Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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L'expédition d'al-Mustalaq et la calomnie

 

Depuis quelques années, les hypocrites de Médine jouaient un vilain jeu contre les musulmans. Leur méchanceté et leur haine de l'islam se manifestaient à chaque fois que les musulmans subissaient un revers. Ils s'empressaient au contraire de réprimer leurs véritables sentiments et de faire mine d'être loyaux envers l'islam dès que les musulmans obtenaient une victoire significative. Cela n'empêchait toutefois pas les hypocrites de recourir aux sarcasmes et aux railleries ni de diffuser des fausses rumeurs à chaque fois que l'occasion se présentait.

La haine que les hypocrites vouaient à l'islam augmentait d'ailleurs au fur et à mesure que l'autorité des musulmans se consolidait. Nous avons vu comment ils avaient essayé de persuader les tribus juives de se battre contre les musulmans, en leur promettant un soutien qu'ils n'avaient néanmoins pas donné lorsqu'ils avaient compris que la victoire des musulmans était inévitable.

Les hypocrites continuaient à s'efforcer de pousser les autres à combattre l'islam. Quant à eux, ils préféraient tenter de déstabiliser l'islam de l'intérieur. Le meilleur exemple de leur stratégie et de leur déloyauté est donné par les événements qui dirent lieu lors de l'expédition du Prophète contre la tribu d'al-Mustalaq.

Une attaque préventive

Le Prophète fut informé que cette tribu, menée par son chef al-Hârith ibn Abî Dirâr, s'apprêtait à attaquer Médine. Fidèle à sa stratégie efficace qui consistait à prendre ses ennemis par surprise avant qu'ils n'aient le temps de lancer leur attaque, le Prophète marcha sur l'ennemi à la tête d'une importante troupe de musulmans. Le Prophète avait l'habitude, lorsqu'il partait en expédition, d'emmener avec lui au moins l'une de ses épouses. Il tirait au sort entre elles pour décider laquelle partirait avec lui. Cette fois, il emmena Aïsha.

L'expédition fut marquée par le nombre important d'hypocrites qui se joignirent à l'armée musulmane. Habituellement, ils ne participaient pas aux troupes mobilisées par le Prophète . On se rappelle comment, lors de la bataille d'Uhud, leur chef de file Abdullâh ibn Ubayy avait abandonné l'armée avant la bataille avec trois cents de ses partisans. Depuis lors, les hypocrites n'avaient pris part à aucune expédition jusqu'à ce que le Prophète parte affronter la tribu d'al-Mustalaq.

Deux raisons évidentes motivaient le changement de tactique des hypocrites. Les récents affrontements entre les musulmans et leurs ennemis avaient tous été des succès. En outre, les musulmans avaient gagné sans verser le sang, ou presque. Il n'y avait pas de raison que la même chose ne se reproduise pas cette fois-ci. Il s'agissait d'une confrontation avec une seule tribu arabe, peut-être militairement inférieure aux musulmans.

On pouvait s'attendre à la victoire et à un butin important. Les hypocrites pensaient donc ne pas risquer grand-chose en se joignant l'armée musulmane, et comptaient sur l'occasion d'obtenir une part du butin. L'armée musulmane poursuivit sa route jusqu'à un point d'eau appelé al-Maraysî' où al-Hârith et ses hommes s'étaient rassemblés. Nous possédons deux versions différentes des événements qui se produisirent alors.

Le premier récit, qui est peut-être moins authentique, relate que le Prophète aurait demandé à son compagnon 'Umar ibn al-Khattâb d'inviter la tribu d'al-Mustalaq à embrasser l'islam. Il s'avança et leur cria de déclarer leur foi en l'unicité divine, après quoi ils auraient la vie sauve et on ne toucherait pas à leurs biens. Ils rejetèrent l'offre, et les deux côtés commencèrent à se lancer des flèches. Au bout d'un moment, le Prophète ordonna l'assaut. Les musulmans eurent très vite le dessus sur leurs ennemis, qui se rendirent en masse après que dix d'entre eux eurent été tués. Seul un soldat musulman fut tué par erreur. Ainsi, la tribu entière fut prise par les musulmans, de même que ses possessions.

L'autre récit, qui paraît dans l'ensemble plus exact, suggère que les musulmans prirent leurs ennemis par surprise tandis qu'ils campaient près du point d'eau. Les deux armées se rapprochèrent l'une de l'autre, mais les combats furent minimes ou inexistants. La victoire fut rapidement assurée aux musulmans. Quelle que soit la version correcte, l'issue de l'expédition ne fait aucun doute : la tribu entière fut faite prisonnière par les musulmans.

Il convient d'expliquer ici que, bien que le Prophète ait souvent utilisé l'élément de surprise dans ses batailles avec les négateurs, il ne lança jamais d'attaque surprise déployant toute sa force militaire contre des gens qui n'étaient pas préparés à la guerre. Ce type de surprise, employé à la guerre autrefois comme aujourd'hui, ne fit jamais partie de sa tactique. Il se contentait de réagir rapidement en affrontant ses ennemis avant qu'ils n'aient achevé leurs préparatifs. Nous voyons ainsi que le Prophète utilisait l'élément de surprise afin de réduire autant que possible l'affrontement armé et les effusions de sang.

Selon les traditions en vigueur à l'époque, aussi bien en Arabie qu'au-delà, les prisonniers de guerre étaient réduits en esclavage. Cela concernait aussi bien les hommes que les femmes. Deux cents familles de la tribu d'al-Mustalaq se trouvaient donc confrontées à la perspective de l'esclavage à la suite de leur projet mal avisé d'attaquer les musulmans.

Toutefois, le Prophète n'aimait pas cette perspective pour ses ennemis vaincus. Sa vision des choses différait de celle des rois et des empereurs. Il était avant tout un messager de Dieu dont la tâche était de sauver l'humanité de la soumission aux fausses divinités. Il ne considérait pas comme sa principale priorité la
lit liesse matérielle de la communauté musulmane. Il était conscient qu'un acte de bonté pourrait gagner le coeur des ennemis d'hier.

Le Prophète ne pouvait cependant pas promulguer de lois spéciales pour la tribu d'al-Mustalaq. L'esclavage étant une pratique internationale, les musulmans ne pouvaient pas l'abolir de manière unilatérale. Si des musulmans avaient été faits prisonniers lors d'une bataille, ils auraient été réduits en esclavage par leurs ennemis. Les prisonniers ennemis devaient par conséquent être traités de la même manière. Néanmoins, la situation nécessitait des mesures immédiates pour venir en aide aux al-Mustalaq avant qu'il ne soit trop tard.

Lee Prophète employa une tactique magistrale qui produisit le résultat recherché sans aucune répercussion négative. Parmi les captives figurait Barra, la fille d'al-Hârith, le chef d'al-Mustalaq. Le Prophète la prit pour lui-même, la libéra de l'esclavage et la demanda en mariage. Quand elle accepta, il l'épousa et la renomma Juwayriya (cf. Annexe 1). Lorsqu'ils comprirent ce que le Prophète avait fait, les musulmans ne se sentirent pas le droit de garder les al-Mustalaq comme esclaves. Dans l'optique des traditions tribales d'Arabie, toute la tribu était considérée comme la belle-famille du Prophète maintenant qu'il avait épousé l'une de ses femmes.

Par conséquent, tous les musulmans qui avaient des esclaves d'al-Mustalaq les libérèrent volontairement. Les musulmans aimaient le Prophète plus qu'eux-mêmes, il était donc naturel qu'ils répugnent à garder ses proches en esclavage. Ainsi Juwayriya fut-elle célébrée par sa tribu comme une femme bénéfique entre toutes : c'était grâce à elle que ses contribules étaient passés de l'esclavage à la liberté. Peu après, un grand nombre d'entre eux embrassèrent l'islam.

C'était une victoire magnifique que les musulmans avaient obtenue lors de l'expédition d'al-Mustalaq. Ils avaient toutes les raisons d'être satisfaits de leur succès. Non seulement ils avaient remporté une victoire totale, mais ils avaient aussi obtenu des gains matériels considérables, outre le succès le plus important que constituait la conversion de leurs ennemis, qui devenaient ainsi leurs amis et leurs frères. Il était toutefois bien naturel que les très nombreux hypocrites qui n'étaient joints à l'armée musulmane pour cette expédition fassent tout ce qui était en leur pouvoir pour gâcher cette victoire et faire oublier les gains des musulmans. Deux incidents qui eurent lieu après ce succès furent exploités par les hypocrites ou détriment des musulmans.

Dissensions musulmanes

Le premier incident se produisit alors que les musulmans campaient encore après du point d'eau où s'était déroulée la bataille. Des serviteurs allaient abreuver des chevaux. Parmi eux se trouvait Jahjâh, le serviteur de 'Umar ibn al-Khattâb. Il semble que les serviteurs se disputèrent pour l'eau, et Jahjâh se bagarra avec un « allié » des Khazraj du nom de Sinân ibn Wabr. Ni l'un ni l'autre n'étaient apparemment très clairvoyants : au terme d'un échange de coups, chacun appela son « groupe » au secours. Jahjâh appela les muhâjirûn à la rescousse, tandis que Sinân appelait les ansâr ? On sait bien que les loyautés anciennes sont difficiles à effacer.

Malgré les immenses efforts, couronnés de succès, déployés par le Prophète pour que les musulmans éprouvent le sentiment de former une seule communauté quelle qu'ait pu être leur appartenance tribale ou nationale, on ne pouvait pas s'attendre à ce que des valeurs ancestrales soient oubliées du jour au lendemain. Selon les valeurs tribales, tout membre d'une tribu se trouvant en difficulté était défendu par toute la tribu avant même qu'on ne prenne le temps de déterminer s'il était ou non dans son tort. On disait : « Soutiens ton frère, qu'il ait raison ou tort. »

Il ne faut donc pas s'étonner que certains individus soient accourus au secours des combattants. Le Prophète fut informé de ce qui se passait. Il était très en colère de voir les musulmans se battre entre eux. Il se hâta de se rendre au point d'eau où l'incident se déroulait. S'adressant sévèrement aux musulmans, il demanda : « Comment se fait-il que vous invoquiez les loyautés de l'époque païenne ? » Il calma les deux camps et leur expliqua clairement que les loyautés tribales et nationales qu'ils invoquaient n'étaient pas dignes d'eux.

Décrivant ces liens comme « nauséabonds », il ordonna aux musulmans de s'en défaire totalement. Il est important de noter que le Prophète s'empressa de mettre un terme à toute division tribale ou chauvine parmi les musulmans. Il ne craignait rien autant que les dissensions internes au sein de sa jeune communauté. Ceci devrait servir à rappeler à tous les musulmans que leurs différences ne devraient en aucun cas les diviser en camps mutuellement hostiles, alors qu'ils sont unis par le lien de l'islam.

Les musulmans peuvent avoir des différences de point de vue, mais ces différences ne doivent pas aliéner un groupe d'un autre. Ils doivent toujours considérer tous les autres musulmans comme des frères auxquels les liens les plus solides les attachent. La communauté musulmane doit toujours rester une communauté une et solidaire où régnent l'affection et la compassion mutuelles.

L'incident du point d'eau fournit aux hypocrites un prétexte idéal pour susciter le trouble. Leur chef 'Abdullâh ibn Ubayy fit de son mieux pour attiser les rancunes qui pouvaient persister après l'intervention du Prophète . Comme il jouissait encore d'une haute considération parmi la plupart de ses contribules qui n'étaient pas encore conscients de son hypocrisie, il s'efforça de jouer sur leurs émotions.

À son entourage, il dit : « Je n'ai jamais connu d'humiliation comme celle que nous avons subie aujourd'hui. Ils [les muhâjirûn] nous tiennent maintenant tête chez nous. Ils ne sont pas reconnaissants pour nos faveurs. Notre situation avec les réfugiés de Quraysh est la meilleure illustration du proverbe : "Engraisse ton chien et il te mordra." Quand nous rentrerons à Médine, le camp des honorables en chassera certainement celui des humbles. » Puis il reprocha à ses contribules l'hospitalité qu'ils avaient accordée aux muhâjirûn :

Tout cela est de votre faute. Vous les avez, accueillis clans vos maisons et vous leur avez donné vos biens jusqu'à ce qu'ils s'enrichissent. Je jure que si vous cessez de les aider de vos biens, ils vous quitteront et iront ailleurs. Pourtant, vous n'êtes pas satisfaits de toute l'hospitalité que vous avez prodiguée. Vous vous êtes exposés au danger et vous avez envoyé vos hommes se battre et se faire tuer pour les défendre. Vous avez rendu vos enfants orphelins. Vous avez réduit votre nombre, tandis que le leur augmente. Je vous conseille de ne plus rien dépenser pour les aider jusqu'à ce que vous les voyiez partir.

En prononçant ces paroles, 'Abdullâh ibn Ubayy ne prêta guère attention à la présence d'un garçon d'environ quatorze ans, Zayd ibn Arqam. Celui-ci alla tout droit voir le Prophète , qui se trouvait avec un groupe de ses compagnons des muhâjirûn et des ansâr. Zayd relata au Prophète ce qu'il avait entendu Abdullâh Ibn Ubayy dire. Le Prophète en fut peiné et son visage s'altéra. Il ne voulait cependant pas agir sur la base du récit d'un jeune garçon sans s'assurer qu'il disait la vérité.

Il demanda à Zayd : « As-tu une quelconque raison de lui en vouloir ? » Zayd répondit : « Je jure que je l'ai entendu dire cela. » Le Prophète lui demanda encore : « Peut-être n'as-tu pas bien entendu ? » Zayd répondit qu'il n'y avait aucun risque de cela. Le Prophète insista : « Peut-être as-tu seulement imaginé l'entendre dire cela ? » Zayd répondit encore : « Je jure devant Dieu que je l'ai entendu dire tout cela, Messager de Dieu. »

Réaction du Prophète

Il était désormais clair pour le Prophète , comme pour ceux de ses compagnons qui étaient près de lui, que les propos de 'Abdullâh ibn Ubayy avaient été rapportés fidèlement. 'Umar ibn al-Khattâb suggéra que le Prophète ordonne à Abbâd ibn Bishr de tuer Abdullâh ibn Ubayy. Le Prophète répondit : « Aimerais tu, 'Umar, que les gens commencent à dire que Muhammad tue ses compagnons ? Je ne ferai certainement pas cela. Donne seulement le signal du départ. »

Abdullâh ibn Ubayy apprit que ses paroles avaient été rapportées au Prophète. Il s'empressa d'aller le trouver et nia avoir connaissance des propos qui lui avaient été attribués. Il jura devant Dieu n'avoir jamais rien dit de tel. Ceux des compagnons du Prophète qui étaient présents essayèrent de calmer le jeu. Ils souhaitaient toujours que Abdullâh ibn Ubayy ait une chance de devenir musulman. Après tout, il avait joui d'une position honorable parmi les siens avant l'avènement de l'islam.

Ils suggérèrent au Prophète que Zayd ibn Arqam s'était peut-être trompé en relatant les propos de Abdullâh, ou avait peut-être mal entendu. Le Prophète garda le silence. Quand l'ordre de se mettre en marche fut donné, Usayd ibn Hudayr, un notable des ansâr vint trouver le Prophète , le salua avec tout le respect dû au Messager de Dieu et dit : « Prophète, je vois que tu te mets en route à un moment de la journée où tu n'avais pas l'habitude de le faire. » Le Prophète répondit : « N'as-tu pas entendu ce qu'a dit votre ami ? »

Usayd demandant plus de détails, le Prophète lui répondit que 'Abdullâh ibn Ubayy avait dit que les honorables parmi les deux camps chasseraient les humbles de Médine. Usayd répliqua : « Certes, Messager de Dieu. Tu peux les chasser de Médine si tu le souhaites. C'est toi qui es honorable, et c'est lui qui est humble. » Puis Usayd fit appel à la clémence du Prophète et lui dit : « Dieu t'a envoyé parmi nous au moment où ses concitoyens s'apprêtaient à le couronner roi. Il pense peut-être que tu l'as dépouillé de son royaume. »

Le Prophète fit marcher les musulmans le reste de la journée et toute la nuit, et il poursuivit sa route jusqu'au milieu de la matinée suivante. La chaleur étant alors intenable, il permit à ses compagnons de s'arrêter. À peine assis, tous s'endormirent. Le Prophète agit ainsi afin que les gens ne soient pas préoccupés par ce que Abdullâh ibn Ubayy avait dit.

Le Prophète était conscient que ces remarques pernicieuses risquaient de susciter des dissensions parmi les musulmans. S'il fatiguait ainsi les musulmans en les faisant cheminer la majeure partie du temps et en leur accordant le moins de repos possible, il pouvait espérer que l'affaire soit oubliée avant que l'armée n'arrive à Médine. La vitesse et la précipitation marquèrent donc le retour des musulmans de leur expédition victorieuse contre la tribu d'al-Mustalaq.

Peu après, la sourate intitulée al-Munâfiqûn (Les hypocrites) fut révélée. Elle décrit les hypocrites et leurs sentiments vis-à-vis des musulmans, répétant aussi les paroles mêmes prononcées par Abdullâh ibn Ubayy et rapportées au Prophète par Zayd ibn Arqam. La véracité du récit de Zayd ne faisait plus aucun doute. Le Prophète, tenant Zayd par l'oreille, dit : « Voici celui qui a fait bon usage de son oreille pour la cause de Dieu. »

Abdullâh ibn Ubayy avait un fils, lui aussi nommé Abdullâh. Contrairement à son père, 'Abdullâh était un croyant sincère, profondément convaincu de la véracité du message de Muhammad. Le Prophète était d'ailleurs si sûr de la fermeté de la foi de Abdullâh qu'il l'avait désigné pour le remplacer en son absence lorsqu'il avait mené l'armée musulmane à la dernière expédition de Badr. 'Abdullâh était aussi un fils dévoué.

L'opposition de son père au Prophète l'affligeait, et il aurait tout fait pour le ramener au sein de la communauté musulmane. Lorsqu'il apprit les propos malfaisants que son père avait tenus à l'encontre du Prophète et des muhâjirûn, il comprit qu'il avait commis un crime capital. Il apprit aussi que certains compagnons du Prophète lui avaient conseillé de se débarrasser de Abdullâh ibn Ubayy. Abdullâh, le fils, alla voir le Prophète et lui dit :

Messager de Dieu, j'ai entendu dire que tu as l'intention de tuer 'Abdullâh ibn Ubayy pour ses propos qu'on t'a rapportés. Si tu dois le tuer, il te suffira de me l'ordonner et je te rapporterai sa tête. La tribu d'al-Khazraj [la sienne] sait parfaitement que je suis le plus dévoué des fils. Je crains toutefois, si tu ordonnais à quelqu'un d'autre de le tuer, de ne pas pouvoir regarder le meurtrier de mon père marcher dans la rue. Je serais peut-être tenté de le tuer : je tuerais alors un croyant pour venger la mort d'un négateur, et je serais voué à l'Enfer.

Le Prophète sourit et le calma. Il dit à Abdullâh : « Tu seras bon envers lui et tu le traiteras bien aussi longtemps qu'il sera parmi nous. »

Cet épisode et le suivant, où Abdullâh ibn Ubayy joua un rôle central, suffirent à faire prendre conscience à tous les musulmans de sa véritable position vis-à-vis de l'islam. Abdullâh ibn Ubayy resta à Médine et ne perdit pas une occasion de dire du mal de l'islam et du Prophète. Sa crédibilité était cependant érodée. Chaque fois qu'il faisait ou disait quelque chose, ses contribules étaient les premiers à le lui reprocher et à tenter de lui montrer son erreur.

Quand cela devint clair, le Prophète dit à 'Umar ibn al-Khattâb, qui le premier avait suggéré de tuer 'Abdullâh ibn Ubayy : « Vois-tu maintenant, 'Umar ? Si je l'avais tué quand tu l'as suggéré, cela aurait soulevé la colère de certains, alors qu'ils seraient eux-mêmes prêts à le tuer maintenant si je leur en donnais l'ordre. » 'Umar répondit : « Je sais assurément que le Messager de Dieu est mieux informé que moi et que ses actions sont plus bénies que les miennes. »

N'ayant pas réussi à diviser les musulmans, Abdullâh Ibn Ubay chercha à détruire la vie familiale du Prophète . De son point de vue, n'envisageant que ce bas monde et doutant de la véracité du message prophétique, le but ultime semblait à portée de main. Abu Bakr, le père de Aïsha, était l'ami et le compagnon le plus proche du Prophète. Leur amitié remontait à leur enfance. Si 'Abdullâh ibn Ubayy parvenait à faire croire à l'accusation d'adultère contre 'Aïsha, et il pensait y parvenir, ce serait la fin de cette solide amitié entre le Prophète et Abu Bakr, qui était une source de force pour la communauté musulmane depuis le début de la révélation. En outre, la communauté musulmane sombrerait dans la confusion et la peine.

La calomnie contre 'Aïsha

La « calomnie » est le nom donné par Dieu dans le Coran à l'accusation portée par les hypocrites contre 'Aïsha. C'est sans doute le récit de Aïsha elle-même qui fournit la vision la plus complète de cette affaire :

Chaque fois que le Prophète partait en voyage, il tirait au sort parmi ses femmes pour décider laquelle l'accompagnerait. Lors de l'expédition d'al-Mustalaq, le sort tomba sur moi et je partis avec lui. À l'époque, les femmes ne mangeaient pas beaucoup, c'est pourquoi elles étaient minces et légères. Pour voyager, je m'installais dans un palanquin qu'on plaçait alors sur le dos du chameau. Le palanquin fixé, le chamelier cheminait à ses côtés.

Quand le Prophète en eut fini avec cette expédition et eut pris le chemin du retour, il fit halte une nuit à un endroit non loin de Médine. Il n'y campa qu'une partie de la nuit avant d'appeler à reprendre la route. Les gens commencèrent à se préparer, et pendant ce temps je m'éloignai pour faire mes besoins. Je portais un collier, et je ne m'aperçus pas que je l'avais perdu avant de retourner au camp. Une fois de retour, je tâtai mon cou et, ne trouvant plus le collier, je le cherchai sur place mais ne le trouvai pas.

Les gens commençaient tout juste à se mettre en route. Je me dépêchai donc de retourner à cet endroit pour chercher mon collier, que je finis par trouver. Pendant ce temps, les gens qui préparaient mon chameau terminèrent leur tâche et soulevèrent le palanquin ; pensant que je m'y trouvais, ils le placèrent sur le dos du chameau et l'y fixèrent. Il ne leur vint pas à l'esprit que je n'étais pas à l'intérieur. Ils partirent donc, emmenant le chameau.

Quand je revins à l'emplacement du camp, il n'y restait plus personne. L'armée était partie. Je m'enveloppai donc de mes vêtements et je m'allongeai, consciente que lorsqu'on s'apercevrait de mon absence, quelqu'un viendrait me chercher. Je ne tardai pas à m'endormir. Safwân ibn al-Mu'attal, de la tribu de Sulaym, voyageait derrière l'armée.

Il avait apparemment été retenu par quelque affaire et n'avait pas passé la nuit au camp. Quand il vit une forme humaine allongée, il s'approcha de moi. Il me reconnut, car il m'avait vue avant qu'il ne nous soit ordonné de nous cacher aux regards. Il dit : Innâ li-Llâhi wa-innâ ilayhi râji'ûn, « c'est à Dieu que nous appartenons et c'est à Lui que nous retournerons ». Je me réveillai en l'entendant. Je ne répondis pas lorsqu'il me demanda pourquoi j'avais été laissée en arrière. Il fit cependant agenouiller son chameau et me demanda de le monter, ce que je fis.

Il mena le chameau par la bride, s'efforçant de rattraper l'armée. Personne ne s'aperçut de mon absence avant que l'armée ne fasse halte pour se reposer. Quand tout le monde se fut assis pour se délasser, Safwân apparut, conduisant son chameau sur lequel j'étais assise. Ce fut cela qui incita ces gens à inventer la calomnie. Toute l'armée en fut troublée, mais je n'étais au courant de rien.

Notons ici que lorsque Abdullâh ibn Ubayy vit approcher 'Aïsha, il demanda qui elle était. Lorsqu'on lui dit que c'était 'Aïsha, il s'exclama : « La femme de votre Prophète a passé toute la nuit avec un homme, et là voilà qui arrive sur son chameau qu'il mène par la bride ! » Cette remarque donna lieu à la calomnie qui fut répandue au sujet de 'Aïsha. Lisons la suite du récit de Aïsha :

Peu après notre arrivée à Médine, je tombai gravement malade. Personne ne me dit rien de ce qui se passait. Le Prophète et mes parents eurent vent de l'histoire, mais ils ne l'évoquèrent pas devant moi. J'avais cependant l'impression que le Prophète n'était pas aussi gentil avec moi que d'habitude durant cette maladie. Quand il entrait, il demandait à ma mère qui s'occupait de moi : « Comment va votre fille ? » Il ne disait rien de plus. Peinée, je lui demandai la permission d'être soignée chez mes parents. Il accepta. Je m'y rendis, et je n'eus vent de rien.

Je fus malade pendant une vingtaine de jours, avant que mon état ne s'améliore. Contrairement à d'autres peuples, nous, les Arabes, n'avions pas de toilettes dans nos maisons. Cela nous semblait dégoûtant. Nous sortions de nuit pour aller faire nos besoins à l'écart de la ville. Les femmes n'y allaient que la nuit. Une nuit, j'étais sortie en compagnie d'Umm Mistah [la cousine d'Abû Bakr]. En marchant, elle se prit les pieds dans ses vêtements et tomba. Elle s'exclama : « Maudit soit Mistah ! » à propos de son propre fils.

Je protestai : « Ce n'est pas bien de parler ainsi d'un homme des muhâjirûn qui a combattu à Badr. » Elle me demanda : « Tu n'as donc pas appris ce qu'on raconte ? » Comme je la questionnais, elle me rapporta ce que les calomniateurs disaient sur mon compte. Je jure que je fus incapable de faire mes besoins ce soir-là. Je rentrai chez moi et je pleurai amèrement, au point que j'avais l'impression que mes pleurs allaient me briser. Je dis à ma mère : « Que Dieu te pardonne. Les gens disaient tout cela sur mon compte, et tu ne m'en as rien dit. »

Ma mère répondit : « Calme-toi, mon enfant. Toute jolie femme mariée à un homme qui l'aime suscitera toujours l'envie, surtout si elle le partage avec d'autres épouses. » Je m'exclamai : « Gloire à Dieu ! Que les gens puissent répéter pareille chose ! » Je pleurai amèrement toute la nuit, sans dormir un instant jusqu'au matin.

Le Prophète appela Alî ibn Abî Tâlib et Usâma ibn Zayd pour leur demander s'ils pensaient qu'il devrait divorcer. Usâma, convaincu de mon innocence, dit : « Messager de Dieu, elle est ta femme et tu n'as jamais rien eu à lui reprocher. Cette histoire est un mensonge flagrant. » 'Alî dit : « Messager de Dieu, Dieu ne t'a imposé aucune restriction en ce qui concerne le mariage. Il y a beaucoup d'autres femmes qu'elle. Si tu
le juges bon, demande à sa servante : elle te dira la vérité. »

Le Prophète appela ma servante, Barîra, et lui demanda si elle avait remarqué quelque chose de suspect. Barîra répondit : « Par Celui qui t'a envoyé apporter la vérité, je n'ai rien d'autre à lui reprocher que le fait qu'étant si jeune, il lui arrive de s'assoupir en laissant les poules manger la pâte que j'ai pétrie. » Le Prophète s'adressa aux musulmans à la mosquée. Il leur dit : « Je n'ai rien vu de mal de la part de ma femme. Ces gens accusent aussi un homme de la part de qui je n'ai rien vu de mal. Il n'est jamais entré dans les appartements de mes femmes qu'en ma présence. »

Sa'd ibn Mu'âdh, le chef des Aws, dit : « Messager de Dieu, si ces hommes appartiennent aux Aws, notre tribu, nous t'en débarrasserons. Si, par contre, ils font partie de nos frères les Khazraj, tu n'as qu'un ordre à nous donner. » Sa'd ibn 'Ubâda, le chef des Khazraj, qui jouissait d'une bonne réputation, se laissa cette fois emporter par ses sentiments tribaux et dit à Sa'd ibn Mu'âdh : « Par Dieu, tu ne les tueras pas. Tu dis cela seulement parce que tu sais qu'ils font partie des Khazraj. »

Usayd ibn Hudayr, un cousin de Sa'd ibn Mu'âdh, dit à Sa'd ibn 'Ubâda : « Tu n'es qu'un hypocrite défendant d'autres hypocrites. » Des membres des deux tribus étaient très en colère et prêts à se battre. Le Prophète , qui était toujours en chaire, s'efforça de les calmer et finit par y parvenir. Quant à moi, je continuai à pleurer le reste de la journée. Je n'arrivais pas à dormir. Le lendemain matin, mon père et ma mère étaient tous deux avec moi ; j'avais passé deux nuits et une journée à pleurer sans discontinuer.

Mes parents craignaient que mes pleurs ne me brisent le coeur. Comme nous étions dans cette situation, une femme des ansâr vint me voir et se mit à pleurer avec moi. Peu après, le Prophète vint et s'assit. Il ne s'était pas assis dans ma chambre depuis que la rumeur avait commencé. Pendant un mois, il n'avait reçu aucune révélation à mon sujet. Une fois assis, il loua et glorifia Dieu avant de poursuivre : « Aïsha. Les gens parlent, comme tu le sais maintenant. Si tu es innocente, Dieu fera apparaître ton innocence. Si toutefois tu as commis un péché, tu dois implorer le pardon de Dieu et te repentir. Si une servante de Dieu reconnaît son péché et se repent, Dieu lui pardonne. »

Quand le Prophète eut terminé, mes larmes cessèrent complètement et je me tournai vers mon père en disant : « Réponds au Prophète. » Il répondit : « Par Dieu, je ne sais pas quoi dire au Messager de Dieu. » Je dis alors à ma mère : « Réponds au Prophète. » Elle dit elle aussi : « Je ne sais pas quoi dire au Messager de Dieu. » J'étais encore toute jeune, et je ne connaissais pas beaucoup le Coran. Pourtant, je répliquai : « Je sais que vous avez entendu répéter cette histoire si souvent que vous avez fini par y croire. Si je vous dis que je suis innocente, et Dieu sait que je le suis, vous ne me croirez pas. Si, au contraire, je reconnais une faute dont Dieu sait que je suis innocente, vous me croirez.

Je ne connais pas d'autre situation comparable à cela que celle du père de Joseph (j'essayai vainement de me rappeler le nom de Jacob) quand il a dit : « Je patienterai calmement et je rechercherai l'aide de Dieu contre ce que vous prétendez. » Puis je me retournai et m'allongeai sur mon lit. Je savais que j'étais innocente et que Dieu ferait apparaître mon innocence. Jamais cependant je n'aurais imaginé que Dieu révélerait un passage du Coran à mon sujet. Je pensais être trop humble pour que Dieu évoque mon cas dans Ses révélations.

Tout ce que j'espérais, c'était que le Prophète ferait quelque rêve qui m'innocenterait. Néanmoins, avant même que le Prophète ne nous quitte et que personne ne sorte de la maison, les révélations divines commencèrent. On couvrit le Prophète de son propre vêtement et on plaça un coussin sous sa tête. Quand je vis cela, je n'éprouvai ni inquiétude ni crainte. J'étais certaine de mon innocence, et je savais que Dieu, le Tout-Puissant, ne serait pas injuste envers moi. Quant à mes parents, eh bien, par Celui qui détient l'âme de Aïsha en Son pouvoir, ils faillirent mourir tant ils craignaient que la révélation divine ne confirme les propos des gens.

Puis ce fut terminé. Le Prophète se redressa, sa sueur pareille à des perles un jour de pluie. En s'essuyant le front, il dit : « Aïsha, j'ai une bonne nouvelle pour toi. Dieu a déclaré ton innocence. » Je dis alors : « Louange à Dieu. »

Ensuite, le Prophète sortit pour s'adresser aux gens et leur réciter les versets coraniques qui lui avaient été révélés au sujet de cette affaire.

Un mensonge flagrant

Il ne fait aucun doute que l'affaire de la calomnie eut des conséquences importantes dans la vie de la communauté musulmane en général et, pendant un certain temps, dans la vie privée du Prophète lui-même. L'honneur était de la plus haute importance pour tous les Arabes bien avant l'avènement de l'islam. L'islam accorde une importance considérable à la chasteté, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. La fornication et l'adultère sont des crimes graves. Que pareille rumeur touche la famille du Prophète était donc extrêmement préoccupant tant pour lui-même que pour tous ceux qui croyaient à sa mission.

Il leur était incompréhensible que Dieu permette que l'honneur du Prophète et celui de son épouse bien-aimée fassent l'objet de conversations infamantes de la part des hypocrites et des autres ennemis de l'islam. Le Prophète se conduisit cependant avec une dignité dont seul un prophète peut faire preuve. Il ne tint sa femme pour coupable de rien tant qu'il n'avait pas de preuve de sa culpabilité ni de son innocence. Il continua à se soucier d'elle et à demander de ses nouvelles quand elle était malade. Il ne lui dit pas un mot suggérant qu'il croyait à ce qu'on racontait.

Il ne parla pas non plus à Safwân, l'homme accusé d'être son amant, d'une manière qui aurait pu donner à penser qu'il le tenait pour responsable de quoi que ce fût sans preuve certaine. Quand le Prophète s'adressa aux gens pour exprimer son point de vue, il dit : « Je n'ai rien vu de mal de la part de ma femme. Ces gens accusent aussi un homme de la part de qui je n'ai rien vu de mal. Il n'est jamais entré dans les appartements de mes femmes qu'en ma présence. » Le Prophète n'avait donc nullement l'intention de juger quiconque sans preuve certaine.

N'en possédant pas, il était prêt à attendre que Dieu lui ait indiqué la marche à suivre, et à laisser les gens dire ce qu'ils voulaient dans l'intervalle. Ce genre de diffamation était quelque chose qu'il était prêt à supporter, car cela faisait partie des sacrifices qu'il devait consentir pour accomplir sa mission. Lorsqu'on se penche sur cette histoire, on s'aperçoit d'emblée qu'un incident minime avait pris des proportions considérables. Le retard de 'Aïsha avait été causé par la perte de son collier. Il est bien naturel qu'une jeune épouse ait attaché de l'importance à ses bijoux, surtout quand son époux, - le Prophète , avait d'autres épouses et qu'elle était sa préférée.

Il était aussi naturel qu'elle soit retrouvée par l'un des hommes qui avaient pour tâche de récupérer ce que l'armée avait pu laisser sur le lieu de son campement. Quand Safwân la trouva, il fît son devoir en lui donnant son chameau à monter et en le menant par la bride jusqu'à ce qu'ils aient rattrapé l'armée. Il n'aurait rien dû ni pu faire d'autre. C'était tout ce qui était arrivé, et cela n'aurait jamais dû susciter de soupçon dans l'esprit de quiconque. Après tout, Aïsha n'était pas la première femme à perdre le groupe avec lequel elle voyageait.

En outre, le fait qu'une femme chemine sur le dos d'un chameau mené par un homme n'avait rien de si extraordinaire. Quelques années auparavant, Umm Salama, que le Prophète devait plus tard épouser, avait quitté La Mecque seule avec son jeune enfant pour émigrer à Médine en réponse à l'appel du Prophète aux musulmans de La Mecque. Sur le chemin, elle avait rencontré un homme qui était polythéiste. Cet homme, 'Uthmân ibn Talha, ne s'était pas senti le droit de laisser une femme parcourir seule une aussi longue distance (500 kilomètres) dans le désert.

Il l'avait escortée le reste du voyage. Elle relata plus tard que son comportement avait été exemplaire. Personne à l'époque n'avait émis le moindre doute sur le comportement de 'Uthmân ni d'Umm Salama, malgré le fait qu'il n'était pas musulman - qu'il était même encore un ennemi de l'islam. Tout le monde avait compris que l'attitude de 'Uthmân avait été motivée par les traditions arabes voulant qu'un homme protège une femme voyageant seule dans le désert. La comparaison de ces deux incidents révèle d'importantes ressemblances. Il semble étonnant que l'un ait suscité de telles rumeurs mensongères et pas l'autre.

Après tout, le second incident, celui arrivé à Aïsha, n'aurait jamais dû susciter de soupçon ni donner lieu à la moindre rumeur. L'homme en question, Safwân, était un très bon musulman, connu pour son honnêteté et son intégrité. En outre, aucun homme, même s'il ne respectait pas ses devoirs moraux, n'aurait pu s'imaginer que l'épouse du Prophète répondrait à des avances. 'Aïsha appartenait à une famille à la réputation sans faille, même avant l'avènement de l'islam. La famille jouissait d'un plus grand respect encore depuis.

Mariée au Prophète, jamais elle n'aurait pu songer à lui être infidèle. La vérité est que Abdullâh ibn Ubayy, le chef de file des hypocrites, était très ennuyé que ses propos, émis en présence de personnes qu'il pensait être des hypocrites comme lui, aient été rapportés au Prophète par Zayd ibn Arqam. Il était conscient qu'il allait perdre la considération de ses contribules en raison de ces remarques où il avait adopté une attitude hostile au Prophète, se considérant lui-même comme celui des deux qui était « honorable » et menaçant d'expulser de Médine le Prophète, décrit comme « humble ».

Aucun musulman ne pouvait tolérer pareille attitude, pas même ceux qui espéraient encore que Abdullâh ibn Ubayy oublierait ses griefs personnels et deviendrait un musulman sincère. Si les musulmans avaient à choisir, c'était de loin leur amour pour leur Prophète et leur devoir de lui obéir qui l'emportaient. Abdullâh ibn Ubayy était conscient que bien que certains musulmans appartenant aux Khazraj, sa tribu, lui soient encore attachés, il ne faisait aucun doute que leur loyauté envers lui s'effacerait totalement si elle venait à entrer en conflit avec leur loyauté envers leur nouvelle religion.

Sa situation se trouvait donc considérablement fragilisée. N'étant pas parvenu à créer des dissensions entre les muhâjirûn et les ansâr à la suite du premier incident causé par une dispute au sujet de l'eau, il voyait dans ce nouvel incident une occasion d'amener les musulmans à douter de l'honneur du Prophète et de sa position auprès de Dieu. À défaut de cela, il parviendrait au moins, pensait-il, à causer une rupture entre sa propre tribu et le reste des musulmans, s'il réussissait à utiliser la loyauté tribale de ses contribules. Tels étaient les motifs de ses manoeuvres malsaines.

Mais Dieu ne voulut pas laisser tout cela se produire : Il révéla un passage du Coran affirmant l'innocence de Aïsha et éclairant les musulmans sur le comportement à avoir en pareilles circonstances. Il est donc parfaitement clair que cette histoire d'adultère était fausse de bout en bout. Les musulmans n'auraient jamais dû être tentés d'y croire, avant même que Dieu n'affirme l'innocence de Aïsha dans une révélation coranique.

De fait, certains musulmans avaient d'emblée rejeté l'accusation comme totalement fausse. L'un d'eux était Khâlid ibn Zayd, mieux connu sous le nom d'Abû Ayyûb al-Ansârî. Sa femme lui ayant parlé des rumeurs et lui ayant demandé s'il les avait entendues, il répondit : « Oui, certes. C'est un mensonge flagrant. Toi, Umm Ayyûb, aurais-tu fait pareille chose ? » Elle répondit : « Non, par Dieu, je ne le ferais pas. » Il rétorqua : « Eh bien, par Dieu, Aïsha est meilleure que toi. » Telle est l'attitude dont le Coran fait l'éloge, comme nous le verrons ci-dessous.

Les rumeurs se propagèrent pendant un mois environ sans que ni le Prophète ni personne d'autre n'agisse pour y mettre fin. Pendant la majeure partie de cette période, Aïsha était gravement malade et ne pouvait donc être informée de ce qu'on racontait à son sujet. Le Prophète était préoccupé par cette affaire mais, n'ayant aucune preuve claire dans un sens ni dans l'autre, il ne pouvait rien faire. On peut ici se demander comment aurait réagi un roi, un président ou un quelconque chef d'État en pareille circonstance.

Le Prophète attendit pendant un mois, au cours duquel il ressentit certainement toute l'angoisse éprouvée par un homme dont l'épouse bien-aimée est accusée d'adultère alors qu'il est dans l'incapacité de prouver son innocence. Le fait qu'il n'ait pas reçu de révélation à ce sujet pendant tout un mois répondait à plusieurs objectifs. Le Prophète avait confiance en la sagesse divine, certain que Dieu ne lui ferait que du bien. Il se comporta donc avec une dignité et une patience parfaites, jusqu'à ce que Dieu juge bon de révéler l'innocence de Aïsha.

L'attente renforçait même la défense de cette dernière. Elle prouvait également la véracité du message de Muhammad. En effet, si, comme le prétendaient les négateurs, il avait été un faux prophète qui inventait le Coran, il se serait probablement empressé de fabriquer une forme de déclaration exprimant un jugement sur cette affaire. Mais Muhammad n'était pas homme à agir de la sorte. Il importe de souligner ici que la nature humaine n'aurait pu, à elle seule, saisir toute la sagesse de ce retard. Tandis que les gens salissaient l'honneur du Prophète, la nature humaine aurait voulu que toutes ces rumeurs soient étouffées immédiatement.

Le Prophète, lui, comprenait cependant que ce n'était pas à lui qu'il revenait de prendre cette décision. Il attendit que Dieu le guide. Ceci est en accord avec le fait que le Prophète n'avait aucun contrôle sur tout ce qui concernait la communauté musulmane en général, ni sur sa propre vie d'être humain. Quand l'innocence de Aïsha fut enfin déclarée, elle le fut avec la plus grande véhémence. Dieu révéla un passage du Coran affirmant son innocence sans aucune ambiguïté.

Ce passage se trouve dans la sourate 24, intitulée an-Nûr ou « La Lumière » (versets 11-20). La sourate commence par une interdiction parfaitement claire de tout acte d'adultère ou de fornication, suivie de l'interdiction également claire d'accuser une femme d'adultère sans apporter quatre témoins pour prouver cette accusation. Ces règles ayant déjà été édictées, les musulmans auraient dû demander les mêmes preuves lorsque Aïsha avait été accusée. Le passage traitant de l'innocence de Aïsha commence par une affirmation très claire, décrivant les rumeurs comme totalement fausses et toute l'histoire comme une calomnie.

Il en ressort que toute cette affaire était l'oeuvre d'un groupe qui cherchait à nuire gravement aux musulmans, mais que Dieu avait voulu qu'elle leur soit finalement profitable. Les calomniateurs seraient dûment punis, en particulier leur chef de file qui subirait « un terrible châtiment ». Une religion comme l'islam, caractérisée par le sérieux avec lequel elle envisage les questions morales, ne pouvait permettre que l'honneur de femmes innocentes fasse l'objet de propos futiles.

Accuser une femme d'adultère sans fournir une preuve irréfutable de sa culpabilité est en soi un crime grave appelant un châtiment sévère. Le Coran précise que ceux qui auront diffusé de telles rumeurs sans fournir quatre témoins pour attester qu'ils ont vu de leurs yeux commettre l'adultère seront punis de quatre-vingts coups de fouets et ne seront plus acceptés comme témoins devant un tribunal, à moins qu'ils ne se repentent et ne montrent à l'avenir un comportement exemplaire. L'accusation d'adultère fait l'objet de dispositions si strictes en islam parce qu'il n'est que trop facile de répandre la calomnie.

Si la foi ne les retient pas, les gens ont tendance à s'intéresser aux ragots. La mise en garde du Coran est donc claire, ferme et irrévocable. Le jugement divin une fois prononcé, le Prophète fit appliquer à trois personnes la peine frappant ceux qui profèrent une fausse accusation d'adultère contre une femme musulmane : Mistah ibn Athâtha, Hasân ibn Thâbit et Hamna bint Jahsh. Ces trois personnes avaient répété les accusations explicitement.

D'autres qui n'avaient pas parlé aussi ouvertement furent pardonnes. Abdullâh ibn Ubayy parvint à échapper à la punition, étant trop malin pour se faire prendre. Néanmoins, son rôle était connu de tous et il perdit tout le respect de ses concitoyens. On peut noter ici que la participation de Hamna à ces rumeurs était motivée par la jalousie. Sa soeur, Zaynab bint Jahsh, était mariée au Prophète . Zaynab et Aïsha étaient rivales pour l'amour du Prophète, l'emportant sur ses autres épouses. Lorsque le Prophète demanda à Zaynab si elle avait vu ou entendu quelque chose de suspect dans le comportement de Aïsha, elle répondit : « Messager de Dieu, je préfère protéger mes yeux et mes oreilles. Je n'ai vu que du bien chez Aïsha. »

Sa soeur alla cependant trop loin dans ses efforts pour assurer à Zaynab les faveurs du Prophète, et c'est la raison de sa faute. Mistah, un parent d'Abû Bakr, le père de Aïsha, dépendait de la charité de ce dernier pour subvenir à ses besoins. Cela ne l'empêcha cependant pas de répéter les rumeurs. L'homme était pourtant de bon caractère et avait combattu à Badr. Abu Bakr, irrité du comportement de Mistah, décida de ne plus subvenir à ses besoins. Cependant, dans les versets suivants de la même sourate, Dieu recommande aux croyants de ne pas se laisser emporter par leurs sentiments personnels.

Il est meilleur qu'ils continuent à subvenir aux besoins de leurs frères, même si le comportement de ceux-ci laisse parfois à désirer. Dieu demande aux croyants : « Vous-mêmes, n'aimeriez-vous pas que Dieu vous absolve ? » (24.22) Quand il entendit ce verset, Abu Bakr dit : « J'aimerais en effet que Dieu m'absolve », et il continua à subvenir aux besoins de Mistah.

Le fait que ces compagnons du Prophète aient pris part aux rumeurs prouve qu'il peut arriver à tous de commettre des erreurs. En pareil cas, ils doivent se repentir et implorer le pardon de Dieu. Si leurs fautes sont passibles d'une peine particulière et qu'ils subissent cette peine, la peine efface les fautes. S'ils ne sont pas punis, la décision revient à Dieu qui pourra, dans l'au-delà, leur pardonner leurs fautes ou non.