La première révélation
Les récits ne nous disent pas grand-chose de la manière dont Muhammad
vécut après son mariage, jusqu'à l'époque où il commença à recevoir les révélations divines. Il est néanmoins certain que son union fut très heureuse. En outre, ce mariage lui procurait une vie aisée. Bien que les récits ne comportent aucune référence directe à l'activité qu'exerçait Muhammad à cette époque, on peut raisonnablement supposer qu'il continua à gérer les affaires de son épouse. Puisque la majeure partie du travail reposait sur le commerce caravanier, la tâche n'était pas très ardue.
Aucun des biographes anciens du Prophète ne fait état de sa participation à des voyages commerciaux pour le compte de Khadîja après leur mariage, mais il gérait très probablement les affaires à sa place. Peut-être choisissait-il les hommes qui voyageaient pour elle et supervisait-il les préparatifs à l'expédition des marchandises avant le départ de la caravane, ainsi que la vente des produits importés au retour.
Nous ne possédons pas non plus de récit détaillé au sujet du rôle social de Muhammad
à La Mecque. On sait que les Mecquois se retrouvaient autour de la Ka'ba pour y passer des moments agréables le matin et l'après-midi. Malgré sa personnalité aimable et le plaisir que chacun semblait trouver à sa compagnie, Muhammad ne paraît pas s'être beaucoup intéressé à ces réunions, probablement parce que les conversations n'auraient pas manqué de porter sur le culte des idoles et sur la débauche. C'étaient là des sujets de discussion habituels, à moins que des affaires plus sérieuses ne retiennent l'attention. Mais ces sujets n'intéressaient pas Muhammad : il détestait les idoles depuis son enfance, et Dieu le protégeait des plaisirs frivoles. De fait, le fossé intellectuel était profond entre Muhammad et les gens de La Mecque.
Ce fossé continua à se creuser avec les années, sans pour autant que ses concitoyens ne cessent de le respecter pour son caractère honnête, sérieux et aimable. C'était sans doute à cause de cette différence que Muhammad
commença à se retirer de La Mecque pour des périodes d'isolement total. Au mois de Ramadan de chaque année, il se rendait sur une montagne appelée Hirâ, qui n'était distante que de quelques kilomètres mais lui offrait une tranquillité absolue. Il y avait sur cette montagne une petite grotte où Muhammad restait plusieurs jours d'affilée.
Lorsque ses provisions étaient épuisées, il rentrait chez lui en chercher et revenait pour quelques jours encore. À la fin du mois, il rentrait chez lui, en commençant par se rendre à la Ka'ba où il accomplissait le tawâf, tournant sept fois autour de la Ka'ba avant d'aller retrouver sa femme. Pour atteindre cette grotte, Muhammad
devait grimper jusqu'en haut de la montagne puis redescendre un peu de l'autre côté. La grotte est petite : l'entrée est assez large pour qu'une personne y passe facilement, mais deux personnes ont du mal à y prier ensemble. L'entrée est plus étroite au sommet, et mesure tout juste deux mètres de haut.
Bien que le sol de la grotte soit plat, le plafond descend au fur et à mesure qu'on y pénètre : il est très bas au fond de la grotte, où une petite ouverture permet une bonne aération. La grotte n'est pas très spacieuse ; elle est juste assez grande pour permettre à une personne de s'asseoir, de se tenir debout ou de dormir. Il est intéressant de mentionner que lorsqu'on se tient debout pour prier à l'entrée de la grotte en regardant par l'ouverture qui est au fond, on aperçoit la Ka'ba à l'horizon. Juste avant l'entrée, deux grands rochers protègent la grotte et donnent à cet endroit un air totalement isolé. Sur les côtés, les grands rochers forment un petit espace dégagé surplombant un versant presque vertical de la montagne, que seuls des alpinistes bien équipés peuvent essayer d'escalader.
Ce petit espace à côté de la grotte devait permettre à Muhammad de contempler la vie humaine aux alentours et la vaste étendue de l'univers. Muhammad
passait ses journées et ses nuits à méditer et à adorer Dieu. Il adressait son culte au Créateur de l'univers. Il ne suivait pas de forme de culte particulière car il n'en connaissait pas, mais il était conscient de l'absurdité des croyances de ses concitoyens. Muhammad trouvait dans ces jours d'isolement un réconfort qui le soutenait tout au long de l'année.
Il se rendait compte qu'il existait une force de vérité au-delà de ce monde, un pouvoir contrôlant nécessairement l'univers tout entier. Le monde qui l'entourait ne pouvait pas être le résultat d'une coïncidence. Mais il aurait été incapable de dire comment cette vérité se traduisait.
On peut facilement être tenté de surestimer l'importance de cette période d'isolement et de méditation de Muhammad
. Des auteurs et biographes modernes, en particulier, ont essayé de le montrer tentant de trouver une issue aux ténèbres dans lesquelles était plongé son peuple. Cela peut nous conduire très près de l'affirmation que Muhammad était à la recherche d'une idée ou d'une croyance. Or, ceci n'est vrai que dans la mesure où l'on entend par là qu'il rejetait toutes les croyances qu'il connaissait et qui avaient cours dans la société mecquoise. Il est certain qu'il n'aspirait nullement au rôle pour lequel il fut plus tard désigné.
S'adressant au Prophète, Dieu dit dans le Coran : « Tu n'espérais point que le Livre te serait révélé. Et s'il l'a été, c'est uniquement par un effet de la miséricorde de ton Seigneur. » (28.86). Néanmoins, cette période régulière d'isolement contribua à préparer Muhammad à recevoir les révélations divines. Cette préparation comportait d'autres aspects. Il était nécessaire que Muhammad
comprenne que la relation unique qui allait bientôt s'établir entre l'Ange Gabriel et lui-même était réelle et véridique. Lorsqu'il était seul, il lui arrivait de voir une lumière ou d'entendre un son ; un être invisible l'appelait parfois par son nom. Cependant, il ne s'en préoccupait guère.
Lorsqu'il était inquiet, il faisait part de ses craintes à son épouse Khadîja : elle le rassurait en lui disant que jamais Dieu ne permettrait qu'un mal lui arrive. « Par Dieu, disait-elle, tu t'acquittes fidèlement de tes charges, tu es bon envers tes proches et tu dis toujours la vérité. » Elle alla néanmoins voir son cousin Waraqa ibn Nawfal, le vieil érudit chrétien, pour l'interroger sur ce que Muhammad voyait et entendait : il la rassura à son tour, et fit dire à Muhammad d'être rassuré.
Dans la Montagne de Hira
Puis le moment voulu arriva. C'était au mois de Ramadan de l'année 610 après. J.C. ; Muhammad
avait alors quarante ans, et passait le mois dans la montagne de Hirâ comme il en avait l'habitude depuis plusieurs années. Soudain, Muhammad vécut une expérience tout à fait extraordinaire, dont son épouse Âïsha a fait le récit : La Révélation se manifesta d'abord au Messager de Dieu sous la forme de visions : les visions qu'il avait dans son sommeil se réalisaient toujours très précisément. Puis il se mit à aimer la solitude. Il se retirait dans la grotte de Hirâ où il pratiquait des actes d'adoration plusieurs jours de suite avant de rentrer chez lui. Il se munissait de provisions pour cela, puis rentrait se réapprovisionner avant de repartir. Cela continua jusqu'au moment où la vérité lui vint dans la grotte de Hirâ.
L'ange lui apparut et lui dit : « Lis ! » Il répondit : « Je ne suis pas de ceux qui lisent. » Le Prophète a relaté :
« L'ange me saisit alors et me pressa au point de me faire perdre toute force, puis me lâcha et me dit : "Lis !" Je répondis : "Je ne suis pas de ceux qui lisent." Il me saisit et me pressa une seconde fois jusqu'à me faire perdre toute force, puis me lâcha et dit : "Lis !" Je répondis encore : "Je ne suis pas de ceux qui lisent." Il me saisit et me pressa une troisième fois, puis il dit : "Lis au nom de ton Seigneur qui a tout créé, qui a créé l'homme d'une adhérence ; lis, car la bonté de ton Seigneur est infinie ! C'est Lui qui a fait de la plume un moyen du savoir et qui a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait." »
Le Prophète revint chez lui auprès de Khadîja, le coeur palpitant. Il s'exclama : « Enveloppez-moi, enveloppez-moi ! » On l'enveloppa jusqu'à ce que son effroi se dissipe. Il dit alors à Khadîja : « Que m'arrive-t-il ? » Il lui relata ce qui s'était passé et ajouta : « J'ai craint pour moi-même. » Khadîja répondit : « Tu n'as rien à craindre, calme-toi. Jamais Dieu ne te plongera dans l'opprobre ; tu préserves les liens de parenté, tu dis la vérité, tu aides les faibles, tu pratiques l'hospitalité et tu soutiens les causes justes. »
Khadîja l'emmena alors chez Waraqa ibn Nawfal, son cousin du côté paternel. C'était un homme qui avait embrassé le christianisme et un érudit connaissant bien l'arabe, l'hébreu et la Bible. C'était un vieillard âgé, devenu aveugle. Khadîja lui dit : « Mon cousin, écoute le fils de ton frère. » (Cette expression n'est pas à prendre au sens propre, mais appartient aux usages de politesse qui avaient cours en Arabie à l'époque.)
Waraqa lui demanda : « Qu'as-tu, fils de mon frère ? » Le Prophète lui relata ce qu'il avait vu. Waraqa lui dit alors : « C'est la même révélation qui a été envoyée à Moïse. Ah, si j'étais jeune, si j'étais encore en vie quand ton peuple te chassera ! » Le Prophète demanda : « Mon peuple va-t-il donc me chasser ? » Il lui répondit : « Oui, jamais un homme n'a apporté ce que tu apportes sans être persécuté. Si je vis encore à ce moment-là, je t'aiderai de toutes mes forces. » Mais Waraqa mourut peu après.
Ce hadîth est relaté dans les deux recueils les plus authentiques des traditions du Prophète
, ceux d'al-Bukhârî et Muslim, ainsi que dans le recueil de l'imam Ahmad.
Un message du ciel
Avant de poursuivre le récit et de voir ce que fit le Prophète
lorsqu'il rentra chez lui, il nous faut dire quelques mots du sens de la relation qui s'était établie à ce moment, lorsque Muhammad reçut l'Ange Gabriel qui lui apportait ses révélations. On ne saurait mieux faire que de citer ici un éminent érudit du vingtième siècle, Sayyid Qutb, qui a écrit dans son inestimable ouvrage A l'ombre du Coran :
Là véritable nature de cet événement est que Dieu, le Sublime, le Dominateur, le Tout-Puissant, le Suprême, le Souverain de tout l'univers, S'est tourné dans Sa bienveillance infinie vers Sa créature appelée « l'homme », qui vit dans un minuscule coin de l'univers appelé « la terre ». Il a honoré cette espèce de Sa création en choisissant l'un de ses membres pour recevoir Sa lumière divine et être le gardien de Sa sagesse.
C'est là un événement immense, dont on peut mesurer le caractère extraordinaire lorsqu'on s'efforce, autant que possible, de percevoir les attributs essentiels de Dieu : Son pouvoir absolu, Sa liberté infinie et Son éternité, et qu'on réfléchit, inversement, aux caractéristiques essentielles des serviteurs de Dieu, avec leurs capacités et leur durée de vie limitées. On peut alors percevoir la signification de cette attention de Dieu pour l'être humain. À ce dernier d'en comprendre la valeur et de manifester sa reconnaissance par les prières et l'adoration, empreint du sentiment que l'univers tout entier partage le bonheur général répandu par la révélation des paroles divines à l'homme dans son coin obscur de l'univers.
Quel est le sens de cet événement ? Par rapport à Dieu, cela signifie qu'il est la source de tous les immenses bienfaits et de la miséricorde infinie. Il est le Bienveillant, l'Aimant, qui comble l'homme de Sa miséricorde et de Sa grâce pour la seule raison que la Bonté est l'un de Ses attributs divins. Par rapport à l'homme, cet événement signifie que Dieu lui a conféré un honneur si immense qu'il ne pourra jamais en être suffisamment reconnaissant, quand bien même il passerait toute sa vie à adorer Dieu et à se prosterner. Cet honneur, c'est que Dieu lui a prêté attention, S'est occupé de lui, a établi un contact avec lui et a choisi un être humain comme messager pour lui révéler Ses paroles ; que la terre, résidence de l'être humain, a reçu ces paroles divines dont l'univers tout entier se fait l'écho avec soumission et révérence.
Ce grand événement a commencé dès le premier instant à influencer la vie de l'humanité entière. Il a marqué un changement dans le cours de l'Histoire, résultant du changement causé dans le cours de la conscience humaine. Il a précisé de quelle source l'homme devait dériver ses idées, ses valeurs et ses normes. Cette source, c'est le Ciel et les révélations divines, et non pas ce bas monde et les désirs humains. Lorsque ce grand événement se produisit, les gens qui en reconnurent la nature véritable et agirent en conséquence furent manifestement protégés par Dieu.
C'est à Lui qu'ils s'en remettaient directement pour être guidés dans toutes leurs affaires. Ils vivaient et agissaient sous Sa direction. Ils s'attendaient à ce qu'il les guide sur le chemin, pas à pas, mettant un terme à leurs erreurs, leur montrant le bien. Chaque nuit, ils espéraient recevoir une révélation divine concernant ce qui les préoccupait, leur apportant des solutions et leur disant : « Faites ceci, ne faites pas cela. »
La période qui fit suite à cet événement fut assurément remarquable : vingt trois années de contact direct entre l'espèce humaine et la Société Suprême (les anges). La nature véritable de cette période ne peut être reconnue que par ceux qui y vécurent et éprouvèrent cette expérience, qui en virent le début et la fin, qui goûtèrent à la douceur de ce contact et sentirent la Main divine les guider le long du chemin. La distance qui nous sépare de cette réalité est trop grande pour être définie par une quelconque mesure connue de ce monde.
C'est une distance du monde spirituel, incomparable à aucune distance du monde matériel, pas même lorsqu'on pense aux écarts entre les étoiles ou les galaxies. C'est la distance qui sépare la Terre des Cieux ; la distance entre les désirs humains et les révélations divines en tant que sources des idées et des valeurs ; la distance entre l'ignorance et l'islam, entre l'humain et le divin.
Les gens qui vécurent à cette période étaient pleinement conscients de son caractère unique ; ils reconnaissaient sa place particulière dans l'Histoire, et éprouvèrent l'immensité de la perte subie lorsque le Prophète
mourut pour rejoindre le Compagnon Suprême - c'est-à-dire Dieu. Cela marquait la fin de cette époque remarquable que nos esprits auraient du mal à concevoir si ce n'était qu'elle a réellement eu lieu.
Anas a rapporté qu'Abû Bakr dit à 'Umar après la mort du Prophète : « Allons rendre visite à Umm Ayman comme le faisait le Prophète. » (C'était la nourrice qui s'était occupée de lui dans son enfance.) Lorsqu'ils allèrent la voir, elle se mit à pleurer. Ils lui dirent : « Pourquoi pleurer ? Ne te rends-tu pas compte que la compagnie de Dieu est meilleure pour le Prophète ? » Elle répondit : « C'est vrai, j'en suis bien sûre. Si je pleure, c'est parce que la révélation a cessé avec sa mort. » Cela fit couler leurs larmes, et tous trois pleurèrent ensemble. (Rapporté par Muslim)
L'impact de cette période est manifeste dans la vie de l'humanité, depuis son commencement jusqu'à nos jours, et il en sera ainsi jusqu'au jour où Dieu héritera de la Terre et de tous ses habitants. L'homme a connu une nouvelle naissance le jour où il a commencé à tirer ses valeurs du Ciel plutôt que de la Terre, et ses lois des révélations divines plutôt que de ses propres désirs. Le cours de l'Histoire a alors subi un changement qui n'a jamais eu son pareil, ni avant ni après.
Cet événement, le début de la révélation, a été la croisée des chemins. Alors furent établies des normes claires et permanentes, qui ne sauraient être modifiées par le passage du temps ni effacées par les événements. La conscience humaine a élaboré une conception de l'existence, de la vie humaine et de ses valeurs jamais égalée par son envergure, sa clarté, son détachement de toute considération matérielle, ainsi que par son réalisme et son applicabilité à la société humaine.
Les fondements de ce code divin ont été fermement établis dans le monde, ses divers aspects et ses principes essentiels ont été clairement expliqués « pour que périsse en connaissance de cause celui qui doit périr et pour que vive en connaissance de cause celui qui doit vivre » (Coran 8.42).
Le début de la révélation fut un événement unique à un moment unique, marquant la fin d'une époque et le commencement d'une autre. C'est la ligne de démarcation de l'histoire humaine, et pas seulement de l'histoire d'une nation ou d'une génération en particulier. Cet événement a été enregistré dans l'univers et s'est répercuté dans tous ses recoins. Il a aussi été enregistré dans la conscience humaine, qui a besoin aujourd'hui d'être guidée vers ce que Dieu a révélé et de ne jamais le perdre de vue. Il faut se rappeler que cet événement fut une renaissance de l'humanité et ne peut se produire qu'une seule fois dans l'Histoire.
Epreuve et Réconfort
Lorsque le Prophète
rentra chez lui après son séjour dans la grotte sur la montagne, son épouse vit qu'il était pâle, ce qui était bien normal après l'agitation de sa première rencontre avec l'Ange Gabriel. Elle lui demanda ce qu'il avait en commençant à lui essuyer le visage. Elle lui demanda s'il avait vu ou entendu quelque chose de nouveau. Il répondit : « Tu te rappelles quand je t'ai parlé de mes rêves et de la voix que j'entendais en me réveillant, et de mes craintes ! C'était Gabriel : il est apparu et m'a parlé, et il m'a fait lire des mots qui m'ont laissé inquiet. Puis il m'a dit que je suis le Prophète de cette nation. En revenant, j'ai entendu des arbres et des pierres dire : "La paix soit sur toi, Messager de Dieu." »
Khadîja dit : « Réjouis-toi ! Par Dieu, j'étais sûre que Dieu ne t'apporterait que du bien. J'espère assurément que tu es le Prophète de cette nation. » Elle continua à l'encourager, jusqu'à ce qu'il se détende et mange. Puis elle alla voir son cousin, Waraqa ibn Nawfal, qui la rassura à son tour. Il promit ensuite solennellement que si Muhammad était réellement le Prophète mentionné dans la Thora et l'Évangile, « s'il appelle les gens à croire à son message alors que je suis encore en vie, j'obéirai de mon mieux au Messager de Dieu et je le soutiendrai jusqu'au bout. »
Nous possédons plusieurs récits au sujet des encouragements prodigués par Waraqa à Khadîja et au Prophète. Si nous les rassemblons, nous pouvons penser qu'il y eut deux ou trois rencontres entre le Prophète et Waraqa, dont l'une se produisit alors que tous deux accomplissaient le tawâf à la Ka'ba. Waraqa rassura alors Muhammad et lui baisa la tête. Puis Waraqa mourut quelques jours plus tard. Le Prophète dit de lui : « J'ai vu en rêve le moine portant des vêtements de soie au Paradis, parce qu'il a cru en moi. »
Les premiers jours durent être pleins d'inquiétude chez le Prophète
. Il avait besoin d'être rassuré par tous les moyens. Gabriel lui apparut, semble-t-il, plus d'une fois. Son épouse Khadîja était sûre qu'aucun mal ne lui arriverait. Son esprit logique l'amenait à cette conclusion. Ce qu'elle savait du caractère du Prophète la rendait absolument certaine que ce qu'il voyait et entendait était authentique et provenait d'une bonne source.
Il vint ensuite une période où l'Ange Gabriel cessa d'apparaître au Prophète. Tout semblait avoir cessé aussi soudainement que cela avait commencé : plus de visites de Gabriel, plus de révélations. Le Prophète était inquiet et avait de nouveau besoin d'être rassuré. Nous ne disposons pas de récits authentifiés précisant la durée de cette période où le Prophète
ne reçut plus de révélation. Un récit parle de deux ans et demi, mais la période fut probablement beaucoup plus courte, peut-être un mois ou quelques semaines. Le but était sans doute de permettre au Prophète de prendre le temps de réfléchir à sa nouvelle expérience, d'évaluer cette nouvelle situation et ses implications pour le rôle qu'il serait appelé à jouer.
Ce qu'il s'apprêtait à entreprendre était loin d'être facile. Cela nécessitait de la force, de l'endurance et de la persévérance. Il possédait ces qualités en abondance, mais sa tâche en demandait plus encore. L'histoire relatée dans le présent ouvrage ne pourra donner qu'un aperçu du degré de force et de persévérance que nécessita l'accomplissement de cette tâche. En outre, recevoir des révélations n'était pas en soi facile.
Personne ne pouvait dire ce que cela signifiait, puisque personne n'en a lait l'expérience à part les élus de Dieu qu'il a honorés au point d'en faire des prophètes. Ce qu'il faut retenir cependant, c'est que la réception de la révélation était un contact réel entre le Prophète Muhammad, l'être humain, et un ange envoyé par Dieu pour lui apporter Ses propres paroles. Ce processus prenait plusieurs formes :
D'après les deux hadîths cités plus haut dans ce chapitre, et relatant la première rencontre entre le Prophète et l'Ange Gabriel, on comprend que la révélation pouvait être donnée au Prophète aussi bien dans son sommeil qu'à l'état de veille. Dans ce cas précis, les deux formes ont peut-être eu lieu, avec une première révélation durant le sommeil du Prophète, puis sa confirmation lorsqu'il était éveillé.
La révélation pouvait aussi se produire par inspiration directe. Ainsi, le Prophète
dit dans un hadîth authentique : « L'Esprit Saint m'a inspiré que nul ne mourra avant d'avoir atteint le terme de sa vie et reçu toute sa part de richesses : craignez Dieu et gagnez votre vie honorablement. »
La révélation pouvait également lui être donnée quand un tintement se faisait entendre. C'était la forme la plus difficile ; on peut penser qu'avec ce tintement, son esprit était le plus en alerte. Il arrivait aussi que l'ange lui apparaisse sous une forme humaine. Il prenait en particulier la forme d'un des Compagnons du Prophète, Dihya ibn Khalîfa, qui était exceptionnellement beau.
L'Ange Gabriel pouvait aussi apparaître à Muhammad
sous sa forme propre, comme un ange doté d'ailes. Enfin, il arrivait que Dieu lui parle directement de derrière un voile, soit lorsqu'il était réveillé, comme pendant son voyage nocturne, soit dans son sommeil, comme il le relate par exemple dans le hadîth suivant : « Mon Seigneur m'est apparu sous la forme la plus splendide et m'a demandé : "Sur quoi les anges se disputent-ils ?" J'ai dit que je ne savais pas. Il a posé Sa paume sur ma poitrine, j'en ai senti la fraîcheur et j'ai clairement perçu toute chose. Il m'a encore demandé : "Muhammad, sur quoi les anges se disputent-ils ?" J'ai répondu : "Sur les expiations." Il m'a demandé : "Que sont-elles ?" J'ai répondu : "Les ablutions après les actes réprouvés, prendre l'initiative de faire le bien et surveiller l'heure de la prière, dans l'ordre. Si quelqu'un fait cela, il sera loué dans sa vie et à sa mort. Ses péchés seront effacés et il sera comme un nouveau-né." » (Rapporté par at-Tirmidhî)
'Âïsha a relaté que lorsque le Prophète recevait des révélations, il transpirait toujours, même lorsqu'il faisait très froid. Tout cela signifie que le Prophète
dut traverser une période de transition au cours de laquelle il eut un aperçu de la transformation complète qui allait se produire dans sa vie. Pendant cette période de transition, de nouvelles révélations n'étaient pas nécessaires. Il fallait seulement qu'il soit rassuré sur l'authenticité et la réalité de ce qu'il avait vu et entendu. Il était un prophète choisi par Dieu pour une grande mission.
Lorsque la période de transition fut achevée, les révélations reprirent. Jâbir ibn 'Abdullâh rapporte ces paroles du Prophète : « Tandis que je marchais, j'entendis une voix venant du ciel. Je levai les yeux au ciel et je vis l'ange qui m'était apparu à Hirâ, assis sur un trône entre Ciel et Terre. Je m'assis, terrifié, et je tombai. Puis je me précipitai chez moi et je dis à ma femme : "Enveloppez-moi ! Enveloppez-moi !" Dieu me révéla alors : "Ô toi qui te blottis sous un manteau ! Lève-toi pour commencer tes exhortations..." » Etc. (74.1).
Dès lors, Muhammad n'était plus seulement un prophète, il était aussi un messager. Les révélations allaient maintenant se poursuivre sans inquiétante interruption.