tête de trois cents hommes, devait surveiller le reste de Médine.

Certains compagnons du Prophète ont décrit la difficulté de leur situation durant cette période en disant que la perspective que leurs femmes et leurs enfants soient attaqués par les Qurayza les inquiétait bien plus que de devoir affronter la force beaucoup plus importante des Quraysh et des Ghatafàn. C'était semble-t-il une période où chaque moment qui passait apportait de nouvelles sources d'inquiétude. Les hommes de Qurayza pouvaient facilement accéder à Médine et il semble qu'ils envoyèrent des hommes effrayer les femmes et les enfants musulmans. L'un de ces hommes fut tué par Safiyya bint 'Abd al-Muttalib, la tante du Prophète, lorsqu'elle le vit s'approcher de façon suspecte des habitations des femmes musulmanes.

Courage et prudence

Il est intéressant de rapporter ici un incident qui illustre bien l'état d'esprit et les sentiments des musulmans durant cette période. Sa'd ibn Mu'âdh, le chef de la tribu des Aws, appartenant aux ansâr, était rentré chez lui pour quelque affaire, bien sûr avec la permission du Prophète . Quand il fut prêt à retourner rejoindre l'armée, il attendit un peu l'un de ses amis, Hamal ibn Sa'dâna, tout en déclamant : « Attendons un peu et Hamal prendra part aux combats. La mort est la bienvenue si le terme fixé est arrivé. » Sa mère, elle, le pressait de partir sans attendre.

Âïsha, l'épouse du Prophète qui a relaté cet incident, était en compagnie de la mère de Sa'd. Elle remarqua, dit-elle, que l'armure de Sa'd ne le couvrait pas aussi bien qu'elle aurait dû le faire, puisqu'elle lui laissait un bras sans aucune protection. Elle dit à sa mère : « J'aimerais que Sa'd ait une meilleure armure. » Elle craignait en effet qu'il ne soit blessé au bras. Lorsque Sa'd rejoignit l'armée ce jour-là, il prit part à l'un des accrochages qui étaient maintenant très fréquents. Il fut atteint au bras par une flèche. Sa blessure était semble-t-il très profonde. Sa'd, qui souhaitait ardemment voir l'islam triompher en Arabie après la défaite de ses ennemis, implora Dieu en ces termes :

« Seigneur, si nous devons à nouveau affronter les Quraysh, préserve-moi pour ce combat. Il n'y a personne que je souhaite autant combattre pour Ta cause, que Ceux qui se sont opposés à Ton Messager, qui l'ont rejeté et qui l'ont chassé de chez lui. Si, par contre, Tu as décidé que ce combat entre nous serait le dernier, je T'implore, Seigneur, de me faire accéder au martyre par cette blessure, mais épargne-moi jusqu'à ce que je voie notre conflit avec les Qurayza se terminer favorablement pour l'islam. »

La prière sincère de Sa'd illustre parfaitement les sentiments des musulmans dans leur situation périlleuse. Ils avaient pourtant fait tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre la cause de l'islam. Ils n'avaient pas faibli, ni laissé l'inquiétude ou la crainte guider leur comportement. Ils continuaient d'obéir au Prophète , confiants que l'issue leur serait favorable tant qu'ils seraient prêts à continuer à faire de leur mieux. Ils avaient appris du Prophète que c'était tout ce que Dieu demandait à quiconque. Quand un groupe de gens fait tout ce qu'il peut pour la cause de Dieu, Dieu répond en lui accordant la victoire comme il Lui plaît.

En continuant à défendre Médine, au cours de ce conflit connu dans les livres d'Histoire comme l'expédition du Fossé ou le conflit avec les Coalisés, les musulmans accompagnant le Prophète purent faire la preuve que leurs objectifs étaient totalement désintéressés. Ils furent assiégés vingt-sept jours durant, entourés de forces hostiles menaçant de les attaquer sur deux fronts dans l'espoir d'anéantir définitivement l'islam. Inquiets pour leur religion, leurs familles et le Prophète, ces musulmans ne pensaient pas à leur propre vie. Leur seule préoccupation était de faire en sorte que l'appel à l'islam continue à se répandre.

Quand ils étaient attaqués, ils luttaient de toutes leurs forces. Aucun ne pensait à sa sécurité personnelle. Leurs femmes et leurs enfants les encourageaient constamment, les poussant à en faire toujours plus. Dans une telle situation, le soutien de Dieu ne fait jamais défaut. On comprend que la victoire ne fut obtenue qu'avec l'aide de Dieu, lorsqu'on se rend compte que les circonstances qui conduisirent à la victoire n'auraient pas pu être réunies à ce moment, à cet endroit et de cette manière, par une simple coïncidence.

C'était l'oeuvre de Dieu. Quand Il voulut que les musulmans récoltent le fruit de leurs efforts, Il fit qu'un homme de la tribu des Ghatafàn aille trouver le Prophète . Cet homme, Nu'aym ibn Mas'ud, était semble-t-il un homme très intelligent et plein de ressources, possédant des liens et des amitiés avec toutes sortes de gens. Il dit au Prophète : « Messager de Dieu, je suis maintenant musulman et mes contribules ne le savent pas. Ordonne-moi ce que tu voudras. » Pleinement conscient que ce dont les musulmans avaient le plus besoin était de diviser les rangs ennemis, le Prophète dit à Nu'aym : « Si tu nous rejoins, nous serons un de plus. Essaie plutôt, si tu le peux, de dissuader les tiens de nous attaquer. La guerre n'est que ruse efficace. »

Nu'aym était la personne qu'il fallait pour diviser les rangs des ennemis de l'islam. Il comptait de nombreux amis parmi les juifs de Qurayza, qui s'apprêtaient à attaquer les musulmans par-derrière. Il alla les trouver et leur dit : « Vous savez que je vous aime sincèrement et que je suis votre ami. » Ils répondirent : « Certes, nous ne doutons pas de ton amitié. » Il poursuivit alors : Les Quraysh et les Ghatafàn ne sont pas dans la même position que vous. Cette ville est la vôtre, vous y vivez avec vos femmes et vos enfants et vous y avez vos biens et vos terres. Les Quraysh et les Ghatafàn sont venus pour attaquer Muhammad et ses compagnons, et vous vous êtes joints à eux.

Mais leurs femmes, leurs enfants et leurs biens sont ailleurs. Cela les place dans une position différente de la vôtre. S'ils ont une occasion à saisir, ils ne manqueront pas de la saisir. Mais si les choses tournent mal pour eux, ils partiront certainement en vous laissant seuls affronter Muhammad chez vous. Si vous devez l'affronter seuls, vous serez dans une position d'infériorité. Je vous conseille de vous préserver de cette éventualité. Vous ne devez pas combattre aux côtés des Quraysh et des Ghatafàn sans garder certains de leurs chefs en otage, pour vous assurer qu'ils combattront avec vous jusqu'à ce que Muhammad soit vaincu.

Les Qurayza reconnurent la validité de l'argument de Nu'aym et le remercièrent pour son conseil. Quittant alors les Qurayza, Nu'aym se rendit directement au camp des Quraysh, où il rencontra le commandant, Abu Sufyân ibn Harb, et les autres chefs. Il leur dit : « Vous savez que je suis votre ami et que je ne suis pas un adepte de Muhammad. J'ai appris quelque chose dont je me sens obligé de vous faire part comme conseil, mais je vous prie de ne dire à personne que c'est moi qui vous en ai informés. »

Ayant obtenu la promesse d'Abû Sufyân, Nu'aym poursuivit : Je voudrais que vous sachiez que les Qurayza ont regretté d'avoir rompu leur traité avec Muhammad. Ils ont envoyé des messagers lui exprimer leurs regrets de ce qu'ils ont fait. Afin de prouver leur bonne volonté, ils lui ont demandé s'il serait satisfait s'ils lui donnaient à tuer un certain nombre de notables de Quraysh et de Ghatafàn. Ils lui ont aussi promis qu'ils étaient prêts à vous combattre à ses côtés jusqu'à ce que vous soyez exterminés. Il a répondu que leur offre était satisfaisante. Alors, si les Qurayza vous demandent de leur envoyer certains de vos hommes pour rester avec eux comme garantie que vous ne les abandonnerez pas, ne leur envoyez personne.

Nu'aym alla ensuite trouver les Ghatafân et dit à leurs chefs : « Vous êtes mes contribules, et je vous aime beaucoup. Je pense que je ne suis pas quelqu'un que vous soupçonneriez de vous vouloir du mal. » Quand ils l'eurent assuré de leur bonne opinion de lui, il leur dit la même chose qu'aux Quraysh et leur recommanda de n'envoyer personne aux Qurayza.

De cette manière, Nu'aym réussit à susciter la méfiance entre les trois principaux groupes de forces hostiles à l'islam. Chaque groupe voulait être absolument sûr des intentions de l'autre. Abu Sufyân et les chefs de Ghatafàn envoyèrent aux Qurayza une délégation dirigée par 'Ikrima ibn Abî Jahl et comprenant des représentants des deux tribus. Il se trouva que la délégation se rendit auprès d'eux le soir du sabbat. Abu Sufyân n'avait pas réfléchi au fait que les Qurayza respectaient très strictement le sabbat. La délégation dit aux Qurayza : « Ce siège nous a causé beaucoup de tort. Nous ne pouvons pas le poursuivre plus longtemps. Nous nommes fatigués, nous devons faire quelque chose. Préparez-vous, et attaquons Muhammad pour en finir avec lui et ses compagnons. »

Les Qurayza répondirent :

Vous savez certainement que c'est aujourd'hui notre jour de sabbat, où nous ne faisons rien. Autrefois, certains d'entre nous ont violé le caractère sacré de ce jour et ont été punis par Dieu, comme vous le savez. À part cela, nous ne pouvons pas combattre Muhammad à vos côtés si vous ne nous donnez pas certains de vos hommes qui resteront avec nous pour que nous soyons absolument certains que vous êtes aussi déterminés que nous à combattre Muhammad jusqu'au bout. Nous craignons que si les combats sont durs et tournent contre vous, vous ne repartiez chez vous en nous laissant affronter seuls cet homme dans notre ville, alors que nous ne sommes pas assez forts pour le combattre à nous seuls.

Quand la délégation rapporta ce message, les Quraysh et les Ghatafàn en conclurent que Nu'aym ibn Mas'ud avait certainement dit vrai. Ils envoyèrent aux Qurayza un message disant qu'ils n'étaient pas prêts à leur envoyer un seul homme. « Si vous voulez combattre, venez combattre. » En recevant ce message, les Qurayza conclurent quant à eux que Nu'aym les avait bien conseillés. Des messages furent échangés de part et d'autre, mais aucun des deux groupes n'était prêt à accepter les conditions de l'autre.

Nu'aym ibn Mas'ûd fut ainsi le moyen par lequel Dieu suscita cette division dans les rangs ennemis. Il n'y avait plus aucun risque que les musulmans soient attaqués sur deux fronts. L'armée assiégeant Médine était dans une situation pire qu'au début des hostilités. Par contre, le siège de vingt-sept jours n'avait pas affaibli les musulmans. En outre, les immenses espoirs que l'ennemi avait nourris lorsque les Qurayza avaient promis de participer activement aux combats étaient maintenant brisés : les forces assiégeantes devaient compter uniquement sur elles-mêmes.

La campagne tourne court

Hudhayfa ibn al-Yamân, un compagnon du Prophète appartenant aux ansâr, se trouvait parmi un groupe de personnes dans la ville de Kufa en Irak, de nombreuses années plus tard, quand quelqu'un de cette ville lui demanda : « Avez vous réellement connu le Messager de Dieu, et vous trouviez-vous vraiment en sa compagnie ? » Hudhayfa ayant répondu que oui, l'homme demanda : « Comment le serviez-vous ? » Hudhayfa répondit : « Nous faisions de notre mieux. » L'homme dit alors : « Si nous avions eu le bonheur d'être ses compagnons, nous ne l'aurions pas laissé marcher. Nous l'aurions porté sur nos épaules. »

Hudhayfa voulut donner à l'homme une idée de ce que c'était réellement que d'être un compagnon du Prophète. Il relata l'incident suivant, qui se produisit la nuit où les Quraysh et les Ghatafàn avaient compris que leur mission se solderait par un échec total :

C'était une nuit où des vents très violents soufflaient sur les forces hostiles à l'islam. La nuit était extrêmement sombre et glacée. Les idolâtres ne pouvaient pas allumer de feu à cause du vent et de la pluie. Ils ne pouvaient pas faire cuire de repas parce que le vent renversait leurs marmites. Leurs tentes commencèrent à s'effondrer et ils craignaient que les musulmans ne les attaquent cette nuit même. Dans cette atmosphère, ils commencèrent à songer au départ.

Dans le camp musulman, le Prophète veilla en prière une partie de la nuit. Puis il se tourna vers ses compagnons et leur demanda : « Qui veut aller voir ce que font nos ennemis et revenir ? J'implorerai Dieu de faire de celui qui se portera volontaire pour cette mission mon compagnon au Paradis. »

Bien que rien ne puisse être plus tentant pour un musulman que d'être admis au Paradis en compagnie du Prophète , les conditions régnant cette nuit-là étaient loin d'être encourageantes. Hudhayfa poursuivit :

Personne ne se porta volontaire, parce que nous avions très peur et très faim en cette nuit glacée. Comme personne ne répondait, le Prophète m'appela. Je n'avais pas d'autre choix que d'y aller. Il me dit : « Hudhayfa, va dans le camp de ces gens pour voir ce qu'ils font. Ne fais rien de ta propre initiative avant de revenir. » Je m'introduisis alors dans leur camp, et je vis le vent et les autres soldats de Dieu semer le désordre dans ce campement. Aucune marmite ne tenait d'aplomb, aucun feu ne restait allumé, rien ne tenait debout. Puis Abu Sufyân s'adressa à ses contribules : « Gens de Quraysh, que chacun s'assure de qui est à côté de lui. »

Je pris la main de l'homme qui était à côté de moi et je lui demandai qui il était. Il me répondit en mentionnant son nom et le nom de son père. Puis Abu Sufyân dit : « Gens de Quraysh, vous comprenez que nous ne pouvons pas rester plus longtemps. Nous avons beaucoup souffert et les juifs de Qurayza n'ont pas tenu leurs promesses envers nous. De fait, nous avons reçu des nouvelles très inquiétantes de leur attitude. Vous voyez ce que nous font ces vents violents. Nous ne pouvons plus rester dans ces conditions, et je vous conseille de faire comme moi et de rentrer chez vous. » Alors, il enfourcha son chameau, qui était attaché à un pieu. Il frappa le chameau qui se détacha en se levant brusquement.

Si le Prophète ne m'avait pas clairement ordonné de ne rien faire de décisif avant de revenir, j'aurais tué Abu Sufyân d'une flèche. Hudhayfa retourna apporter ces nouvelles au Prophète . Il le trouva en prière et s'assit tout près de lui. Tout en poursuivant ses prières, le Prophète attira Hudhayfa contre ses jambes et le recouvrit de son manteau. Ses prières terminées, il écouta le rapport de Hudhayfa. Les Gharafân, l'autre tribu arabe païenne qui avait organisé le siège de Médine, décidèrent eux aussi de partir quand ils apprirent que les Quraysh levaient le camp.

Le matin venu, les musulmans regardèrent autour d'eux et virent que leurs ennemis étaient partis. Toutes leurs troupes avaient disparu. Pour les croyants, c'était là la preuve évidente qu'ils étaient soutenus et protégés par Dieu Lui-même. Leur foi en la véracité de Son message était maintenant bien plus ferme. Il était clair pour eux qu'il leur suffirait de s'acquitter de leur part de l'accord qu'ils avaient conclu avec Dieu, de faire de leur mieux au service de l'islam, et que Dieu ne manquerait pas de s'acquitter de Sa promesse de leur donner toujours le dessus sur leurs ennemis.

Cet affrontement avec les ennemis de l'islam n'était pas une bataille à strictement parler. C'était néanmoins une guerre des nerfs et une grande épreuve. Pour cette raison, les croyants réussirent l'épreuve sans difficulté tandis que les hypocrites échouèrent. L'inquiétude, la crainte et la faiblesse des hypocrites n'étaient égalées que par la persévérance, l'endurance et le courage des croyants, certains que Dieu ne tarderait pas à alléger leurs difficultés. Ayant si bien réussi l'épreuve, ils virent que Dieu, par Sa grâce, les aidait à sortir de leurs difficultés et mettait leurs ennemis en fuite.

Tout cet épisode est évoqué par Dieu Lui-même dans le Coran, dans la sourate intitulée al-Ahzâb ou « Les Coalisés ». Les versets 9 à 27 de la sourate évoquent les différents stades de ce conflit entre les musulmans et leurs ennemis et en tirent des leçons devant permettre à tous les musulmans des générations futures de suivre l'exemple de leurs prédécesseurs dans toute période de grande difficulté. Voici une traduction du verset qui parle de la conclusion de cet affrontement : « ô vous qui croyez ! Souvenez-vous des bienfaits de Dieu à votre égard lorsque, pour vous délivrer des armées qui marchaient contre vous, Nous suscitâmes contre elles un ouragan et des troupes que vous ne pouviez voir. » (33.9)

Quand le Prophète regarda l'endroit, maintenant désert, où les ennemis de l'islam avaient campé, il comprit que les musulmans n'avaient été sauvés que par la grâce de Dieu. Ses compagnons lurent sur son visage son immense espoir et son immense confiance en Dieu. Il les regarda et leur dit : « Maintenant, nous ne serons plus sur la défensive : ils ne nous attaqueront plus. » En toute humilité devant Dieu, le Prophète prononça ces mots que les musulmans répètent toujours, en particulier lors d'occasions heureuses : « Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, qui a accompli Sa promesse, accordé la victoire à Son serviteur et la dignité à Ses soldats, et qui Lui Seul a vaincu les coalisés. Nul n'était avant Lui et nul ne sera après Lui. »