Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Le monde apaisé de l'Arabie musulmane

 

Le Yémen se situe à l'extrémité sud de l'Arabie. Du temps du Prophète , les gens du Yémen avaient commencé à connaître l'islam et à y réagir favorablement avant même la conquête de La Mecque. Le Prophète avait même envoyé l'un de ses compagnons, Mu'adh ibn Jabal, enseigner aux habitants du Yémen l'islam et la récitation du Coran. Durant la neuvième année après l'établissement du Prophète à Médine (c'est-à-dire quelques mois après la conquête de La Mecque), une délégation d'un clan du Yémen appelé Tujîb se rendit à Médine.

Les Tujîb étaient une branche de la tribu de Sakûn, elle-même une branche de celle de Kinda, la principale tribu du Yémen. La délégation comportait treize hommes qui apportaient leur zakât, qu'ils avaient collectée de la manière ordonnée par Dieu. Le Prophète les accueillit avec la plus grande satisfaction et fit en sorte que leur séjour soit confortable.

La richesse du coeur

Lors d'une de leurs rencontres avec le Prophète , ils lui dirent : « Messager de Dieu, nous avons apporté la part de nos biens due à Dieu », c'est-à-dire la zakât. Le Prophète répondit : « Remportez-la avec vous et distribuez-la parmi vos pauvres. » Ils répondirent : « Messager de Dieu, nous n'avons apporté que ce qui restait après avoir pourvu aux besoins de nos pauvres. » Abu Bakr, le plus proche compagnon du Prophète , observa : « Messager de Dieu, aucun clan arabe n'a apporté quelque chose de semblable à ce que ce clan de Tujîb a apporté. »

Le Prophète répondit : « La bonne direction appartient à Dieu. Quand Il veut que le bien arrive à quelqu'un, Il ouvre son coeur à la foi. » Les membres de la délégation présentèrent certaines requêtes au Prophète, qui fit en sorte qu'elles soient satisfaites. Ils l'interrogèrent également sur le Coran et la Sunna, demandant à ce qu'il leur enseigne ce qui leur serait bénéfique pour leur pratique religieuse. Ils firent bonne impression au Prophète, qui ordonna à Bilâl de se montrer particulièrement hospitalier envers eux. Ils restèrent quelques jours, puis décidèrent de repartir.

Leur séjour ayant été plus court que celui des autres délégations, on leur demanda la cause de leur hâte. Ils répondirent : « Nous voulons retourner auprès de nos contribules pour leur dire que nous avons rencontré le Messager de Dieu et leur relater ce qui s'est passé entre lui et nous. »

Ils allèrent faire leurs adieux au Prophète qui demanda à Bilâl de leur donner un cadeau plus important qu'il n'avait l'habitude de le faire avec les autres délégations. Le Prophète leur demanda également s'il y avait dans leur délégation quelqu'un d'autre qu'il n'avait pas encore vu. Ils répondirent qu'ils avaient laissé un jeune homme, le plus jeune d'entre eux, pour garder leurs chameaux et leurs bagages. Le Prophète leur dit de lui envoyer le jeune homme.

Les délégués retournèrent à leur campement et dirent à leur compagnon : « Va trouver le Messager de Dieu et finis tes affaires avec lui. Nous avons, quant à nous, terminé nos affaires avec lui et nous lui avons fait nos adieux. » Le jeune homme alla trouver le Prophète et lui dit : « Messager de Dieu, je suis un homme du clan d'Abdha [un autre nom de Tujîb], membre de la délégation qui vient de te rendre visite et dont tu as bien voulu satisfaire les requêtes. Veux-tu bien satisfaire ma requête, Messager de Dieu ? »

Le Prophète lui ayant demandé ce qu'il voulait, l'homme répondit : « Ma requête n'est pas comme celles de mes compagnons, bien qu'ils soient venus te voir dans le désir d'être de bons musulmans et en apportant leur zakât avec eux. Quant à moi, je ne suis venu de chez moi que pour te demander d'implorer Dieu, le Tout-Puissant, de me pardonner, de me combler de Sa miséricorde et de m'accorder la richesse du coeur. »

Le Prophète, très satisfait du jeune homme, se tourna vers lui en lui donnant toute son attention et implora Dieu : « Seigneur, pardonne-lui, comble-le de Ta miséricorde et accorde-lui la richesse du coeur. » Il ordonna aussi qu'on donne au jeune homme un cadeau semblable à ceux reçus par les autres membres de sa délégation. Le jeune homme rejoignit alors ses compagnons et ils repartirent chez eux.

Les mêmes hommes rencontrèrent le Prophète un an plus tard à Mina, lorsqu'il accomplit son pèlerinage. Ils se présentèrent à lui et le Prophète leur demanda immédiatement : « Qu'est devenu le garçon qui est venu me voir avec vous ? » Ils répondirent : « Messager de Dieu, nous n'avons jamais vu personne comme lui. Nous n'avons même jamais entendu parler de quelqu'un qui soit aussi satisfait que ce garçon de ce que Dieu lui donne. Si des gens avaient le monde entier à leur disposition et le divisaient entre eux, il ne tournerait même pas la tête vers eux. » Le Prophète dit : « Loué soit Dieu. J'espère qu'il mourra rassemblé. »

Étonné par cette invocation du Prophète, l'un d'eux demanda : « Messager de Dieu, chacun de nous ne meurt-il pas rassemblé ? » Le Prophète dit : « Les souhaits, les désirs et les préoccupations d'un homme s'éparpillent dans toutes les vallées de sa vie. L'heure de sa mort peut survenir alors qu'il se trouve dans l'une de ces vallées. Il importe alors peu à Dieu, dans Sa gloire infinie, dans laquelle il périt. » Des gens de sa tribu ont relaté : « Ce garçon continua à vivre parmi nous comme l'un des meilleurs d'entre nous. Il était le plus satisfait des hommes et ne s'intéressait nullement aux luxes de ce monde.

Quand le Prophète mourut, certains groupes de gens au Yémen abandonnèrent la foi musulmane et retournèrent à leur égarement passé. Il parla à ses contribules, leur rappelant Dieu et leur foi, de sorte qu'aucun d'entre eux ne redevint négateur. » Abu Bakr, le premier chef de l'État musulman après le Prophète , se souvint de cet homme. Il chercha à savoir ce qu'il était devenu et apprit ce qu'il avait fait. Abu Bakr écrivit à son gouverneur du Yémen, Ziyâd ibn Labîd, pour lui recommander le jeune homme et lui demander de veiller sur lui.

Tel était le cas d'un homme dont le nom a été oublié. Il semble qu'un aspect de la richesse du coeur que Dieu avait accordée à cet homme réside dans l'absence de mention de son nom. Ce qu'il a fait demeure dans les mémoires parce que son action est un exemple pour les musulmans de toutes les générations. La célébrité est cependant un aspect des richesses de ce monde. Or, cet homme ne voulait rien de ces richesses : son nom est donc oublié. Quand Dieu exauce une prière du Prophète , Il l'exauce de la plus parfaite des manières. Cet homme possédait assurément la richesse du coeur.

Nous trouvons un autre exemple d'une telle attitude dans l'histoire d'un homme qui arriva à Médine en tant que membre de la délégation d'un clan appelé Sa'd Hadhîm, une branche de la tribu de Qudâ'a. Voici le récit d'un membre de cette délégation :

Je suis parti avec la délégation de mes contribules rencontrer le Messager de Dieu quand il a soumis le pays et triomphé de tous les Arabes. À l'époque, les gens entraient dans deux catégories : ceux qui adhéraient à l'islam de leur plein gré et ceux qui avaient peur des armes. Nous établîmes notre camp aux abords de Médine et nous dirigeâmes vers la mosquée. Quand nous arrivâmes à la porte, nous trouvâmes le Messager de Dieu à la mosquée, occupé à accomplir la prière habituelle pour un mort. Nous restâmes sur le côté et ne nous joignîmes pas à la prière, attendant de rencontrer le Messager de Dieu et de lui prêter serment d'allégeance. La prière terminée, le Prophète nous regarda et nous demanda d'approcher. Il demanda qui nous étions et si nous étions musulmans. Comme nous répondions à l'affirmative, il demanda : « Pourquoi n'avez-vous pas prié pour votre frère défunt ? » Nous répondîmes : « Messager de Dieu, nous pensions que nous ne pouvions pas le faire avant de t'avoir prêté serment. »

Le Prophète dit alors : « Où que vous soyez quand vous embrassez l'islam, vous êtes musulmans. » Nous déclarâmes notre conversion à l'islam et prêtâmes serment d'allégeance au Prophète. Quand il fut temps de partir, nous retournâmes à l'endroit où nous avions établi notre camp. Nous y avions laissé le plus jeune d'entre nous pour garder nos biens. Le Prophète envoya quelqu'un nous rappeler et nous retournâmes auprès de lui. Notre jeune homme s'avança, prêta serment d'allégeance et se déclara musulman.

Nous dîmes : « Messager de Dieu, il est le plus jeune d'entre nous et il nous sert. » Le Prophète dit : « Le plus jeune d'entre eux est leur serviteur, que Dieu le bénisse. » Il était de fait le meilleur d'entre nous, et il récitait le Coran mieux qu'aucun de nous en raison de la prière du Prophète en sa faveur. Le Prophète fit de ce jeune homme notre chef. Il dirigeait toujours notre prière. Quand fut venu le moment de partir, le Prophète ordonna à Bilâl de donner en cadeau à chacun de nous quelques onces d'argent. Nous rentrâmes parmi nos contribules, que Dieu combla de Ses bienfaits et guida vers l'islam.

L'Année des délégations

Les livres d'Histoire qui relatent les événements ayant eu lieu durant la vie du Prophète appellent la neuvième année après l'établissement du Prophète à Médine « l'année des délégations », pour évoquer le grand nombre de délégations qui affluèrent de toute l'Arabie pour exprimer leur allégeance au Prophète et à l'islam. Des leçons nombreuses et diverses peuvent être tirées de ces délégations et de leurs conversations avec le Prophète.

Certaines venaient dans le but de comprendre ce qui se passait à Médine et quelle était la vraie nature de la nouvelle religion. D'autres représentaient des tribus qui étaient déjà musulmanes. L'immense majorité de ces délégations repartaient après avoir déclaré leur conversion à l'islam. On ne pouvait toutefois s'attendre à ce que leur mode de vie et leurs vieilles habitudes se transforment du jour au lendemain. À la mort du Prophète, un grand nombre de ces tribus n'en savaient pas assez sur l'islam pour continuer à honorer leurs engagements.

Cela explique pourquoi certaines d'entre elles revinrent sur ces engagements après la mort du Prophète. Il est intéressant d'analyser plus profondément la mission de trois de ces délégations qui ne furent pas ébranlées lorsque la vie terrestre du Prophète prit fin. Il convient de souligner ici que ces événements ne seront pas relatés en ordre chronologique. Les historiens musulmans ne donnent pas d'indication quant au moment exact de l'arrivée de chaque délégation à Médine.

L'une de ces délégations venait de la tribu de Hamdân au Yémen. Dans un récit authentique, al-Bara, un compagnon du Prophète , relate comment le Messager de Dieu envoya Khâlid ibn al-Walîd aux habitants du Yémen pour les appeler à adhérer à l'islam. Voici le récit d'al-Bara :

J'étais l'un de ceux qui accompagnèrent Khâlid. Nous passâmes six mois à les appeler à l'islam, mais les gens ne donnèrent aucune réponse favorable à Khâlid. Le Prophète fit alors appeler Alî ibn Abî Tâlib : il lui demanda de partir au Yémen et de renvoyer Khâlid à Médine. Le Prophète permit que des soldats de Khâlid restent au Yémen. Je fus parmi ceux qui restèrent. Quand nous nous approchâmes de ces gens, ils sortirent à notre rencontre.

Alî dirigea notre prière, après nous avoir ordonné de former un seul rang. La prière terminée, il se leva et lut la lettre du Prophète aux gens de Hamdân. Tous déclarèrent alors leur conversion à l'islam. Alî écrivit au Prophète que Hamdân avait embrassé l'islam. Quand on lui lit la lettre, le Prophète se prosterna et remercia Dieu pour Sa grâce. Lorsqu'il releva la tête, il dit : « Que la paix soit sur Hamdân, que la paix soit sur Hamdân. »

Ils envoyèrent au Prophète une délégation qui comprenait Mâlik ibn an-Namt, Mâlik ibn Ayfa', Dammâm ibn Mâlik et Amr ibn Mâlik. Ils rencontrèrent le Prophète peu après son retour de Tabûk. Ils avaient revêtu leurs plus beaux habits. Mâlik ibn an-Namt récita quelques vers faisant l'éloge du Prophète. Ils prononcèrent de belles paroles devant le Prophète. Il accéda à toutes leurs requêtes, mettant tout par écrit. Il leur donna pour chef Mâlik ibn an-Namt.

Une autre délégation fut envoyée par la tribu de Baliy, et fut accueillie par un contribule, Ruwayfi' ibn Thâbit, qui était compagnon du Prophète . Les membres de la délégation séjournèrent chez Ruwayfi' qui les emmena chez le Prophète et, après l'avoir salué, lui dit : « Ce sont mes contribules. » Le Prophète (000|) dit : « Sois le bienvenu, toi et les tiens. » Quand ils eurent fini de discuter avec le Prophète, ils déclarèrent leur conversion à l'islam. Le Prophète leur dit : « Loué soit Dieu, qui vous a guidés vers l'islam. Tout membre de votre tribu qui mourra en croyant à une autre religion que l'islam ira en Enfer. »

La délégation avait pour chef un homme du nom d'Abû ad-Dubayb, qui était réputé pour son hospitalité. Il dit au Prophète : « Messager de Dieu, j'aime montrer de l'hospitalité à mes invités. En serai-je récompensé ? » Le Prophète répondit : « Oui, certes. Tout service que tu rends à quiconque, riche ou pauvre, compte comme une aumône. » L'homme demanda alors pendant combien de temps il fallait offrir l'hospitalité aux invités. Le Prophète répondit : « Trois jours. Si cela dure plus longtemps, c'est une aumône. L'hôte n'a pas le droit de rester plus longtemps et de t'embarrasser. »

Abu ad-Dubayb continua à le questionner : « Messager de Dieu, que dis-tu au sujet d'un mouton égaré que je trouve dans le désert ? » Le Prophète répondit : « Il est à toi, ou bien à ton frère, ou bien au loup. » L'homme demanda ensuite : « Et le chameau ? » Le Prophète répondit : « Pourquoi t'en préoccuper ? Laisse-le jusqu'à ce que son propriétaire le retrouve. »

Ruwayfi' ibn Thâbit a relaté : « Les gens quittèrent ensuite le Prophète et retournèrent chez moi. Peu après, le Prophète lui-même vint chez moi, apportant des dattes. Il me dit : "Utilise ces dattes." Ils mangèrent les dattes et d'autres aliments, ne restant que trois jours chez moi. Puis ils dirent adieu au Prophète, qui leur donna des cadeaux avant qu'ils ne repartent chez eux. »

Il est intéressant de noter ici que le Prophète a émis deux injonctions différentes au sujet de deux catégories d'animaux égarés, en fonction de leur nature. Le mouton égaré ne manquera pas d'être mangé par une bête sauvage si personne ne le prend. La personne qui le trouve doit donc le garder un certain temps afin de le rendre à son propriétaire, si celui-ci est connu. Si personne ne réclame le mouton, la personne qui l'a trouvé peut en tirer profit et doit donner une compensation au propriétaire s'il se fait connaître par la suite. Par contre, le chameau est capable de survivre dans le désert assez longtemps pour que son propriétaire puisse le retrouver.

La troisième délégation était celle de la tribu d'Azd de Suwayd ibn al-Hârith. Voici le récit d'un membre de cette délégation :

Je faisais partie d'un groupe de sept hommes envoyés en délégation au Prophète par notre tribu. Quand nous entrâmes à la mosquée et lui parlâmes, notre apparence lui plut. Il nous demanda qui nous étions. Nous répondîmes : « Nous sommes des croyants. » Le Prophète sourit et dit : « Toute affirmation doit avoir une substance. Quelle est la substance de votre affirmation et de votre croyance ? » Notre réponse fut : « Quinze éléments : cinq que tes émissaires nous ont ordonné de croire, cinq qu'ils nous ont ordonné de pratiquer, et cinq qui faisaient partie de notre morale avant l'islam et que nous conserverons à moins que tu ne les rejettes. »

Le Prophète demanda : « Quels sont les cinq éléments auxquels mes émissaires vous ont ordonné de croire ? » Nous répondîmes : « Ils nous ont ordonné de croire en Dieu, Ses anges, Ses écritures, Ses messagers et la résurrection après la mort. » Le Prophète demanda ensuite : « Quels sont les cinq éléments que mes émissaires vous ont ordonné de pratiquer ? » Nous répondîmes : « Ils nous ont ordonné d'affirmer qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, d'être assidus dans nos prières, de nous acquitter de la zakât, de jeûner au mois de ramadan et d'accomplir le pèlerinage à la Maison si nous le pouvons. »

Le Prophète nous demanda encore : « Et quels sont les cinq éléments que vous avez adoptés à l'époque préislamique ? » Notre réponse fut : « Être reconnaissants aux époques d'abondance et patients dans l'épreuve, accepter les revers du destin, nous montrer fermes et dévoués face à l'ennemi et ne pas nous réjouir des malheurs survenant à nos ennemis. » Le Prophète commenta : « Ces gens sont sages et instruits. Ils sont si sages qu'ils s'approchent du niveau des prophètes. » Il dit ensuite : « Je vais vous ajouter cinq autres éléments, ce qui vous en fera vingt en tout. Si vous êtes vraiment tels que vous vous êtes décrits, n'accumulez pas ce que vous ne pouvez pas manger, ne construisez pas de maisons que vous n'utiliserez pas pour y vivre, ne rivalisez pas pour ce que vous laisserez derrière vous demain, craignez Dieu à qui vous devrez rendre compte et préparez-vous à ce qui vous attend certainement et où vous demeurerez éternellement. »

Un autre récit au sujet de la délégation d'Azd indique que Surad ibn 'Abdullâh en était le chef. Le Prophète le nomma chef de ceux de sa tribu qui étaient devenus musulmans. Il lui ordonna également, ainsi qu'à ses contribules musulmans, de combattre ceux qui, dans les tribus du Yémen, s'étaient rebellés. Surad fit ce que le Prophète lui avait ordonné et se rendit à la tête d'une troupe de musulmans à la ville de Jurash, qui était bien fortifiée. Plusieurs tribus y vivaient et s'y étaient barricadées en apprenant que les musulmans avançaient vers elles.

Surad assiégea la ville un mois durant mais n'obtint aucune avancée. Il se retira jusqu'à une montagne appelée Shakr. Les habitants de Jurash, pensant qu'en se retirant, il reconnaissait sa défaite, le poursuivirent. Lorsqu'ils furent arrivés près de lui, il fit volte-face et leur livra un rude combat. Les gens de Jurash avaient envoyé deux hommes au Prophète pour s'informer de l'islam. Un après-midi, comme ces deux hommes étaient assis en compagnie du Prophète, celui-ci leur demanda : « Où se trouve Shakr ? » Les deux hommes répondirent : « Messager de Dieu, il y a dans notre pays une montagne appelée Kashr. »

C'était le nom que les gens de Jurash donnaient à cette montagne. Le Prophète dit : « Ce n'est pas Kashr, c'est Shakr. » Les deux hommes demandèrent pourquoi le Prophète en avait parlé. Il répondit : « En ce moment même, il y est fait un sacrifice à Dieu. » Les deux hommes parlèrent avec Abu Bakr et 'Uthmân, qui leur dirent : « Écoutez. Le Prophète vous annonce la triste nouvelle que vos contribules sont en train de se faire tuer. Allez le trouver et demandez-lui d'implorer Dieu d'écarter ce désastre de vos contribules. »

Les deux hommes firent ce qu'ils leur avaient dit et le Prophète implora Dieu en faveur de leurs contribules. Les deux hommes, en rentrant chez eux, apprirent que leurs concitoyens avaient vraiment été attaqués ce jour-là, à ce moment précis. Cela suffit pour que les habitants de Jurash embrassent l'islam et envoient au Prophète une délégation déclarant leur allégeance. Le Prophète leur attribua une zone protégée autour de leur ville.

La délégation de la tribu de Fazâra, comportant moins de vingt membres, arriva à Médine peu après le retour du Prophète de son expédition à Tabûk. Leur territoire était victime d'une terrible sécheresse, qui avait laissé sa marque sur eux et sur leurs chameaux. Ils étaient semble-t-il prêts à embrasser l'islam, mais ne comprenaient pas correctement le message de l'islam et le rôle du Messager de Dieu. Quand le Prophète leur demanda quelle était la situation dans leur région, ils répondirent : « Messager de Dieu, notre terre a été frappée par la sécheresse, notre bétail meurt, notre vallée est devenue aride et nos enfants souffrent de la faim. Prie ton Seigneur de nous sauver, intercède en notre faveur auprès de ton Seigneur, et qu'il intercède en notre faveur auprès de toi. »

Cette réponse montre combien ils ignoraient la véritable nature de la mission prophétique et le rôle du Messager de Dieu. Le Prophète n'a jamais prétendu posséder aucune autre capacité que celle d'un être humain chargé de transmettre l'enseignement divin à l'humanité. Cela ne le mettait nullement dans une quelconque position d'associé de Dieu pouvant faire en sorte que Dieu intercède auprès de lui. Dieu n'a besoin d'avoir recours à personne pour accomplir Sa volonté.

Ces paroles mirent donc le Prophète en colère. Il ne voulut cependant pas blâmer l'homme, sachant qu'il avait voulu bien faire. Il voulut simplement lui faire comprendre sa position par rapport à Dieu. Il lui dit donc : « Gloire à Dieu. Prends garde à ce que tu dis. Je peux intercéder auprès de mon Seigneur Tout-Puissant. Mais auprès de qui mon Seigneur intercèderait-Il ? Il n'y a pas d'autre divinité que Lui, le Suprême : Son trône s'étend aux Cieux et à la Terre, qui Lui sont soumis et reconnaissent Sa souveraineté et Sa majesté. »

Le Prophète annonça ensuite à ces hommes que la pluie arriverait bientôt chez eux. Il dit : « Dieu, le Tout-Puissant rit en contemplant vos difficultés et leur fin prochaine. » Le bédouin demanda : « Messager de Dieu, notre Dieu, le Tout-Puissant, rit-Il ? » Le Prophète ayant répondu que oui, le bédouin dit : « Un Seigneur qui rit nous apportera certainement du bien. »

Cette remarque fit sourire le Prophète . Il monta ensuite en chaire, leva les mains et implora Dieu, disant entre autres : « Seigneur, donne la pluie à Ta terre et à Ton bétail, répands Ta miséricorde et fais revivre Ta terre morte. Seigneur, donne-nous une pluie bienfaisante, une eau potable saine, arrivant bientôt et en abondance, apportant des bienfaits et non du mal. Seigneur, accorde-nous une eau de miséricorde et non pas de souffrance, de destruction, de noyade ni de dommages. Seigneur, accorde-nous une boisson vivifiante et donne-nous la victoire sur nos ennemis. »

La tribu de Bahra, une branche de la tribu de Qudâ'a du Yémen, envoya, elle aussi, une délégation composée de treize hommes. Ceux-ci se rendirent directement chez al-Miqdâd. Pour les accueillir, al-Miqdâd apporta un plat de la meilleure nourriture que l'on pouvait se procurer à Médine à l'époque. Il fit preuve d'une grande générosité envers ses hôtes. Le repas avait été préparé pour sa famille juste avant l'arrivée de la délégation. Al-Miqdâd servit ses hôtes avant que sa famille n'ait pu manger. Voici le récit de Dubâ'a, l'épouse d'al-Miqdâd :

Le plat nous revint après que les hôtes avaient mangé, et il y restait de la nourriture. Je la mis dans un petit plat que j'envoyai ma servante, Sidra, porter au Prophète . Elle le trouva chez son épouse Umm Salama. Le Prophète lui demanda : « Est-ce Dubâ'a qui a envoyé ceci ? » Elle répondit que oui et le Prophète lui demanda de poser le plat. Il lui demanda des nouvelles des hôtes d'al-Miqdâd et elle lui dit qu'ils séjournaient chez nous. Le Prophète et tous ceux qui se trouvaient dans la maison mangèrent autant qu'ils voulurent de cette nourriture, et Sidra mangea aussi avec eux.

Puis le Prophète lui dit de rapporter ce qui restait à nos hôtes. Sidra rapporta le plat. Nous servîmes ce même plat à nos visiteurs pendant toute la durée de leur séjour parmi nous. Ils mangeaient à leur faim sans que la nourriture ne diminue. Les visiteurs, étonnés, dirent à al-Miqdâd : « Abu Ma'bad, tu nous sers la meilleure des nourritures, dont nous ne pouvons nous permettre de manger qu'une fois de temps en temps. On nous a dit que la nourriture est rare dans votre ville et pourtant tu nous donnes à manger en abondance. »

Al-Miqdâd leur dit qu'il avait envoyé le plat au Messager de Dieu, qui en avait mangé une partie et l'avait renvoyé. La bénédiction était due au fait que les doigts du Prophète avaient touché cette nourriture. Les hommes dirent : « Nous témoignons qu'il est le Messager de Dieu. » Ils étaient encore plus certains d'être venus pour les bonnes raisons et d'avoir embrassé la vraie religion. C'était ce que le Prophète voulait. La délégation resta encore plusieurs jours pour apprendre les devoirs religieux. Puis les hommes allèrent faire leurs adieux au Prophète et celui-ci ordonna qu'on leur offre des cadeaux. Ils les prirent et repartirent chez eux.

Une autre délégation de treize hommes fut envoyée par la tribu de Murra, avec à sa tête al-Hârith ibn Awf. Il s'agissait d'une branche des Quraysh qui, plusieurs générations auparavant, avait un ancêtre commun avec le Prophète . Les membres de la délégation dirent : « Messager de Dieu, nous sommes de ta tribu et de ton clan. Nous descendons de Lu'ay ibn Ghâlib. » Le Prophète répondit par un sourire. Il demanda ensuite à al-Hârith où il avait laissé sa famille et sa tribu. Al-Hârith répondit qu'il les avait laissées à Silah et dans les environs.

Le Prophète demanda ensuite quelle était la situation dans cette région. L'homme répondit : « Nous souffrons de la sécheresse : implore ton Seigneur en notre faveur. » Le Prophète implora Dieu : « Seigneur, donne-leur la pluie. » Les membres de la délégation restèrent quelques jours, puis vinrent faire leurs adieux au Prophète . Celui-ci ordonna à Bilâl de leur donner des cadeaux. Il donna à chacun d'entre eux dix onces d'argent et augmenta la part d'al-Hârith qui en reçut douze onces.

Quand ils retournèrent chez eux, ils constatèrent qu'il avait beaucoup plu. Ayant demandé quand la pluie avait commencé, ils apprirent qu'il avait commencé à pleuvoir le jour même où le Prophète avait imploré Dieu en leur faveur. Leur terre fut par la suite plus fertile qu'elle ne l'avait jamais été.

Une délégation de dix hommes de la tribu de Khawlân arriva à Médine au mois de sha'bân de la dixième année après l'établissement du Prophète dans cette ville. Ils dirent au Prophète : « Messager de Dieu, nous sommes venus en tant que représentants de nos contribules que nous avons laissés derrière nous. Nous croyons en Dieu Tout-Puissant et nous acceptons le message de Son messager. Nous avons voyagé sur nos chameaux, par monts et par vaux, pour venir jusqu'à toi. Nous reconnaissons les bienfaits de Dieu et de Son messager. Nous sommes venus te rendre visite. »

Le Prophète leur dit : « Pour ce qui est d'avoir parcouru une grande distance pour venir jusqu'à moi, une bonne action vous est comptée pour chaque pas du chameau de chacun d'entre vous. Pour ce qui est d'être venus me rendre visite, ceux qui me rendent visite à Médine seront dans mon camp le Jour du Jugement. » Ils répondirent : « Messager de Dieu, c'est donc le voyage que nous ne regretterons jamais. » Le Prophète les interrogea au sujet de l'idole qu'ils adoraient auparavant, et qui s'appelait 'Amm Anas. Ils répondirent : « Nous t'annonçons la bonne nouvelle que nous l'avons remplacée par ton message. Certains vieillards de notre tribu la vénèrent toujours. Quand nous rentrerons, nous la détruirons si Dieu le veut. Elle nous a assurément trompés. »

Le Prophète leur demanda de lui relater comment cette idole les avait le plus induits en erreur. Ils relatèrent cet incident :

Nous vécûmes une grave sécheresse. La situation était si dure que nous mangions les déchets que nous pouvions trouver. Nous rassemblâmes tout l'argent que nous pûmes trouver et nous achetâmes cent boeufs : nous les tuâmes tous un matin comme offrande à notre idole, Amm Anas, puis nous laissâmes les bêtes sauvages les manger. Nous avions beaucoup plus besoin de cette viande que les bêtes. La pluie tomba aussitôt et dura si longtemps que l'herbe poussa de plusieurs pieds. Nous nous disions : Amm Anas nous a octroyé ses bienfaits.

Ils lui relatèrent également qu'ils avaient coutume de donner une part de leur bétail et de leurs récoltes à leur idole et une autre à Dieu. « Quand nous semions nos graines, nous réservions le milieu de notre terre fertile à Amm Anas et une autre partie à Dieu. Si le vent soufflait de telle façon que la partie réservée à Dieu produisait davantage, nous échangions les terres réservées et donnions à Amm Anas la meilleure récolte ; dans le cas contraire, nous laissions à Amm Anas ce que nous lui avions réservé. »

Le Prophète leur apprit que Dieu l'avait informé de cette pratique dans Ses révélations coraniques (6.136). Ils lui dirent encore que lorsqu'ils soumettaient à Amm Anas l'arbitrage de leurs différends, l'idole leur parlait. Le Prophète leur dit que ce qu'ils entendaient n'était que la voix du Démon. Les membres de la délégation demandèrent au Prophète quels étaient leurs devoirs religieux et il les leur expliqua. Il leur ordonna également d'honorer leurs promesses et leurs engagements, de rendre les dépôts qu'on leur confiait, d'être de bons voisins envers quiconque s'établirait auprès d'eux et de n'être injustes envers personne.

Il leur dit : « L'injustice vous plonge dans les profondeurs des ténèbres le Jour du Jugement. » Après avoir passé plusieurs jours à Médine, ils firent leurs adieux au Prophète et celui-ci ordonna qu'on leur donne des cadeaux. Ils repartirent chez eux et, une fois arrivés, leur première action fut de détruire leur ancienne idole.

Les délégations qui continuaient d'affluer à Médine constituent la meilleure preuve de l'intérêt que les gens éprouvent pour l'islam dès lors qu'ils peuvent réfléchir à ses enseignements sans pression extérieure et dans un esprit ouvert. La plupart des tribus arabes avaient déjà entendu parler de l'islam en raison de sa longue lutte contre les Quraysh et le polythéisme, mais elles n'avaient pas pu se constituer une opinion objective de son message avant que le Prophète n'envoie de nombreux compagnons en mission d'information, pour expliquer le message de l'islam à toutes les tribus et les inviter à y adhérer.

L'inventaire que nous faisons ici de ces délégations est loin d'être exhaustif : il n'a pour but que de montrer l'étendue du changement intervenant dans toute l'Arabie. L'histoire de la délégation des Suda du Yémen était l'accomplissement d'une promesse faite au Prophète par l'un de ses membres quelque temps auparavant. Après la conquête de La Mecque et les efforts accomplis par le Prophète pour parachever son travail dans cette région au cours des mois qui suivirent, le Prophète s'apprêtait à repartir pour Médine. Il envoya cependant des détachements de son armée dans différentes parties de l'Arabie. L'un de ces détachements était placé sous le commandement de Qays ibn Sa'd ibn 'Ubâda, le fils du chef des anSâr.

La troupe de quatre cents hommes campa à Qanâ pour se préparer à rencontrer la tribu de Sudâ'. Il se trouva qu'un homme de cette même tribu se trouvait alors à La Mecque. Ayant appris le départ de cette troupe, il alla trouver le Prophète et lui dit : « Messager de Dieu, je viens te voir en tant que représentant de mes contribules. Ne nous envoie pas cette armée, et je te garantis que mes contribules accueilleront favorablement ton message. » Le Prophète donna l'ordre à cette troupe de ne pas poursuivre sa mission.

Selon certains récits, l'homme s'appelait Ziyâd ibn al-Hârith. Il quitta La Mecque et retourna dans sa tribu, qu'il commença à inviter à embrasser l'islam. Il expliqua à ses contribules qu'il était dans leur intérêt de faire la paix avec le Prophète et l'État musulman. Quelque temps plus tard, Ziyâd se rendit à Médine à la tête d'une délégation de quinze hommes de sa tribu. Sa'd ibn 'Ubâda, le chef des ansâr, demanda au Prophète de lui permettre de leur offrir l'hospitalité.

Il était un hôte très généreux et les membres de la délégation furent accueillis chaleureusement chez lui. Quand ils rencontrèrent le Prophète, ils lui déclarèrent leur conversion à l'islam et lui prêtèrent serment d'allégeance. Ils lui dirent également :

« Nous oeuvrerons pour la cause de l'islam parmi nos contribules. » Le Prophète dit à Ziyâd : « Frère de Suda, tu es certainement obéi de tes contribules. » Ziyâd répondit : « Messager de Dieu, c'est par la grâce de Dieu et la bénédiction de Son messager. » Lorsque les délégués rentrèrent chez eux, ils purent y diffuser l'islam. Un an plus tard, cent membres de la tribu de Sudâ' accompagnèrent le Prophète lors de son pèlerinage d'adieu.

Il est intéressant de citer ici un récit de Ziyâd, qui accompagna le Prophète lors d'une de ses expéditions. Le Prophète voyageait de nuit lors de cette expédition. Voici le récit de Ziyâd :

J'étais fort physiquement et capable de voyager aux côtés du Prophète alors que ses autres compagnons ne parvenaient pas à suivre son rythme. L'aube venue, le Prophète me demanda de faire l'appel à la prière (adhân), ce que je fis sans mettre pied à terre. Nous poursuivîmes notre route pendant un moment avant d'établir le camp. Le Prophète s'éloigna pour satisfaire un besoin puis revint. Il me demanda si j'avais de l'eau et je répondis que j'en avais un peu. Il me demanda de la verser dans un récipient, ce que je fis.

Ses compagnons arrivaient de toutes parts. Il mit la main dans le récipient et je vis entre chacun de ses doigts jaillir une source. Il dit : « Frère de Sudâ', si ce n'était que je me sens trop intimidé en présence de mon Seigneur, nous aurions eu assez pour boire et donner à boire à d'autres. » Puis il effectua les ablutions et me dit : « Annonce à mes compagnons que quiconque désire effectuer ses ablutions peut venir prendre de l'eau. »

Quand je l'eus fait, ils vinrent tous et effectuèrent leurs ablutions. Bilâl voulut faire l'annonce du début de la prière (iqâma), mais le Prophète lui dit que puisque c'était moi qui avais fait l'appel à la prière, ce rôle me revenait. Je fis donc l'annonce et le Prophète dirigea notre prière. Quelque temps auparavant, j'avais demandé au Prophète de me nommer chef de ma tribu et de le faire consigner par écrit, ce qu'il avait fait. Quand nous eûmes terminé nos prières, un homme s'avança pour se plaindre du chef de sa tribu en disant : « Messager de Dieu, il essaie de se venger de certaines animosités qui existaient entre lui et nous avant notre conversion à l'islam. »

Le Prophète dit : « Commander les autres n'apporte rien de bon à un musulman. » Un autre homme s'avança et demanda au Prophète de lui donner de l'argent de la zakât. Le Prophète lui dit : « Dieu n'a pas attribué la répartition de la zakât à un ange ni à un homme combinant les fonctions de Prophète et de Messager. Il l'a divisée entre huit catégories de personnes. Si tu appartiens à l'une de ces catégories, je t'en donnerai. Si tu n'en as pas besoin et que tu en prends, cela te causera un mal de tête et des douleurs au ventre. »

Je me dis que j'avais demandé au Prophète deux choses inutiles quand je lui avais demandé de me nommer chef de ma tribu et de me donner de l'argent de la zakât alors que je n'en avais pas besoin. Je lui dis donc : « Messager de Dieu, voici les deux lettres que tu as fait écrire pour moi. Je te prie de les reprendre. » Le Prophète me demandant pourquoi, je lui dis : « Je viens de t'entendre dire que commander les autres n'apporte rien de bon à un musulman, et je suis musulman. Je t'ai aussi entendu dire que recevoir de la zakât quand on n'en a pas besoin cause un mal de tête et des douleurs au ventre, et je n'en ai pas vraiment besoin. »

Le Prophète dit : « Ce que j'ai dit est vrai. » Il me demanda de lui recommander un homme de ma tribu à qui il pourrait confier le commandement : je recommandai quelqu'un à qui il le confia. Puis je présentai ma requête au Prophète : « Messager de Dieu, nous avons un puits qui suffit à nos besoins en hiver, mais en été, son eau se tarit et nous cherchons de l'eau partout. Les musulmans sont encore en minorité parmi nous et nous craignons les autres. Pourrais-tu implorer Dieu de faire que notre puits nous suffise ? »

Le Prophète me demanda de lui apporter sept petits cailloux, ce que je fis. Il frotta les cailloux dans sa main et me les rendit en disant : « Quand tu rentreras chez toi, jette ces cailloux dans votre puits l'un après l'autre tout en prononçant le nom de Dieu. » Je fis ce qu'il avait dit, et depuis, notre puits donne une eau abondante.

Parmi les délégations envoyées tardivement, citons encore celle de la tribu de Muhârib, qui arriva l'année où le Prophète accomplit son pèlerinage d'adieu, c'est-à-dire la dixième année de l'hégire. Le Prophète avait déjà eu des contacts avec cette tribu. Du temps où il était encore à La Mecque, il avait pris contact avec des pèlerins d'autres tribus que Quraysh afin de leur expliquer les principes de l'islam et de les inviter à y croire. Il avait agi ainsi lorsqu'il avait compris que l'hostilité des Quraysh envers l'islam était insurmontable, pour le moment du moins.

La plupart de ces tribus contactées par le Prophète n'avaient pas réagi favorablement. L'une d'elles était celle de Muhârib : elle lui donna la réponse la plus dure. Maintenant, cependant, une délégation de cette tribu arrivait à Médine pour s'informer au sujet de l'islam. Elle resta plusieurs jours et Bilâl lui apporta à manger deux fois par jour. Un jour, la délégation de Muhârib eut une séance de discussion avec le Prophète de la prière de duhr à celle de 'asr, c'est-à-dire de midi au milieu de l'après-midi. Un membre de la délégation attira l'attention du Prophète, qui fixa les yeux sur lui.

L'homme dit au Prophète : « Messager de Dieu, tu sembles me reconnaître. » Le Prophète répondit : « Je t'ai déjà vu. » L'homme dit : « Oui, certes. Tu m'as parlé et je t'ai répondu très grossièrement quand tu as pris contact avec les différentes tribus à 'Ukâz. » Le Prophète dit : « C'est vrai. » L'homme dit pour s'excuser : « Messager de Dieu, aucun de mes contribules, à l'époque, ne t'a répondu aussi durement que moi. Aucun n'a rejeté l'islam autant que moi. Maintenant, cependant, je rends grâce à Dieu et je Le remercie de m'avoir gardé en vie jusqu'à ce jour afin que je déclare que je crois en toi. Mes compagnons de l'époque sont tous morts en conservant leurs anciennes croyances. »

Le Prophète répondit : « Les coeurs sont dans la main de Dieu et Sa gloire est infinie. » L'homme dit : « Messager de Dieu, implore Dieu de me pardonner ma grossièreté envers toi. » Le Prophète répondit : « Quand quelqu'un embrasse l'islam, ses fautes passées sont effacées. » La délégation de Muhârib déclara sa conversion à l'islam avant de prendre le chemin du retour.

Les délégations affluant à Médine de différentes régions d'Arabie avaient des missions diverses. Certaines voulaient simplement s'informer au sujet de l'islam et de la nature de la société qu'il établissait. D'autres venaient prêter serment d'allégeance sans pour autant s'engager à embrasser l'islam. D'autres encore venaient déclarer leur conversion à la religion musulmane et assurer le Prophète de leur soutien. Le Prophète réservait à toutes ces délégations un accueil chaleureux.

Il n'était pas question d'exercer de contrainte ni de pression sur quiconque, groupe ou individu. Il suffisait qu'une tribu ou une communauté se déclare prête à vivre en paix avec l'islam, sans faire obstacle à sa diffusion ni comploter contre lui, pour que ses relations avec la communauté musulmane demeurent amicales. Le Prophète se montrait généreux envers toutes ces délégations, qu'elles finissent ou non par déclarer leur conversion à l'islam. Il ordonnait qu'on leur donne des cadeaux, de sorte que chaque membre de chaque délégation recevait son propre cadeau.

L'hospitalité du Prophète s'étendait à tous. Les délégations qui embrassaient l'islam étaient assurées de faire partie de la communauté musulmane et de jouir de tous les droits des musulmans. Le Prophète envoyait un ou plusieurs de ses compagnons avec ces délégations, afin de leur enseigner les principes de leur nouvelle religion et de les aider à mener une vie islamique. Certains membres de ces délégations avaient le comportement qu'on pouvait attendre de bédouins incultes. Le Prophète ne prêtait pas attention à leurs manières rudes ni à leur grossièreté et ne permettait pas que cela soit un obstacle à ses relations avec eux.

Il souhaitait ardemment gagner ces gens à la cause de l'islam, tout comme il souhaitait communiquer sa foi à toute autre personne. Certaines délégations tentaient d'obtenir des concessions ou de faire des compromis sur certains aspects de la foi islamique : le Prophète ne pouvait l'accepter. Il considérait sa tâche comme celle d'un honnête messager devant transmettre son message dans son intégralité, complet et intact. Il ne lui appartenait pas d'en modifier les principes ni même le moindre détail.

Ces délégations continuèrent à arriver l'une après l'autre durant toute la dixième année de l'hégire. Cette année fut donc, globalement, une année de paix telle que la société musulmane de Médine n'en avait jamais connu auparavant. Ce fut en même temps une année pleine d'activité. Le travail de consolidation se poursuivait. Rappelons que la majorité des musulmans étaient désormais de nouveaux adeptes qui n'étaient pas encore suffisamment instruits dans leur nouvelle religion. Ils n'avaient pas vécu ses vingt-deux années de lutte et n'avaient pas eu à faire les sacrifices que les premiers musulmans avaient dû consentir. Le résultat des événements de cette année était que toute l'Arabie était désormais plus ou moins loyale à l'islam.

Malgré cela, les jours paisibles de cette dixième année de l'hégire furent troublés par une tribu du Yémen qui se targuait de pouvoir accomplir ce qu'aucune tribu d'Arabie, petite ou grande, ne pouvait faire. Le Prophète envoya une troupe de ses compagnons sous le commandement de son chef militaire Khâlid ibn al-Walîd pour soumettre cette tribu. Il donna à Khâlid des instructions très claires, lui ordonnant d'inviter ces gens à l'islam pendant trois jours avant de les combattre. S'ils répondaient favorablement, il devait recevoir leurs serments d'allégeance ; s'ils refusaient de se soumettre, il devait les combattre.

Quand Khâlid arriva dans la région, il envoya ses hommes dans toutes les directions pour inviter les gens de la tribu à embrasser l'islam. Leur réponse fut favorable. Khâlid et ses hommes restèrent alors sur place pour leur enseigner les principes de l'islam, le Coran et la Sunna, conformément aux instructions du Prophète . Plus tard, Khâlid envoya au Prophète un message où il lui disait :

Messager de Dieu, tu m'as envoyé à la tribu d'al-Hârith ibn Ka'b en m'ordonnant de ne pas combattre pendant trois jours, durant lesquels je devais inviter les gens à embrasser l'islam. S'ils le faisaient, je devais rester ici, recevoir leurs serments d'allégeance, les instruire dans la religion et leur enseigner le Livre de Dieu et la Sunna de Son messager. S'ils refusaient de se soumettre, je devais les combattre. Quand je suis arrivé ici, j'ai fait ce que le Messager de Dieu m'avait ordonné. J'ai envoyé mes hommes leur dire : « Banû al-Hârith, embrassez l'islam et vous serez en sécurité. »

Ils ont embrassé l'islam. Je reste avec eux, leur enjoignant de faire ce que Dieu leur a ordonné de faire et de s'abstenir de ce que Dieu leur a interdit. Je continuerai à leur enseigner les principes de l'islam et la Sunna du Prophète jusqu'à ce que je reçoive des instructions du Messager de Dieu. Que la paix soit sur toi, ainsi que la miséricorde et les bénédictions de Dieu, Messager de Dieu.

Le Prophète envoya à Khâlid la réponse suivante :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. De la part de Muhammad, le Prophète et Messager de Dieu, à Khâlid ibn al-Walîd. La paix soit sur toi. Louange à Dieu ; il n'y a pas d'autre divinité que Lui. J'ai reçu ta lettre apportée par ton émissaire, où tu m'informes que les gens de la tribu d'al-Hârith ibn Ka'b se sont soumis sans que tu aies à les combattre. Tu me dis également qu'ils ont répondu à ton appel et déclaré croire qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est le serviteur et le Messager de Dieu. Ainsi Dieu les a-t-Il guidés. Annonce-leur la bonne nouvelle et mets-les en garde contre le péché. Tu peux revenir et amener avec toi une délégation de leur tribu. Que la paix soit sur toi, ainsi que la miséricorde et les bénédictions de Dieu.

Khâlid revint donc avec une délégation de la tribu d'al-Hârith comportant un certain nombre de notables. Quand ils rencontrèrent le Prophète, ils lui dirent :

« Nous témoignons que tu es le Messager de Dieu et qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu. » Le Prophète dit : « Je témoigne, moi aussi, qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que je suis le Messager de Dieu. » Puis il leur posa la question : « Êtes-vous ceux qui mènent un rude combat quand on s'oppose à eux ? » Personne ne répondit. Il répéta sa question à trois autres reprises avant que l'un d'entre eux, Yazîd ibn 'Abd al-Mudân, ne réponde : « Oui, Messager de Dieu, nous sommes ceux que tu as décrits. » Il répéta sa réponse à quatre reprises.

Le Prophète dit : « Si ce n'était que Khâlid m'a écrit que vous avez embrassé l'islam, j'aurais mis vos têtes sous vos pieds. » Yazîd dit : « Pour cela, nous ne sommes reconnaissants ni à toi ni à Khâlid. » Le Prophète demanda : « Alors à qui êtes-vous reconnaissants ? » Il répondit : « Nous sommes reconnaissants à Dieu qui nous a guidés par ton intermédiaire, Messager de Dieu. » Le Prophète confirma que la réponse de l'homme exprimait la vérité. Le Prophète leur demanda ensuite ce qui les avait aidés à remporter leurs batailles à l'époque préislamique. Ils répondirent qu'ils avaient pu obtenir la victoire parce qu'ils étaient toujours unis et n'étaient jamais les agresseurs.

La dernière délégation

La dernière de toutes les délégations fut celle de la tribu d'an-Nakha', qui arriva à Médine au milieu du mois de muharram de la onzième année de l'hégire, c'est-à-dire environ deux mois avant la mort du Prophète . Cette délégation, composée de deux cents hommes, était la plus importante de toutes. Elle séjourna à la maison des hôtes de Médine. Les membres de la délégation étaient déjà musulmans, ayant prêté serment d'allégeance à Mu'âdh ibn Jabal, l'homme que le Prophète avait nommé gouverneur du Yémen. Leur mission n'était donc pas de venir apprendre l'islam.

Ils avaient plutôt entrepris ce voyage pour rencontrer le Prophète et être considérés comme faisant partie de ses compagnons. Un homme de cette délégation, Zurâra ibn 'Amr, relata au Prophète un rêve étrange. Il lui dit qu'il avait vu une ânesse qu'il avait laissée chez lui donner naissance à une chèvre noire et rousse. Le Prophète lui demanda alors s'il avait laissé l'une de ses esclaves enceinte. Comme il répondait que oui, le Prophète lui dit qu'elle avait donné naissance à un garçon qui était le fils de Zurâra. Zurâra lui demanda alors pourquoi la chèvre avait une couleur si étrange. Le Prophète lui demanda de se rapprocher de lui, puis lui demanda à mi-voix : « As-tu une tache blanche sur la peau que tu caches à tes contribules ? »

L'homme répondit : « Par Celui qui t'a envoyé apporter la vérité, personne ne l'a jamais vue et personne d'autre que toi n'en a connaissance. » Le Prophète dit : « Voilà l'explication. » Zurâra dit ensuite : « Messager de Dieu, j'ai aussi vu une horrible vieille femme sortir de terre. » Le Prophète répondit : « C'est ce qui reste de ce monde. » Zurâra poursuivit : « Et j'ai aussi vu un feu sortant de terre et me séparant d'un de mes fils appelé Amr. Ce feu parlait et disait : "Le feu, le feu. Un homme avec des yeux et un homme aveugle. Alimentez-moi et je vous avalerai tous, ainsi que vos familles et vos biens." » Le Prophète dit : « Ce sont des troubles qui surviendront par la suite. »

Zurâra demanda au Prophète ce qu'il voulait dire par troubles et il répondit : « Les gens tueront leur chef et un conflit terrible éclatera entre eux. Celui qui agira mal pensera bien agir. Un croyant trouvera plus satisfaisant de verser le sang d'un autre croyant que de boire de l'eau. Si ton fils meurt avant toi, tu vivras cela, et si tu meurs avant lui, il le vivra. » L'homme demanda au Prophète d'implorer Dieu qu'il ne vive pas ces troubles, et il implora Dieu : « Seigneur, fais qu'il ne les vive pas. » L'homme mourut et son fils prit part aux troubles qui conduisirent à l'assassinat de 'Uthmân, le troisième calife.

Comme nous l'avons déjà mentionné, les deux dernières tribus d'al-Hârith ibn Ka'b et an-Nakha' venaient du Yémen. Il semble que le Prophète portait une attention particulière au Yémen durant ces années, considérant apparemment cette région comme très importante. Il envoya plusieurs messagers avec des missions diverses. Khâlid était un messager militaire. Le Prophète envoya également Alî, son cousin, pour consolider le travail accompli par Khâlid. En outre, il envoya deux émissaires civils, Abu Mûsâ al-Ash'arî et Mu'âdh ibn Jabal. Ceux-ci furent nommés gouverneurs, chacun d'une partie du Yémen.

Le Prophète leur recommanda de faciliter les choses pour les gens plutôt que de les rendre difficiles. Ils devaient aussi encourager les gens en leur donnant de l'espoir au lieu de les décourager. En outre, le Prophète leur recommanda de toujours bien s'entendre entre eux et de ne pas se quereller. Lorsque Mu'âdh ibn Jabal fut sur le point de quitter Médine pour aller prendre son poste de gouverneur de certaines régions du Yémen, le Prophète sortit de la ville avec lui pour lui donner ses instructions. Mu'âdh était sur son chameau et le Prophète marchait à ses côtés. Le Prophète lui dit :

Tu seras parmi des gens qui avaient connaissance des révélations antérieures. Quand tu seras là-bas, invite-les à croire qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est le Messager de Dieu. S'ils acceptent cela de toi, dis-leur que Dieu leur a imposé le devoir de prier cinq fois par jour. S'ils acceptent cela de toi, dis-leur que Dieu leur a imposé le devoir de payer la zakât, qui est prise aux plus riches d'entre eux pour être versée aux pauvres. S'ils acceptent cela de toi, ne touche jamais aux meilleurs de leurs biens. Prends garde à l'invocation de celui qui pourrait être victime de ton injustice, car une telle invocation parvient directement à Dieu.

Le Prophète lui dit encore : « Mu'âdh, tu ne me reverras peut-être plus après cette année. Peut-être passeras-tu devant ma mosquée et devant ma tombe. » Mu'âdh était en larmes. Le Prophète lui dit : « Ne pleure pas, Mu'âdh. Il y a un moment pour pleurer. Les larmes viennent du Démon. » Le Prophète regarda en direction de Médine et dit : « Les gens les plus proches de moi sont ceux qui craignent Dieu, quels qu'ils soient et où qu'ils soient. »

Ces paroles du Prophète faisaient allusion aux événements à venir. C'était aussi les paroles d'un messager de Dieu conscient que sa mission touchait à sa fin.