Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

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L'Expédition de Khaybar

 

Quand les musulmans furent de retour à Médine après la conclusion de l'accord de paix avec les Quraysh, le Prophète ne les laissa se reposer que quelques semaines avant de leur demander de se préparer à un nouvel affrontement majeur avec les ennemis de l'islam. Il faut se rappeler ici que les Quraysh ne représentaient qu'une des trois grandes catégories de personnes hostiles à l'islam. Les deux autres étaient les tribus arabes polythéistes, dispersés dans toute l'Arabie et toujours à la recherche d'une occasion d'attaquer les musulmans et de leur nuire, et les tribus juives.

Nous avons vu que trois conflits majeurs avaient déjà opposé les musulmans de Médine et les trois principales tribus juives de cette ville. Désormais, le principal centre de concentration juive en Arabie était Khaybar, une oasis située à une assez grande distance de Médine, dans le nord-est de la péninsule arabique. À Khaybar, les juifs étaient partagés entre le désir ardent d'attaquer avec succès les musulmans et la crainte de voir leurs nouveaux efforts conduire au même résultat que les précédents. Leur désir de reprendre la lutte contre l'islam était presque aussi fort que leur réticence à se lancer dans une entreprise susceptible de mettre en péril leur existence même.

Ils étaient conscients que leur ennemi n'était ni faible ni lâche. Ils savaient bien que les musulmans ne pouvaient pas être vaincus facilement, quelle que puisse être l'importance des forces alliées contre eux. C'était depuis Khaybar que des chefs de tribus comme Sallâm ibn Abî al-Huqayq et Huyay ibn Akhtab avaient entrepris leurs actions contre l'islam. Ce dernier avait été l'architecte de la campagne connue sous le nom de « l'expédition du fossé », entreprise par les forces arabes alliées pour détruire Médine.

En outre, c'était lui qui avait eu l'idée de persuader les Qurayza de se joindre à cette coalition. Une fois ces deux chefs écartés de la scène, le commandement de Khaybar échut à un homme du nom de Usayr ibn Rizâm. Usayr suivit la même politique et la même tactique que ses prédécesseurs. Il commença par renouveler le pacte liant les juifs de Khaybar aux tribus arabes de Ghatafân contre leur « ennemi commun », les musulmans. Les Ghatafân étaient connus parmi les tribus arabes comme de bons guerriers. Leur district était situé non loin de Khaybar.

Une trahison toujours présente

Comme les alliances ne duraient habituellement pas longtemps dans l'Arabie de l'époque, Usayr éprouva le besoin de renouveler ses alliances par mesure de précaution, au cas où une nouvelle confrontation avec les musulmans se produirait. Quand le Prophète eut vent des activités d'Usayr, il chercha à neutraliser cette source de danger. Il envoya trente de ses compagnons des ançâr, sous le commandement de Abdullâh ibn Rawâha, avec pour instructions d'essayer de persuader Usayr ibn Rizâm d'adopter une attitude plus raisonnable vis-à-vis des relations entre les juifs et les musulmans.

Quand Abdullâh ibn Rawâha et ses hommes arrivèrent à Khaybar, ils rencontrèrent Usayr. Les deux parties décidèrent d'échanger des engagements de sécurité mutuelle jusqu'à ce que leur affaire soit menée à bien. Abdullâh ibn Rawâha expliqua que les musulmans ne voulaient pas d'affrontement militaire. Ils préféraient de loin entretenir des relations pacifiques avec tout le monde. Il assura Usayr qu'ils n'avaient rien à craindre des musulmans s'ils manifestaient la volonté de vivre en paix avec eux.

Il proposa qu'Usayr se rende à Médine pour conclure un accord de paix avec le Prophète. Usayr accepta et partit avec les musulmans dans ce but, accompagné d'un certain nombre de ses coreligionnaires. Ils n'avaient cependant pas parcouru une longue distance quand il commença à regretter son choix. Il décida d'essayer d'assassiner Abdullâh ibn Rawâha. Ce dernier eut tôt fait de s'apercevoir de ce qu'Usayr tentait de faire et il réussit à le tuer sur-le-champ. Ainsi, la tentative des musulmans de parvenir à une coexistence pacifique fut étouffée dans l'oeuf.

Ce fut Sallâm ibn Mishkam qui succéda à Usayr ibn Rizâm comme chef de Khaybar. Aussi étrange que cela puisse paraître, Sallâm ne tira pas de leçon du passé. Il suivit la même voie que ses prédécesseurs et entreprit de confirmer les alliances passées et de conclure des pactes de haine contre l'islam. Après le pacte d'al-Hudaybiyya, le Prophète considéra que la position des musulmans leur permettait maintenant de neutraliser la menace que constituait Khaybar. Il demanda donc à ses compagnons de se mobiliser à nouveau et de commencer à marcher sur Khaybar.

Il précisa que seuls ceux qui l'avaient accompagné pour la 'umra à al-Hudaybiyya seraient autorisés à l'accompagner cette fois ci. En effet, comme nous l'avons vu, nombreux étaient ceux qui n'avaient pas voulu l'accompagner parce qu'ils craignaient que les Quraysh ne parviennent à s'opposer aux musulmans par la force et à leur infliger une lourde défaite. Ces mêmes hommes voyaient maintenant que les musulmans étaient sur la voie du succès. Dans la sourate qui évoque les événements d'al-Hudaybiyya, Dieu promet clairement aux musulmans une nouvelle occasion de gagner des prises de guerre.

Ceux-là mêmes qui doutaient sérieusement du succès des musulmans lorsqu'ils étaient partis pour La Mecque étaient maintenant absolument certains qu'il y aurait un butin à gagner. Ils savaient au fond d'eux-mêmes que les promesses coraniques étaient toujours véridiques. Il était donc naturel qu'ils essaient de se joindre à l'armée musulmane pour cette expédition qui promettait de rapporter beaucoup dans un bref délai.

Cependant, le Prophète leur dit qu'ils ne pourraient se joindre à l'armée que s'ils voulaient sincèrement servir la cause de Dieu. S'ils ne recherchaient que le butin qu'apporterait une victoire des musulmans, on n'avait pas besoin d'eux. Ainsi, seuls ceux qui avaient accompagné le Prophète lors de la mission d'al-Hudaybiyya purent l'accompagner cette fois, avec peut-être quelques autres connus comme sincères.

L'armée musulmane ne comptait que mille quatre cents hommes, dont seulement deux cents cavaliers, et la tâche qui les attendait était considérable. Khaybar était une ville bien fortifiée. En outre, le Prophète essayait toujours de prendre ses ennemis par surprise. Or, cette fois, les juifs de Khaybar avaient eu vent de son intention. On a relaté que Abdullâh ibn Ubayy, l'homme généralement décrit comme le chef des hypocrites, leur avait envoyé un avertissement lorsqu'il s'était aperçu que le Prophète se préparait à attaquer Khaybar.

Dès qu'ils avaient reçu l'information, ils avaient commencé à se préparer. Ils mirent donc la ville sur le pied de guerre, placèrent les femmes et les enfants à l'abri dans leurs forts et se livrèrent à des exercices militaires quotidiens aux abords de leur Ville.

Khaybar était située à environ 160 kilomètres au nord de Médine, ce qui représentait cinq jours de voyage à dos de chameau. Nommant son compagnon Sibâ' ibn Arfata pour le remplacer à Médine, le Prophète ne mit en route au mois de muharram de la septième année après son émigration à Médine (août 628 apr. J.-C). Conscient que la vitesse était un facteur essentiel pour prendre Khaybar par surprise, il parcourut cette distance en seulement trois étapes éreintantes d'une journée chacune et parvint à proximité de Khaybar à l'aube du quatrième jour.

Les musulmans établirent leur camp à ar-Raji', entre Ghatafân et Khaybar. Ils voulaient ainsi bloquer le passage pour empêcher les tribus arabes de Ghatafân de venir en aide aux tribus juives de Khaybar. Certains récits avancent que les Ghatafân décidèrent d'envoyer des troupes pour aider leurs alliés de Khaybar. Peu après leur départ, ils entendirent du bruit émanant de leur district. Pensant que les musulmans voulaient attaquer leur district après leur départ, ils firent demi-tour et restèrent dans leur propre ville pour la défendre en cas d'attaque des musulmans.

Ce qui s'était probablement passé, c'était que le Prophète avait vraiment envoyé un détachement de ses troupes lorsqu'il s'était rendu compte que les Ghatafân avaient l'intention de venir en aide à leurs alliés, afin de les en dissuader. D'autres récits suggèrent que le Prophète aurait demandé aux Ghatafân de ne pas soutenir Khaybar et leur aurait promis une part du butin que les musulmans obtiendraient s'ils remportaient la victoire.

Quoi qu'il en soit, le fait est que les Ghatafân ne secoururent pas leurs alliés. Il faut expliquer ici que Khaybar n'était pas une ville au sens traditionnel du terme. C'était une grande oasis, très fertile, avec des fermes et des vergers s'étendant sur un territoire très important. Ses habitants n'étaient pas concentrés dans une zone construite uniforme constituant la ville : ils étaient dispersés dans les collines et les vallées des alentours. Ils vivaient dans des demeures fortifiées au milieu de leurs fermes et de leurs vergers. Le terrain était difficile à attaquer pour une armée, car il fallait se battre dans les fermes et les vallées et sur plusieurs collines.

Du point de vue militaire, Khaybar était divisée en trois sections, an-Natâh, ash-Shaqq et al-Katîba. Chaque section comprenait plusieurs forts. Ainsi, par exemple, an-Natah comprenait les forts de Nâ'im , as-Sa'b et az-Zubayr. Les principaux forts d'ash-Shaqq étaient Ubayy et al-Barî'. La section d'al-Katîba comprenait de nombreux forts dont al-Watîh, Sulâlam et Nizâr. Tous ces forts se situaient sur des hauteurs, certains au sommet de collines.

Les habitants de Khaybar étaient en général des combattants expérimentés. De fait, la communauté juive de Khaybar était la plus importante, la plus riche et la mieux armée d'Arabie : il était très difficile pour les musulmans d'attaquer une telle ville. Mais les hommes de Khaybar n'avaient pas l'habitude de se battre sur des champs de bataille à découvert. Ils préféraient se battre devant leurs forts et leurs demeures : si la bataille tournait contre eux, ils pouvaient alors se retirer dans leurs forts et leurs demeures pour essayer de faire face à un siège prolongé.

De toute évidence, ils espéraient que leurs assaillants se lasseraient du siège et partiraient. Ce fut ce qui poussa le Prophète à marcher sur Khaybar. S'il ne l'avait pas fait, les hommes de Khaybar auraient en effet continué, encore et encore, à inciter les tribus arabes à attaquer les musulmans. Le seul moyen de mettre un terme à leur hostilité était de les attaquer dans leurs propres forts.

Quand l'armée musulmane arriva à proximité de Khaybar, le Prophète voulut établir le camp près du district d'an-Natâh et de ses forts. L'un de ses compagnons, al-Hubâb ibn al-Mundhir, lui dit toutefois :

Les gens d'an-Natâh sont très célèbres pour leurs prouesses au tir. Ils peuvent lancer des flèches plus loin que la plupart des gens et réussissent mieux à atteindre leurs cibles. De plus, ils sont placés au-dessus de nous dans leurs forts. Cela leur confère un avantage supplémentaire, leurs flèches gagnant de la vitesse en venant vers nous de haut en bas. Si nous campons ici, nous ne pourrons pas nous préserver complètement d'une attaque nocturne qu'ils pourraient organiser, et où ils profiteraient de leurs palmiers pour se protéger. Il serait plus sage d'établir le camp ailleurs.

Le Prophète (000 répondit : « Tes conseils sont certainement avisés. » Il ordonna à son armée de reculer loin des forts, hors de portée des flèches de tireurs isolés. Cette attitude du Prophète n'est pas sans rappeler celle qu'il avait adoptée à Badr, lorsque al-Hubâb ibn al-Mundhir avait, là aussi, trouvé à redire à l'endroit choisi pour établir le camp. A cette occasion, le Prophète s'était aussi rangé à l'avis d'al-Hubâb qui était semble-t-il un fin stratège.

De fait, le Prophète était toujours prêt à écouter les conseils avisés qu'on pouvait lui soumettre sur les questions de politique ou de stratégie. Il lui appartenait de prendre lui-même, en tant qu'être humain, les décisions concernant ces domaines. Il agissait donc selon son jugement, sans chercher à imposer sa volonté à ses compagnons. Que l'affaire soit grave ou sans importance, le Prophète était toujours prêt à accepter de bons conseils.

Effet de surprise

Les habitants de Khaybar dormaient profondément pendant que ces événements se produisaient. Ils ne s'aperçurent de rien jusqu'à ce que leurs ouvriers agricoles sortent avec leurs outils pour vaquer à leurs tâches. Ceux-ci furent pris de panique quand ils virent le Prophète et ses compagnons. Ils se mirent à crier : « Muhammad et son armée ! Muhammad et son armée ! » Ils prirent la fuite et coururent avertir les gens dans les forts du désastre qui les attendait.

Le Prophète s'écria, pour accroître leur panique : « Dieu est Grand. Khaybar est détruite. Comme nous sommes arrivés sur le territoire de l'ennemi, ceux qui ont été prévenus à l'avance connaîtront une très mauvaise matinée. »

Les habitants de Khaybar furent réveillés par cette désagréable surprise. Ils comprirent que l'initiative appartenait entièrement au Prophète. Il ne leur restait plus qu'à se rendre ou à se battre jusqu'au dernier. Comme le Prophète et ses compagnons avaient établi leur camp si près, il était impossible aux hommes de Khaybar de lancer une offensive. Ils ne pouvaient qu'adopter une posture défensive. Cela conférait aux musulmans un grand avantage psychologique. Mais les combattants ennemis étaient aussi conscients que lors de leurs précédents affrontements avec les musulmans, leurs demeures fortifiées ne leur avaient pas été d'un grand secours.

En fin de compte, les musulmans avaient pu remporter une victoire totale. Certains des juifs de Khaybar avaient déjà été expulsés de Médine. Pour eux, voir à nouveau les musulmans assiéger leurs forts ne présageait rien de bon. Ils sentaient la peur les envahir : la bataille était à moitié gagnée pour les musulmans. Les combats commencèrent au fort de Nâ'im. Le commandant de ce fort était Sallâm ibn Mishkam, le chef de Khaybar. Dans ce fort, ils étaient prêts à une bataille longue et rude. Le Prophète tenta cependant de remporter une victoire psychologique dont il espérait qu'elle permettrait d'éviter l'affrontement armé.

Sachant que les gens de Khaybar chérissaient autant leurs biens que leur propre vie, il voulut leur montrer qu'ils seraient dans une meilleure situation s'ils capitulaient. Il voulut leur faire comprendre que, s'ils insistaient pour se battre, leurs pertes seraient financières autant que militaires. Il ordonna donc à ses compagnons d'abattre les palmiers. Près de quatre cents arbres furent ainsi abattus sur ses ordres. Il constata cependant que les ennemis ne manifestaient aucune intention de se rendre. Il ordonna alors qu'on cesse d'abattre les arbres et se prépara à lancer son offensive.

Le Prophète était conscient que pour remporter une victoire totale sur ses ennemis dans une ville aussi peu ordinaire que Khaybar, il lui faudrait écraser leur pouvoir dans chacun de leurs forts. Sa stratégie consista donc à confier à de petits détachements de ses troupes la tâche d'occuper les ennemis de plusieurs forts pendant qu'il concentrait le gros de ses troupes sur un seul fort, qu'il assiégeait jusqu'à ce qu'il se rende.

Il passait ensuite au fort suivant. Il divisa ses troupes en petits groupes selon les clans et les tribus. Il nomma aussi un commandant pour chaque unité, afin de stimuler la rivalité entre les différentes unités. Cette division des troupes lui permit aussi de faire alterner les différentes unités entre la tâche d'engager l'ennemi et celle de mener un siège. De cette manière, aucune unité n'était trop fatiguée en étant continuellement sous pression. Toutes les unités musulmanes prirent part à l'effort militaire sans qu'aucune ne supporte à elle seule une charge trop importante.

Le Prophète agit ici en grand chef militaire, adoptant une tactique différente lors de chaque affrontement avec l'ennemi en fonction de la nature de cet affrontement, en tenant compte de tous les facteurs : le terrain, l'importance de ses propres forces par rapport à celles de l'ennemi, l'avantage psychologique.

La première bataille fut violente et les ennemis opposèrent aux musulmans une résistance solide sur chaque centimètre de terrain. Cependant, les musulmans étaient plus qu'à la hauteur de la situation. Chaque fois que les ennemis essayaient de sortir de leur fort pour repousser les assaillants, les musulmans les obligeaient à reculer à l'intérieur. Le siège se poursuivit jour après jour alors que les violents combats ne parvenaient pas à faire basculer l'équilibre des forces dans un sens ni dans l'autre. La bataille du fort de Nâ'im continua sept jours durant.

Chaque jour, le Prophète confiait l'étendard des musulmans à un compagnon différent. Aucun ne parvint toutefois à forcer les portes du fort. Enfin, le septième jour, le Prophète confia l'étendard à Alî ibn Abî Tâlib, qui réussit à enfoncer les défenses du fort et à ouvrir grand les portes. On dit que 'Alî ibn Abî Tâlib souffrait alors d'une inflammation oculaire si grave qu'il n'y voyait presque pas. Quand le Prophète lui confia l'étendard, Alî attira l'attention du Prophète sur sa situation et celui-ci passa sa salive sur les yeux de Alî en invoquant Dieu pour lui.

Alî fut immédiatement soulagé et son inflammation oculaire ne reparut jamais. À un moment de la bataille du fort de Nâ'im, l'un des plus vaillants et des plus célèbres des combattants juifs, Marhab, défia les musulmans en combat singulier. Alî lui-même se battit contre lui et parvint à le tuer. Un soldat musulman, Mahmûd ibn Maslama, était assis à un moment donné près d'un mur du fort : quelqu'un à l'intérieur du fort lança une grosse pierre qui l'atteignit à la tête et le tua. Son frère, Muhammad ibn Maslama, parvint à venger sa mort.

Le commandant du fort de Nâ'im , Sallâm ibn Mishkam, mourut pendant le siège et al-Hârith ibn Abî Zaynab lui succéda. Quand le fort de Nâ'im tomba aux mains des musulmans, les assiégés qui s'y trouvaient se retirèrent dans le fort voisin d'as-Sa'b. Quand les musulmans les assiégèrent, les hommes du fort se battirent résolument et passèrent à l'attaque avec des forces importantes. Les musulmans furent contraints à reculer quelque peu, mais l'unité commandée par al-Hubâb ibn al-Mundhir parvint à conserver ses positions.

Le Prophète encouragea les musulmans à redoubler d'efforts au combat et al-Hubâb réussit à contenir l'avancée des ennemis, puis à les obliger à se replier. Ils retournèrent à leur fort et s'y barricadèrent. Les musulmans, contre-attaquant, parvinrent à forcer les portes du fort et commencèrent à tuer ou à faire prisonniers tous ceux qui leur résistaient. Le fort d'as-Sa'b se rendit alors aux musulmans. Dans le fort d'as-Sa'b, les musulmans trouvèrent d'importantes quantités de provisions : de l'orge, des dattes, du beurre, de l'huile, du miel et d'autres marchandises.

Avant cela, ils souffraient quasiment de la famine, étant à court de provisions. Le Prophète , inquiet que les musulmans ne se préoccupent d'emporter ces provisions, demanda à l'un de ses compagnons d'annoncer qu'ils étaient autorisés à manger et à donner à leurs chevaux et à leurs chameaux ce dont ils avaient besoin, mais ne devaient rien emporter de ces provisions. Dans ce fort, les musulmans trouvèrent une catapulte et une importante quantité de boucliers, de sabres et d'autres armes enfouies dans le sol. Ils s'en servirent pendant le reste de la bataille, se retrouvant ainsi bien mieux équipés qu'au commencement.

La découverte fut faite grâce à un ennemi fait prisonnier durant le siège de Nâ'im. Ce dernier, craignant pour sa vie, était allé trouver le Prophète et avait proposé de donner ce renseignement en échange de la promesse que lui et sa famille auraient la vie sauve.

Une bataille devant chaque fort

Les hommes de Khaybar avaient ensuite l'intention de se battre au fort d'az-Zubayr. Les musulmans les assiégèrent pendant trois jours, mais les ennemis ne voulaient pas sortir. Le Prophète s'aperçut alors qu'un cours d'eau entrait dans ce fort par l'arrière. Il ordonna qu'on détourne le cours d'eau afin de priver les assiégés de leur approvisionnement en eau. La tactique réussit, et les ennemis furent contraints à sortir se battre. La bataille fut violente, avec des morts de part et d'autre.

Les musulmans parvinrent cependant à avoir le dessus et à prendre le fort d'az-Zubayr, le dernier du district d'an-Natâh. Les hommes de Khaybar se trouvaient maintenant dans le district suivant, ash-Shaqq, et défendaient le fort le plus proche, celui d'Ubayy. Ce fort se situait sur une colline appelée le Mont Shamran, où les ennemis se battirent avec détermination. Plusieurs combats singuliers opposèrent les meilleurs guerriers des deux camps : tous furent favorables aux musulmans.

Les forces musulmanes étaient placées, pour la bataille du fort d'Ubayy, sous le commandement d'Abû Dujâna dont nous avons déjà évoqué à propos de précédentes batailles, en particulier celle d'Uhud, le courage sans faille et la détermination exceptionnelle. Cette fois, il parvint à pénétrer dans le fort, dont les défenseurs s'empressèrent de fuir jusqu'au fort suivant, al-Barî'.

Lorsque le Prophète et ses compagnons poursuivirent leur marche jusqu'à ce fort. Les défenseurs du fort d'al-Barî' étaient peut-être les meilleurs tireurs à l'arc de tous les hommes de Khaybar. Lors de cet affrontement, ils justifièrent leur réputation en déversant sur les musulmans une pluie de flèches et de pierres. Certaines flèches atteignirent même les vêtements du Prophète. Alors, le Prophète ordonna à ses compagnons de sortir la catapulte et de commencer à l'utiliser.

Les défenseurs du fort, terrifiés, prirent la fuite pour se réfugier au district suivant. Ainsi, le district d'ash-Shaqq avec ses forts était tombé entièrement entre les mains des musulmans. Battant en retraite jusqu'au dernier district, celui d'al-Katîba, les hommes de Khaybar installèrent d'abord leur défense au fort d'al-Qamus dirigé par la famille d'al-Huqayq, à laquelle appartenaient plusieurs des chefs juifs qui avaient précédemment pris part à des complots contre les musulmans.

Les musulmans assiégèrent ce fort pendant vingt jours, jusqu'à ce qu'il finisse par se rendre au commandant musulman, Alî ibn Abî Tâlib. Un grand nombre de femmes furent faites prisonnières dans ce fort, et réduites en esclavage selon la pratique de l'époque. Le Prophète choisit parmi elles une femme appelée Safiyya bint Huyay, la fille de Huyay ibn Akhtab qui avait sans doute été l'un des hommes les plus hostiles à l'islam. Le Prophète affranchit Safiyya avant de l'épouser : elle devint ainsi une Mère des Croyants.

Après la reddition

Tous ces forts étant tombés aux mains des musulmans, les hommes de Khaybar furent contraints à se retirer dans leurs deux derniers forts, al-Watîh et Sulâlam. Ceux-ci furent assiégés pendant plus de deux semaines, avant qu'ils ne comprennent qu'ils n'avaient aucun espoir de reprendre le dessus. Ils proposèrent donc de se rendre si on leur laissait la vie sauve. Leur chef, Kinâna ibn ar-Rabî' ibn Abl al-Huqayq, descendit rejoindre le Prophète pour signer un accord de reddition.

L'accord stipulait qu'aucun de leurs combattants ne serait mis à mort. Ils seraient autorisés à quitter Khaybar et sa région en emmenant leurs femmes et leurs enfants. Ils renonceraient à tout droit sur leurs terres, leur argent, leurs chevaux et leurs armes. Le Prophète ajouta à ces conditions, qui avaient été volontairement proposées par les ennemis : « Mais toutes les garanties qui vous ont été données seront annulées si vous me dissimulez quoi que ce soit. » Ainsi Khaybar tomba-telle entièrement aux mains des musulmans, qui détenaient maintenant toutes ses richesses et toutes ses terres.

Après la conclusion de l'accord de paix, les habitants de Khaybar commencèrent à regretter leur décision d'abandonner leurs terres. Ils allèrent trouver le Prophète pour lui demander de leur permettre de rester travailler dans les fermes et les vergers. Ils dirent aux musulmans : « Nous sommes meilleurs que vous à ce genre de travail, et la terre donnera de bien meilleures récoltes si nous la travaillons nous-mêmes. » Ils offrirent de donner en échange aux musulmans la moitié du produit de toutes les terres de Khaybar. Le Prophète accepta ces offres et amenda l'accord de paix en conséquence, ajoutant toutefois une clause selon laquelle les musulmans pourraient évacuer les gens de Khaybar quand ils le souhaiteraient.

Il existait en Arabie d'autres localités juives hostiles, alliées aux hommes de Khaybar. Lune d'elle était située à Fadak. Quand les juifs qui y vivaient apprirent que le Prophète et les habitants de Khaybar étaient parvenus à un accord de paix, ils décidèrent de ne pas faire la guerre aux musulmans. Ils envoyèrent une délégation rencontrer le Prophète et un accord de paix semblable à celui des habitants de Khaybar fut conclu. Ainsi, les musulmans prirent Khaybar par les armes, tandis qu'ils obtinrent Fadak sans avoir besoin de se battre.

La localité suivante se trouvait à Wâdî al-Qurâ, localité sur laquelle le Prophète marcha en quittant Khaybar. Il l'assiégea plusieurs jours durant, après quoi la population se rendit et conclut avec le Prophète un accord de paix semblable à celui conclu avec les habitants de Khaybar. Les hommes de la localité de Taymâ', quant eux ne se battirent pas : ils se rendirent de leur plein gré. Ainsi, toutes les tribus Israélites hostiles d'Arabie finirent par reconnaître l'autorité du Prophète .

Les musulmans de Médine se trouvaient désormais dans une position beaucoup plus sûre. Ils n'avaient plus à craindre aucun ennemi au Nord. Il n'y avait pas non plus d'ennemi à craindre au Sud grâce au fameux accord de paix conclu avec les arabes de Quraysh à al-Hudaybiyya.

Le retour d'anciens émigrés d'Abyssinie

Quand les musulmans eurent fini de conquérir Khaybar et pris le contrôle de tous ses forts et demeures, une heureuse surprise les attendait. Ils furent rejoints pat Ja'far ibn Abî Tâlib, le cousin du Prophète , qui avait émigré en Abyssinie une quinzaine d'années auparavant avec un certain nombre de compagnons du Prophète. Beaucoup de ceux qui avaient émigré avec Ja'far avaient déjà rejoint le Prophète à Médine à différents moments. Un groupe d'entre eux avait cependant continué à vivre en Abyssinie sur ordre du Prophète.

Peu de temps avant de partir pour Khaybar, le Prophète avait envoyé son ami et compagnon 'Amr ibn Umayya ad-Damrî, qui lui servait d'ambassadeur, demander au Négus, le souverain d'Abyssinie, de faciliter le retour des musulmans qui s'étaient réfugiés dans son pays. Lui-même était devenu musulman. Dès qu'il reçut la requête du Prophète, il fit préparer deux bateaux pour ramener les musulmans chez eux. Les émigrés, qui avaient pour but de rejoindre le Prophète, allèrent tout droit à Khaybar. Ils étaient seize hommes et quelques femmes, ainsi que d'autres musulmans venus d'Abyssinie et du Yémen.

Le Prophète fut très heureux de voir arriver Ja'far et ses frères. Il serra Ja'far dans ses bras et l'embrassa sur le front, entre les yeux. Il dit : « Je ne sais pas ce qui me fait le plus plaisir : la conquête de Khaybar ou le retour de Ja'far. » Le Prophète traita les émigrés de retour d'exil à égalité avec les combattants de Khaybar, donnant à chacun d'eux une part égale du butin de guerre.

Le butin de guerre était très important. La conquête de Khaybar et les gains obtenus par les musulmans étaient une partie de l'accomplissement de la promesse faite par Dieu aux musulmans en récompense de leur fermeté et de leur volonté de combattre les Quraysh à al-Hudaybiyya. Cette promesse se trouve dans la sourate 48, intitulée « La Victoire ». Dieu y promettait d'accorder aux musulmans « une victoire rapide, suivie d'un riche butin » qu'ils pourraient garder pour eux.

L'expédition de Khaybar eut lieu deux mois à peine après al-Hudaybiyya. Les gains des musulmans étaient considérables, mais il ne s'agissait pas d'or ni d'argent ; il s'agissait de vergers et de fermes, de chevaux et de chameaux, de sabres et de flèches. C'était une terre si fertile que sa récolte de dattes à elle seule était estimée, pour le paiement de la zakât, à quarante mille charges de chameaux. Le Prophète réserva à l'État le cinquième de tout ce que les musulmans avaient gagné. Ce cinquième était constitué des terres du district d'al-Katîba.

On a relaté que ce district comprenait au moins quarante mille palmiers qui produisaient chaque année environ huit mille charges de chameau. Selon l'islam, le cinquième de tout ce que les musulmans gagnent à la guerre revient au trésor public. Al-Katîba était donc la part de l'Etat. Le reste fut divisé en mille huit cents parts. Ces parts, de valeur égale, furent distribuées aux combattants : chaque homme reçut une part, et chaque cavalier à cheval deux parts (pour compenser les dépenses relatives à sa monture). Cela confirme qu'il y avait bien mille quatre cents hommes musulmans dans cette armée, qui ne comptait que deux cents chevaux.

Selon certains récits, le Prophète aurait divisé le butin gagné à Khaybar en deux : une moitié aurait été partagée en mille huit cents parts, comme indiqué ci-dessus, tandis que l'autre moitié était attribuée à l'Etat pour pourvoir à ses besoins. Si l'on se rappelle que la version finale de l'accord de paix conclu après la bataille de Khaybar prévoyait que les vaincus travailleraient la terre pour la moitié des récoltes, il suffit de connaître le produit de chaque part reçue pour se faire une idée de l'importance de leur butin.

Nous possédons une indication dans un récit selon lequel le Prophète avait marié l'un de ses compagnons à une jeune femme ; le mariage avait été consommé sans que le montant de la dot ne soit établi, et l'époux n'avait rien donné à sa femme. Cet homme ayant été parmi les participants d'al-Hudaybiyya, il avait reçu une part du butin de Khaybar. Au moment de mourir, il dit à ceux qui se trouvaient à son chevet : « Le Prophète m'a marié à ma femme et je ne lui ai pas donné de dot. Je voudrais que vous soyez témoins que je lui donne comme dot ma part de Khaybar. » Elle vendit cette part cent mille dirhams.

Quand on lit dans certains récits que le Prophète avait l'habitude de mettre de côté une année de provisions pour sa famille, on sait qu'il ne pouvait le faire qu'après la conquête de Khaybar. La situation matérielle des musulmans changea du tout au tout après Khaybar. Là encore, c'était la conséquence des efforts sincères et honnêtes prodigués par les musulmans dans la voie de Dieu, sans espérer d'autre rétribution que la satisfaction divine. Quand les musulmans agissent ainsi, non seulement ils atteignent leur but qui est de plaire à Dieu, mais ils obtiennent également des gains matériels leur assurant une vie confortable en ce bas monde.

Compassion

Deux incidents liés à la bataille de Khaybar donnent une idée de la grande différence entre l'attitude des musulmans et celle de leurs ennemis. On a relaté que bilâl, un compagnon du Prophète, emmenait Safiyya bint Huyay, que le Prophète devait plus tard épouser, et sa cousine d'un endroit à un autre. Bilâl les fit délibérément passer par l'endroit où l'on s'apprêtait à enterrer les combattants juifs. Quand les deux jeunes femmes virent les morts, la cousine de Safiyya se mit à pleurer et à se lamenter à grands cris.

Le Prophète réprouva le comportement de Bilâl et le lui reprocha sévèrement : « Es-tu dépourvu de compassion ? Tu emmènes une jeune fille à l'endroit où sont ceux qui ont été tués. » Bilâl s'excusa en disant qu'il n'avait pas pensé que le Prophète désapprouverait son acte : il avait pensé qu'il serait utile de montrer à la jeune fille que les siens avaient été tués. Mais il promit également de ne plus jamais se comporter ainsi.

Le Prophète reproche ici à l'un de ses plus anciens compagnons de ne pas avoir tenu compte des considérations humaines. Pour lui, le fait que les hommes de Khaybar étaient des ennemis acharnés de l'islam ne justifiait pas qu'on les traite durement. Au contraire, les traiter avec bonté permettrait peut-être de surmonter leur hostilité et d'établir à l'avenir de meilleures relations avec eux, ce qui serait bénéfique à l'islam.

L'autre incident eut lieu lorsque le Prophète et les musulmans eurent pris un peu de repos après leur rude bataille. Une femme du nom de Zaynab bint al-Hârith, l'épouse de Sallâm ibn Mishkam, le chef de Khaybar qui avait été tué lors du siège du premier fort, prépara un agneau. Elle avait auparavant demandé quelle partie de l'agneau le Prophète préférait, et avait appris que c'était l'épaule. Quand l'agneau fut bien cuit, elle l'empoisonna et plaça une dose de poison supplémentaire dans les épaules de l'agneau. Puis elle l'apporta au Prophète et le lui offrit.

Le Prophète prit une épaule et en mordit une bouchée, mais lui trouvant un goût désagréable il la recracha en disant : « Ce rôti me dit qu'il est empoisonné. » L'un de ses compagnons, Bishr ibn al-Bara, se trouvait avec lui. Bishr mangea un peu de l'agneau et le trouva bon. Cependant, le poison produisit son effet et il ne tarda pas à mourir. On fit venir la femme et le Prophète la questionna au sujet de l'agneau. Elle admit qu'elle l'avait empoisonné et expliqua pourquoi, disant au Prophète : « Tu sais ce que tu as fait à mes concitoyens. J'ai pensé que si tu étais un roi, je me vengerais et nous serions débarrassés de toi, tandis que si tu étais vraiment un prophète, tu serais informé du poison. »

Le Prophète lui pardonna. Certains récits affirment toutefois qu'elle aurait été exécutée pour la punir d'avoir tué Bishr ibn al-Barâ'. Cependant, les récits selon lesquels elle aurait été pardonnée sont plus valides. En outre, ils correspondent mieux à l'attitude du Prophète. Il savait que les gens cherchaient toujours l'occasion de se venger de leurs vainqueurs, surtout juste après la défaite. Il avait l'habitude, après chaque succès militaire, de faire quelque chose qui contribuerait à tourner la page dans les relations entre les musulmans et ceux qui venaient d'être vaincus.

Ainsi, lors de la campagne d'al-Mustalaq évoquée précédemment, plusieurs centaines de membres de cette tribu avaient été réduits en esclavage après avoir été faits prisonniers, comme le voulait la pratique habituelle de l'époque. Après la bataille, le Prophète avait épousé Juwayriya bint al-Hârith, la fille du chef des al-Mustalaq. Suite à ce mariage, tous ceux qui avaient été faits prisonniers par les musulmans avaient immédiatement été libérés. Les compagnons du Prophète, ne pouvant accepter d'avoir comme esclaves des gens qui étaient devenus ses parents par alliance, leur avaient rendu la liberté, manifestant ainsi leur amour et leur respect pour le Prophète.

Safiyya, épouse du Prophète

Après Khaybar, le Prophète épousa la fille de l'homme qui avait fait plus qu'aucun autre pour affaiblir l'islam et tenter de l'anéantir. Huyay ibn Akhtab, le chef de la tribu juive d'an-Nadîr, avait résolu de combattre l'islam de toutes ses forces dès l'arrivée du Prophète à Médine. Huyay était l'un des chefs d'an-Nadîr qui avaient conspiré pour tuer le Prophète quand il s'était rendu dans leur district pour demander leur aide conformément au pacte qu'il avait conclu avec eux à son arrivée à Médine.

Cette tentative d'assassinat avait eu pour conséquence l'expulsion de cette tribu de Médine. Dès qu'il s'était installé à Khaybar, Huyay avait commencé à mettre à exécution son projet d'unifier tous les ennemis de l'islam en une attaque concertée de Médine visant à exterminer totalement les musulmans. Ce fut Safiyya, la fille de Huyay lui-même, que le Prophète décida d'épouser après la bataille de Khaybar.

Il ne faut pas sous-estimer l'importance d'un tel mariage, en particulier dans l'environnement tribal d'Arabie, où les mariages entre les familles des chefs des différentes tribus impliquaient des alliances entre ces tribus. Le Prophète voulait que ses compagnons et les juifs vaincus comprennent qu'il ouvrait une nouvelle page dans les relations avec l'ennemi d'hier. Le Prophète n'aurait pas épousé Safiyya s'il n'avait pas eu l'intention de la traiter comme l'égale de ses autres épouses.

Il était conscient que ce mariage contribuerait largement à faire comprendre à tous que la porte était ouverte pour qu'ils aient des relations amicales avec les musulmans. Safiyya était une jeune femme quand le Prophète l'épousa. Selon certains récits, elle n'avait que dix-sept ans. Toutefois, cela n'est peut-être pas très exact, étant donné qu'en Arabie, aucune tribu ne consignait les dates des événements. Elle avait peut-être quelques années de plus, vu qu'elle avait été mariée deux fois auparavant. Son premier époux avait été Sallâm ibn Mishkam, le notable juif qui avait pris le commandement général de Khaybar peu de temps avant la bataille de Khaybar et était mort lorsque les musulmans avaient assiégé le fort de Nâ'im.

On ne sait pas avec certitude combien ce mariage dura, mais il est probable que Sallâm répudia sa femme quelque temps avant sa mort. Son second époux avait été Kinâna ibn ar-Rabî' ibn Abî al-Huqayq, qui appartenait à une famille dont étaient issus de nombreux chefs juifs. Kinâna avait été tué à Khaybar vers la fin des combats. Selon les traditions de l'époque, Safiyya aurait dû être esclave dans la maisonnée du Prophète.

Celui-ci ne gardait cependant jamais longtemps en esclavage les esclaves, hommes ou femmes, qui se trouvaient entre ses mains. Quand ses compagnons lui dirent que Safiyya ne devait revenir à personne d'autre que lui en raison de la noblesse de ses origines - remontant semble-t-il au prophète Aaron, le frère de Moïse (la paix soit sur eux) - le Prophète donna à Safiyya la liberté de choix : elle pourrait rejoindre sa famille, ou bien il l'affranchirait et l'épouserait. Elle choisit d'être sa femme.

Après leur mariage, le Prophète fit tout ce qu'il put pour aider Safiyya à oublier les événements du passé, qui étaient naturellement douloureux pour elle. Selon un récit, elle dit plus tard : « Le Messager de Dieu m'était odieux parce qu'il avait tué mon époux et mon père. Cependant, il ne cessa de me demander pardon, en disant que mon père avait ligué les Arabes contre lui, fait ceci et fait cela, jusqu'à ce que tous mes sentiments hostiles se dissipent. »

Un jour, entrant chez Safiyya, le Prophète la trouva en larmes. Comme il lui en demandait la raison, elle répondit que Aïsha et Hafsa, deux autres épouses du Prophète , ne cessaient pas de parler d'elle de manière méprisante. Elles disaient qu'elles étaient l'une et l'autre supérieures à elle parce qu'elles étaient des cousines éloignées du Prophète et que celui-ci les avait épousées pour elles mêmes et pour nulle autre raison. Il lui dit : « Pourquoi ne leur as-tu pas répondu : "Comment pouvez-vous être supérieures à moi alors que j'ai Aaron pour père [c'est-à-dire que sa lignée remontait jusqu'à lui], Moïse pour oncle et Muhammad pour époux ?" »

Selon un autre récit, quand elle était encore toute jeune, Safiyya avait rêvé que la lune lui tombait sur les genoux. Elle avait relaté son rêve à son père qui l'avait frappée très fort au visage en lui disant : « Tu souhaites sûrement épouser le roi des Arabes. » Le coup avait laissé une marque visible sur son visage. Lorsque le Prophète devint son époux, il remarqua cette marque et, comme il la questionnait sur son origine, elle la lui expliqua.

Une attitude propre à gagner les coeurs

Nous avons déjà relaté que selon l'accord passé avec le Prophète , les gens de Khaybar restaient sur place pour s'occuper de la terre en échange de la moitié des récoltes. Le Prophète accepta et leur permit de rester à condition que les musulmans soient libres de leur demander de partir quand ils le souhaiteraient et qu'ils le fassent alors sans protester. Cela montre que le Prophète ne nourrissait aucune haine à l'encontre de ses anciens ennemis. Il ne souhaitait pas se venger d'eux, malgré leurs complots passés et leurs multiples tentatives de nuire à l'islam.

Une fois qu'ils se furent rendus et qu'il fut clair qu'ils ne pouvaient plus causer de tort aux musulmans, tuer leurs hommes ou les envoyer en exil n'aurait plus été utile à la cause de l'islam. Il leur permit donc de rester. Qui plus est, le Prophète insista pour que les musulmans les traitent avec justice. A un certain moment, les juifs se plaignirent que des musulmans étaient entrés dans leurs fermes et en avaient pris des fruits ou du grain.

Le Prophète ordonna aux musulmans de se rassembler et leur dit : « Les juifs se sont plaints à moi que vous aviez emporté des choses de leurs fermes et de leurs granges. Vous savez que nous avons conclu un accord avec eux, leur garantissant la sécurité de leurs vies et de leurs biens sur leurs terres. Nous nous sommes également mis d'accord pour qu'ils travaillent la terre pour nous. Aucun musulman n'a le droit de prendre quelque chose appartenant à quelqu'un avec qui les musulmans ont un accord de paix à moins d'en payer le juste prix. »

Quand les musulmans furent de retour à Médine, le Prophète prit l'habitude d'envoyer chaque année son compagnon 'Abdullâh ibn Rawâha à Khaybar pour estimer le montant des récoltes afin qu'il soit divisé en parts égales entre les musulmans et les juifs. Parfois, une fois qu'il avait procédé à ses estimations et désigné les parts revenant aux musulmans et les habitants de Khaybar, ceux-ci lui disaient : « Tu as été injuste envers nous. » Il répondait alors : « Vous pouvez choisir votre part. » Les juifs étaient alors rassurés sur l'équité de 'Abdullâh et lui disaient : « Avec un tel niveau de justice, tout ce qui est sur la terre et dans les cieux peut prospérer. »

Parmi ce qui se trouva en la possession des musulmans à l'issue de leur victoire de Khaybar figuraient un certain nombre de feuillets et de pages de la Thora. Les juifs demandèrent au Prophète de leur rendre ces feuillets, ce qu'il fit volontiers. Pour eux, ces feuillets possédaient en effet une valeur particulière. Leur restitution après la défaite les remplit d'admiration pour le Prophète En effet, il est courant dans la plupart des guerres que les vainqueurs détruisent ce que les vaincus considèrent comme sacré. Quand les Romains prirent Jérusalem en l'an 70 apr. J.-C, ils brûlèrent les livres sacrés appartenant aux juifs.

Chez les Quraysh

Lorsque les musulmans étaient partis de Médine pour Khaybar sous le commandement du Prophète, l'issue de l'entreprise avait suscité un grand intérêt dans toute l'Arabie, en particulier chez les Quraysh. Par la suite, la conquête de Khaybar par les musulmans fut un succès considérable obtenu beaucoup plus rapidement et plus facilement que la plupart des gens ne l'auraient imaginé. Les Quraysh avaient suivi les événements avec une grande sympathie pour les juifs de KHaybar.

À peine dix-huit mois auparavant, les tribus arabes de La Mecque et les tribus juives de Khaybar s'étaient associés dans un suprême effort visant à détruire Médine et exterminer les musulmans. Maintenant, les Quraysh étaient certes contraints à la neutralité par le traité de paix d'al-Hudaybiyya, mais la simple signature d'un traité n'aurait pas suffi à modifier radicalement leurs sympathies.

Les Quraysh ne pouvaient donc qu'espérer que les juifs réussiraient seuls là où leurs forces combinées avaient échoué. Les opinions divergeaient chez les Quraysh quant au résultat attendu dans l'affrontement entre les musulmans et les juifs. Certains, connaissant la force et l'armement des hommes de Khaybar et leurs importantes fortifications ainsi que leur alliance avec la tribu arabe de Ghatafân, pensaient que l'issue de la bataille serait favorable aux juifs.

D'autres, admirant l'unité des musulmans, leur détermination, leur discipline, leur coopération mutuelle et leur empressement à tout sacrifier pour leur foi, n'accordaient guère de chances aux gens de Khaybar. La question était beaucoup débattue et des sommes importantes furent pariées sur l'issue de la bataille à venir. Les Quraysh attendaient donc avec impatience les nouvelles que pourrait apporter un voyageur solitaire ou une caravane. Certains allèrent jusqu'à sortir de La Mecque jusqu'aux routes empruntées par les voyageurs pour questionner les éventuels passants.

Telle était la situation à La Mecque. Dans le camp musulman, à Khaybar, un homme qui était devenu musulman peu de temps auparavant et avait participé à la bataille vint dire au Prophète , la bataille terminée : « Messager de Dieu, j'ai laissé une grande partie de mon argent chez ma femme Umm Shayba, et un certain nombre de commerçants de La Mecque me doivent d'importantes sommes d'argent. Je te prie de m'autoriser à aller recouvrer mes créances. » Ayant obtenu la permission du Prophète, cet homme, qui s'appelait al-Hajjâj ibn Allât et appartenait à la tribu de Sulaym, ajouta : « Je serai peut-être contraint de dire des choses qui ne seront pas tout à fait vraies. » Le Prophète l'y autorisa.

Al-Hajjâj voyagea aussi vite qu'il le put jusqu'aux abords de La Mecque. À 'Ihaniyya al-Bayda, aux alentours de la ville, il trouva des hommes de Quraysh attendant quelqu'un qui puisse les renseigner sur le Prophète et les musulmans. Ne sachant pas qu'al-Hajjâj était devenu musulman, ils dirent en le voyant approcher : « Voici al-Hajjâj ibn Allât, il doit avoir les renseignements que nous cherchons. » Ils se hâtèrent de le rejoindre et lui dirent : « Hajjâj, nous avons entendu dire que l'homme [c'est-à-dire le Prophète] a marché sur Khaybar, la cité juive qui est le jardin du Hijaz. »

Al-Hajjâj répondit : « Oui, j'ai appris cela, et j'ai de bonnes nouvelles pour vous. » Voici comment al-Hajjâj a relaté la suite de l'incident :

Ils se rassemblèrent rapidement autour de ma chamelle et me demandèrent de parler. Je leur dis : « Muhammad a été sévèrement battu, ses compagnons ont subi de nombreuses pertes et Muhammad lui même a été fait prisonnier. Les juifs ont décidé de ne pas le tuer mais de vous l'envoyer ici à La Mecque pour que vous puissiez le tuer vous-mêmes, vengeant ainsi ceux de vos chefs qu'il a tués. »

Quand ils entendirent cela, ils se hâtèrent d'aller porter la nouvelle aux gens de La Mecque, annonçant à qui voulait l'entendre que les nouvelles attendues étaient arrivées et que Muhiammad allait leur être amené enchaîné pour qu'ils le tuent. Dans l'allégresse générale, je leur dis : « Aidez-moi à recouvrer mes créances de mes débiteurs, car je veux aller à Khaybar récupérer tout ce que je pourrai de ce que l'armée de Muhammad a laissé derrière elle avant que d'autres commerçants n'y arrivent. »

Beaucoup s'empressèrent de m'aider et l'argent qu'on me devait fut bientôt réuni. J'allai ensuite trouver ma femme et je lui demandai de me donner l'argent que j'avais confié à sa garde, en lui donnant le même prétexte qu'aux autres Mecquois.

Les nouvelles apportées par al-Hajjâj causèrent un grand émoi à La Mecque. Les Quraysh endurcis y voyaient une aubaine inattendue qui allait modifier radicalement la situation en Arabie. Si l'ascension des musulmans était interrompue, les Quraysh retrouveraient sûrement leur suprématie. Par contre, il se trouvait à La Mecque de nombreux musulmans qui avaient gardé leur conversion secrète : ceux-là étaient désemparés, car la défaite des musulmans aurait entraîné leur perte. En outre, les sympathies des Hachémites, le clan du Prophète, étaient du côté des musulmans. Ils ne souhaitaient pas voir Muhammad vaincu.

L'un de leurs chefs, l'oncle du Prophète al-Abbâs ibn Abd al-Muttalib, fut troublé par ce qu'il avait appris mais voulut en avoir la confirmation. Il tint à parler lui-même à al-Hajjâj ibn Allât. Le trouvant sous une tente qui servait de magasin à un commerçant mecquois, il s'approcha de lui et lui dit : « Hajjâj, qu'est-ce que cette nouvelle que tu as apportée ? » Al-Hajjâj répondit : « Puis-je te faire confiance pour garder ce que je vais te confier ? »

Al-Abbâs ayant répondu que oui, al-Hajjâj lui demanda d'attendre qu'il ait fini de recouvrer ses créances, après quoi il viendrait le voir. Quand il eut terminé et fut sur le point de partir, al-Hajjâj alla trouver al-Abbâs et lui dit : « Écoute-moi bien et garde secret ce que je vais te dire pendant trois jours, car je crains que les Quraysh ne se lancent à ma poursuite s'ils apprennent ce que je vais te dire. Au bout de trois jours, tu seras libre de dire ce que tu voudras. »

Al-Abbâs promit de garder le secret pendant trois jours. Al-Hajjâj lui dit alors : « Par Dieu, j'ai laissé ton neveu ayant épousé la fille de leur roi [Safiyya bint Huyay]. Il a assurément conquis Khaybar. La ville entière et les terres environnantes lui appartiennent maintenant, ainsi qu'à ses compagnons. » Il poursuivit : « Ceci est assurément la vérité. Je te prie de garder le secret. Je suis musulman et je ne suis venu ici que pour chercher mon argent. J'ai craint de n'être jamais payé si je le laissais encore. Au bout de trois jours, tu pourras rendre public ce que je viens de te dire, car c'est la vérité. »

Al-Hajjâj partit alors, et al-Abbâs rentra chez lui rassuré et heureux. Trois jours plus tard, al-Abbâs soigna son apparence, s'habilla de la manière la plus élégante et se rendit à la Ka'ba où il accomplit le tawâf. Encore enchantés de la bonne nouvelle qu'ils avaient reçue, des hommes de Quraysh observèrent en le voyant : « Abu al-Fadl [une appellation respectueuse d'al-Abbâs le désignant en tant que père de son fils al-Fadl], tu te montres assurément patient face à ce malheur inattendu. »

Il répliqua : « Il n'en est rien. Muhammad a conquis Khaybar et épousé la fille du roi juif. Il a pris Khaybar tout entière ainsi que ses terres, et elles appartiennent maintenant à lui-même et ses compagnons. » Surpris et choqués, les Quraysh demandèrent : « Qui t'a dit cela ? » Al-Abbâs répondit qu'il l'avait appris de l'homme qui leur avait apporté la nouvelle qu'ils désiraient entendre. Il ajouta qu'al-Hajjâj était musulman et était venu chercher son argent pour ensuite rejoindre Muhammad et ses compagnons. La joie des Quraysh fit place à la déception. Ils se répandirent en menaces contre al-Hajjâj mais comprirent vite qu'il leur avait échappé.