Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

20,00 €

La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

5,90 €

 

Le voyage à Médine

 

Les musulmans de La Mecque commencèrent à partir pour Médine lorsque le Prophète leur annonça qu'ils y seraient les bienvenus. Ils partaient le plus souvent par petits groupes, en pleine nuit, laissant derrière eux leurs maisons et leurs biens. Il était clair pour tout le monde que cette fois la rupture était définitive. On voyait bien depuis quelque temps que la rigidité et l'entêtement l'emportaient désormais chez les Mecquois.

Aucun des chefs n'était prêt à considérer objectivement les vraies questions : aveuglés par leurs intérêts immédiats, ils ne voyaient rien d'autre. Au vu des circonstances, l'exode des musulmans acquiert une dimension particulière. Il s'agissait, chacun le savait, d'une séparation physique des deux camps qui rendrait beaucoup plus facile un déclenchement des hostilités entre eux. Un tel événement était très significatif dans une société tribale comme celle d'Arabie.

L'exode était de fait la déclaration, par les musulmans de La Mecque, qu'un nouveau système d'allégeances avait été institué, où le lien primordial était celui de la foi. Les musulmans de Médine adhéraient pleinement à ce nouveau système et ils le mirent en pratique en recevant leurs frères émigrés à bras ouverts et en partageant avec eux leurs maisons et leurs biens. Chaque musulman arrivant à Médine était immédiatement accueilli dans un foyer fraternel. L'arrivée des nouveaux venus contribuait à créer une atmosphère d'attente joyeuse parmi les musulmans de Médine, qui constituaient désormais une proportion considérable de la population.

A la poursuite des Emigrés

Le départ des musulmans de La Mecque devint bientôt évident pour les chefs de Quraysh, bien que les départs aient le plus souvent eu lieu de nuit, lorsque toute la ville dormait profondément. Un tel exode ne pouvait pas demeurer secret.

Les maisons devenaient inhabitées, des visages familiers disparaissaient. Les chefs de La Mecque ne tardèrent pas à comprendre le danger que représentait cet exode. Ils s'efforcèrent donc d'empêcher les musulmans d'émigrer. Certains musulmans étaient enfermés par leur propre tribu ; d'autres étaient pourchassés dans le désert. Dans un cas au moins, Abu Jahl poursuivit son demi-frère 'Ayyâsh ibn Rabî'a jusqu'à Médine et, par une série de mensonges, réussit à le persuader de revenir avec lui pour voir sa mère. Comme ils approchaient de La Mecque, Abu Jahl et son frère al-Hârith parvinrent à tromper leur demi-frère, à l'attacher et à le traîner jusqu'à La Mecque, où il fut forcé de rester.

L'exemple de Suhayb illustre l'attitude de chaque camp. C'était un ancien esclave qui avait prouvé sa valeur en gérant les affaires de son maître, puis avait acheté sa liberté et était resté à La Mecque comme allié de son ancien maître. Il était bientôt devenu très riche. Lorsqu'il quitta La Mecque tout seul, il fut pourchassé par un groupe mené par Abu Jahl. Quand ses poursuivants furent sur le point de le rattraper, il s'arrêta pour leur parler. Il leur fît comprendre clairement qu'il était prêt à se battre jusqu'au bout. Par contre, il était aussi prêt à se racheter en leur abandonnant toutes ses richesses.

Ils acceptèrent, il leur dit où ils pourraient trouver tout son argent, et ils le laissèrent partir. Lorsque Suhayb arriva à Médine et que le Prophète apprit l'accord qu'il avait conclu avec ses poursuivants, il fit ce commentaire : « Suhayb a fait une transaction profitable. » Il va sans dire que le Prophète faisait allusion à la récompense que Suhayb recevrait de Dieu pour avoir sacrifié ses biens afin de pouvoir rejoindre le Prophète et être l'un de ses partisans.

'Umar fut le seul à annoncer son intention d'émigrer. Il mit les Quraysh au défi de l'arrêter en leur disant : « Je pars. Celui qui veut laisser derrière lui une mère éplorée, une veuve ou des orphelins n'a qu'à me retrouver au-delà de cette vallée. » Personne ne le poursuivit : 'Umar était connu comme un guerrier d'exception ; en outre, ils ne voulaient pas avoir d'ennuis avec le clan des 'Adî auquel il appartenait.

Il ne fallut pas longtemps aux musulmans pour quitter La Mecque. Ils furent bientôt tous partis, sauf ceux qui étaient retenus prisonniers par les Quraysh. Le Prophète lui-même attendait l'ordre de Dieu quant au moment de son départ. Il était conscient que les Quraysh tenteraient de s'opposer à son passage. Il demanda à son ami et partisan le plus proche, Abu Bakr, ainsi qu'à son jeune cousin 'Alî de rester avec lui.

Les Quraysh se rendaient compte que si Muhammad parvenait à établir une nouvelle base pour sa religion, leur tribu perdrait sa position dominante en Arabie. Il leur fallait agir sans perdre plus de temps. Une assemblée fut convoquée pour débattre de la question de toute urgence. Elle se tint à Dâr an-Nadwa, une maison où les chefs de Quraysh avaient l'habitude de se réunir pour discuter des problèmes graves. Les participants étaient les principaux personnages de Quraysh, avec au premier plan Abu Jahl qui représentait le point de vue le plus extrémiste.

Le départ du Prophète

L'assemblée commença par un examen de la situation à la lumière des récentes évolutions. Tout le monde était conscient que la situation était très grave et que Muhammad risquait de pouvoir attaquer La Mecque avec ses nouveaux partisans. Son départ imminent pour Médine était vu comme un acte annonçant une menace à la suprématie des Quraysh en Arabie ou, pour employer la terminologie moderne, à leur sécurité nationale.

Il fallait l'arrêter coûte que coûte. Les propositions les plus modérées furent les premières à être exprimées. Quelqu'un suggéra que l'on emprisonne Muhammad au secret jusqu'à sa mort. Cette proposition fut rejetée car quelqu'un argua que l'emprisonnement de Muhammad pourrait pousser ses partisans à tenter de le libérer par la force. Rabî'a ibn 'Âmir dit : « Envoyons-le en exil. Quand il sera loin, il ne pourra plus nous nuire. Quant à nous, nous pourrons alors réparer les dommages qu'il a causés dans nos rangs et rétablir notre unité nationale. »

Quelqu'un répliqua que Muhammad était un excellent orateur, doté de logique et d'une argumentation convaincante. Son influence sur le coeur des gens était telle que s'il était bien reçu par n'importe quelle tribu arabe, il pourrait réussir à la rallier à sa cause. S'il y réussissait, La Mecque et les Quraysh se trouveraient exposés à un très grave danger.

Abu Jahl, qui avait gardé le silence jusqu'alors, décida que le moment était venu d'exprimer son point de vue. Il expliqua que « le problème » nécessitait une solution radicale susceptible de causer le minimum de répercussions. Chaque clan devrait fournir un jeune homme brave et fort, de lignée noble. Chacun recevrait un sabre bien acéré. Tous iraient alors frapper Muhammad simultanément, de sorte que tous les clans auraient pris part au meurtre. Le clan des 'Abd Manâf (qui se situe à un degré au-dessus des Hachémites) n'aurait alors pas d'autre choix que d'entrer en guerre avec le reste des Quraysh, qui représentaient une force bien supérieure, ou d'accepter une indemnité financière « que nous paierons avec plaisir »

La proposition d'Abû Jahl fut reçue avec une approbation unanime. Tous tombèrent d'accord pour réaliser le plan immédiatement. Il fut décidé que l'assassinat de Muhammad aurait lieu la nuit même. Les chefs de La Mecque quittèrent donc le lieu de l'assemblée pour aller choisir leurs représentants pour ce « meurtre collectif ».

Cependant, Muhammad était le Messager de Dieu. Dieu avait garanti sa protection jusqu'à ce qu'il ait accompli sa mission. L'ange Gabriel vint donc dire au Prophète de ne pas dormir dans son lit cette nuit-là : il devait entreprendre son voyage à Médine. Le Prophète agit avec la plus grande célérité et le maximum de précautions. Son plan consistait à prendre toutes les mesures préventives possibles et à partir pour Médine avec la plus extrême prudence, tout en plaçant sa confiance en la protection divine.

Peu avant midi, il alla trouver Abu Bakr et lui parla seul à seul, l'informant qu'il avait l'autorisation de quitter La Mecque. Abu Bakr avait acheté deux chameaux rapides dans l'espoir d'être le compagnon de voyage du Prophète. Ils convinrent que le Prophète viendrait à minuit chez Abu Bakr et que tous deux partiraient immédiatement.

La seule autre personne informée du départ du Prophète était son cousin 'Alî, qui avait été l'un des tout premiers à adhérer à l'islam lorsqu'il n'avait qu'une dizaine d'années. 'Alî, qui était maintenant un jeune homme de vingt-trois ans, devrait dormir dans le lit du Prophète afin que les assassins s'imaginent que ce dernier était couché. Le rôle de 'Alî représentait un danger considérable. Le Prophète lui promit toutefois qu'il ne lui serait fait aucun mal.

Lorsque les assassins potentiels eurent pris place à leur poste, ils furent tous envahis par le sommeil. Le Prophète sortit et leur mit du sable sur la tête. Puis il se rendit directement chez Abu Bakr, qui avait préparé les deux chameaux pour le voyage. Le Prophète insista pour payer le prix de son chameau. Comme Abu Bakr tentait de le persuader de le considérer comme un cadeau, il lui dit : « Ce voyage est entrepris pour Dieu, et il me plaît d'employer mon propre argent pour mes dépenses, afin de récolter la récompense de ce que j'aurai dépensé. »

Bien que Médine se situe au nord de La Mecque, le Prophète et son compagnon partirent vers le Sud. Ils se dirigèrent vers une caverne située dans l'une des nombreuses montagnes entourant La Mecque. Dans cette caverne du Mont Thawr, ils se cachèrent pendant trois jours. Le Prophète avait décidé de partir vers le Sud pour déjouer les plans des Quraysh, sachant qu'ils ne manqueraient pas de se lancer à sa poursuite.

À la maison du Prophète , les candidats au meurtre dormaient profondément quand quelqu'un vint voir comment se passait leur affaire. Ébahi, il les réveilla et dit que le sable sur leur tête indiquait que Muhammad était parvenu à s'échapper. Incrédules, ils regardèrent par la porte et dirent : « Muhammad est là, dans son lit. » Ils forcèrent alors la porte et entrèrent : là, ils eurent le choc de découvrir que l'homme allongé sur le lit n'était autre que Alî. Ils ne voulaient pas accroître leurs problèmes en tuant Alî.

Ils donnèrent donc l'alerte, annonçant que Muhammad s'était échappé. Des réunions se tinrent à la hâte. Tout le monde était alarmé. Abu Jahl prit la situation en main. Plusieurs groupes de cavaliers furent envoyés à la poursuite de Muhammad et de son compagnon. Une récompense de cent chameaux fut offerte à quiconque ramènerait Muhammad, mort ou vif. Les poursuivants partirent dans toutes les directions. Un groupe alla même vers le Sud et s'approcha très près de la caverne.

Le Prophète et Abu Bakr s'étaient installés sans encombre dans la caverne du Mont Thawr. Abu Bakr avait insisté pour passer le premier pour s'assurer qu'il ne s'y trouvait pas d'animal sauvage ni de serpent et que le Prophète pouvait y entrer sans danger. Dans le désert d'Arabie, des groupes de poursuivants les recherchaient frénétiquement. La stratégie du Prophète était complexe. Dès leur arrivée à la caverne, il donna les deux chameaux à 'Abdullâh ibn Arqat, un guide qu'ils avaient engagé, et lui dit de les emmener à Médine par un chemin inhabituel.

Ainsi, les chameaux ne les gênèrent pas pendant les trois jours qu'ils passèrent cachés dans la caverne. 'Amir ibn Fuhayra, le serviteur et le berger d'Abû Bakr, emmenait paître ses moutons pendant la journée. Au coucher du soleil, il se rendait à la caverne pour approvisionner le Prophète et Abu Bakr en lait et en viande. Le propre fils d'Abû Bakr, Abdullâh, était chargé d'une tâche importante. Il était leur informateur : il allait et venait à La Mecque pendant la journée, écoutant ce qui se disait dans les assemblées, avant d'aller à la caverne le soir pour tenir son père et le Prophète informés de ce qui se passait à La Mecque.

Puis Abdullâh entrait chez lui suivi par le berger et son troupeau, ce qui effaçait les traces de ses pas. 'Alî, le cousin du Prophète était quant à lui chargé de rendre aux gens les dépôts qu'ils avaient confiés à la garde du Prophète. En effet, malgré toute l'hostilité des Mecquois envers le Prophète, ils n'avaient pas le moindre doute quant à son intégrité et son honnêteté. Quelqu'un qui avait un bien précieux le confiait donc à Muhammad, certain de le retrouver intact lorsqu'il en aurait besoin. Le plus étonnant est qu'ils ne se rendaient pas compte qu'un homme si honnête et si intègre ne mentirait jamais à Dieu. La tâche de 'Alî était donc de rendre aux gens leurs dépôts.

Après trois jours dans la caverne, le Prophète et Abu Bakr étaient prêts à reprendre leur voyage. Leur guide, 'Abdullâh ibn Arqat, leur ramena leurs chameaux et Asma, la fille d'Abû Bakr, leur apporta leurs provisions. Au moment de les attacher à la selle de la monture de son père, elle s'aperçut qu'elle avait oublié d'apporter un cordon ou un bout de corde pour cela. Elle ôta alors sa ceinture et, la partageant en deux, elle en utilisa une moitié pour attacher les provisions. Cette action lui valut le titre de Dhât an-nitâqayn, ou « la femme aux deux ceintures ».

Lorsque tout fut prêt, le Prophète et son compagnon partirent pour leur périlleux voyage, sachant parfaitement que leurs têtes étaient mises à prix pour cent chameaux, ce qui était énorme. Il faut noter ici que, bien que le Prophète ait été certain de l'aide et de la protection de Dieu, il prit toutes les précautions nécessaires pour échapper à ses poursuivants. Il commença par partir dans la direction opposée à sa destination et se cacha pendant les trois premiers jours, où les recherches seraient les plus actives.

Il fit en sorte de recevoir quotidiennement des provisions et des informations. Son choix d'un guide était basé sur la compétence, l'expérience et l'honnêteté de ce dernier — Abdullâh ibn Arqat n'était pas musulman à l'époque. Le plus grand secret fut gardé jusqu'à la fin autour des déplacements du Prophète. Seuls ceux qui devaient connaître les détails de son voyage, parce qu'ils étaient chargés de tâches qui y étaient liées, reçurent les informations nécessaires pour accomplir ces tâches. À part cela, personne ne savait rien du moment de son départ ni de l'itinéraire qu'il allait suivre.

Alors, ayant fait tout ce qui était humainement possible pour assurer sa sécurité, le Prophète s'en remit à Dieu pour le reste. Ainsi nous a-t-il enseigné ce que signifie véritablement s'en remettre à Dieu. On a vu que les poursuivants s'étaient approchés très près de la caverne. Tandis que les deux hommes restaient tapis sans bruit à l'intérieur, Abu Bakr chuchota au Prophète : « Si l'un d'eux regarde vers le bas, il nous verra sûrement. » Le Prophète le rassura en disant : « Ne t'inquiète pas : Dieu est avec nous. »

Après s'être cachés pendant trois jours dans la caverne du Mont Thawr, le Prophète et son compagnon reprirent leur voyage. Abdullâh ibn Arqat arriva au moment convenu avec les deux chameaux et ils se mirent en route pour Médine, en empruntant un itinéraire tout à fait inhabituel. Les recherches frénétiques des Quraysh s'étaient un peu calmées mais n'avaient pas totalement cessé. Le voyage était d'environ quatre cents kilomètres et de nombreuses caravanes traversaient le désert.

En outre, les gens vaquaient à leurs occupations et le moindre groupe de voyageurs dans le désert pouvait représenter un grave danger. La tentation de la récompense élevée promise à qui les ramènerait inciterait n'importe qui à tenter de les arrêter. Le Prophète dut donc parcourir tout le chemin sans pratiquement être vu de quiconque. C'était extrêmement difficile, d'où la nécessité d'avoir un guide très expérimenté, connaissant parfaitement tous les chemins du désert.

En progressant vers Médine, ils avaient conscience que presque toute l'Arabie était au courant de leur fuite et de la récompense offerte pour les livrer aux Quraysh. Les Quraysh avaient pris soin de faire connaître leurs désirs dans toutes les tribus vivant sur le chemin de Médine et toutes les haltes habituelles. Comme le Prophète et son compagnon passaient dans la région où vivait la tribu des Mudlij, ils furent aperçus par un homme qui alla directement rapporter le fait au lieu de réunion de sa tribu.

Un homme nommé Surâqa ibn Mâlik fut le premier à comprendre que l'occasion se présentait de gagner la récompense. Pour être sûr que personne d'autre ne pourchasserait le Prophète avec lui et ne partagerait la récompense, il dit : « J'ai vu ces gens moi-même : ils appartiennent à telle tribu, et ne font que poursuivre un chameau égaré. » Peu après, Surâqa quitta le lieu de réunion et se rendit chez lui, où il ordonna à son serviteur de préparer son cheval et de le retrouver à une courte distance du campement de la tribu.

Il prit sa lance et son sabre et fit galoper son cheval. Il eut tôt fait de repérer les cavaliers et commença à les rattraper. Voici le récit qu'a fait Surâqa de la suite des événements :

Tandis que je galopais à leur poursuite, mon cheval trébucha et je tombai. Je me demandai comment pareille chose avait pu m'arriver. Je persistai néanmoins, et je poursuivis ma route. Lorsqu'ils reparurent à ma vue, mon cheval trébucha de nouveau et je tombai pour la seconde fois. Je ne fus pas découragé, et je continuai d'avancer. Comme je me rapprochais d'eux, les pattes de devant du cheval s'enfoncèrent dans le sable et je tombai. Tandis que le cheval se débattait pour sortir les pattes du sable, je vis qu'ils étaient suivis par une colonne de fumée. Je compris que je ne parviendrais jamais à avoir le dessus sur Muhammad . Je les hélai donc en leur demandant de s'arrêter.

Je les assurai que je voulais seulement leur parler et que je ne leur ferais aucun mal. Ils s'arrêtèrent. Je demandai au Prophète de m'écrire une note qui pourrait servir de signe de reconnaissance par la suite. Il demanda à Abu Bakr de m'écrire la note, que j'utilisai au moment de la conquête de La Mecque pour approcher le Prophète et déclarer ma conversion à l'islam. Après avoir pris la note, je fis demi-tour. Le Prophète m'appela en disant : « Que dirais-tu, Surâqa, si tu portais les bracelets de l'empereur de Perse ? » Je demandai : « Chosroes fils de Hormuz ? » Il répondit : « Oui. » Je ne répondis rien. Sur le chemin du retour, je rencontrai plusieurs personnes cherchant dans cette direction : je dis à tous ceux que je rencontrais que j'étais sûr que Muhammad n'était pas parti par là.

Il est intéressant de noter ici que lorsque les armées musulmanes conquirent l'empire perse, quelques années après la mort du Prophète , 'Uinar, le second calife, fit appeler Surâqa et lui donna les bracelets de Chosroes à porter en accomplissement de la promesse du Prophète. Il va sans dire que la promesse avait été faite dans les circonstances les plus invraisemblables : un homme traqué par les siens, dont la tête était mise à prix, promettait une victoire totale sur un grand empire. Cet homme de foi nous a cependant fait ressentir, par cette promesse, ce que signifie la certitude absolue de la vérité de sa foi et de sa victoire finale.

Ce fut lors de l'épisode de Surâqa ibn Mâlik que le Prophète courut le plus grave danger d'être rattrapé par ses ennemis durant son voyage historique à Médine. Aucun autre incident grave ne se produisit en cours de route, ce qui en dit déjà long sur le soin mis à l'organisation du voyage. Pourtant, le Prophète aurait pu à trois reprises se trouver dans une situation extrêmement dangereuse. A chaque fois, il fut sauvé par quelque chose qu'il ne contrôlait absolument pas.

D'abord, lorsque sa maison était encerclée par les hommes qui voulaient l'assassiner et que ceux-ci furent envahis par le sommeil. Ensuite, lorsque ses poursuivants s'arrêtèrent devant l'entrée de la caverne où il se cachait, puis partirent sans regarder à l'intérieur. Enfin, lorsque Surâqa, poussé par la tentation de l'immense récompense, arriva à portée de flèche du Prophète mais que ses chutes de cheval répétées en firent un ami. À chacune de ces trois occasions, on peut dire que le Prophète fut sauvé par l'intervention directe de la Providence.

Le Prophète poursuivit sa route. Il fit halte un moment auprès d'Umm Ma'bad, une bédouine qui campait sur son chemin. Elle n'avait ni lait, ni nourriture à offrir. Son époux avait emmené paître leurs moutons, ne lui laissant qu'une brebis qui était trop faible pour suivre le troupeau. Bien entendu, elle n'avait pas de lait. Les temps étaient durs dans cette région désertique. Les pâturages étaient rares, donc le lait aussi. Umm Ma'bad se montra désolée de n'avoir quasiment rien à offrir à ses hôtes.

Après avoir demandé et obtenu la permission de son hôtesse, le Prophète passa la main sur les mamelles sèches de la brebis et prononça le nom de Dieu. Du lait jaillit en abondance. Chacun but à satiété et les voyageurs repartirent en laissant à Umm Ma'bad une grande quantité de lait. Lorsque le Prophète arriva à Qubâ', un village à quelques kilomètres de Médine, il y fut bien accueilli et y fit halte pendant quelques jours. Une mosquée fut construite. Cette mosquée, la première édifiée durant l'ère musulmane, est encore aujourd'hui visitée par de nombreux pèlerins.

À Médine, les croyants attendaient anxieusement l'arrivée du Prophète et de son compagnon. Bien qu'il ne les ait pas informés de son départ ni de la date où il comptait arriver, ils savaient qu'il était en route. De fait, toute l'Arabie le savait, comme le donnent à comprendre de nombreux récits de différents degrés d'authenticité.

Lorsqu'ils comprirent que le Prophète ne tarderait pas à arriver à Médine, les croyants commencèrent à aller quotidiennement attendre son arrivée dans les faubourgs de la ville. Ils partaient tôt, dès l'aube, et attendaient jusqu'à midi, lorsqu'ils ne pouvaient plus s'abriter du soleil brûlant.

Un accueil chaleureux à Médine

Un jour, comme ils prenaient le chemin du retour après avoir ainsi attendu toute la matinée, un juif qui était grimpé à un arbre de son verger aperçut deux hommes qui approchaient avec un guide. Il appela les gens qui étaient en train de se disperser, en s'adressant à eux par le nom que les juifs donnaient aux Médinois : « Fils de Qayla, voici venir votre fortune. »

Tous se précipitèrent pour accueillir le Prophète . Ils chantèrent un chant de bienvenue qui est encore aujourd'hui chanté par les musulmans pour exprimer leur amour du Prophète. Les croyants, muhâjirûn (émigrés mecquois) et ansâr (musulmans médinois) réunis, escortèrent le Prophète et son compagnon tandis qu'ils traversaient la ville sur leurs chameaux. Beaucoup des ansâr n'avaient encore jamais vu le Prophète. Ils purent le reconnaître au respect que lui témoignait Abu Bakr.

L'arrivée du Prophète à Médine eut lieu le 12 du mois lunaire de rabî' alawwal, l'année qui allait être la première du calendrier musulman. Selon les calculs, cette date correspond au 24 septembre 622 apr. J.-C. Tandis que le cortège traversait Médine, chaque clan invita le Prophète à être son hôte. Il était difficile de faire plaisir à tout le monde. En même temps, le Prophète ne voulait offenser aucun groupe des ansâr. Il dit donc à tous ceux qui tentaient de retenir sa chamelle par la bride de la laisser avancer : « Elle a ses ordres », ajouta-t-il.

Elle continua à parcourir les rues et les allées de Médine, pour s'arrêter enfin près de la maison d'Abû Ayyûb. Celui-ci s'empressa d'emporter les bagages du Prophète dans sa maison, enchanté de l'honneur d'avoir le Prophète pour hôte. L'endroit où le Prophète allait loger pendant les premières semaines de son séjour à Médine n'avait rien de particulier. Une maison en valait une autre.

Mais comment le Prophète pouvait-il faire un choix susceptible de satisfaire tout le monde ? Il faut se rappeler que les Arabes de Médine étaient encore traversés par des divisions tribales. L'islam, force unificatrice, commençait tout juste à oeuvrer pour leur unité. Si le Prophète avait dû répondre à l'invitation d'un clan ou d'un autre et loger chez lui, ce clan en aurait fait une source de fierté et d'honneur et l'aurait pendant longtemps rappelé aux autres clans.

Pour éviter cela, le Prophète laissa aller librement sa chamelle et la laissa s'arrêter où bon lui semblait. Dieu la fit arrêter chez Abu Ayyûb car, pour ravi qu'il ait été d'être l'hôte du Prophète, Abu Ayyûb comprenait suffisamment bien l'islam pour garder cet honneur pour lui-même sans en tirer aucun orgueil.

La maison d'Abû Ayyûb comportait deux étages. Le Prophète choisit d'habiter le rez-de-chaussée. Abu Ayyûb était embarrassé à l'idée de loger avec sa femme à l'étage supérieur et en parla au Prophète, mais celui-ci lui dit qu'il serait plus pratique pour lui-même et ses visiteurs d'occuper le rez-de-chaussée. Ainsi s'achevait le périlleux voyage du Prophète . Il devait commencer immédiatement à poser les fondations du nouvel État.