Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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Consolider la situation

 

Deux mois à peine après l'affrontement avec la tribu juive d'an-Nadîr, le Prophète apprit que les deux tribus arabes de Muhârib et Tha'laba mobilisent leurs forces pour attaquer les musulmans. Considérant que l'attaque était la meilleure défense, le Prophète réunit une troupe de sept cents de ses partisans et désigna 'Uthmân ibn Affân pour le remplacer à Médine. La troupe musulmane parcourut une grande distance, jusqu'à un lieu appelé Nakhl, dans la région appartenant aux tribus de Ghatafân dans la province du Najd, en plein coeur de la péninsule arabique.

Là, les musulmans se trouvèrent confrontés à une importante concentration de forces ennemies. Les deux armées se rapprochèrent très près l'une de l'autre. Les musulmans étaient inquiets en raison de leur infériorité numérique. Leurs ennemis, malgré leur surnombre, avaient eux aussi très peur. Ni les uns ni les autres ne souhaitaient prendre l'initiative de l'offensive, dans l'espoir que l'affrontement pourrait être évité.

Ce fut une campagne très difficile pour les musulmans. Ils avaient parcouru une distance considérable depuis Médine en voyageant sur un terrain très accidenté. Cette expédition est connue dans les livres d'Histoire musulmans sous le nom de Dhât ar-Riqâ', « l'expédition des lambeaux d'étoffe », car les musulmans avaient dû s'envelopper les pieds dans des lambeaux d'étoffe pour soulager la douleur quand ils marchaient sur le sol caillouteux. Lorsque les deux troupes se trouvèrent face à face, le sentiment de crainte était partagé. Ce fut lors de cette expédition que le Prophète pria selon la méthode désignée sous le nom de « prière de la peur ».

Selon cette méthode, l'armée était divisée en deux groupes qui se relayaient pour prier avec le Prophète. Ce dernier accomplissait la prière entière, tandis que le premier groupe de ses hommes se joignait à lui pour la première moitié de la prière, qu'ils concluaient alors individuellement. Ensuite, l'autre groupe se joignait au Prophète pour le reste de la prière. Tous les membres de l'armée participaient ainsi à la même prière en commun, tandis que la moitié des hommes étaient toujours libres pour surveiller l'ennemi et s'assurer qu'il ne profitait pas du moment de la prière pour attaquer les musulmans.

Cette manière d'accomplir la prière est expliquée au verset 102 de la sourate 4, intitulée « Les Femmes ». Nous y reviendrons plus en détail plus loin. Toutefois, aucun affrontement n'eut lieu entre les deux camps. Le Prophète parvint à retirer ses forces intactes sans se battre. Un large pan de l'histoire de l'islam à l'époque médinoise concerne l'activité guerrière. Cela est normal dans la mesure où durant ces dix années le Prophète et les musulmans subirent de nombreuses agressions. Lorsqu'on relate l'Histoire, les grands événements ont tendance à faire oublier les faits de la vie ordinaire.

Il ne faut toutefois pas négliger ces incidents qui permettent de comprendre quel genre de vie les musulmans menaient à Médine. Ils nous en apprennent beaucoup sur la manière dont les musulmans se comportaient les uns envers les autres, les relations qu'ils avaient avec le Prophète et leur engagement pour leur cause. Dans cette perspective, il est intéressant de se pencher sur quelques événements qui eurent lieu durant cette expédition.

Des événements significatifs

L'un de ces incidents est relaté par Jâbir ibn 'Abdullâh, un jeune compagnon du Prophète qui prit part à cette expédition. Il montait un chameau faible, de sorte qu'il était sans cesse en arrière. Quand le Prophète le remarqua et apprit que le chameau était faible, il demanda à Jâbir de le faire asseoir. Cela fait, le Prophète lui dit : « Donne-moi le bâton que tu as à la main, ou coupe-moi un bâton d'un arbre. »

Le Prophète piqua à plusieurs reprises le flanc du chameau avec le bâton, puis dit à Jâbir de monter à nouveau le chameau. Jâbir relate : « Par Celui qui a envoyé le Prophète apporter la Vérité, le chameau était devenu aussi rapide que les autres. »

Le Prophète, bavardant avec Jâbir, lui demanda : « Veux-tu me vendre ton chameau, Jâbir ? » Ce dernier répondit : « Je t'en fais cadeau. » Le Prophète répliqua : « Non, vends-le moi. » Jâbir dit : « Alors, fais-moi une offre. » Le Prophète dit : « Je te donnerai un dirham [la monnaie d'argent de l'époque]. » Jâbir refusa l'offre en disant : « Ce ne serait pas un prix juste. » Le Prophète dit alors : « Que dirais tu de deux dirhams ? » Jâbir refusa encore. Le Prophète continua à augmenter le prix, et Jâbir à refuser, jusqu'à ce que le Prophète propose une once d'argent. Jâbir demanda alors : « Serais-tu satisfait de payer ce prix, Messager de Dieu ? » Le Prophète répondit que oui et Jâbir accepta le marché.

Le Prophète demanda à Jâbir s'il s'était marié, et Jâbir répondit que oui. Le Prophète lui demanda alors s'il avait épousé une jeune vierge, ou une femme qui avait déjà été mariée. La femme de Jâbir appartenait à la deuxième catégorie. Le Prophète dit : « N'aurait-il pas mieux valu que tu épouses une jeune vierge ? » Jâbir, qui peut-être n'avait pas vingt ans à l'époque, répondit : « Messager de Dieu, mon père a été tué à Uhud, me laissant la charge de sept soeurs. C'est pourquoi j'ai épousé une femme expérimentée qui pourra s'occuper d'elles et assurer la cohésion de la famille. »

Le Prophète répondit : « Alors tu as bien lait, si Dieu le veut. Quand nous arriverons à Sirâr, nous ferons égorger des chameaux et nous donnerons un festin. Ta femme apprendra alors que nous avons célébré son mariage et elle sortira ses coussins. » (C'était semble-t-il une manière de célébrer un heureux événement.) Jâbir répondit : « Mais nous n'avons pas de coussins, Messager de Dieu. » Le Prophète répliqua : « Tu en auras. Quand nous arriverons à Médine, nous organiserons une belle fête. »

Lorsque l'armée musulmane atteignit Sirâr, qui n'était qu'à cinq kilomètres de Médine, le Prophète fit égorger et préparer plusieurs chameaux. Toute l'armée participa à la célébration du mariage récent d'un de ses soldats. Quand le soleil déclina, le Prophète et ses compagnons entrèrent à Médine. Jâbir relata à sa femme les propos du Prophète, et elle lui conseilla de faire ce qu'il lui avait dit.

Le lendemain matin, Jâbir emmena son chameau et le fit agenouiller devant la mosquée du Prophète, puis il entra dans la mosquée. Quand le Prophète sortit, il s'enquit du chameau et on lui dit que Jâbir l'avait amené. Il fit appeler Jâbir et, qand celui-ci vint, lui dit : « Prends ton chameau, mon neveu ; il est à toi . » Puis il appela Bilâl (qui servait de trésorier) et lui demanda d'aller avec Jâbir et de lui donner une once d'argent.

Bilâl fit ce que le Prophète lui demandait et donna à Jabir une fraction de plus. Jâbir a relaté qu'il garda ce chameau très longtemps.

Cet incident illustre bien toute l'attention que le Prophète portait à ses compagnons. De nombreux récits relatent des événements de cette nature. Ses compagnons y voyaient des signes consolidant leur conviction qu'il était bien le Messager de Dieu. Certes, ils n'en doutaient pas, mais des actes miraculeux comme son traitement de la faiblesse du chameau avaient tendance à confirmer ce qu'ils savaient déjà être vrai. Le fait que le Prophète ait ainsi interrogé un jeune compagnon sur sa vie familiale, comme on le fait entre amis intimes, montre qu'il s'intéressait réellement à chacun de ses compagnons en tant qu'individu.

Il n'était pas pareil à un chef militaire considérant ses troupes comme des gens qu'il pouvait utiliser pour obtenir une gloire personnelle. Le Prophète ne recherchait aucune gloire pour lui-même. Il voulait être informé des affaires de ses compagnons afin qu'ils se sentent plus proches de lui. Quand il apprit que Jâbir venait de se marier, il tint à faire participer toute la communauté à la célébration de ses noces.

Il est évident également que le Prophète n'avait nul besoin d'acheter le chameau, mais qu'il avait compris que Jâbir était pauvre et avait la charge d'une famille. Acheter le chameau pour ensuite en faire cadeau à son ancien propriétaire était tout à fait caractéristique du Prophète. Il était l'exemple même de la générosité.

En proposant d'acheter le chameau, il avait déjà l'intention de le rendre à Jâbir comme cadeau, mais il voulait que Jâbir fixe son prix afin qu'il prenne l'affaire au sérieux. Selon un récit, l'accord stipulait que Jâbir pourrait utiliser le chameau jusqu'à leur arrivée à Médine. Pendant tout le trajet, Jâbir était donc convaincu d'avoir vendu le chameau. Quel plus beau cadeau de mariage aurait-il pu espérer, que d'avoir à la fois son chameau et son prix !

Deux autres incidents qui eurent lieu pendant l'expédition de Dhât ar-Riqâ' sont intéressants car ils mettent en lumière toute la profondeur de la foi du Prophète et de ses compagnons. Un homme du nom de Ghawrath de la tribu des Muhârib, l'une des deux tribus mobilisées pour attaquer Médine, dit à ses contribules : « Voulez-vous que je tue Muhammad pour vous ? » Ils répondirent : « Oui, mais comment vas-tu faire ? » Ghawrath dit : « Je vais le prendre par surprise et le tuer. »

Il parvint à s'approcher du Prophète, qu'il trouva assis tout seul. Il lui dit : « Muhammad, est-ce que je peux regarder ton sabre ? » Le sabre était orné d'argent. Le Prophète le laissa le prendre, et l'homme le tira de son fourreau. Il le brandit à plusieurs reprises et essaya d'en frapper le Prophète, mais à chaque fois son bras fut retenu. Il demanda alors au Prophète : « Muhammad, as-tu peur de moi ? » Le Prophète répondit : « Non . Pourquoi aurais-je peur de toi ? » L'homme dit : « Comment pourrais-tu ne pas avoir peur de moi, quand j'ai le sabre à la main ? » Le Prophète répliqua : « Mais je n'ai pas peur de toi. Dieu me protégera de toi. »

Le sabre tomba à terre et le Prophète le ramassa, puis il dit à Ghawrath : « Qui te protégera de moi ? » Ghawrath répondit : « Tu peux, si tu le veux, être le meilleur des hommes ayant vaincu un adversaire. » Ghawrath était conscient, semble-t-il, qu'il ne pourrait avoir la vie sauve qu'en faisant appel à la générosité du Prophète. Ce dernier lui demanda alors de déclarer qu'il croyait qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son messager. L'homme dit : « Je m'engage solennellement à ne jamais te combattre et à ne jamais me joindre à des gens qui voudraient te combattre. » Le Prophète le laissa partir, et Ghawrath retourna parmi les siens et leur dit : « J'étais avec le meilleur homme sur terre. »

Ce petit incident illustre la confiance absolue que le Prophète avait en Dieu. Dieu lui avait promis qu'il ne lui arriverait aucun mal lorsqu'il transmettrait Son message. Le Prophète devait montrer à plusieurs reprises que sa confiance en la promesse divine était à la fois totale et inébranlable. Ici, nous le voyons seul avec un homme brandissant un sabre, un homme venu dans le seul but de le tuer. Pourtant, il le laisse regarder son sabre et lorsque l'homme parle de le tuer, le Prophète n'est nullement troublé.

Le second incident concerne deux des compagnons du Prophète , 'Ammâr ibn Yâsir des muhâjirûn et 'Abbâd ibn Bishr des ansâr. Le Prophète avait établi son camp près d'une piste de montagne et demandé des volontaires pour monter la garde pendant la nuit. Les deux hommes se portèrent volontaires et le Prophète leur demanda de rester à proximité du début de la piste. Arrivés à cet endroit, Abbâd demanda à son compagnon s'il préférait dormir d'abord ou rester éveillé et dormir plus tard dans la nuit. Ammâr choisit de dormir le premier. Tandis qu'il s'allongeait, son frère des ansâr se tint debout pour prier.

Un ennemi avait semble t-il suivi l'armée musulmane. Quand il s'approcha, il aperçut la silhouette de l'homme en prière. Il comprit que l'homme montait la garde. Il le visa et l'atteignit d'une flèche. Abbâd ne bougea pas, se contentant d'arracher la flèche et de poursuivre sa prière. L'homme l'atteignit d'une seconde flèche, et Abbâd réagit de la même manière. Une troisième flèche l'atteignit alors qu'il priait toujours : il l'arracha et poursuivit sa prière, s'inclinant, puis se prosternant.

Alors seulement il réveilla son compagnon et lui dit qu'il était blessé. 'Ammâr se leva et l'homme, voyant qu'ils étaient deux, prit la fuite. S'apercevant que Abbâd était sérieusement blessé, Ammâr lui demanda : « Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé la première fois qu'il t'a atteint ? » L'homme des ansâr répondit : « Je récitais une sourate et je ne voulais pas la couper. J'espérais la terminer avant de te dire quoi que ce soit. Quand il m'a atteint trois fois, je me suis incliné et je t'ai réveillé. Je jure que si je n'avais pas craint de ne pas obéir comme je le devais à l'ordre du Prophète de monter la garde, je n'aurais pas interrompu la récitation de la sourate même s'il m'avait tranché la gorge. »

Cette expédition fut extrêmement bénéfique aux musulmans, malgré le fait qu'aucun affrontement ne se produisit avec les négateurs. Le simple fait que les musulmans étaient prêts à parcourir une distance considérable pour aller à la rencontre de leurs ennemis avant qu'ils ne les attaquent à Médine était la marque d'une assurance inébranlable. L'incapacité des négateurs à provoquer la bataille, malgré leur supériorité numérique, montrait toute la crainte que les musulmans inspiraient à leurs ennemis.

Un nouvel affrontement

Le Prophète resta environ trois mois à Médine après cette expédition, puis il demanda aux musulmans de se préparer pour leur rendez-vous avec les Quraysh. À la fin de la bataille d'Uhud, Abu Sufyân avait en effet suggéré que les deux camps s'affrontent à nouveau un an plus tard à Badr. Cette année, chargée en événements, arrivait maintenant à son terme et le moment convenu approchait.

Les musulmans se préparaient donc, nourrissant l'espoir d'infliger cette fois aux Quraysh une défaite qui anéantirait leur réputation de principale tribu d'Arabie. À La Mecque, Abu Sufyân ne regardait pas arriver ce rendez-vous avec plaisir. Il aurait préféré continuer à tirer les profits de la victoire obtenue à Uhud afin de préserver la réputation des Quraysh. Il était conscient qu'une nouvelle bataille risquait de renverser la situation. En outre, La Mecque avait connu cette année-là une sécheresse prolongée, qui la laissait affaiblie.

Si l'on ajoute à cela le boycott commercial que les musulmans imposaient toujours aux Quraysh, dont les caravanes ne pouvaient plus se rendre en Syrie, on comprend que les Quraysh traversaient alors une crise économique. Abu Sufyân ne pouvait cependant pas se soustraire au rendez-vous. Il ne voulait pas donner un tel signe évident de faiblesse. Il recourut donc à la ruse, espérant ainsi dissuader les musulmans de venir affronter les Quraysh.

Il loua les services d'un certain Nu'aym ibn Mas'ûd qu'il chargea de répandre à Médine la rumeur que les Quraysh avaient mobilisé, pour combattre les musulmans, une armée considérable que les musulmans ne pourraient jamais égaler. Nu'aym se plia à ses instructions et propagea de son mieux la rumeur. Cependant, le Prophète était déterminé à être présent au rendez-vous fixé. Il dit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, j'irai les affronter même si personne ne m'accompagne. »

Mais les musulmans étaient très désireux d'accompagner le Prophète , et il partit donc à la tête de mille cinq cents de ses partisans. Il nomma pour le remplacer à Médine 'Abdullâh ibn Abdullâh ibn Ubayy, le fils du chef de file des hypocrites qui , contrairement à son père, était un croyant sincère et fiable. Lorsqu'ils arrivèrent à Badr, à environ cent soixante kilomètres de Médine, ils ne trouvèrent pas trace de l'ennemi. Ce qui s'était passé, c'était qu'une armée des Quraysh était bien partie de La Mecque vers Badr.

Cependant, Abu Sufyân, très réticent à l'idée d'un nouvel affrontement et convaincu que le moment n'était pas approprié pour les Quraysh, s'était adressé à ses soldats pour rappeler les difficultés qu'ils avaient connues cette année-là et souligner qu'ils ne pouvaient pas espérer gagner une guerre en cette année de sécheresse. Il fallait qu'ils attendent une bonne saison où ils disposeraient de grain et de produits laitiers en abondance. Il avait donc conseillé à l'armée de faire demi-tour, et son conseil avait été suivi.

Quoique la décision d'Abû Sufyân ait été prudente au vu des circonstances, elle n'aida nullement la cause des Quraysh. De fait, elle renforça plutôt la cause des musulmans. Les Mecquois eux-mêmes accusèrent l'armée de lâcheté. Le fait qu'elle ait fait demi-tour après s'être mise en route était injustifiable aux yeux d'un grand nombre des Arabes, qui commencèrent à douter de l'importance de la victoire des Quraysh à Uhud.


Badr était une foire saisonnière d'Arabie. Des gens de toutes les tribus s'y assemblaient au mois de sha'bân pour échanger des biens et des marchandises. La foire commerciale durait huit jours. Le Prophète et les musulmans tirèrent un grand avantage de leur présence à Badr durant cette période. Le marché leur apporta un profit financier considérable. Mais leur profit le plus important fut la restauration de leur réputation de force militaire puissante, capable de se mesurer à toute autre force d'Arabie. Ces événements et expéditions d'an-Nadîr, Dhât ar-Riqâ' et la dernière expédition de Badr, se succédant rapidement, furent d'une importance psychologique considérable pour les musulmans.

La défaite d'Uhud semblait désormais appartenir à un passé lointain, bien qu'elle n'ait eu lieu qu'une année auparavant. La foire terminée, les musulmans rentrèrent à Médine après avoir fait la preuve qu'ils ne craignaient personne en Arabie. Peu après leur retour à Médine, le Prophète épousa Umm Salama, qui se prénommait Hind. Umm Salama était semble-t-il d'Age mûr. Elle était cependant belle et appartenait à une famille distinguée.

Son époux, Abu Salama, avait été l'un des premiers compagnons du Prophète à émigrer avec sa femme, d'abord en Abyssinie puis à Médine. C'était certainement un bon soldat de l'islam et un bon chef militaire. Il avait été blessé lors de la bataille d'Uhud, où il était resté fermement aux côtés du Prophète tandis qu'un grand nombre de ses compagnons étaient envahis par la confusion. Bien que sa blessure ait guéri et qu'il ait ensuite pu prendre le commandement d'une autre expédition (où il combattit la tribu des Asad), il souffrit d'une résurgence de sa blessure qui lui fut fatale.

Lorsque, plus d'un an après, le Prophète envoya quelqu'un demander la main d'Umm Salama, celle-ci fut enchantée. Être l'épouse du Prophète était un honneur qu'aucune femme musulmane n'aurait hésité à accepter. Elle craignait cependant de ne pas parvenir à s'acquitter de ses devoirs d'épouse du Messager de Dieu. Après tout, elle n'était plus jeune. Elle avait des enfants, dont certains étaient encore petits. Et le Prophète avait d'autres épouses. Elle répondit donc en s'excusant poliment : « Je ne peux pas m'empêcher d'être jalouse, je suis âgée et j'ai de jeunes enfants à charge. »

Néanmoins, le Prophète répondit : « Si tu es âgée, je suis plus âgé que toi. Dieu dissipera ta jalousie. Quant à tes dépendants, tu peux les confier à Dieu et Son messager. » Umm Salama était la troisième ou la quatrième épouse du Prophète à Médine. Il était déjà marié à Sawda, qui était une femme assez âgée ; à Aïsha, qui était toute jeune ; et peut-être à Hafsa, qui avait atteint la maturité.

L'expédition de Dumat al-jandal

La réticence des Quraysh à affronter à nouveau les musulmans au combat signifiait que l'initiative était désormais entièrement entre les mains des musulmans. Le Prophète souhaitait vivement que l'Etat musulman de Médine ne soit pas considéré comme une proie facile par ses ennemis éventuels. Ses informateurs lui apprirent que les tribus arabes de la région de Dûmat al-Jandal, dans le nord de l'Arabie aux confins de la Palestine et de la Syrie, attaquaient les caravanes commerciales et menaçaient les voyageurs.

Leurs exploits les avaient si bien convaincus de leur supériorité militaire qu'ils envisageaient d'attaquer Médine. Il apprit en outre qu'une force importante avait été mobilisée en vue de cette attaque. Par conséquent, de son côté, le Prophète mobilisa une troupe d'un millier de ses compagnons et partit vers le Nord à la rencontre de l'ennemi, voyageant de nuit et campant le jour afin de le prendre par surprise. Ce fut un long voyage : il leur fallut quinze nuits pour parcourir la distance. Un guide expérimenté avait été recruté pour leur montrer le chemin.

Les musulmans parvinrent de fait à prendre leurs ennemis par surprise et à envahir leur campement. Les hommes qui avaient été mobilisés pour attaquer Médine n'eurent plus d'autre choix que la fuite : ils partirent dans toutes les directions, laissant derrière eux leur bétail que les musulmans prirent comme butin. Les musulmans campèrent sur place pendant plusieurs jours, au cours desquels le Prophète envoya un certain nombre de troupes à la poursuite des fuyards pour s'assurer qu'ils ne se regroupaient pas un peu plus loin.

Personne ne souhaitait cependant se battre avec les musulmans, qui retournèrent à Médine après avoir également établi leur autorité dans la région du Nord. Cette expédition eut lieu durant le troisième mois de la cinquième année de l'émigration du Prophète à Médine.

L'expédition de Dûmat al-Jandal était significative de plusieurs points de vue. D'abord, elle complétait l'activité militaire précédemment entreprise par les musulmans, lorsqu'ils avaient envoyé leurs forces à l'Est vers le Najd, au coeur de l'Arabie, puis au Sud pour affronter les Quraysh à Badr, un affrontement qui n'avait pas eu lieu parce que l'adversaire ne s'était pas présenté. Maintenant, cette expédition vers le Nord confirmait l'autorité des musulmans dans toutes les régions autour de Médine. Personne n'envisagerait désormais le projet d'une attaque rapide sur Médine.

Après tout, tous comprenaient que la position interne des musulmans à Médine était maintenant bien plus solide après l'expulsion de la tribu d'an-Nadîr. Un autre facteur avait rendu cette expédition nécessaire : le Prophète était conscient que l'Empire byzantin représentait une autre source de danger, même si ce n'était pas à très court terme. Toutes les régions situées au nord de l'Arabie, à partir de la Palestine et au-delà, appartenaient à l'Empire byzantin, dont l'autorité s'étendait à la Syrie et, vers l'Est, jusqu'aux confins de ce qui est aujourd'hui l'Irak.

Les tribus arabes du nord de la péninsule arabique ne craignaient aucune autorité autant que les Byzantins. L'Empereur de Byzance, quant à lui, n'imaginait même pas qu'un quelconque événement puisse survenir en Arabie pour menacer son pouvoir. Il était donc nécessaire de susciter la crainte de l'État musulman chez les tribus arabes du Nord, afin qu'elles comprennent que le meilleur choix s'offrant à elles était d'être en paix avec l'État musulman.

Cela serait utile à long terme, quand les musulmans seraient amenés à se battre contre les Byzantins, parce que cela dissuaderait ces tribus arabes d'attaquer l'armée musulmane par-derrière. Elles hésiteraient aussi à aider les Byzantins contre les musulmans. L'expédition de Dûmat al-Jandal fut aussi importante dans la mesure où elle donna aux musulmans un avant-goût de ce à quoi ils pourraient s'attendre s'ils devaient combattre les Byzantins. Elle leur apporta l'expérience indispensable de la longue traversée du désert de Médine vers l'Arabie du nord, les préparant à entreprendre à nouveau ce voyage si cela s'avérait nécessaire.

Les musulmans prirent donc part à quatre événements majeurs, sans qu'il leur soit nécessaire de se battre. La tactique du Prophète consistant à attaquer lui même ceux qui se préparaient à l'attaquer avant qu'ils n'aient eu le temps d'achever leurs préparatifs fut très efficace pour épargner à l'État musulman plusieurs situations où il aurait pu souffrir grandement. De fait, l'État musulman se trouvait durant toute cette période sur la défensive. Toutes les attaques lancées par les musulmans étaient en réalité des contre-attaques.

Néanmoins, la puissance de leurs ennemis s'érodait progressivement et les ennemis de l'islam, à l'affût d'une occasion d'obtenir une avancée dans leur lutte contre l'islam, devaient bientôt revoir fondamentalement leur stratégie.