Sanctionner la trahison
Il ne fait aucun cloute que les musulmans furent secourus par la Providence divine quand tout portait à croire qu'ils n'avaient aucune chance de survivre, ni à plus forte raison de remporter la victoire. Si les ennemis de l'islam avaient pu mener leurs plans à exécution, ils auraient accompli leur objectif d'exterminer tous les musulmans de Médine.
C'était à n'en pas douter la trahison des Qurayza qui avait placé les musulmans dans cette situation périlleuse. Sans cette trahison, les païens arabes n'auraient pas pu percer les lignes de défense musulmanes. Ils avaient longuement campé et paradé devant le fossé creusé par les musulmans. Ils avaient longuement cherché un point faible dans les défenses musulmanes. Tous leurs efforts étaient restés vains. Mais l'attitude des Qurayza leur avait remonté le moral et les avait portés a croire que la victoire approchait.
En outre, cette trahison des Qurayza préoccupait gravement les musulmans. Comme nous l'avons dit précédemment, ils craignaient davantage une attaque des Qurayza contre leurs femmes et leurs enfants qu'un déclenchement des hostilités par les Quraysh. Le Coran décrit leur situation en ces termes : « Vos yeux étaient hagards d'épouvante et la frayeur vous prenait à la gorge, pendant que vous vous livriez sur Dieu à toutes sortes de conjectures. » (33.10)
Telle était la situation des musulmans jusqu'à ce matin béni où ils découvrirent à leur réveil que leurs ennemis arabes étaient partis. Ils comprirent que ce n'était pas par leurs propres efforts que cela avait été accompli, hormis le fait qu'ils s'étaient montrés prêts à consentir tous les sacrifices nécessaires. Comme nous l'avons dit, la victoire était l'oeuvre de la Providence divine. Le départ des Quraysh et des Ghatafàn ne résolvait pas totalement le problème. Il restait un compte à régler avec les Qurayza.
Ce matin-là, le Prophète
et tous les musulmans retournèrent à Médine et posèrent les armes pour la première fois en près d'un mois. Ils essayèrent de se détendre et de se restaurer. Cependant, à midi, l'ange Gabriel apparut au Prophète et lui dit : « Dieu t'ordonne, Muhammad, de marcher sur les Qurayza. J'y vais maintenant pour faire trembler leur coeur. »
Le lieu d'accomplissement d'un prière
Le Prophète fit annoncer dans tout Médine : « Quiconque obéit à Dieu ne devra accomplir la prière de 'asr qu'auprès des Qurayza. » Le Prophète, quant à lui, chargea Ibn Umm Maktûm de le remplacer à Médine avant de se mettre en route. Dès que les compagnons du Prophète entendirent l'appel, ils se préparèrent pour rejoindre la nouvelle expédition. Leur réaction constitue un excellent exemple pour tous les musulmans. On aurait pu s'attendre à ce qu'ils préfèrent prendre quelques jours de repos avant de régler leurs comptes avec les Qurayza, s'ils avaient eu le choix.
Mais on ne leur laissait pas le choix. Après vingt-sept jours d'un siège éprouvant et de graves inquiétudes, on leur ordonnait d'entreprendre une nouvelle campagne. Il n'y eut strictement aucun désaccord. Tous les musulmans se hâtèrent de se joindre à la campagne. L'heure de la prière de 'asr arriva alors qu'ils étaient en route pour se rendre chez les Qurayza. Comment devaient-ils se comporter ? Devaient-ils interrompre leur voyage pour accomplir la prière de 'asr, comme ils l'auraient fait dans d'autres circonstances ? Ou devaient-ils remettre l'accomplissement de cette prière obligatoire au moment où ils atteindraient le district des Qurayza, puisque le Prophète leur avait ordonné de ne pas l'accomplir ailleurs ?
Les compagnons du Prophète
étaient partagés entre deux opinions. Les uns avançaient que le Prophète n'avait voulu que souligner la nécessité d'agir vite, mais qu'il ne voulait pas leur faire manquer une prière obligatoire ni la leur faire retarder au-delà de son temps. D'autres insistaient au contraire pour obéir strictement aux instructions du Prophète : ils ne seraient donc pas en faute s'ils attendaient d'être arrivés chez les Qurayza pour accomplir la prière de 'asr. Certains musulmans prièrent donc en route tandis que d'autres attendirent d'être arrivés pour prier. Le Prophète ne critiqua ni les uns ni les autres. Cela prouve que l'islam respecte toutes les opinions formulées en toute bonne foi.
Lequel des deux groupes avait raison ? Certains prennent à la lettre les injonctions du Coran ou de la Sunna. Ils se contentent de faire ce qu'on leur dit, convaincus que Dieu et Son Prophète
expriment clairement leur objectif sans qu'il soit nécessaire de rechercher un sens caché pour comprendre cet objectif. D'autres essaient de déterminer l'objectif de telle ou telle injonction et agissent en fonction de ce qu'ils ont compris, même si cela diffère du sens immédiat de l'injonction. Les uns et les autres seront récompensés pour leurs actions même si leurs conclusions sont erronées, car ils y sont parvenus en toute bonne foi.
Quand les premiers groupes de musulmans commencèrent à arriver aux demeures fortifiées des Qurayza, ils les trouvèrent dans une attitude de défi. Peut être les Qurayza ne s'attendaient-ils pas à ce que les musulmans arrivent en force si peu de temps après le départ des Arabes païens. Peut-être aussi les Qurayza n'étaient-ils pas conscients que les Quraysh et les Ghatafàn étaient déjà partis, et peut-être pensaient-ils qu'un petit groupe de musulmans avait été chargé de faire diversion en attaquant les Qurayza pour les empêcher d'aider les Arabes sur l'autre front.
Alî ibn Abî Tâlib, le cousin du Prophète célèbre pour sa témérité à la guerre, était le porte-drapeau des musulmans. Comme il commençait à déployer ses forces, les Qurayza tentèrent délibérément de provoquer les musulmans par une pluie d'insultes. Ils déversèrent un tel torrent d'injures sur le Prophète et ses épouses que lorsque le Prophète arriva, Ali se précipita vers lui pour lui demander de ne pas trop s'approcher des demeures des Qurayza. Le Prophète comprit ce qui se passait et répondit à Alî de ne pas s'inquiéter : « Quand ils me verront, ils cesseront de m'insulter. »
Les musulmans assiégèrent alors les Qurayza. Ainsi, ceux-là mêmes qui avaient été assiégés par leurs ennemis infligeaient maintenant le même traitement à une partie de ces ennemis. La différence était que ceux qui se retrouvaient maintenant assiégés n'avaient aucun espoir de l'emporter sur les musulmans, qui venaient de se débarrasser de la plus grande partie de leurs ennemis. Les Qurayza subirent d'abord le siège avec patience. Mais, au fur et à mesure que les jours passaient sans aucun signe de répit, ils se lassèrent et comprirent que leur seul espoir était d'essayer d'aboutir à un compromis avec les musulmans.
Offre de reddition
Ils envoyèrent donc un message au Prophète
demandant à être traités de la même manière que leurs coreligionnaires de la tribu d'an-Nadîr. Ces derniers avaient été autorisés à quitter Médine avec leurs femmes et leurs enfants et chacun avait pu emporter un chargement de chameau de ses biens. Les Qurayza proposaient maintenant de partir dans les mêmes conditions. Il n'y avait cependant aucune chance que le Prophète l'accepte. En effet, les crimes commis étaient très différents. Elles avaient l'une et l'autre rompu leur traité avec les musulmans, mais les an-Nadîr avaient simplement essayé de tuer le Prophète.
Les Qurayza, eux, avaient contracté une alliance avec les Arabes païens dans le but d'exterminer définitivement les musulmans, alors que le traité stipulait qu'ils devaient les aider à se défendre contre ces mêmes Arabes. Leur culpabilité était plus flagrante et bien plus grave. Il aurait donc été totalement injuste de les faire bénéficier du même traitement que leurs coreligionnaires. Ils s'efforcèrent néanmoins encore d'obtenir un arrangement pacifique.
Quand ils apprirent que le Prophète n'était pas prêt à accepter leur offre, ils lui envoyèrent un autre messager où ils demandaient à pouvoir quitter Médine avec leurs femmes et leurs enfants, sans rien emporter avec eux et sans armes. Le Prophète refusa à nouveau. Il leur fut répondu qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de se soumettre au jugement du Prophète quel qu'il soit, c'est-à-dire de se rendre sans conditions.
Les Qurayza ne savaient que faire. Ils étaient conscients de l'énormité de leur crime. Ils savaient aussi qu'ils ne pourraient pas l'emporter sur les musulmans, dont le moral était excellent depuis le départ des Arabes païens et dont les forces demeuraient intactes puisqu'ils n'avaient pas eu à se battre contre les troupes considérables des Quraysh et des Ghatafàn réunis. Quand ils furent démoralisés par la dureté du siège qui se poursuivait, ils envoyèrent demander au Prophète de leur envoyer l'un de ses compagnons pour discuter avec lui de ce qu'ils devraient faire. Leur choix se porta sur Abu Lubâba Rifâ'a ibn al-Mundhir, de la tribu Aws des ansâr.
Les Aws avaient été les alliés des Qurayza avant l'avènement de l'islam. Des liens puissants existaient encore entre de nombreux musulmans de cette tribu et les Qurayza. Abu Lubâba en particulier était leur ami très proche. Il habitait dans leur district et y pratiquait son commerce. Ils étaient donc sûrs qu'il les conseillerait bien. Cependant, l'homme était un musulman sincère et il était conscient que sa place était auprès de l'armée musulmane. Il refusa donc de les rejoindre à moins que le Prophète ne lui en donne la permission.
Dès qu'il arriva après avoir reçu cette permission, leurs hommes vinrent l'accueillir et leurs femmes et leurs enfants pleurèrent à grands cris pour l'attendrir. Il eut pitié d'eux et aurait souhaité qu'ils ne se soient pas mis dans une telle situation. Ils l'entourèrent en lui demandant conseil : « Qu'en penses-tu, Abu Lubâba ? Muhammad a refusé toutes les offres que nous lui avons faites et n'a rien voulu accepter d'autre que notre soumission à son jugement. » Abu Lubâba répondit : « Alors, vous n'avez pas d'autre choix que de vous soumettre. » En disant cela, il montra sa gorge en un geste qui voulait dire que le jugement du Prophète serait de les faire tous tuer.
Dès qu'il eut exécuté ce geste, Abu Lubâba se rendit compte qu'il venait de faillir gravement à sa mission. Il sentit qu'il avait trahi Dieu et Son prophète. Il ne se sentait pas capable d'affronter ce dernier. Il quitta les Qurayza et repartit, mais au lieu d'aller voir le Prophète, il alla tout droit à la mosquée. Il s'attacha à un pilier de la mosquée et jura de ne pas quitter cet endroit tant que Dieu n'aurait pas pardonné son erreur. Il jura aussi devant Dieu de ne plus jamais se rendre dans le district des Qurayza et de ne plus jamais être vu sur le lieu de sa faute.
Au bout d'un certain temps, ne voyant pas revenir Abu Lubâba, le Prophète demanda : « Abu Lubâba n'a-t-il pas terminé ses consultations avec ses alliés ? » On l'informa alors de l'action d'Abû Lubâba et de sa décision. Le Prophète dit : « S'il était revenu me voir, j'aurais imploré Dieu de lui pardonner. Maintenant qu'il a fait cela, ce n'est pas à moi de le libérer tant que Dieu ne lui aura pas pardonné. » Six jours durant, Abu Lubâba resta attaché au pilier dans la mosquée, sans rien manger ni boire.
À l'heure de chaque prière, sa femme venait le détacher pour qu'il se joigne aux prières, puis elle le rattachait dès la fin de la prière. Son pardon arriva quand Dieu révéla au Prophète
le verset suivant : « D'autres ont reconnu leurs péchés, car ils avaient mêlé bonnes et mauvaises actions. Ceux-là, Dieu acceptera certes leur repentir. Dieu est, en effet, Plein de clémence et de miséricorde. » (9.102) Ce verset fut révélé la nuit, juste avant la prière de l'aube.
Umm Salama, l'épouse du Prophète, vil qu'il souriait. Quand elle lui en demanda la raison, il l'informa que Dieu avait pardonné sa faute à Abu Lubâba. Elle lui demanda la permission d'apporter la bonne nouvelle à Abu Lubâba et, ayant reçu sa permission, elle alla l'en informer. Les gens se précipitèrent pour le féliciter et essayèrent de le détacher, mais il insista : « Je jure qu'aucun autre que le Prophète ne me détachera. » Peu après, le Prophète sortit de chez lui pour accomplit la prière de l'aube à la mosquée et détacha Abu Lubâba.
Les Qurayza pouvaient maintenant faire le bilan de leur situation. Après un siège de vingt-cinq jours, ils étaient complètement démoralisés et savaient qu'ils ne tiendraient pas beaucoup plus longtemps. Leur chef, Ka'b ibn Asad, résuma ainsi les choix qui leur restaient, selon lui : « Vous êtes conscients de la situation difficile où nous nous trouvons. Je vous offre le choix entre trois possibilités. La première est de croire en cet homme, Muhammad, et de le suivre. Par Dieu, nous sommes maintenant certains qu'il est bien un prophète et un messager envoyé par Dieu. Il est bien celui que décrivent nos Écritures. En faisant cela, vous sauverez vos vies et protégerez vos enfants et vos familles. »
Ils objectèrent à cette solution et dirent : « Jamais nous n'abandonnerons l'Ancien Testament pour lui substituer une chose. »
Ka'b dit alors : « Puisque vous me refusez cette possibilité, je vous propose de tuer nos femmes et nos enfants, puis de sortir combattre Muhammad et ses partisans. Si nous agissons ainsi, nous pourrons nous battre beaucoup mieux car nous n'aurons plus de responsabilités derrière nous. Nous pourrons le combattre jusqu'à ce que Dieu décide entre nous. Si nous sommes exterminés, nous affronterons la mort sans inquiétude pour notre progéniture. Si, au contraire, nous obtenons la victoire, nous trouverons bientôt d'autres femmes et nous aurons d'autres enfants. » Ils répondirent : « À quoi nous servirait-il de vivre, quand nous aurions tué nos malheureuses femmes et nos pauvres enfants ? »
Il poursuivit : « Puisque vous refusez cela aussi, la seule chose que je peux vous proposer est que, cette nuit étant celle du sabbat, Muhammad et ses compagnons seront probablement moins sur leurs gardes, car ils pensent que nous n'entreprendrons rien de sérieux une nuit de sabbat. Prenons-les donc par surprise et combattons-les jusqu'au bout.» Ils répondirent à cette suggestion : « Veux-tu donc gâcher notre sabbat et le violer comme cela n'a jamais été fait auparavant, sauf par ceux que vous savez, qui ont subi le châtiment que vous savez ? »
L'un d'eux, Nabbâsh ibn Qays, dit : « Comment penses-tu les prendre par surprise, alors que tu vois qu'ils sont plus forts de jour en jour ? Au début du siège, ils tenaient leurs positions pendant la journée et se retiraient pendant la nuit. Nous les voyons maintenant tenir le siège nuit et jour. L'élément de surprise n'est pas entre nos mains. » Ka'b dit alors : « Jamais aucun d'entre vous n'a pris une décision résolue depuis sa naissance. »
Le lendemain matin, les Qurayza se rendirent et acceptèrent le jugement du Prophète
. Leur reddition fut l'épilogue d'un conflit qui avait mis l'islam face à face avec les forces conjointes de ses ennemis. La détermination et la fermeté dont les musulmans avaient fait preuve durant cette période de grande difficulté qui avait duré plus de trois mois, portaient maintenant leurs fruits. Les Arabes étaient partis humiliés, et c'était maintenant le tour des Qurayza lorsqu'ils se soumirent au jugement du Prophète.
La même nuit qui vit la reddition des Qurayza, trois juifs du clan de Hudal descendirent des places fortes des Qurayza et demandèrent à être emmenés près du Prophète Ces trois hommes, Tha'laba ibn Sa'ya, son frère Usayd et As'ad ibn 'Ubayd, déclarèrent leur conversion à l'islam. Un autre homme, Amr ibn Su'da, qui avait refusé de prendre part à la trahison des siens et la leur avait déconseillée, sortit également. Il passa devant Muhammad ibn Maslama, le principal garde du camp musulman, qui reconnut sa position particulière. Il dit : « Seigneur ! Permets-moi d'être généreux envers un homme d'honneur. » Il le laissa donc passer. Nul ne sait où partit Amr. Le Prophète dit plus tard que Dieu avait sauvé Amr ibn Su'da parce qu'il avait été fidèle à son engagement.
Le Jugement des Qurayza
Quand les Qurayza se furent rendus, le Prophète ordonna que les hommes soient mis d'un côté, les mains liées, et que les femmes et les enfants soient mis d'un autre côté. Les musulmans de la tribu des Aws se sentirent obligés de demander la clémence du Prophète pour leurs anciens alliés. Il était clair que des liens puissants avaient autrefois uni les Aws et les Qurayza, et que les Aws étaient enclins à l'indulgence envers leurs anciens alliés, malgré leur trahison. Lorsque les Aws allèrent intercéder auprès du Prophète, il leur dit : « Accepteriez-vous que je confie mon différend avec vos anciens alliés au jugement de l'un des vôtres ? »
Les Aws furent très satisfaits de cette proposition qu'ils s'empressèrent d'accepter. Le Prophète leur dit alors de demander aux Qurayza de choisir comme arbitre un membre des Aws. Leur choix se porta sur le chef de la tribu des Aws, Sa'd ibn Mu'âdh. Certains récits avancent que c'était le Prophète
qui avait choisi Sa'd ibn Mu'âdh pour juger du cas des Qurayza. Que le choix ait été celui du Prophète ou celui des Qurayza eux-mêmes, Sa'd était l'homme qu'il fallait pour prononcer le jugement.
Les Aws ne manqueraient pas d'accepter le jugement plus facilement s'il était formulé par leur propre chef. En outre, rien n'aurait pu être plus équitable envers les Qurayza que de désigner leur propre allié pour les juger. Nous avons mentionné précédemment que Sa'd ibn Mu'âdh avait été blessé lors des accrochages qui s'étaient produits au cours du siège imposé aux musulmans par les Quraysh et les Ghatafân. Il était soigné pour sa blessure sous une tente-infirmerie dressée par une femme du nom de Rufayda bint al-Hârith. C'était le Prophète
qui avait demandé aux Aws de faire soigner Sa'd sous la tente de Rufayda afin de pouvoir lui rendre visite pendant le siège des Qurayza.
Quand il fut désigné comme arbitre du sort des Qurayza, des gens de sa tribu vinrent le chercher pour le conduire auprès du Prophète. Ils lui amenèrent un âne à monter et tintèrent de le persuader de faire preuve d'indulgence. Ils lui dirent : « Sois généreux envers tes alliés, Abu Amr. Le Prophète t'a choisi pour les juger afin que lu sois généreux envers eux. Tu sais que Abdullâh ibn Ubayy a été généreux envers ses alliés. »
Sa'd choisit d'abord le silence. Quand il fut las de leur insistance, il dit : « Il est temps que Sa'd cesse de se préoccuper des critiques, quand il s'agit d'un acte par lequel il espère plaire à Dieu. » On relate que ses contribules comprirent par ces paroles qu'il ne comptait pas laisser ses sympathies et les leurs intervenir dans son jugement. Certains d'entre eux retournèrent donc annoncer aux leurs que le jugement qui attendait les Qurayza serait terrible, avant même que Sa'd n'ait atteint la tente du Prophète.
Lorsque Sa'd arriva, le Prophète
dit à ses compagnons : « Levez-vous pour accueillir votre maître. » Ils se levèrent en deux rangs et chacun salua Sa'd à tour de rôle. Puis le Prophète lui dit qu'il avait été choisi pour juger les Qurayza. Sa'd répondit : « C'est à Dieu et Son messager qu'il appartient de juger. » Le Prophète
lui dit que c'était Dieu qui lui enjoignait de donner son verdict. Sa'd se tourna alors vers les musulmans et leur demanda : « Me jurez-vous solennellement devant Dieu que mon jugement sera accepté comme définitif ? »
Quand ils répondirent à l'affirmative, il baissa la tête en signe de déférence au Prophète, tendit la main en direction de l'endroit où il était assis et demanda : « Cela concerne-t-il aussi ceux qui sont de ce côté ? » Le Prophète répondit : « Oui. » Sa'd demanda alors aux Qurayza s'ils accepteraient son jugement, quel qu'il soit. Ils répondirent que son verdict leur serait acceptable. Il leur demanda encore de s'engager solennellement à accepter le jugement qu'il prononcerait. Quand ils l'eurent fait, il prononça son verdict en ces termes : « Je décide que tous les hommes des Qurayza seront tués, que leurs biens seront partagés et que leurs femmes et leurs enfants seront réduits en esclavage. »
Le Prophète
entérina le jugement et dit qu'il venait de Dieu. Le jugement fut alors exécuté. Sur ordre du Prophète, tous les Qurayza furent emmenés à Médine où les hommes furent détenus dans la maison d'Usâma ibn Zayd tandis que les femmes et les enfants étaient détenus dans la maison d'une femme appelée Kayysa bint al-Hârith. Leurs armes et leurs biens mobiliers furent aussi apportés à Médine tandis que leur bétail était laissé dans leurs champs. On leur donna des dattes à manger. Des fosses furent creusées sur la place du marché de Médine pour l'exécution des hommes de Qurayza, qui furent emmenés par groupes pour être décapités.
Quand on emmena Huyay ibn Akhtab pour le tuer, le Prophète lui dit : « Dieu ne t'a-t-Il pas livré à moi, ennemi de Dieu ? » Huyay répondit : « Certes, Dieu a choisi de te donner le dessus sur moi. Je ne me suis jamais reproché d'avoir adopté une attitude hostile envers toi. Mais celui qui n'est pas soutenu par Dieu est abandonné à l'humiliation. » Puis il se tourna vers ceux qui l'entouraient et dit : « Nous ne pouvons pas nous opposer au jugement de Dieu. C'est un sort que nous devons subir parce que Dieu l'a imposé aux Israélites. » Il fut alors exécuté.
Le Prophète ordonna que les prisonniers soient bien traités et qu'on leur donne à boire et à manger avant leur exécution. On attendit la fin de l'après-midi pour exécuter les condamnés, afin qu'ils n'aient pas à souffrir en plus de la chaleur brûlante d'une journée d'été. Un homme, Rifâ'a ibn Samuel, demanda la protection d'une femme des ansâr nommée Umm al-Mundhir. Celle-ci alla trouver le Prophète et lui demanda la grâce de Rifâ'a, qu'il lui accorda. Rifâ'a devait plus tard devenir musulman. Un vieil homme de la tribu de Qurayza du nom de Zubayr ibn Bâtâ avait rendu un service à un homme des ansâr appelé Thâbit ibn Qays.
Ce dernier, voulant faire un geste à son tour, alla trouver le Prophète et lui demanda la grâce de l'homme. Le Prophète gracia donc Zubayr et l'autorisa à sauver sa famille et ses biens. Cependant, lorsque Thâbit lui apporta la nouvelle, Zubayr répondit qu'il préférait mourir avec ses amis.
'Aïsha a relaté qu'une femme des Qurayza était assise en sa compagnie, en train de rire et de bavarder pendant que les hommes de sa tribu étaient tués. On l'appela alors et elle répondit. Quand Aïsha lui demanda pourquoi on l'appelait, elle dit : « Je vais être exécutée pour quelque chose que j'ai fait. » Aïsha a relaté :
« Je m'étonne encore de son insouciance et de la façon dont elle bavardait et riait alors qu'elle savait qu'on allait la tuer. » Elle fut la seule femme de Qurayza à être tuée, et son crime était d'avoir tué un musulman appelé Khallâd ibn Suwayd en lui lançant une grosse pierre.
Le Prophète
ordonna ensuite que les biens des Qurayza ainsi que leurs femmes et leurs enfants soient partagés entre les musulmans. Il choisit pour lui même l'une de leurs femmes, appelée Rayhâna bint Amr. Il proposa de l'épouser si elle devenait musulmane, mais elle refusa et dit qu'elle préférait rester esclave. Il la laissa pendant un certain temps, déçu qu'elle ait refusé l'islam. Quelque temps plus tard, Rayhâna adhéra à l'islam de son plein gré et le Prophète en fut très content.
Nous avons relaté que Sa'd avait été atteint d'une flèche au bras et sérieusement blessé pendant le siège de Médine. À l'époque, profondément préoccupé par le sort de l'islam, il avait imploré Dieu en disant : « Seigneur, si nous devons à nouveau affronter les Quraysh, préserve-moi pour ce combat. Il n'y a personne que je souhaite autant combattre pour Ta cause, que ceux qui se sont opposés à Ton Messager, qui l'ont rejeté et qui l'ont chassé de chez lui. Si, par contre, Tu as décidé que ce combat entre nous serait le dernier, je T'implore, Seigneur, de me faire accéder au martyre par cette blessure, mais épargne-moi jusqu'à ce que je voie notre conflit avec les Qurayza se terminer favorablement pour l'islam. »
La suite des événements indique clairement que Dieu entendit la prière de Sa'd. Sa blessure se cicatrisa temporairement pendant que le siège des Qurayza se poursuivait. Quand il s'acheva, ce fut lui qui fut choisi pour arbitrer leur cas. Quand son verdict eut été exécuté, Sa'd fut ramené à la mosquée où il était soigné. Pendant la nuit, sa blessure se rouvrit et il saigna abondamment. Nous possédons plusieurs récits qui, réunis, confirment que l'ange Gabriel apparut au Prophète
cette nuit-là et lui demanda : « Muhammad, qui est ce mort pour qui les portes du Paradis se sont ouvertes et pour qui le Trône de Dieu a bougé ? »
Le Prophète se précipita à la tente où Sa'd était soigné et le trouva mort. Le Prophète fut très peiné par la perte de ce grand serviteur de l'islam, mais il était aussi heureux pour lui car il avait obtenu le martyre et son immense récompense.
La fin d'un opposant acharné
Sallâm était l'un des chefs de la tribu juive d'an-Nadîr. Avec Huyay ibn Akhrab, il avait joué un rôle central dans la formation de la coalition de tribus arabes qui avait attaqué Médine. Huyay avait été tué avec les Qurayza. Sallâm, quant à lui, avait trouvé refuge à Khaybar, une ville du centre de l'Arabie ou résidait la plus importante communauté juive de la région. Le Prophète
savait que l'homme poursuivrait ses efforts pour nuire à l'Etat musulman : c'était donc un ennemi avec lequel aucune concession n'était possible.
Les deux tribus des ansâr, les Aws et les Khazraj, étaient déterminées à montrer au Prophète qu'elles étaient tout aussi dévouées l'une que l'autre à la cause de l'Islam. Si l'une des tribus réussissait à rendre un service à l'islam, l'autre s'efforçait de se hisser au même niveau. Lorsque le Prophète avait voulu se débarrasser de Ka'b Ibn al-Ashraf, le chef juif de la tribu de Qaynuqâ' qui insultait les femmes musulmanes et avait pris parti pour les Quraysh après leur défaite de Badr, c'étaient des hommes des Aws qui s'étaient chargés de son exécution.
Les Khazraj cherchaient à accomplir un acte d'une portée similaire pour être à égalité avec les Aws. Les Khazraj virent en Sallâm ibn Abî al-Huqayq l'occasion d'accomplir une action égale à celle des Aws. Un groupe d'entre eux demanda et obtint du Prophète
la permission de préparer son assassinat. Cinq d'entre eux, menés par 'Abdullâh ibn Anîs, se rendirent à Khaybar pour le tuer. Au moment de partir, le Prophète leur rappela qu'ils ne devaient sous aucun prétexte tuer de femme ni d'enfant.
Un soir, ils s'introduisirent chez Sallâm. Abdullâh ibn Anîs parlait l'hébreu. Il dit à la femme de Sallâm, qui demandait son nom, qu'il avait un cadeau pour Sallâm. La femme ouvrit la porte et essaya d'appeler au secours quand elle s'aperçut que les hommes étaient armés. Ils la menacèrent de leurs sabres, mais sans la frapper car ils tenaient à obéir aux instructions du Prophète
. Quand ils pénétrèrent dans la maison, ils frappèrent Sallâm de leurs sabres. Mais celui-ci portait son armure et ne fut que légèrement blessé. L'un d'eux parvint cependant à lui enfoncer son sabre dans le ventre et s'appuya de tout son poids, jusqu'à ce qu'il constate que Sallâm était mort.
Leur tâche accomplie, ils s'empressèrent de se retirer. La femme de Sallâm appela au secours. Comme les cinq hommes quittaient les lieux, 'Abdullâh ibn Anîs, qui avait une mauvaise vue, tomba dans l'escalier et se blessa à la jambe. Ses frères musulmans le portèrent et se réfugièrent dans un endroit sûr. Des groupes de juifs de Khaybar se mirent à leur recherche, mais ils parvinrent à leur échapper. Ils restèrent deux jours dans leur refuge avant de pouvoir reprendre leur voyage en aidant leur frère blessé tout le long du chemin.
Lorsqu'ils arrivèrent à Médine, ils informèrent le Prophète
de la mort de Sallâm. Toutefois, chacun d'eux disait que c'était lui qui l'avait tué. Le Prophète leur demanda de lui montrer leurs sabres puis, les ayant vus, il détermina que c'était Abdullâh ibn Anîs qui avait tué Sallâm. Ainsi fut tué un ennemi acharné de l'islam.
Leur victoire retentissante lors de la bataille du Fossé et du siège des Qurayza conféra aux musulmans un immense prestige en Arabie. Ils étaient désormais véritablement craints de toutes les tribus arabes. Leur État était reconnu imprenable. Le Prophète avait compris la tournure future des événements lorsque, voyant que les armées arabes de Quraysh et Ghatafàn s'étaient retirées sans avoir rencontré les musulmans dans une véritable bataille, il dit : « Maintenant nous ne serons plus sur la défensive : ils ne nous attaqueront plus. »
Consolidation de la nouvelle position
Le Prophète
comprenait aussi qu'il lui fallait consolider la nouvelle position des musulmans en faisant la preuve que l'équilibre des forces en Arabie leur était désormais de plus en plus favorable. Au début du troisième mois de la sixième année suivant son émigration à Médine (juillet 627 apr. J.-.C.), le Prophète quitta Médine à la tête d'une troupe de deux cents de ses compagnons pour attaquer une tribu du nom de Lihyân qui habitait dans la vallée de Fazzân, dans le Hijaz, non loin de La Mecque. Il avait un compte à régler avec cette tribu.
Comme nous l'avons relaté précédemment, les membres de la tribu de Lihyân avaient commis une effroyable trahison lorsqu'ils avaient persuadé le Prophète d'envoyer un groupe de ses compagnons leur enseigner le Coran et les principes de l'islam. Il avait envoyé six de ses compagnons. A peine ceux-ci étaient-ils arrivés que les Lihyân les avaient attaqués. Ils avaient tué quatre d'entre eux et vendu les deux autres aux Quraysh à La Mecque, où ils avaient été exécutés.
Cet acte de trahison est connu dans les livres d'Histoire comme « le jour d'ar-Rajî' ». Pour attaquer la tribu de Lihyân, il fallait s'approcher tout près de La Mecque, où les Quraysh auraient été ravis de rencontrer une si petite troupe de musulmans en une bataille ouverte. Si les Quraysh apprenaient l'intention du Prophète
, ils pourraient très rapidement mobiliser une armée importante, venir au secours des Lihyân et essayer d'en finir avec les musulmans. Ils pourraient appeler d'autres tribus à la rescousse. Ils ne laisseraient pas passer une telle occasion, d'autant que le Prophète lui-même était à la tête de la troupe musulmane.
Le Prophète était cependant un habile tacticien. Il savait que les Lihyân surveillaient ses moindres mouvements, conscients qu'il pourrait décider de les punir pour leur trahison. Il partit donc vers le Nord en direction de la Syrie. Il parcourut une longue distance dans cette direction, jusqu'à ce qu'il pense que plus personne ne se douterait qu'il voulait en réalité aller vers le Sud. Puis il fit demi-tour et partit vers le Sud en direction de La Mecque, se dirigeant très rapidement vers Fazzân.
Il espérait ainsi prendre les Lihyân par surprise. Ceux-ci avaient cependant très peur, conscients que leur tour ne manquerait pas de venir. Ils observaient très attentivement les mouvements du Prophète. Quand il atteignit l'endroit où la trahison avait été commise, les Lihyân comprirent que le Prophète venait pour les attaquer. Ils prirent la fuite et se réfugièrent dans les montagnes voisines. Lorsque le Prophète arriva au district des Lihyân, il n'y trouva personne. Il y campa pendant deux jours et envoya plusieurs détachements de ses troupes dans toutes les directions à la recherche des Lihyân, mais ils ne trouvèrent rien.
S'efforçant de tirer le plus grand parti possible de cette expédition, le Prophète suggéra à ses compagnons : « Si nous pouvons aller jusqu'à Asafân et y établir notre camp, les Quraysh comprendront que nous sommes parvenus jusqu'à La Mecque. » Il conduisit donc ses compagnons jusqu'à Asafân. Après y avoir établi son camp, le Prophète envoya un groupe de ses compagnons, sous le commandement d'Abû Bakr, en direction de La Mecque. Ils arrivèrent jusqu'à Kurâ' al-Ghamîm, dans les faubourgs de la ville, puis rebroussèrent chemin.
Quand les Quraysh se rendirent compte que le Prophète
se trouvait à 'Asafân, ils s'empressèrent de réunir une importante troupe sous le commandement de Khâlid ibn al-Walîd. Lorsque les deux troupes se trouvèrent face à face, il était l'heure de la prière de duhr. Le Prophète et ses compagnons accomplirent celle prière tandis que les soldats de Quraysh les regardaient. Leur prière terminée, les Quraysh commencèrent à se reprocher de ne pas avoir attaqué les musulmans pendant qu'ils priaient. Ils se disaient qu'ils avaient manqué une occasion de frapper à un moment où les musulmans ne pouvaient pas riposter.
Un membre de l'armée de Quraysh rappela alors à ses compagnons d'armes que les musulmans ne tarderaient pas à prier de nouveau. Pensant à la prière de 'asr, les soldats de Quraysh se dirent : « Bientôt les musulmans seront occupés à une prière qui leur est plus chère que leurs propres enfants, et même que leur propre vie. »
La prière lorsqu'on craint d'être attaqué
À ce moment, le Prophète
reçut des révélations quant à la manière dont il devait prier avec ses compagnons dans une telle situation, où leurs ennemis risquaient de les attaquer. Cette manière de prier est décrite en détail dans le Coran (4.102) et est appelée dans les ouvrages religieux « la prière de la peur ».
Nous en avons déjà donné un bref aperçu, nous la décrivons de manière plus détaillée ci-dessous. Quand arriva l'heure de la prière de 'asr, les soldats de Quraysh étaient aux aguets, espérant attaquer les musulmans quand ils seraient prosternés, le front au sol. Cependant, les compagnons du Prophète
se placèrent en deux rangées derrière lui pendant qu'il dirigeait la prière. Lorsqu'il eut fini sa récitation du Coran, il s'inclina et tous ses compagnons firent de même.
Tous se redressèrent ensuite normalement. Puis le Prophète se prosterna et s'agenouilla, et le premier rang de ses compagnons en fit autant, tandis que les hommes du second rang restaient debout pour protéger leurs frères prosternés. Quand les hommes de la première rangée eurent achevé leurs prosternations et se furent redressés, ceux de la seconde rangée se prosternèrent à leur tour, puis se redressèrent. Les deux rangées changèrent alors de place et le Prophète accomplit la seconde rak'ât, qui se déroula de la même manière que la première.
Les hommes de la seconde ligne (qui avaient été devant pendant la première rak'a) montèrent la garde pendant que leurs frères se prosternaient avec le Prophète. Quand les hommes de la première ligne eurent achevé leurs prosternations, ils les gardèrent à leur tour pendant qu'ils accomplissaient les leurs. Puis toute la communauté des musulmans accomplit ensemble la dernière partie de la prière, effectuée en position assise. Ils achevèrent tous la prière ensemble.
C'est ainsi que s'effectuent les prières dans une situation où les musulmans craignent d'être attaqués pendant qu'ils sont en prière. Puisque les musulmans se prosternent et posent le front au sol en priant, ce moment donne à leurs ennemis une occasion de les frapper fort et de leur causer de lourdes pertes. Cependant, l'islam est une religion pratique qui affronte toutes les situations avec réalisme. Les musulmans doivent prier quelle que soit la situation où ils se trouvent, mais la forme de la prière peut être modifiée pour répondre à certaines contraintes.
Dans ce cas précis, la moitié des musulmans restait en alerte pendant que leurs frères poursuivaient leur prière. Leurs ennemis ne pouvaient donc pas les prendre par surprise. Le changement de place à la fin de la première rak'a permettait que chaque membre de l'armée musulmane prenne également part à tous les devoirs de combat, de garde et de prière.