Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

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La Prise de la Mecque

 

Les conflits importants et prolongés se résolvent généralement après un événement décisif faisant définitivement basculer l'équilibre des forces en faveur d'un camp ou de l'autre. Cela est particulièrement vrai lorsque le conflit n'est pas motivé uniquement par des considérations économiques ou matérielles. Dans le cas du conflit opposant les Quraysh et les musulmans, les Quraysh étaient les agresseurs depuis que le Prophète avait proclamé son message et appelé les gens à croire en l'unicité de Dieu et à se soumettre à Lui.

Nous avons vu comment les Quraysh avaient persécuté ceux qui avaient répondu à l'appel du Prophète alors que les notables de la tribu avaient décidé de le rejeter. Pendant treize ans à La Mecque, le débat intellectuel n'avait eu aucune chance de se développer. Ceux qui décidaient de devenir musulmans étaient conscients qu'ils prenaient cette décision à leurs risques et périls. Les Quraysh parvinrent de fait à imposer leur autorité et à contenir la nouvelle prédication dans leur propre zone géographique, au point qu'en treize années, le Prophète ne put gagner qu'environ trois cents adeptes parmi les Quraysh.

En fin de compte, le message de l'islam était parvenu à rompre le siège qui lui était imposé et une nouvelle base avait été fondée à Médine. Les Quraysh s'étaient alors appuyés sur leur supériorité militaire pour tenter de mettre un terme définitif à l'islam. Mais après cinq ans, trois batailles majeures et un grand nombre d'affrontements localisés et parfois importants mettant en scène d'autres tribus arabes et juives, les Quraysh se rendaient compte qu'ils ne progressaient nullement dans leur confrontation avec l'islam. Au contraire, l'islam était de plus en plus fort.

Au bout de ces cinq années, c'était indiscutablement le Prophète qui avait l'initiative. L'accord de paix signé entre les deux camps à al-Hudaybiyya fut une victoire morale décisive pour les musulmans. Le Coran le décrit comme « une victoire éclatante ». Grâce à cette paix, les musulmans pouvaient, pour la première fois, communiquer leur message aux gens sans avoir à lutter contre la crainte que les Quraysh inspiraient à ces gens.

Puisque la tribu de Quraysh était la principale d'Arabie, toutes les autres tribus modelaient leur comportement sur le sien. La plupart restaient dans l'expectative face au conflit entre les musulmans et les Quraysh. Elles ne voulaient ni encourir la colère des Quraysh, ni s'impliquer dans un conflit qui restait très obscur pour la plupart d'entre elles. Comme l'accord de paix d'al-Hudaybiyya stipulait que toutes les tribus pouvaient librement rejoindre ou s'allier à l'un ou l'autre des deux camps, les tribus arabes se sentaient libres d'écouter Muhammad sans craindre la colère de quiconque et de réfléchir à sa religion.

C'était là, pour le Prophète et les musulmans, un succès considérable. Après tout, une idée juste n'a besoin que d'être examinée objectivement. Si cela est vrai des idées humaines, cela s'applique à plus forte raison à la vraie foi fondée sur l'unicité divine. Le résultat des événements des sept années écoulées depuis l'émigration du Prophète à Médine était que la structure représentée par les Quraysh commençait à s'effondrer de l'intérieur.

Après tout, ses fondements étaient loin d'être solides, ses motivations étaient très douteuses et les liens entre ses différentes classes étaient basés sur la crainte et l'appréhension mutuelles. Le Prophète était conscient que les Quraysh étaient en perte de vitesse. Il était certain que, tôt ou tard, ils finiraient par abandonner leur lutte pour éradiquer l'islam. Il ne doutait nullement de la vérité de son message et il était absolument sûr que l'islam continuerait à progresser.

Les chefs de La Mecque étaient eux aussi conscients que les musulmans avaient acquis un prestige au moins égal au leur en Arabie. Les Quraysh se rendaient donc compte que la situation n'évoluait pas en leur faveur. Les événements qui eurent lieu près de deux ans après la signature de l'accord de paix d'al-Hudaybiyya entre le Prophète et les Quraysh le montrent clairement.

La violation du traité

Ces événements furent déclenchés par un incident qui représentait une violation flagrante de l'accord de paix. Il faut rappeler ici que l'accord de paix stipulait que les tribus arabes étaient libres d'établir des alliances avec l'un ou l'autre des deux camps. Les termes de l'accord de paix s'appliquaient alors à ces alliés de la même manière qu'aux principaux protagonistes. La tribu de Bakr avait rejoint le camp des Quraysh par une alliance officielle, tandis que celle des Khuzâ'a s'était alliée aux musulmans.

Ces deux tribus étaient déjà ennemies avant l'avènement de l'islam. Bien que les hostilités aient cessé entre elles quelques années avant la signature de l'accord de paix d'al-Hudaybiyya, des rancunes persistaient entre elles. Une branche des Bakr connue sous le nom de clan des Dayl avait un compte à régler avec les Khuzâ'a. Son chef, Nawfal ibn Mu'awiyya, vit dans la trêve obtenue en Arabie suite à l'accord de paix une occasion de régler ce compte.

Il emmena donc une troupe importante d'hommes de son clan et lança une attaque surprise contre les Khuzâ'a tandis que leurs hommes se rassemblaient à un point d'eau appelé al-Watîr. Des combats éclatèrent et les Khuzâ'a durent battre en retraite. Comme les Khuzâ'a vivaient à proximité de La Mecque, leur fuite les conduisit à l'intérieur du périmètre sacré de la Ka'ba, où les combats avaient toujours été strictement interdits depuis l'époque d'Abraham. Tous les Arabes reconnaissaient le caractère sacré de ce lieu. Ainsi, l'acte des Bakr n'était pas seulement une violation du traire de paix, mais également du caractère sacré de La Mecque.

Les Bakr en étaient conscients. Certains de leurs hommes dirent à leur chef : « Nawfal, nous sommes entrés dans le périmètre sacré. Ne t'attire pas la colère de ton dieu. » Cependant, le désir de vengeance de Nawfal l'aveuglait. Il répliqua : « Aujourd'hui, je n'ai pas de dieu. Fils de Bakr, vengez-vous. Je sais que vous êtes dans le périmètre sacré. Ne voulez-vous pas y prendre votre revanche ? » Les Bakr se vengèrent bel et bien. Ils tuèrent un grand nombre d'hommes des Khuzâ'a. En outre, les Quraysh leur vinrent en aide : ils leur fournirent des armes, et certains hommes de Quraysh prirent eux-mêmes part aux combats aux côtés des Bakr.

L'accord de paix fut donc violé non seulement par les Bakr, mais aussi par les Quraysh eux-mêmes. Les combats terminés, les Khuzâ'a envoyèrent un émissaire informer le Prophète de ce qui s'était passé. Cet émissaire s'appelait Amr ibn Sâlim. 'Amr fit route le plus vite qu'il put jusqu'à Médine. Il alla droit à la mosquée où le Prophète était assis avec un groupe de ses compagnons. Amr exprima les nouvelles qu'il apportait par le moyen le plus efficace de l'époque : en vers. La réponse du Prophète fut brève, claire et décisive. Il lui dit : « Tu auras notre soutien, Amr Ibn Sâlim. »

Ce messager fut suivi d'une délégation des Khuzâ'a dirigée par Budayl ibn Warqâ', qui vint trouver le Prophète à Médine. Ces hommes firent au Prophète le récit détaillé de ce qui s'était passé. Ils l'informèrent aussi que les Quraysh avaient aidé activement les Bakr dans leur agression contre les Khuzâ'a. Il ne faisait aucun doute pour le Prophète que les Quraysh étaient coupables d'une violation flagrante de l'accord de paix. Cependant, il ne fit aucune promesse aux Khuzâ'a à part sa promesse initiale de soutien, préférant ne pas ébruiter ses intentions. La délégation repartit satisfaite de sa rencontre avec le Prophète.

Conséquence de l'incident

Lorsque les Quraysh prêtèrent main-forte à leurs alliés de la tribu des Bakr pour leur agression contre les Khuzâ'a alliés du Prophète , ils ne pensèrent guère aux conséquences de leur trahison. Il ne leur vint pas à l'esprit que les nouvelles se répandaient vite et que le Prophète ne manquerait pas d'apprendre leur comportement inacceptable. L'excitation retombée, ils s'aperçurent de l'énormité de ce qu'ils avaient fait. Ils se rendirent compte que pour un gain futile, ils s'étaient placés dans une situation où ils risquaient de lourdes pertes. Certains suggérèrent qu'il fallait agir vite pour éviter une éventuelle campagne de représailles de la part des musulmans.

Ils envoyèrent donc leur chef Abu Sufyân à Médine, ostensiblement pour négocier une révision de l'accord de paix destinée à en prolonger la validité. Le Prophète s'attendait à tout cela. Quand il fut confirmé que les Quraysh avaient aidé activement les agresseurs de ses alliés, il dit à ses compagnons qu'il pensait qu'Abû Sufyân allait venir à Médine sous le prétexte d'améliorer les termes de l'accord de paix. Peu après, Abu Sufyân faisait son apparition à Médine.

Comme tout coupable cherchant à dissimuler sa culpabilité en donnant l'impression de faire quelque chose de bien, Abu Sufyân craignait que ses efforts ne mènent à rien. Il pensa donc à obtenir le soutien de quelqu'un de la famille du Prophète : sa propre fille Umm Habîba, que le Prophète avait épousée quelques années plus tôt. Abu Sufyân entra chez elle et, se comportant comme n'importe quel père chez sa fille, fit mine de s'asseoir sur le matelas du Prophète.

Umm Habîba fut plus rapide que lui : elle plia le matelas et l'enleva. Surpris, Abu Sufyân demanda : « Je ne suis pas sûr, ma fille, si tu penses que je suis trop important pour m'asseoir sur ton matelas ou qu'il est trop bon pour moi. » Elle lui répondit en toute franchise : « C'est le matelas du Messager de Dieu et en tant qu'idolâtre, tu es impur. C'est pourquoi je ne veux pas que tu t'assoies sur le matelas du Messager de Dieu. » C'était là un coup tout à fait inattendu pour Abu Sufyân. Il n'aurait pas imaginé que sa propre fille puisse l'humilier de telle manière. Il dit : « Je suis sûr qu'un mal t'est arrivé depuis que tu m'as quitté, ma fille. »

Abu Sufyân partit de chez sa fille en ruminant ce coup sévère. Il entra à la mosquée où il trouva le Prophète . Il lui dit : « Muhammad, je suis venu te demander de confirmer notre accord de paix et d'en valider la prolongation. » Le Prophète lui demanda : « Est-ce pour cela que tu es venu ici ? N'as-tu fait aucun mal ? » Abu Sufyân se hâta de nier avoir connaissance d'une quelconque violation de l'accord de paix et dit : « Nous respectons notre accord de paix d'al-Hudaybiyya. Nous en observons strictement les termes. » Le Prophète ne lui dit rien de plus et l'effort d'Abû Sufyân pour entamer un dialogue avec le Prophète fut vain.

Abu Sufyân alla ensuite voir Abu Bakr, le principal compagnon du Prophète. Il lui fit la même proposition, mais Abu Bakr répondit qu'il ne ferait que ce que le Prophète ferait. Il ne parlerait pas au Prophète pour les Quraysh. Abu Sufyân alla ensuite trouver 'Umar et tenta de le persuader de parler au Prophète de sa part. 'Umar rétorqua : « Tu veux que je prenne ta défense ? Si je ne trouvais rien que de la poussière pour te combattre, je te combattrais quand même. »

Abu Sufyân dut se sentir bien humilié après cette série de rebuffades. Dans d'autres circonstances, il n'aurait pas poursuivi ses efforts. Toutefois, à chaque coup qu'il recevait, il ne comprenait que mieux la gravité de la situation. Un échec de sa mission ne manquerait pas d'entraîner des conséquences très graves pour les Quraysh. Il persévéra donc, s'adressant à plusieurs des principaux compagnons du Prophète mais essuyant à chaque fois le même refus. Les chefs des muhâjirûn comme ceux des ansâr lui dirent : « Nous ne faisons que nous conformer aux instructions du Prophète. Nous honorerons ses promesses et ses engagements quels qu'ils soient. »

Il alla ensuite trouver 'Ali, le cousin et gendre du Prophète, et lui dit : « Alî, tu es mon plus proche parent parmi les musulmans et nos relations ont toujours été amicales. Je suis venu dans un but précis et je ne veux pas repartir les mains vides. Pourrais-tu intercéder pour moi auprès du Prophète ? » Alî répondit : « Le Messager de Dieu a pris une décision et aucun de nous ne peut lui parler à ce sujet. »

Fâtima, la fille du Prophète , était présente et son fils aîné, Hasan, jouait dans la pièce. Abu Sufyân s'adressa à Fâtima : « Fille de Muhammad, peux-tu dire à ton jeune garçon de déclarer la paix entre nos deux camps ? Il deviendra ainsi pour toujours le plus grand des Arabes. » Elle répondit : « Mon enfant est trop jeune pour déclarer la paix entre les gens. Personne ne peut accorder sa protection à quiconque contre le Messager de Dieu. »

Abu Sufyân comprit alors qu'il se trouvait dans une impasse. Il dit à Alî : « Je pense que les choses sont devenues trop difficiles pour moi, et je te demande conseil. » Alî répondit : « Par Dieu, je ne vois pas en quoi je pourrais t'être utile, tu es cependant le chef d'une grande tribu d'Arabie. Va déclarer la paix entre les gens, puis rentre chez toi. » Abu Sufyân demanda à Alî s'il pensait qu'une telle démarche serait très utile. Alî répondit que non et ajouta : « Mais je ne vois pas ce que tu pourrais faire d'autre. »

Abu Sufyân sortit et dit : « Que chacun sache que j'ai déclaré la paix entre les gens, et je ne pense pas que quiconque romprait mon engagement. » C'était une tradition en Arabie. Si le chef ou les chefs d'une tribu faisaient une telle déclaration, les gens l'acceptaient normalement comme une déclaration de trêve. À l'époque, la situation était cependant bien différente à Médine.

Abu Sufyân voulut s'assurer que son engagement serait respecté. Il alla trouver le Prophète et lui dit : « Muhammad, j'ai déclaré la paix entre les gens et je ne pense pas que quiconque rompe mon engagement ou viole ma protection. » Le Prophète répondit : « C'est toi qui dis cela. » Le Prophète voulait manifestement que les choses soient très claires pour Abu Sufyân. Les musulmans ne lui donnaient rien. Sa déclaration n'engageait que lui puisqu'ils ne l'approuvaient pas.

Quand Abu Sufyân arriva à La Mecque, les gens lui demandèrent s'il avait rapporté un document ou un pacte approuvé par le Prophète. Il les informa de son échec et des conseils de Alî et leur dit qu'il les avait suivis. Ils répondirent :

« Tu as accepté un engagement unilatéral et tu reviens avec quelque chose d'inutile autant pour toi que pour nous. 'Alî s'est joué de toi. Ta paix et ta protection n'ont pas été acceptées et ne les engagent à rien. » Sa propre épouse fut encore plus dure envers lui.

Commencement des préparatifs

Quelque temps après le départ d'Abû Sufyân, le Prophète dit à sa femme Aïsha de préparer son équipement de guerre. Elle commença également à préparer de la nourriture. Son père, Abu Bakr, entra et, voyant ce qu'elle faisait, lui demanda pourquoi elle préparait cette sorte de nourriture, mais elle ne répondit pas. Il demanda si le Prophète voulait organiser une nouvelle expédition, mais Aïsha garda le silence. Abu Bakr continua à lui poser des questions et lui demanda si le Prophète avait pour objectif les Byzantins, les gens du Najd ou encore les Quraysh eux-mêmes.

Aïsha ne répondit à aucune de ces questions. À ce moment, le Prophète entra et Abu Bakr lui posa les mêmes questions : le Prophète confirma alors qu'il comptait attaquer les Quraysh. Abu Bakr évoqua l'accord de paix mais le Prophète lui dit qu'ils l'avaient eux-mêmes rompu. Le Prophète avait longuement réfléchi à l'action des Quraysh. Il ne pouvait trouver aucun prétexte pour leur accorder le bénéfice du doute. Leur acte était une violation tout à fait flagrante de l'accord de paix.

Ils devaient donc payer leur faute. Si une telle violation restait impunie, ils ne tarderaient pas à chercher un autre moyen de s'en prendre aux musulmans. Il fallait agir sans tarder. Toutefois, le Prophète commença ses préparatifs discrètement. Même ses plus proches conseillers ne furent tout d'abord pas informés de ses intentions. Le Prophète n'informa personne de l'expédition qu'il préparait mais ordonna à ses compagnons de se tenir prêts. En outre, il chargea 'Umar ibn al-Khattâb de la sécurité. 'Umar plaça des patrouilles sur toutes les routes entrant ou sortant de Médine et leur donna pour instructions de ne laisser passer personne de suspect.

Le Prophète tenait à prendre les Quraysh par surprise et utilisa tous les moyens pour s'assurer qu'ils ne seraient pas informés de son départ imminent. De plus, il implora Dieu de rendre ses précautions efficaces afin que les musulmans puissent prendre les Quraysh par surprise. À ce moment, un membre de la communauté musulmane fit quelque chose de tout à fait inhabituel. Hâtib ibn Abî Balta'a, l'un des muhâjirûn qui avaient émigré de La Mecque à Médine avec le Prophète , écrivit une lettre aux Quraysh pour les avertir que le Prophète avait l'intention de les attaquer.

Il la donna à une femme qui la cacha sur elle et parvint à quitter Médine sans être remarquée par les gardes qui contrôlaient toutes les allées et venues. Or, le Prophète fut informé par Dieu de l'action de Hâtib. Il envoya donc trois de ses compagnons, Alî, az-Zubayr ibn al-'Awwâm, et al-Miqdad à un endroit appelé Rawdat Khâkh où ils devaient intercepter cette femme et lui reprendre la lettre.

Les compagnons rapportèrent cette lettre au Prophète qui convoqua Hatib pour s'expliquer. Il lui demanda : « Qu'est-ce que c'est, Ô Hâtib ? » Il répondit : - « Ne te hâte pas de me juger, Envoyé de Dieu ; je n'ai eu dans Quraych que la situation d'un rapporteur. » Il poursuivit : « Les autres Muhâjirûn ont, à La Mecque, des parents par lesquels ils peuvent assurer la protection de leurs familles ; moi, comme les liens du sang ne me donnaient pas cet avantage, j'ai voulu m'acquérir à la reconnaissance de Quraych des droits qui assureraient la protection de mes proches. Mais je n'ai pas agi par infidélité ou par apostasie ; je n'ai point accepté comme religion l'infidélité après avoir embrassé l'islam. »

Il est parfaitement clair que lors de cet incident, Hâtib commit une grave erreur en essayant de gagner la faveur des négateurs de Quraysh alors qu'il savait très bien qu'ils avaient adopté une attitude hostile envers le Prophète et l'islam. Mais comme nous l'avons dit, les plus grands hommes peuvent commettre des erreurs. C'était là l'erreur d'un grand homme. Il pensait que si la bataille qui s'annonçait prenait trop d'ampleur, les Quraysh pourraient chercher à se venger sur les familles des musulmans qui avaient émigré de La Mecque. Dans ce cas, la seule chose qui pourrait assurer la sécurité de sa famille et de ses enfants serait la faveur des Quraysh.

Le Prophète était parfaitement conscient de l'énormité de l'action de Hâtib. Il décida néanmoins de lui pardonner en raison des services qu'il avait rendus à l'islam, notamment sa participation à la bataille de Badr. Il recommanda en outre à ses compagnons de se rappeler le passé de Hâtib au service de l'islam. Une erreur, si grave soit-elle, ne saurait effacer tout le dévouement montré par un homme à une cause bénie.

En route vers la Mecque

Quand les musulmans eurent terminé leurs préparatifs, le Prophète se mit en route à la tête d'une armée très importante pour les musulmans : c'était l'armée la plus importante jamais mobilisée sous le commandement du Prophète. Certains récits parlent de douze mille hommes, mais il est sans doute plus juste de dire que le Prophète avait avec lui dix mille soldats.

Ils n'avaient pas parcouru une grande distance quand ils virent arriver al-'Abbâs ibn 'Abd al-Muttalib, l'oncle du Prophète, accompagné de toute sa famille. Ils étaient venus rejoindre les musulmans : ils déclarèrent leur foi en Dieu et Son messager et se joignirent à l'armée musulmane. Peu après, l'armée musulmane rencontra deux hommes de Quraysh venus eux aussi rejoindre les musulmans. Il s'agissait d'Abû Sufyân ibn al-Hârith ibn Abd al-Muttalib (ne pas confondre avec Abu Sufyân ibn Harb, le chef des Quraysh) et de Abdullâh ibn Abî Umayya. Tous deux étaient parents du Prophète .

Abu Sufyân ibn al-Hârith avait été le camarade de jeux du Prophète durant son enfance, mais lorsque la mission prophétique avait commencé, il avait choisi de se montrer très hostile et de l'attaquer dans sa poésie. Abdullâh ibn Abî Umayya avait été très insultant vis-à-vis du Prophète dans le passé, malgré le fait que sa mère était la tante du Prophète. À un certain moment, il avait dit au Prophète qu'il ne croirait jamais en lui tant qu'il ne l'aurait pas vu grimper sur une échelle jusqu'au ciel et en revenir avec un témoignage écrit qu'il était bien le Messager de Dieu, accompagné de quatre anges pour en attester.

Les insultes sont particulièrement douloureuses quand elles proviennent de proches. Le Prophète ne souhaitait donc pas rencontrer ces deux hommes. Quand ils l'approchèrent, il refusa de les recevoir. Umm Salama, l'une des épouses du Prophète , essaya d'intervenir en faveur des deux hommes de Quraysh. Elle dit au Prophète : « Messager de Dieu, ce sont tes cousins et tes parents. » Il répondit : « Je n'ai nul besoin d'eux. Mon cousin m'a diffamé, et c'est le fils de ma tante qui avait dit ce que tu sais à La Mecque. »

Quand ils furent informés de ce que le Prophète avait dit, ils sentirent que leur position était très inconfortable. Ils ne savaient que faire. Abu Sufyân ibn al-Harith, qui était accompagné de son fils, dit : « S'il ne me reçoit pas, je prendrai mon fils par la main et nous errerons jusqu'à ce que nous mourions de faim et de soif. »

Alî ibn Abî Tâlib, qui était le cousin à la fois du Prophète et d'Abû Sufyân Ibn al-Hârith, donna un bon conseil à ce dernier. Il lui dit d'aborder directement le Prophète, face à face, et d'employer les mêmes mots que les frères de Joseph avaient adressé à celui-ci lorsqu'ils l'avaient reconnu : « Dieu t'a vraiment préféré à nous ; et nous, nous avons été coupables. » Alî lui dit que le Prophète ne voudrait pas que quelqu'un d'autre donne une meilleure réponse que lui dans les mêmes circonstances. Abu Sufyân ibn al-Hârith fit ce qu'il lui avait recommandé et le Prophète donna la même réponse que Joseph à ses frères : « Il ne vous sera fait aucun reproche aujourd'hui. Que Dieu vous pardonne ! Sa miséricorde n'a point d'égale. » Ainsi, Abu Sufyân ibn al-Hârith et son parent furent réhabilités. Il commença immédiatement à mettre son talent poétique au service de l'islam et de la défense de sa cause.

L'armée musulmane conduite par le Prophète se mit en marche vers La Mecque, le dixième jour de ramadan de l'an huit du calendrier musulman. Des musulmans de différentes tribus rejoignirent l'armée en nombre. Il y en eut par exemple sept cents de la tribu de Sulaym - un millier selon certains récits. Il y en avait aussi un millier de la tribu de Muzayna. Chaque tribu constituait une unité de l'armée. Tous les muhâjirûn et les ansâr étaient venus en réponse à l'appel du Prophète. Aucun n'était resté en arrière.

Quand le Prophète parvint à un endroit appelé Asafân, non loin de Médine, il demanda un pichet d'eau. Quand on le lui eut apporté, il se leva de façon à être vu par le plus grand nombre de gens possible et but pendant la journée afin que ses compagnons suivent son exemple et s'abstiennent de jeûner en voyage. Il ne jeûna aucun des jours suivants, jusqu'à son arrivée à La Mecque.

L'armée continua sa route jusqu'à un endroit appelé Marr az-Zahrân, non loin de la Mecque, où elle établit son camp. Il était remarquable que les Quraysh n'aient pas été informés de la venue du Prophète. Cela était dû à la prière faite par le Prophète avant son départ : « Seigneur, fais que les Quraysh ne reçoivent aucun renseignement sur nous jusqu'à ce que nous les prenions par surprise sur leur propre territoire. » Cependant, les Quraysh étaient mal à l'aise. Ils étaient conscients que le Prophète ne manquerait pas de passer à l'action. Il n'allait pas rester inactif alors que ses alliés étaient traîtreusement massacrés.

Ils envoyaient donc des hommes se renseigner à l'extérieur, mais les renseignements qu'ils rapportaient étaient inexacts. Le Prophète et son armée établirent leur camp à Marr az-Zahrân le soir. Le Prophète ordonna à ses compagnons d'allumer des feux. Sa stratégie était maintenant de remporter la guerre psychologique dans l'espoir d'éviter une bataille de grande envergure. Chaque soldat alluma donc un feu. Il faut essayer d'imaginer dix mille feux allumés dans la vallée où les musulmans campaient. Si les Quraysh envoyaient quelqu'un chercher des renseignements, la vue de ces feux le pousserait à retourner très vite avertir les habitants de La Mecque du danger qui les menaçait.

Il se trouvait dans le camp musulman un homme qui était conscient que la cause des Quraysh était sans espoir à moins qu'ils ne négocient un nouvel accord avec le Prophète. Cet homme n'était autre qu'al-'Abbâs, l'oncle du Prophète, qui l'avait rejoint quelques jours seulement auparavant. Al-'Abbâs se rendait compte que la seule issue pour les Quraysh serait de se rendre et d'accepter le verdict du Prophète quel qu'il soit. Si les Quraysh faisaient cela, le Prophète serait plus enclin à leur épargner l'humiliation. Al-Abbâs décida donc d'envoyer un message aux Quraysh pour les exhorter à prendre les devants et à demander au Prophète un arrangement pacifique.

Il faut ici bien faire la différence entre la décision d'al-Abbâs et la lettre envoyée par Hâtib ibn Abî Balta'a pour prévenir les Quraysh. Cette lettre avait été envoyée avant que l'armée n'ait terminé ses préparatifs de départ. Les Quraysh auraient eu le temps de se préparer pour une bataille de grande ampleur. La situation était maintenant différente : le Prophète ne cachait plus aux Quraysh qu'il se dirigeait vers La Mecque, et c'était pour cette raison qu'il avait fait allumer tous ces feux.

En outre, les conseils d'al-Abbâs seraient certainement bien accueillis puisque, quelques jours seulement auparavant, il entretenait encore des liens d'amitié avec tous les chefs de Quraysh. Il était donc quasiment certain que les Quraysh suivraient les conseils d'al-Abbâs. Voici le récit donné par al-Abbâs lui-même des événements de cette nuit-là :

Quand le Messager de Dieu établit son camp à Marr az-Zahrân, j'éprouvai de la peine pour les gens de La Mecque. Je pensais que si le Messager de Dieu entrait à La Mecque par la force, avant que les Quraysh ne viennent lui proposer un arrangement pacifique, ce serait la fin des Quraysh pour toujours. Je montai donc la propre mule du Prophète et j'allai jusqu'à la vallée d'Arâk [ainsi appelée parce que les arbres d'Arâk y poussaient en abondance].

J'espérais y trouver un bûcheron ou un berger ou toute autre personne à qui je pourrais demander d'aller à La Mecque avertir les gens du lieu où le Prophète avait établi son camp et leur conseiller de prendre les devants et de demander la sécurité pour leur ville avant qu'il n'y entre par la force. Dieu voulut qu'Abû Sufyân ibn Harb, le chef des Quraysh, sorte cette nuit-là en compagnie de Hakîm ibn Hizâm et Budayl ibn Warqâ' pour chercher des informations auprès d'un éventuel voyageur qu'ils pourraient trouver. Je cheminais toujours sur la mule du Prophète quand j'entendis une conversation entre Abu Sufyân et Budayl ibn Warqâ'.

Abu Sufyân dit : « Je n'ai jamais vu un tel feu ni une aussi grande armée. » Budayl ibn Warqâ' répondit : « Ce doit être la tribu des Khuzâ'a poussée à l'action par le feu de la guerre. » [C'était une allusion à l'agression contre les Khuzâ'a, alliés du Prophète, qui avait déclenché ces événements. Ils s'attendaient à ce que les Kuzâ'a se vengent des Quraysh et de leurs alliés les Bakr.] Abu Sufyân répondit : « Les Khuzâ'a ne sont pas assez nombreux pour pouvoir lever une telle armée et allumer tous ces feux. »

Je reconnus Abu Sufyân à sa voix et je l'appelai par son autre surnom, Abu Hanzala. Il me reconnut et dit : « Abu al-Fadl ? Qu'est-ce qui t'amène ici ? » Je répondis : « L'affaire est grave, Abu Sufyân. C'est le Messager de Dieu avec son armée. Les Quraysh sont bel et bien perdus. » Il demanda : « Que pouvons-nous faire, cher ami ? » Je répondis : « Je suis sûr que s'il te fait prisonnier, il te fera décapiter. Monte derrière moi sur cette mule et je t'emmènerai au Messager de Dieu pour obtenir ta sécurité. »

Négociations avec le Prophète

Abu Sufyân était donc maintenant en route pour un face-à-face avec le Prophète , l'homme qu'il avait tenté de vaincre de toutes ses forces. Il était conscient d'être dans une position très difficile. Voici la suite du récit d'al-'Abbâs :

Il monta derrière moi tandis que ses deux compagnons rebroussaient chemin. Chaque fois que je passais près d'un groupe de musulmans à côté de leurs feux, ils se demandaient qui traversait leur camp, et me laissaient passer en s'apercevant que je montais la mule du Prophète . Je passai ensuite près du feu de 'Umar ibn al-Khattâb, qui demanda : « Qui est là ? » et s'avança. Quand il s'aperçut que c'était Abu Sufyân que j'avais en croupe, il dit : « Abu Sufyân, l'ennemi de Dieu. Loué soit Dieu, qui t'a conduit ici sans traité ni promesse pour te protéger. » Il courut jusqu'à la tente du Prophète. La mule commença aussi à courir et le dépassa de peu. Je mis rapidement pied à terre et j'entrai dans la tente du Prophète. 'Umar entra juste derrière moi et dit : « Messager de Dieu, c'est Abu Sufyân, l'ennemi de Dieu. Dieu nous l'a livré sans traité ni accord pour l'épargner. Permets-moi de lui couper la tête. » Je m'interposai : « Messager de Dieu, je lui ai accordé ma protection. » Je m'assis ensuite pour parler au Prophète, déterminé à ne laisser personne d'autre s'opposer à mes intentions.

Il semble qu'une vive discussion suivit entre al-Abbâs et 'Umar quant au sort d'Abû Sufyân, 'Umar insistant pour qu'il soit exécuté. Al-'Abbâs, qui venait d'integrer la société musulmane et ne savait pas encore à quel point l'islam modifiait les attachements de ses adeptes, dit à 'Umar : « Je jure, 'Umar, que si Abu Sufyan avait été un homme des 'Adi [le clan de 'Umar chez les Quraysh], tu aurais dit autre chose. Tu sais cependant qu'il appartient au clan des 'Abd Manâf. »

La réponse de 'Umar fut celle d'un homme dont les attachements et les loyautés avaient été radicalement remodelés par l'islam : « Ne te livre pas à des conclusions hâtives, al-'Abbâs. Quand tu es devenu musulman j'ai été plus heureux que je ne l'aurais été si al-Khattâb [son propre père] avait embrassé l'islam, et cela, uniquement parce que je sais que le Prophète est plus heureux de ta conversion à l'islam qu'il ne l'aurait été de celle d'al-Khattâb. »

Comme la discussion se prolongeait, al-'Abbâs et 'Umar insistant chacun sur leur point de vue respectif, le Prophète ordonna à son oncle d'emmener Abu Sufyân dans sa tente pour la nuit et de le lui ramener au matin. Abu Sufyân passa donc le reste de la nuit en compagnie d'al-'Abbâs. À l'aube, quand les soldats musulmans commencèrent à effectuer leurs ablutions en vue de la prière, Abu Sufyân tremblait de peur. Il demanda à al-'Abbâs ce qu'ils faisaient : ce dernier expliqua qu'ils s'apprêtaient à prier.

Tandis que les musulmans priaient sous la direction du Prophète, Abu Sufyân regarda, ébahi de les voir tous s'incliner pendant la prière quand le Prophète s'inclinait et se prosterner quand il se prosternait. Il dit à son interlocuteur : « Al-'Abbâs, ils font toujours ce qu'il commande ? » Al-'Abbâs répondit : « Oui, assurément. S'il leur ordonnait de cesser de manger et de boire, ils obéiraient. » Un récit avance que lorsque le Prophète effectua les ablutions, de nombreux musulmans s'efforcèrent d'attraper les gouttes d'eau qui coulaient de son visage et de ses mains pour s'en frotter le visage. Abu Sufyân déclara à al-'Abbâs : « Jamais je n'ai vu un roi ni un empereur traité de cette manière. »

La nuit avait dû influencer considérablement la décision d'Abû Sufyân quant au comportement qu'il allait adopter durant les heures fatidiques à venir. Il avait sans doute réfléchi à sa précédente mission à Médine, qui s'était soldée par un échec total. Ce voyage lui avait néanmoins donné un aperçu des sentiments de la communauté musulmane vis-à-vis des Quraysh. Ces mêmes personnes dont il pensait qu'elles se préoccuperaient du sort des Quraysh n'étaient pas disposées à lever le petit doigt pour les aider à échapper au châtiment de leur trahison injustifiée.

Il voyait maintenant de ses propres yeux et entendait de ses propres oreilles que les musulmans n'étaient pas disposés à faire des compromis. Sa tête était réclamée avant tout pour punir la trahison des Quraysh. En revanche, Abu Sufyân avait pu constater certains aspects des liens qui unissaient la communauté musulmane. Il voyait que les musulmans étaient très heureux de leur nouvelle religion et reconnaissaient que Dieu les avait comblés de Sa grâce en leur envoyant Muhammad) et son message. Aucun d'eux ne doutait de la justice de leur cause.

Qui plus est, l'amour était le sentiment prédominant dans le camp musulman. Tous les musulmans s'aimaient les uns les autres et le Prophète leur était plus cher que leurs parents et leurs enfants. De fait, ils aimaient plus le Prophète que leur propre personne. Pour Abu Sufyân, ces sentiments étaient peut-être incompréhensibles, mais ils étaient bien réels. Leurs implications étaient flagrantes. Il comprenait que les Quraysh n'égalaient les musulmans ni moralement ni matériellement. Toutes ces pensées devaient être présentes dans l'esprit d'Abû Sufyân le lendemain matin, pendant qu'al-Abbâs le conduisait pour la seconde fois auprès du Prophète.

La première question que le Prophète posa à Abu Sufyân, selon le récit fait par al-'Abbâs de cette conversation, fut : « Abu Sufyân, n'est-il pas temps que tu comprennes qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu ? » La réponse d'Abû Sufyân fut à la fois conciliante et directe : « Que tu es patient, généreux et bon ! Par Dieu, s'il existait d'autres divinités que Dieu, elles m'auraient été de quelque utilité. »

Ceci étant, le premier principe fondamental de l'islam, la seconde question du Prophète porta sur le second : « N'est-il pas temps que tu reconnaisses que je suis le Messager de Dieu ? » Là encore, la réponse d'Abû Sufyân fut franche et directe : « Que tu es patient, généreux et bon ! Sur ce point-là, j'ai encore quelques doutes. »

Abu Sufyân résumait dans sa réponse la raison d'une grande partie de l'hostilité manifestée par les Quraysh à l'égard de l'islam. Leurs chefs ne parvenaient pas à admettre que Dieu ait pu choisir l'un de Ses serviteurs pour apporter à l'humanité le message de l'islam. Il était évident que toute personne choisie pour une telle tâche jouirait d'une position extrêmement honorable sa vie durant et pour toujours. Par conséquent, ils étaient jaloux d'un tel honneur. Une telle réaction est parfaitement compréhensible lorsque les gens appliquent leurs propres critères au jugement des actes de Dieu.

Dans leur société tribale, où l'honneur possédait une telle importance, il n'était que fort naturel que ceux qui rivalisaient pour les honneurs - les chefs de Quraysh - aient besoin d'un certain temps pour accepter que quelqu'un d'autre avait été choisi par Dieu pour apporter Son message. Abu Sufyân était l'un de ceux-là, et sa réticence à reconnaître en Muhammad le Messager de Dieu avait été la cause d'un grand nombre des batailles relatées dans ce récit de la vie du Prophète.

Al-'Abbâs comprenait quelles pensées et quels sentiments se bousculaient dans l'esprit d'Abû Sufyân. Il voulut lui rappeler que sa position était intenable à moins qu'il n'accepte les faits tels qu'ils étaient. Il lui dit : « Voyons, déclare ta conversion à l'islam et montre que tu crois qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est le Messager de Dieu, avant qu'on ne te décapite. »

Abu Sufyân fut reconnaissant de ce rappel et il prononça la déclaration qui le faisait entrer en islam. Ainsi, le chef des Quraysh était devenu musulman et c'était à lui qu'il appartenait maintenant de rechercher une issue pacifique à la confrontation. Il était clair pour lui qu'il devait jouer ce rôle pour épargner à ses concitoyens une défaite militaire. Le Prophète expliqua quant à lui qu'il considérait toujours la trahison des Quraysh comme très grave, mais qu'il préférait que le conflit connaisse une issue pacifique.

Al-'Abbâs agissait toujours en médiateur. Il voulait qu'Abû Sufyân reparte avec quelque chose pour les Quraysh et quelque chose pour lui-même, afin qu'on ne revienne pas sur ce qui avait déjà été obtenu. Al-'Abbâs fit remarquer au Prophète qu'Abû Sufyân était un homme qui aimait qu'on l'honore. Il serait donc assurément très utile qu'il reparte auprès des siens dans une position honorable. Le Prophète accepta la requête d'al-Abbâs et dit : « Quiconque entrera chez Abu Sufyân sera en sécurité. »

C'était octroyer à Abu Sufyân un traitement de faveur que de faire de sa maison un endroit où tout Mecquois serait en sécurité. Cependant, Abu Sufyân voulait assurer la sécurité de tous les Quraysh. Il objecta : « Combien de personne ma maison peut-elle contenir ? » Le Prophète ajouta : « Et quiconque entrera à la Ka'ba sera en sécurité. » Abu Sufyân dit encore que la Ka'ba ne pourrait pas contenir beaucoup de monde. Le Prophète ajouta : « Et quiconque entrera dans l'enceinte sacrée sera en sécurité. »

Abu Sufyân demanda encore : « Combien de personnes l'enceinte sacrée peut-elle contenir ? » Le Prophète ajouta alors : « Et quiconque restera chez lui, la porte fermée, sera en sécurité. » Abu Sufyân fut satisfait et dit : « C'est certainement plus qu'assez. » Il était maintenant prêt à retourner informer ses concitoyens des résultats de ses négociations.

Le Prophète voulait toutefois être sûr qu'Abû Sufyân ne reviendrait pas sur sa décision quant à la reddition des Quraysh. Il voulait qu'il reparte en sachant parfaitement qu'une confrontation militaire ne pourrait que se solder par un bain de sang et une défaite humiliante des Quraysh. Il demanda donc à son oncle al-'Abbâs de se tenir avec Abu Sufyân au fond de la vallée pour regarder l'armée musulmane reprendre sa marche vers La Mecque. Autrement dit, il voulait qu'Abû Sufyân ait une idée très claire de la force militaire des musulmans.

Tandis qu'Abû Sufyân et al-'Abbâs se tenaient au fond de la vallée pour regarder l'armée musulmane se mettre en marche, Abu Sufyân fut très impressionné par sa force. Les unités et les divisions étaient constituées en fonction des tribus, chaque tribu constituant sa propre division. Pendant qu'elles passaient, Abu Sufyân questionna al-'Abbâs au sujet de chaque tribu. Quand al-'Abbâs répondait : ce sont les Sulaym, ou les Muzayna, ou une autre tribu, Abu Sufyân répondait que les Sulaym, les Muzayna ou les autres tribus qu'il nommait n'étaient pas un souci pour lui. La puissance numérique était cependant évidente. Le Prophète lui même fermait la marche à la tête de son « bataillon vert » composé des muhâjirun et des ansàr.

Tous portaient leur armure, de sorte que seuls leurs yeux étaient visibles à travers leurs heaumes. Abu Sufyân demanda : « Al-'Abbâs, qui sont ces hommes ? » Il répondit : « C'est le Messager de Dieu à la tête des muhâjirûn et des ansâr. » Abu Sufyân s'exclama : « Personne ne peut résister à la force de ce bataillon. Abu al-Fadl, ton neveu a assurément acquis un grand royaume ! » Al-'Abbâs lui rappela la réalité : « Abu Sufyân, il est prophète, pas roi. » Abu Sufyân répondit : « Oui, certes. »

Quand l'armée se fut mise en route, al-'Abbâs conseilla à Abu Sufyân de se hâter de retourner auprès de ses concitoyens avec le message du Prophète. Abu Sufyân était accablé par ce qu'il avait vu dans le camp musulman. Il avait compris que l'armée musulmane était pareille à un ouragan qui emporterait tout sur son passage si elle rencontrait la moindre résistance. Il ne doutait pas qu'un seul moyen restait pour sauver les Quraysh : la reddition. Comprenant qu'il n'y avait pas un instant à perdre, il partit le plus vite possible.

À La Mecque, les gens étaient inquiets, ayant appris pendant la nuit des deux compagnons d'Abû Sufyân que l'armée musulmane approchait. Ils étaient regroupés dans la ville quand Abu Sufyân arriva. Quand ils le virent, ils se précipitèrent vers lui pour s'enquérir des nouvelles qu'il apportait. Abu Sufyân n'avait pas le temps de se lancer dans de longues explications. Il voulait que chacun comprenne que la chute de La Mecque était imminente et que la résistance ne servirait à rien.

Il cria aussi fort qu'il le put : « Gens de Quraysh, Muhammad approche à la tête d'une armée à laquelle vous ne pourrez pas résister. Quiconque entrera chez Abu Sufyân sera en sécurité... » Hind bint 'Utba, l'épouse d'Abû Sufyân, fut abasourdie par la nouvelle. Elle entretenait jusque-là une haine farouche du Prophète et des musulmans, depuis que son père, son frère et son oncle avaient été tués à Badr. Tant que les deux camps étaient restés hostiles, elle avait joué un rôle important parmi les partisans d'une politique très dure envers les musulmans.

Elle se précipita sur Abu Sufyân, lui saisit la moustache et dit : « Tuez ce gros bon à rien. Maudit sois-tu comme chef ! » Abu Sufyân ne se laissa pas détourner de ce qu'il considérait être son principal devoir, faisant de lui le sauveur de La Mecque. Il dit à ses concitoyens : « Ne vous laissez pas induire en erreur par cette femme. Vous allez être confrontés à quelque chose de trop puissant pour vous. Quiconque entrera chez Abu Sufyân sera en sécurité... » Les gens l'interrompirent en disant : « Maudit sois-tu ! À quoi pourra nous servir ta maison ? » Il poursuivit : « Quiconque entrera dans la Mosquée sera en sécurité, et quiconque restera chez lui, la porte fermée, sera en sécurité. »

Le message était parfaitement clair. Tous les Mecquois en comprirent la teneur. Les gens se dispersèrent donc : certains allèrent à la Mosquée, la plupart rentrèrent chez eux, tandis que quelques-uns se rendaient chez Abu Sufyân. Une atmosphère de peur envahit La Mecque. Les combattants qui, avant l'islam, étaient craints de tous les Arabes restaient invisibles : ils attendaient derrière leurs portes fermées, tandis que ceux qui étaient à la Mosquée regardaient, pleins de crainte, ce qui se passait.

La Mecque, ville musulmane

Lorsque son armée arriva aux abords de La Mecque, le Prophète la partagea en quatre divisions, chacune entrant à La Mecque par un côté, afin de s'assurer la domination de toute la ville en même temps. Sa'd ibn 'Ubâda et son fils Qays ibn Sa'd étaient à la tête de la division arrivant par l'Est. Abu 'Ubayda Amir ibn al-Jarrâh dirigeait celle qui arrivait par l'Ouest, et où se trouvait le Prophète lui même.

Az-Zubayr ibn al-'Awwâm commandait les muhâjirûn et les ansâr arrivant par le Nord, où ils devaient dresser l'étendard des musulmans à al-Hajûn. Khâlid ibn al-Walîd avait, quant à lui, le commandement des forces entrant à La Mecque par le Sud. Tous les commandants avaient reçu l'ordre strict de ne pas commencer à se battre à moins d'être attaqués. Le Prophète tenait beaucoup à ne pas faire couler le sang à La Mecque, non seulement parce que c'était sa ville natale et celle de sa tribu, mais aussi parce que La Mecque était, comme elle l'est toujours, une ville sacrée où toutes les créatures devaient être en sécurité.

Ce dut être un grand moment pour tous les soldats de cette armée, en particulier pour ceux qui avaient embrassé l'islam dès les premiers temps et avaient pris part à sa longue lutte depuis l'époque où les musulmans n'étaient qu'une poignée d'hommes que personne ne prenait au sérieux jusqu'à cette nouvelle ère de leur suprématie en Arabie. Sa'd ibn 'Ubâda, le chef des ansâr, se trouvait dans cette situation. Au moment où il entrait à La Mecque à la tête d'une des quatre divisions de l'armée musulmane, il dut se rappeler cette époque de la longue lutte contre les Quraysh, qui faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour éradiquer l'islam.

Il dut se dire que le moment était venu de se venger de ceux qui avaient forcé le Prophète à chercher refuge hors de sa ville natale. Ceux qui n'avaient pas voulu écouter le Messager de Dieu qui les mettait en garde contre la colère divine et les appelait à embrasser la religion qui assurerait leur bonheur ici-bas et dans l'au-delà devraient maintenant s'apprêter à récolter les fruits de leurs mauvaises actions. Il s'écria donc : « Ceci est le jour du grand affrontement. Ceci est le jour où le sanctuaire [c'est-à-dire La Mecque] sera pris. »

Ces propos furent rapportés au Prophète, qui craignit que Sa'd, emporté par la situation, ne se mette à tuer les Quraysh. Le Prophète tenait à éviter le plus possible de verser le sang : il remplaça donc Sa'd par son fils Qays ibn Sa'd à la tête de cette division. Les quatre divisions de l'armée musulmane pénétrèrent à La Mecque. Le Prophète lui-même était ému de la grande faveur que Dieu lui accordait.

Huit ans seulement auparavant, il avait dû fuir cette même ville, sa tête mise à prix. Maintenant, ses troupes entraient dans cette ville, la plus puissante d'Arabie, sans rencontrer la moindre résistance. Il inclina très bas la tête en y entrant. C'était la un acte sans parallèle dans l'Histoire : aucun conquérant ne pénétrerait dans la capitale de son ennemi en montrant une telle humilité. Les conquérants sont plutôt exaltés par leurs succès, ivres de pouvoir. Le Prophète, en revanche, était conscient que ce succès était dû à la grâce divine. Il était donc très reconnaissant et manifestait sa gratitude.

Il s'inclina jusqu'à ce que sa tête touche presque le dos de sa chamelle, tout en récitant la sourate intitulée al-Fath, ou « La Victoire ». L'une des divisions de l'armée musulmane, dirigée par Khâlid ibn al-Walîd, fut attaquée par un groupe d'hommes de Quraysh qui pensaient qu'ils ne pouvaient pas laisser la ville tomber sans se battre. Khâlid fut obligé de riposter. Cependant, les Mecquois n'étaient pas assez forts pour s'opposer à sa division : plus de vingt hommes de Quraysh furent tués contre seulement deux soldats musulmans.

Quand le Prophète apprit cela, sa colère fut grande. Il dit : « N'avais-je pas clairement ordonné à toutes les unités de ne pas se battre ? » On lui répondit que Khâlid avait d'abord été attaqué par les Mecquois et qu'il avait dû riposter.

Le Prophète refusa de loger dans aucune maison de La Mecque. On lui dressa une tente à al-Hajûn. Quand l'autorité de l'armée musulmane fut totalement établie à La Mecque, le Prophète alla tout droit à la Ka'ba, monté sur sa chamelle. Arrivé là, il toucha la pierre noire avec un long bâton qu'il portait et dit en élevant la voix : « Allâhu akbar », c'est-à-dire : « Dieu est le plus Grand ». Les musulmans répétèrent ce qu'il disait, leurs voix résonnant dans toute La Mecque. Le Prophète commença son tawâf sur sa chamelle, touchant la Pierre Noire avec son bâton à chaque fois qu'il finissait un tour. Les sept tours terminés, il mit pied à terre et accomplit deux rak'ât de prière à la station d'Abraham, l'endroit où le prophète Abraham priait après avoir construit la Ka'ba.

Il alla ensuite au puits de Zamzam où il but de l'eau et refit ses ablutions. Les musulmans autour de lui rivalisaient pour récolter les gouttes d'eau tombant de son visage et de ses mains. Les Quraysh qui étaient présents étaient ébahis. Ils s'exclamèrent : « Jamais nous n'avons entendu parler d'un roi aussi aimé de ses sujets ! »

Le Prophète appela ensuite 'Uthmân ibn Talha, qui gardait les clés de la Ka'ba. Ce dernier ouvrit la Ka'ba pour le Prophète, qui y pénétra et y pria deux rak'àt. Cela fait, il se tint debout à la porte de la Ka'ba et prononça un long discours expliquant un certain nombre de règles. Il commença par louer Dieu pour Ses bienfaits :

Il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, qui a accompli Sa promesse, soutenu Son serviteur et vaincu à Lui Seul les tribus coalisées. Aucune pratique de fierté ou de privilège, aucune vengeance, aucune prétention à aucun titre de propriété n'est valable, à part la charge de veiller sur la Ka'ba et d'approvisionner les pèlerins en eau. Gens de Quraysh, Dieu vous a retiré la fierté passionnée de l'ignorance qui vous faisait attacher tant de valeur et d'honneur à vos ancêtres et en être fiers. Tous les êtres humains sont les descendants d'Adam, et Adam a été créé de poussière.

Puis il récita le verset coranique : « O hommes ! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus, pour que vous fassiez connaissance entre vous. En vérité, le plus méritant d'entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. » (49.13)

Il s'adressa ensuite aux Quraysh et leur demanda : « Quel genre de jugement pensez-vous que je vais prononcer à votre encontre ? » Ils répondirent : « Un jugement bienveillant. Tu es notre honorable frère et le fils de notre honorable frère. » Il dit alors : « Rentrez chez vous, vous êtes libres. » Alî, le cousin du Prophète , vint le trouver avec la clé de la Ka'ba à la main et lui demanda : « Messager de Dieu, accorde-nous le privilège de veiller sur la Ka'ba en plus de notre charge actuelle d'approvisionner les pèlerins en eau. » Le Prophète refusa et appela 'Uthmân ibn Talha ; il lui rendit sa clé en disant : « Ceci est un jour d'honnêteté, où les promesses sont honorées. »

Amnistie générale à quelques exceptions

L'amnistie accordée par le Prophète aux habitants de La Mecque était une amnistie générale s'étendant à tous ceux qui avaient combattu contre lui au cours des batailles ayant opposé les Quraysh aux musulmans. Avant d'entrer à La Mecque, le Prophète avait donné des ordres particuliers aux commandants des quatre divisions de tuer certains personnages qu'il mentionna expressément, même si on les trouvait cachés sous les draperies de la Ka'ba elle-même.

Il est bien connu que la Ka'ba est un sanctuaire au sein duquel aucun être humain ni aucun animal ne doit subir le moindre mal. Ces ordres donnés par le Prophète signifiaient donc que ces gens avaient commis certains crimes qui ne pouvaient pas être pardonnés. Même le caractère sacré de la Ka'ba ne pouvait retarder l'exécution de leur châtiment. Ces condamnés connurent toutefois des fins diverses.

L'un d'eux était Abdullâh ibn Khatal. Cet homme avait été musulman. Un jour, le Prophète l'avait envoyé collecter la zakât chez des gens qui vivaient loin. Il était parti en compagnie d'un autre homme et d'un de ses serviteurs qui était musulman. À un endroit, ils firent halte en chemin. Il ordonna au serviteur d'égorger une grosse chèvre et de préparer à manger pendant qu'il allait dormir. Quand il se réveilla, il s'aperçut que le serviteur n'avait rien fait. Il tua le serviteur puis, craignant la punition du Prophète, retourna à l'idolâtrie.

Il possédait aussi deux filles esclaves qui avaient coutume de chanter pour lui et ses compagnons des chansons insultantes pour le Prophète. Les instructions du Prophète précisaient que les deux esclaves devaient aussi être tuées. L'homme fut tué alors qu'il s'accrochait vraiment aux draperies de la Ka'ba. Abu Barza al-Aslamî et Sa'id ibn Murayth al-Makhzûmî le tuèrent avec une de ses esclaves. L'autre parvint à s'echapper et quelqu'un sollicita pour elle le pardon du Prophète, que celui-ci accorda.

Al-Huwayrith ibn Nuqaydh ibn Wahb était aussi dans ce cas. Il avait fait tout son possible pour faire du mal au Prophète quand il était à La Mecque. En outre, certains récits relatent que lorsque al-'Abbâs, l'oncle du Prophète, avait emmené les filles de ce dernier, Fâtima et Umm Kulthûm, rejoindre leur père peu après son émigration à Médine, cet homme avait délibérément fait sauter le chameau qu'elles montaient, les faisant tomber. Ce fut Alî ibn Abî Tâlib qui le tua.

Un autre condamné était Miqyas ibn Hubâba, dont le frère, Hishâm, avait été tué lors de l'expédition contre la tribu des al-Mustalaq par un soldat musulman qui l'avait pris pour un idolâtre. Miqyas était venu à Médine en faisant semblant d'être musulman et avait demandé qu'on lui paie le prix du sang pour le meurtre accidentel de son frère. Une fois payé, il avait agressé l'homme qui avait tué son frère et l'avait tué. Puis il était retourné vivre en idolâtre à La Mecque. Quand le Prophète le nomma parmi ceux qui ne seraient pas pardonnes, il fut tué alors qu'il passait entre les deux collines d'as-Safâ et al-Marwâ.

Un autre encore fut Abdullâh ibn Sa'd ibn Abî Sarh, qui avait embrassé l'islam et avait été employé par le Prophète pour écrire les versets du Coran au fur et à mesure de leur révélation. Il s'était ensuite détourné de l'islam et était parti à La Mecque vivre en idolâtre. Quand il comprit qu'il avait été cité par le Prophète parmi les condamnés à mort, il chercha refuge dans la maison de 'Uthmân ibn 'Affân, qui était son frère de lait. Lorsque le Prophète appela les habitants de La Mecque à embrasser l'islam et à lui prêter serment d'allégeance, 'Uthmân amena 'Abdullâh ibn Sa'd au Prophète et lui demanda d'accepter le serment d'allégeance de Abdullâh. Il a été relaté que le Prophète leva les yeux vers lui sans accepter le serment de Abdullâh. Il fut répété trois fois, et le Prophète finit par l'accepter.

Quand l'homme fut parti avec 'Uthmân, le Prophète aurait demandé à ceux qui l'entouraient : « N'y avait-il pas parmi vous quelqu'un d'assez sage pour tuer cet homme quand vous avez vu que je n'acceptais pas son serment d'allégeance ? » Ils répondirent : « Comment pouvions-nous être sûrs de ce que tu avais à l'esprit sans que tu ne nous donnes un signal du regard ? » Le Prophète répliqua : « Un prophète n'a pas à donner de tels signaux. » Abdullâh ibn Sa'd devint toutefois un bon musulman et fut chargé de quelques missions par 'Umar. Durant le califat de 'Uthmân, il fit partie des commandants des forces musulmanes parties conquérir l'Afrique du Nord.

Une femme nommée Sarah, qui avait fait beaucoup de mal au Prophète quand il vivait à La Mecque, figurait également parmi les condamnés. Cependant, certaines personnes sollicitèrent un pardon spécial pour elle et le Prophète l'accorda. Elle vécut jusqu'à l'époque de 'Umar ibn al-Khattâb, où elle mourut en tombant de sa monture.

'Ikrima ibn Abî Jahl figurait aussi sur la liste de ceux qu'il fallait tuer. Le père de 'Ikrima avait été le pire ennemi de l'islam depuis les tout premiers temps. Abu Jahl avait déployé tous ses efforts pour nuire à la cause de l'islam jusqu'à sa mort lors de la bataille de Badr. Son fils, 'Ikrima, était un des principaux notables de Quraysh et continuait à se montrer très hostile au message du Prophète . Quand l'armée musulmane entra à La Mecque, il s'enfuit au Yémen. Son épouse, Umm Hakîm bint al-Hârith, devint musulmane.

Elle alla trouver le Prophète et lui demanda de pardonner 'Ikrima et de lui accorder la sécurité : il accorda son pardon. Elle rejoignit alors son époux au Yémen et le ramena auprès du Prophète, après quoi il devint lui aussi musulman. Selon un récit, lorsque 'Ikrima prit la fuite, il parvint à embarquer sur un bateau. Le bateau rencontra bientôt une tempête et menaça de chavirer. Tous les passagers étaient conscients qu'ils ne pouvaient rien faire pour sauver leur vie, sinon implorer le secours de Dieu. Certains dirent aux autres : « Purifiez vos coeur des idées fausses. Vos idoles ne peuvent vous être d'aucun secours dans cette situation. »

'Ikrima se dit : « Si seule une foi pure peut me sauver en mer, rien d'autre ne pourra me sauver sur terre. » Puis il fit ce voeu : « Seigneur, je Te jure que si Tu me sauves de ce qui m'arrive maintenant, j'irai trouver Muhammad et je placerai ma main dans la sienne : je le trouverai certainement plein de bienveillance et de pardon. » Il survécut à l'épreuve, alla trouver le Prophète et se déclara musulman. 'Ikrima était sûrement sincère en faisant ce voeu. Par la suite, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour promouvoir la cause de l'islam. Il fut l'un des commandants envoyés par Abu Bakr pour combattre ceux qui s'étaient rebellés contre l'État musulman. Il combattit pour l'islam, bataille après bataille, pour compenser son hostilité à l'islam avant la chute de La Mecque.

Umm Hâni' était une cousine du Prophète . Elle était la fille de son oncle Abu Tâlib et l'épouse de Hubayra ibn Abî Wahb du clan des Makhzûm. Elle a relaté que comme le Prophète campait aux abords de La Mecque, deux hommes parents de son époux avaient cherché refuge dans sa maison : al-Hârith ibn Hishâm et Zuhayr ibn Abî Umayya. Son frère Alî les suivit jusque chez elle, menaçant de les tuer. Elle les enferma à clé et alla trouver le Prophète dans son camp. Elle le trouva en train d'effectuer la grande ablution (de prendre une douche) en utilisant l'eau d'un récipient où se trouvaient des traces de pâte à pain. Sa fille Fâtima tenait son vêtement étendu pour le protéger des regards.

Quand il eut fini de se laver, il prit le vêtement et s'en couvrit. Puis il accomplit huit rak'ât de prière en s'interrompant toutes les deux rak'ât. Selon Umm Hâni', c'était le milieu de la matinée et ses prières furent très brèves. Lorsqu'il eut fini de prier, il accueillit Umm Hâni et lui demanda si elle désirait quelque chose. Elle lui parla des deux hommes et lui dit qu'elle les avait pris sous sa protection. Il répondit : « Nous protégerons ceux que tu as pris sous ta protection et nous assurerons leur sécurité comme tu leur as promis la sécurité. Il [Alî] ne doit pas les tuer. »

Les savants divergent quant aux prières accomplies par le Prophète à ce moment-là. Beaucoup pensent qu'il s'agissait de la prière surérogatoire du milieu de la matinée qu'on appelle duhâ. Il est peut-être plus juste de dire qu'il s'agissait de la prière surérogatoire de la victoire. Nous possédons également un certain nombre de récits décrivant ce que le Prophète fit lorsqu'il alla accomplir le tawâf à la Ka'ba.

Un récit suggère que lorsqu'il entra à la Ka'ba, il y trouva de nombreuses images représentant des anges et une autre montrant Abraham en train de tirer au sort. Le Prophète dit alors, en parlant des négateurs : « Maudits soient-ils, ils ont représenté notre grand homme en train de tirer au sort. Pourquoi tirerait-il au sort ? »

Puis il récita le verset coranique : « Abraham n'était ni juif ni chrétien ; mais il était un monothéiste convaincu et entièrement soumis à Dieu. Il n'appartenait pas aux polythéistes. » (3.67) Le Prophète ordonna ensuite qu'on efface toutes ces images. Un autre récit avance que le Prophète fit supprimer les images avant d'entrer dans la Ka'ba : 'Umar les effaça avec un vêtement mouillé, et lorsque le Prophète entra dans la Ka'ba, il n'en restait aucune.

Un récit relate que lorsque le Prophète entra à La Mecque, il se trouvait dans la Ka'ba et autour de trois cent soixante idoles. Il tenait un bâton à la main et le dirigea vers ces idoles. S'il touchait le dos d'une idole de son bâton, elle tombait face contre terre ; s'il en touchait le devant de son bâton, elle tombait sur le dos. Le Prophète ne cessait de répéter : « Voici que la vérité est venue et que l'erreur a disparu ! Certes, l'erreur est vouée à disparaître. »

Ces récits mis ensemble confirment que la principale préoccupation du Prophète en entrant à La Mecque fut de faire disparaître tous les signes de l'idolâtrie et de les remplacer par les signes du monothéisme pur, c'est-à-dire le culte de Dieu Seul.