Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

20,00 €

La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

5,90 €

 

Les délégations d'Arabie

 

Avant l'avènement de l'islam, les tribus arabes reconnaissaient aux Quraysh la plus haute position d'honneur et d'autorité en Arabie. Quand elles virent les Quraysh adopter une attitude ouvertement hostile à l'islam, la religion prêchée par le Prophète Muhammad , toutes les tribus arabes à l'exception des Aws et des Khazraj de Médine se joignirent aux Quraysh dans leur hostilité envers l'islam ou restèrent neutres. Ce dernier groupe des tribus neutres ne se donna même pas la peine de considérer ce qu'était la religion musulmane. Les mérites de cette cause importaient peu. Ces tribus ne voyaient dans leur mode de vie rien de mauvais susceptible d'être réformé par l'islam.

Elles n'aspiraient pas non plus à jouer un rôle important dans l'amélioration de la qualité de la vie humaine en embrassant la cause musulmane. Elles préféraient simplement rester dans l'expectative. Si l'islam triomphait, elles seraient prêtes à envisager sérieusement de rallier son camp. S'il était vaincu, elles auraient pris les précautions appropriées pour rester en bons termes avec les Quraysh. Les délégations se succédèrent à Médine, soit pour s'informer des éléments essentiels de la religion musulmane, soit pour déclarer leur allégeance au Prophète et leur foi en l'unicité de Dieu et le message de Muhammad.

Certaines délégations venaient toutefois dans des objectifs différents. Nous ne décrirons ici que les visites des délégations revêtant une importance particulière.

Des hommes avides de pouvoir

L'une des premières délégations à arriver à Médine fut celle de la tribu de 'Amir. Cette délégation comprenait deux hommes qui ne possédaient pas la moindre étincelle de foi, Âmir ibn at-Tufayl et Arbad ibn Qays. Ce dernier était réputé en Arabie pour sa force physique et son intrépidité. Les autres membres de la délégation comprirent que Amir n'était pas animé de bonnes intentions envers le Prophète . Certains essayèrent de le dissuader d'agir de manière irréfléchie.

Ils firent valoir que la plupart des Arabes étaient maintenant devenus musulmans, et qu'il n'était que sage et réaliste que leur propre tribu en fasse autant. Amir répondit à ceux qui lui avaient donné ce conseil : « Je me suis juré de ne pas m'arrêter tant que je n'aurais pas contraint les Arabes à accepter mon autorité. Serait-ce moi maintenant qui accepterais l'autorité d'un homme de Quraysh ? »

Les autres membres de la délégation étaient d'un avis différent. Quand ils rencontrèrent le Prophète , ils lui dirent : « Tu es notre maître et celui qui détient l'autorité sur nous. » Le Prophète répondit : « Faites attention à ce que vous dites et ne laissez pas Satan vous induire en erreur. Le Maître, c'est Dieu. » Le Prophète voulait dire par là qu'ils ne devaient pas le placer dans la position d'un chef tribal ni même dans celle d'un roi. Il ne tenait son autorité que de son statut de prophète et de messager de Dieu.

Ils devaient reconnaître ce fait en s'adressant à lui. 'Amir ibn at-Tufayl était cependant animé d'intentions différentes. Il dit à son ami Arbad ibn Qays : « Quand nous nous assiérons en compagnie de cet homme, j'essaierai de détourner son attention pour te donner l'occasion de le frapper de ton sabre. » Lorsqu'ils rencontrèrent le Prophète pour discuter avec lui du but de leur visite, Amir lui dit qu'il voulait lui parler en privé. Le Prophète répondit : « Pas tant que tu n'auras pas déclaré ta foi en l'unicité divine. » Amir répéta sa requête, et le Prophète réitéra sa condition.

Tandis que cette discussion se poursuivait entre le Prophète et Amir, ce dernier attendait que son ami Arbad frappe le Prophète de son sabre. Arbad ne bougea pas. Amir dit alors au Prophète : « Je vais te proposer trois possibilités : tu gouverneras les gens de la ville et je gouvernerai les gens du désert ; ou bien je serai ton successeur ; ou sinon je rassemblerai les Ghatafân contre toi en mobilisant des milliers de cavaliers. » Le Prophète rejeta les trois propositions et la délégation ne tarda pas à partir.

Amir dit à Arbad, l'intrépide combattant qui était censé tuer le Prophète : « Maudit sois-tu, Arbad. Pourquoi n'as-tu pas fait ce que je t'avais dit ? Je n'ai jamais craint un homme sur terre comme je te craignais. Par Dieu, tu ne m'inspireras plus aucune crainte à l'avenir. » Arbad répondit : « Ne me blâme pas. À chaque fois que j'étais sur le point de faire ce que tu m'avais demandé, je te voyais entre lui et moi. Si j'avais levé mon arme, je t'aurais frappé. Aurais-tu voulu que je te frappe de mon sabre ? »

Tandis que la délégation partait, le Prophète implora Dieu de le préserver des manigances de Amir ibn at-Tufayl. Sur le chemin du retour, Amir contracta une maladie au cou et mourut rapidement alors qu'il était soigné chez une femme de la tribu des Salûl. Quand les autres membres de la délégation arrivèrent chez eux, leurs contribules vinrent les questionner au sujet de leur mission. Ils parlèrent à Arbad et lui demandèrent ce que le Prophète lui avait dit. Sa réponse fut : « Il m'a demandé d'adorer quelqu'un que je voudrais avoir devant moi en ce moment pour le cribler de flèches et le tuer. » À peine un jour ou deux plus tard, Arbad partit de chez lui avec un chameau. Un orage éclata et il fut atteint par la foudre qui le brûla ainsi que son chameau.

Une délégation pleine d'empressement

La délégation de la tribu des Abd al-Qays eut une attitude totalement différente. À leur arrivée, le Prophète demanda aux membres de cette délégation de quelle tribu ils provenaient. Ils répondirent : « Nous sommes de Rabî'a. » C'était le nom de la tribu principale dont les Abd al-Qays constituaient un clan. Le Prophète leur dit : « Bienvenue à une délégation qui ne subira pas d'humiliation et n'aura aucun regret. »

Ils manifestèrent tout de suite leur loyauté au Prophète. Il a été relaté qu'avant leur arrivée, le Prophète avait dit en parlant à ses compagnons : « Un groupe de voyageurs va arriver de cette direction : ce sont les meilleurs des gens de l'Est. » 'Umar partit dans cette direction au-devant de la délégation. Il rencontra un groupe de treize voyageurs qui lui dirent qu'ils appartenaient à la tribu des Abd al-Qays. Lorsqu'il leur demanda s'ils venaient pour le commerce, ils répondirent que non.

Il leur dit alors que le Prophète avait parlé d'eux en termes élogieux un moment auparavant. Il les accompagna jusqu'à l'endroit où le Prophète se trouvait. 'Umar le leur montra et ils s'empressèrent de mettre pied à terre et d'aller le saluer. Certains marchaient, d'autres couraient. Ils baisèrent la main du Prophète. Un homme, connu sous le nom d'al-Ashajj (l'homme avec une coupure au front) resta en arrière. Il s'occupa des chameaux et mit des vêtements propres avant de s'approcher du Prophète et de lui baiser la main. Le Prophète lui dit : « Tu as deux qualités appréciées de Dieu : la patience et la retenue. » L'homme demanda au Prophète s'il avait acquis ces qualités ou si Dieu l'avait créé ainsi : le Prophète lui répondit qu'il était né avec elles. L'homme dit alors : « Louange à Dieu qui m'a créé avec ces deux qualités aimées de Dieu et de Son messager. »

Les membres de la délégation n'avaient aucun doute sur l'attitude à adopter : ils étaient déjà musulmans. Ils demandèrent au Prophète de leur enseigner quelque chose qui leur suffirait pour vivre selon les principes de l'islam et être sûrs que Dieu serait satisfait d'eux et les admettrait au Paradis. Le Prophète dit : « Je vous ordonne de faire quatre choses et je vous en interdis quatre autres. Je vous ordonne de n'adorer que Dieu Seul. Savez-vous ce que signifie croire en Dieu ? C'est déclarer qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et que Muhammad est Son messager, d'être assidus dans vos prières, de vous acquitter de la zakât, de jeûner pendant le mois de ramadan et de donner le cinquième des butins de guerre à l'autorité musulmane. »

Il leur interdit aussi d'employer quatre types de récipients qui servaient à la fabrication de boissons alcoolisées. L'un d'eux s'appelait naqîr. Ils étaient certains qu'il était inconnu dans le centre de l'Arabie (leur tribu vivait dans la partie est, alors appelée Bahreïn). Quand le Prophète en parla, ils lui demandèrent s'il savait ce que c'était. Il répondit : « C'est fait d'un tronc d'arbre où l'on pratique un trou. Vous y mettez des dattes, vous ajoutez de l'eau et vous faites bouillir. Quand le mélange a refroidi, vous le buvez. Cela produit un effet tel que l'un de vous peut frapper son cousin de son sabre. »

Le Prophète mentionnait cela parce qu'il savait que la délégation comprenait un homme dont le cousin l'avait frappé de son sabre. Cet homme essayait de cacher sa blessure au Prophète. La délégation comprenait aussi un homme qui s'appelait al-Jârûd ibn Bishr et était chrétien. Il dit au Prophète : « Messager de Dieu, je suivais une religion que j'abandonne maintenant pour suivre la tienne. Peux-tu me garantir ta religion ? » Le Prophète répondit : « Oui, certes. Je te garantis que ce en quoi je t'invite à croire est meilleur que ta religion actuelle. »

L'homme déclara sa conversion à l'islam. Il se montra ferme dans sa nouvelle foi. Après la mort du Prophète , un grand nombre de ses contribules retournèrent à leurs croyances païennes. Lui-même resta ferme au contraire et dit à ses contribules : « Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, l'Unique, qui n'a aucun associé, et je témoigne que Muhammad est Son serviteur et Son messager. Quiconque ne croit pas cela est un négateur. »

Dialogue avec un sage bédouin

Dammâm ibn Tha'laba, un bédouin de la tribu de Sa'd ibn Bakr, était un homme très direct. Les compagnons du Prophète étaient ravis quand un sage bédouin venait questionner le Prophète : ces questions étaient généralement très utiles car le Prophète était conscient qu'il fallait qu'il donne à son interlocuteur des réponses satisfaisantes combinant une approche directe et une formulation précise. Dammâm était un exemple unique de ce genre d'hommes. Quand il arriva à Médine, il se rendit directement à la mosquée et descendit de son chameau devant la porte.

Il attacha son chameau et entra dans la mosquée où il trouva le Prophète assis avec un groupe de ses compagnons. Les compagnons du Prophète levèrent la tête, se demandant qui était cet homme rude à la chevelure épaisse qui s'approchait. Arrivé près d'eux, l'homme demanda : « Lequel d'entre vous est le fils de Abd al-Muttalib ? » - Abd al-Muttalib était le grand-père du Prophète.
Le Prophète répondit : « Je suis son fils. » Vint alors cette conversation remarquable entre l'homme et le Prophète :

Dammâm : - Muhammad !
Le Prophète : - Oui.
- Fils de Abd al-Muttalib, je vais te poser des questions, mais je vais être dur avec toi. Ne sois pas fâché contre moi.
- Je ne serai pas fâché contre toi. Tu peux demander ce que tu veux.
- Je te le demande par ton Dieu, le Dieu de ceux qui ont vécu avant toi et le Dieu de tous ceux qui vivront après toi : est-ce Dieu qui t'a envoyé à nous comme messager ?
- Oui, assurément.
- Je te le demande par ton Dieu, le Dieu de ceux qui ont vécu avant toi et le Dieu de tous ceux qui vivront après toi : est-ce Dieu qui t'a ordonné de nous dire que nous ne devons adorer que Lui, sans Lui attribuer aucun associé, et désavouer les associés adorés par nos aïeux ?
- Oui, assurément.
- Je te le demande par ton Dieu, le Dieu de ceux qui ont vécu avant toi et le Dieu de tous ceux qui vivront après toi : Dieu t'a-t-Il ordonné que nous accomplissions ces cinq prières chaque jour ?
- Oui.
- Je te le demande par Dieu : Dieu t'a-t-Il ordonné de prendre une partie de l'argent des plus riches d'entre nous pour le distribuer aux pauvres ?
- Oui, certes.
- Je te le demande par Dieu : Dieu t'a-t-Il ordonné, ainsi qu'à nous, de jeûner ce mois tous les douze mois ?
- Oui, certes.
- Je te le demande par Dieu : Dieu t'a-t-Il ordonné que ceux d'entre nous qui en ont les moyens accomplissent le pèlerinage à la Maison ?
- Oui, certes.
- Je déclare qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu et je déclare aussi que Muhammad est le Messager de Dieu. J'accomplirai assurément ces devoirs et je m'abstiendrai de ce que tu m'as interdit. Je n'y ajouterai rien, et je n'en omettrai rien.
Dammâm repartit directement à son chameau et s'en alla. Le Prophète dit à ses compagnons : « Si cet homme aux cheveux tressés en deux nattes honore son engagement, il entrera au Paradis. » 'Umar ibn al-Khattâb devait dire plus tard :
« Jamais je n'ai entendu quelqu'un poser ses questions de manière aussi précise et concise que Dammâm ibn Tha'laba. »

Dammâm retourna directement dans sa tribu. Quand ses contribules le virent arriver, ils se rassemblèrent autour de lui pour écouter le compte-rendu de sa mission. Ses premiers mots furent : « Al-Lât et al-'Uzzâ ne valent rien. » Ce fut un choc pour ses contribules que de l'entendre déclarer de but en blanc que les deux principales idoles adorées en Arabie ne valaient rien. Ils lui déconseillèrent de parler ainsi, de crainte que les idoles ne le punissent. Ils lui dirent qu'il risquait d'être atteint de lèpre ou de folie. Il répondit : « Elles ne peuvent assurément faire aucun mal ni aucun bien à personne. Dieu a envoyé un messager et lui a révélé Ses enseignements afin de vous sauver de votre égarement. Je déclare qu'il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, l'Unique, qui n'a aucun associé, et je déclare que Muhammad est le serviteur et le Messager de Dieu. Je vous ai rapporté les détails de ce que Dieu vous ordonne et de ce qu'il vous interdit. »

Le soir venu, toute la tribu de Sa'd ibn Bakr, hommes et femmes, avait embrassé l'islam. Ibn 'Abbâs a dit que Dammâm ibn Tha'laba était le meilleur délégué jamais reçu par le Prophète . Ce fut une mission réussie accomplie par un homme qui cherchait la vérité et s'y conformait lorsqu'il l'apprenait. Il aborda sa mission franchement, agit en toute honnêteté et en tira les conséquences en homme responsable.

Musaylima, l'imposteur

Une autre délégation arriva à Médine de la part de la tribu de Hanîfa, de Yamâma, une région lointaine de l'Arabie. Cette délégation nombreuse comprenait un homme du nom de Musaylama. Musaylama était semble-t-il un homme ambitieux ; il avait coutume de dire à ses contribules que si Muhammad faisait de lui son successeur, il se rallierait à lui. Or, le Prophète n'a jamais accordé cette position à personne.

Quand la délégation arriva à Médine, elle laissa Musaylama garder ses chameaux et ses biens et alla trouver le Prophète. Après des discussions détaillées avec le Prophète, les membres de la délégation embrassèrent l'islam et prêtèrent serment d'allégeance au Prophète. Ils lui dirent aussi qu'ils avaient laissé Musaylama garder leurs biens. Le Prophète ordonna qu'on lui donne une part de cadeaux égale à celle reçue par les autres membres de la délégation, ajoutant cette remarque : « Sa position n'est pas moindre. »

Le Prophète entendait par là que ce n'était pas déshonorant pour cet homme de rester en arrière pour garder les biens de ses compagnons. Quand les membres de la délégation rentrèrent chez eux à Yamâma, Musaylama prétendit être un prophète. Il dit à ses contribules qu'il avait reçu une part de la prophétie égale à celle de Muhammad . Il dit aux membres de la délégation : « Ne vous a-t-il pas dit quand vous avez parlé de moi que ma position n'était pas moindre lorsque j'étais resté en arrière ? Il savait assurément que j'étais son associé. »

Musaylama prétendit également avoir reçu des révélations divines. Il avait l'habitude de répéter quelques phrases rimées assez ridicules. Il dit aussi à ses concitoyens qu'il annulait l'interdiction des boissons enivrantes et de la fornication. Il leur ordonna également de ne pas prier. Il continua cependant à parler du Prophète comme d'un messager de Dieu : il voulait seulement être son égal. Ses contribules le suivirent.

Un autre récit avance que Musaylama rencontra le Prophète avant le départ de la délégation de Hanîfa. Il demanda semble-t-il au Prophète de lui attribuer une position honorable. Le Prophète lui répondit qu'il ne lui donnerait pas même un morceau de bois, et qu'il ne pouvait échapper à la volonté divine. Il lui dit également qu'il avait fait un rêve et qu'il supposait que c'était de lui que ce rêve parlait. Ibn Abbâs a relaté s'être renseigné sur cette parole du Prophète concernant ce rêve, et qu'Abû Hurayra, un autre compagnon du Prophète, lui a rapporté que le Messager de Dieu a dit :

« Tandis que je dormais, je me suis vu portant au bras deux bracelets d'or. Dans mon rêve, sur une inspiration, je soufflai dessus et ils s'envolèrent. Je les interprétai comme représentant deux menteurs qui affirmeraient leurs prétentions plus tard. Les voici maintenant : l'un d'eux est celui des 'Ans, à San'â ; le second est Musaylama, le menteur de Yamâma. » (Ce hadîth est rapporté par al-Bukhârî et Muslim.)

Musaylama parvint à rassembler autour de lui une force importante. Une bataille l'opposa aux forces de l'islam après la mort du Prophète et il y trouva la mort. Il causa d'importants dommages pendant un certain temps, peu après la mort du Prophète et au début du califat d'Abû Bakr.

Les chrétiens de Najran

Dans le sud de l'Arabie, non loin du nord du Yémen se trouve la ville de Najrân. À l'époque du Prophète , Najrân et la vallée environnante étaient chrétiennes. Il s'y trouvait un évêque nommé Abu Hâritha ibn Alqama, de la tribu de Bakr ibn Wa'il. Cet homme était considéré comme une autorité en matière de foi chrétienne. Il était en contact avec les empereurs de Byzance qui le respectaient, le soutenaient financièrement et l'aidaient à construire des églises dans la région.

Lorsque le conflit en Arabie évolua nettement en faveur des musulmans, le Prophète envoya une lettre à l'évêque de Najrân lui disant : « Au nom du Dieu adoré par Abraham, Isaac et Jacob. Je t'appelle à adorer Dieu Seul et à n'adorer personne d'autre avec Lui, et je t'appelle à ne faire allégeance qu'à Dieu plutôt qu'à aucun de Ses serviteurs. Si tu refuses, tu devras payer la jizya [un impôt donnant droit à sa protection pour ceux qui le payaient]. Si tu refuses cela aussi, je te déclarerai la guerre. »

Lorsque l'évêque lut cette lettre du Prophète , il comprit que l'affaire était très sérieuse. Il en fut fort contrarié. Il convoqua un nommé Shurahbîl ibn Wadâ'a, un homme avisé qu'il consultait toujours quand il était confronté à un problème. Il n'appela aucun des notables de Najrân avant lui. Quand il arriva, l'évêque lui donna à lire la lettre du Prophète et lui demanda : « Abu Maryam, qu'en dis-tu ? » Shurahbîl répondit : « Tu sais bien que Dieu a promis à Abraham d'envoyer un messager appartenant aux enfants d'Ismaël. Tu ne peux pas exclure la possibilité que cet homme soit ce messager. Je n'ai aucune opinion ni aucun jugement à donner concernant la prophétie. S'il s'était agi d'une affaire de ce monde, je t'aurais donné mon opinion et j'y aurais réfléchi attentivement. »

L'évêque lui demanda de s'asseoir à l'écart. Il fit alors entrer d'autres personnages pour les consulter : 'Abdullâh ibn Shurahbîl de la tribu d'Asbah et Jabbâr ibn Fayd de la tribu d'al-Hârith. Ceux-ci donnèrent exactement le même avis que Shurahbîl ibn Wadâ'a. Cela poussa l'évêque à décider de convoquer une réunion publique. Les cloches des églises sonnèrent pour annoncer aux gens qu'une affaire sérieuse devait être examinée. Des gens arrivèrent de toute la vallée pour savoir de quoi il retournait. Il se trouvait dans la vallée soixante-treize villages qui pouvaient mobiliser plus de cent mille combattants.

L'évêque lut la lettre du Prophète à l'assemblée et demanda aux gens leur opinion. Ils décidèrent d'un commun accord d'envoyer à Médine une délégation de soixante hommes, dirigée par les trois hommes consultés en premier et comprenant des notables occupant des fonctions officielles, afin de se renseigner directement au sujet du Prophète. Lorsque les membres de la délégation arrivèrent à Médine, ils se changèrent et revêtirent leurs plus beaux vêtements, qui étaient en soie. Ils mirent aussi des bagues en or.

Ils saluèrent le Prophète , mais celui-ci ne répondit pas. Ils essayèrent de lui parler, mais il ne voulait pas répondre. Déroutés par son comportement, ils se mirent à la recherche de deux compagnons du Prophète qu'ils connaissaient bien, 'Uthmân ibn Affân et Abd ar-Rahmân ibn Awf. Ceux-ci étaient marchands et avaient souvent fait du commerce avec Najrân. Ils les trouvèrent en compagnie d'autres musulmans des muhâjirûn et des ansâr. Ils leur dirent que le Prophète leur avait écrit et qu'ils étaient venus en réponse à sa lettre, mais qu'il n'avait pas voulu répondre à leurs salutations ni leur adresser la parole.

'Uthmân et Abd ar-Rahmân demandèrent à Alî, le cousin et gendre du Prophète, ce qu'il pensait de la situation. Alî répondit : « Je pense qu'ils devraient ôter ces vêtements et ces bagues et remettre leurs vêtements de voyage avant de retourner voir le Prophète. » Une fois qu'ils eurent mis en pratique la suggestion de 'Alî, le Prophète répondit à leurs salutations et leur parla d'un ton accueillant. Ils discutèrent longuement avec le Prophète à la mosquée. Quand vint le moment de leurs prières du soir, ils s'apprêtèrent à prier, mais certains compagnons du Prophète voulurent les en empêcher.

Le Prophète leur ordonna de laisser les gens de Najrân prier comme ils en avaient l'habitude. La discussion reprit ensuite et dura longtemps. Les membres de la délégation finirent par demander au Prophète : « Que dis-tu à propos de Jésus ? Etant chrétiens, nous aimerions connaître ton opinion afin de la rapporter à nos concitoyens. » Le Prophète répondit : « Je n'ai rien à dire à son sujet aujourd'hui. Vous devrez rester jusqu'à ce que je puisse vous dire ce qui me sera révélé au sujet de Jésus, la paix soit sur lui. »

Le lendemain matin, le Prophète reçut de nouvelles révélations coraniques disant : « Pour Dieu, l'origine de Jésus est similaire à celle d'Adam. Dieu l'a créé d'argile, puis lui a dit : "Sois !" et il fut. Voilà la Vérité qui émane de ton Seigneur. Ne sois donc point du nombre des sceptiques. À ceux qui engagent avec toi une polémique au sujet de Jésus, à présent que tu es bien informé, propose ce qui suit : "Appelons nos enfants et les vôtres, nos femmes et les vôtres, joignons-nous tous à eux et adjurons Dieu de maudire ceux d'entre nous qui sont des menteurs." » (3.59-61)

Lorsque le Prophète rapporta le lendemain à la délégation de Najrân les informations qu'il avait reçues au sujet de Jésus, ils refusèrent de les reconnaître. Le Prophète leur proposa alors le défi précisé dans les versets coraniques suscités. Le défi était grave. Il signifiait pour les gens de Najrân qu'ils couraient le risque d'être maudits par un prophète et messager de Dieu. Une telle perspective ne devait pas être prise à la légère. Le lendemain matin, le Prophète arriva accompagné de ses deux petits-enfants, Hasan et Husayn. Sa fille Fâtima marchait derrière lui. Il avait également à l'époque plusieurs épouses.

Quand les gens de Najrân les virent, Shurahbîl ibn Wadâ'a comprit que le moment de vérité était arrivé. Il dit aux autres chefs de la délégation, Abdullâh ibn Shurahbîl et Jabbâr ibn Fayd :

Vous savez l'un comme l'autre que notre vallée ne reconnaît pas d'autre opinion que la mienne. Je pense que l'affaire est extrêmement sérieuse. Si cet homme est un roi, et que nous sommes les premiers parmi les Arabes à rejeter son autorité et à le défier, il nous en voudra toujours et n'aura de cesse de nous avoir vaincus. Nous ne vivons pas très loin de son territoire. Si, par contre, il est véritablement un prophète et messager de Dieu et que nous échangeons des malédictions avec lui, nous serons perdus jusqu'au bout des cheveux et des ongles.

Les deux hommes répliquèrent : « Que proposes-tu alors ? L'issue n'est pas facile. » Shurahbîl poursuivit : « Mon opinion est que nous acceptions son jugement. Je vois en lui un homme qui est un modèle de justice et d'équité. » Les deux hommes acceptèrent l'idée de Shurahbîl. Quand Shurahbîl se trouva face au Prophète , il lui dit : « J'ai trouvé mieux que d'échanger des malédictions avec toi. » Comme le Prophète lui demandait ce que c'était, Shurahbîl répondit : « Je vais te laisser toute la journée jusqu'au soir, puis toute la nuit jusqu'au matin, pour donner ton verdict sur notre situation. Quel que soit ton jugement, nous l'accepterons. »

Le Prophète lui dit : « Il y aura peut-être chez toi des gens qui te reprocheront cela. » Shurahbîl suggéra au Prophète de demander à ses deux compagnons quelle était sa position parmi les siens. Ceux-ci l'informèrent que la vallée tout entière n'acceptait pas d'autre opinion que celle de Shurahbîl. Le Prophète observa alors : « C'est un bon jugement de la part de quelqu'un qui rejette la foi. » La proposition des gens de Najrân d'accepter sans contestation le jugement du Prophète en lui donnant vingt-quatre heures pour le leur faire connaître signifiait qu'ils voulaient un traité de paix et lui laissaient le choix des termes de ce traité en s'engageant à les accepter quels qu'ils soient. Ils comptaient sur l'équité absolue qu'ils lui connaissaient.

Le lendemain, ils allèrent trouver le Prophète qui fit consigner par écrit les termes de l'accord de paix. Les conditions convenues étaient les suivantes :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce que Muhammad, le Prophète et Messager de Dieu, a écrit pour les gens de Najrân alors qu'il jouit de l'autorité sur tous leurs fruits, leur or, leur argent, leurs récoltes et leurs esclaves. Il leur laisse gracieusement tout cela en échange de deux mille hulla chaque année, à payer à raison de mille au mois de rajab et mille au mois de Safar. Chaque hulla équivaut à une once [une mesure égale à quatre dirhams]. Les Najrân devront aussi assurer le logement et l'entretien de mes messagers pour une durée allant jusqu'à vingt jours. Aucun de mes messagers ne restera à Najrân plus d'un mois.

Ils devront aussi consentir un prêt de trente armures, trente chevaux et trente chameaux en cas de troubles et de trahison au Yémen. Si des armures, chevaux ou chameaux prêtés à mon messager sont perdus, ils resteront dus par lui jusqu'à leur restitution. Najrân jouit de la protection de Dieu et de l'engagement de Muhammad, le Prophète, de protéger la vie des habitants, leur religion, leur terre, leurs biens, ceux qui sont absents et ceux qui sont présents, ainsi que leur clan et leurs alliés. Ils n'auront pas à modifier leurs coutumes passées. Il ne sera porté atteinte ni à leurs droits ni à leur religion. Aucun évêque, moine ou gardien d'église ne sera évincé de sa position. Tout ce qu'ils possèdent, quelle qu'en soit l'importance, reste à eux. Aucun soupçon ne pèse sur eux et ils ne feront pas l'objet de représailles. Il ne leur est pas demandé de se mobiliser et aucune armée ne s'emparera de leurs terres.

Si l'un d'eux demande la restitution d'un droit, la justice sera administrée entre eux. Quiconque perçoit des intérêts sur des prêts passés est exclu de ma protection. Personne à Najrân n'est tenu pour responsable d'une injustice commise par un autre.

Telles étaient les principales dispositions de l'accord de paix dont furent témoins Abu Sufyân ibn Harb, Ghaylân ibn Amr, Mâlik ibn Awf, al-Aqra' ibn Hâbis et al-Mughîra ibn Shu'ba. Le traité conclu, les membres de la délégation de Najrân prirent le chemin du retour. En route, ils rencontrèrent l'évêque et les notables de Najrân qui avaient voyagé une nuit durant pour aller au-devant d'eux. A côté de l'évêque se trouvait son demi-frère et cousin Bishr ibn Mu'awiya, également appelé Abu 'Alqama. On donna à l'évêque le texte du traité. Tandis qu'il le lisait, avec à côté de lui Abu Alqama sur sa chamelle, la chamelle trébucha.

Dans sa colère, Bishr s'exclama : « Maudit soit cet homme ! » c'est-à-dire le Prophète . L'évêque lui dit : « Tu as maudit un prophète envoyé par Dieu. » Bishr répondit : « Vraiment ! Par Dieu, je ne laisserai pas ma chamelle se reposer avant d'être arrivé près de lui. » Il orienta sa chamelle vers Médine et se mit en route. L'évêque le rattrapa et lui dit : « Comprends-moi, je t'en prie. J'ai dit cela uniquement pour que les Arabes le sachent. Je crains qu'ils ne disent que nous avons été naïfs ou que nous avons donné à cet homme ce qu'aucune autre tribu ne lui a donné alors que nous sommes les plus forts et les plus puissants d'entre eux. »

Bishr répliqua : « Par Dieu, jamais je ne te pardonnerai ce que tu as dit. » Il fit partir sa chamelle à vive allure, laissant l'évêque derrière lui. Il se rendit directement chez le Prophète et déclara sa conversion à l'islam. Il resta à Médine et mourut en martyr au cours d'une bataille en combattant pour la cause de l'islam.

La délégation poursuivit sa route jusqu'à Najrân où elle fut accueillie par le reste de la population. Peu après, les membres de la délégation rendirent visite à un ermite du nom d'Ibn Abî Shammar az-Zubaydî. Celui-ci se trouvait en haut de son ermitage. Ils lui relatèrent les contacts entre Najrân et le Prophète depuis la lettre du Prophète à l'évêque. Ils lui dirent également comment Bishr, le frère de l'évêque, était parti pour Médine après que l'évêque avait dit que Muhammad était un prophète. L'ermite, très intéressé, voulut descendre. Il leur dit : « Si vous ne me laissez pas sortir, je me jetterai du haut de cet ermitage. » Il emporta un cadeau et alla trouver le Prophète.

Le cadeau comportait un vêtement que les califes continuèrent à porter longtemps après la mort du Prophète. L'ermite resta un certain temps à Médine pour écouter les révélations coraniques et apprendre les pratiques cultuelles. Cependant, il ne déclara pas sa conversion à l'islam. Il demanda au Prophète la permission de repartir chez lui en disant : « J'ai à faire, et je reviendrai si Dieu le veut. » Il ne retourna toutefois pas à Médine du vivant du Prophète.

Il est utile de mentionner ici que si un adepte d'une religion antérieure déclare que Muhammad est un prophète ou un messager de Dieu, cette affirmation ne fait pas pour autant de lui un musulman. Cela ne suffit pas à affirmer sa conversion ; cela montre simplement que cette personne sait que Muhammad est un messager de Dieu, mais être musulman nécessite plus que cette simple connaissance, même si elle est exprimée par des paroles. Être musulman signifie croire en l'unicité de Dieu et le message de Muhammad et l'accepter en pratique en faisant de l'obéissance à Dieu et au Prophète, en public et en privé, son mode de vie.

L'histoire des gens de Najrân serait incomplète si l'on ne mentionnait pas un épisode qui eut lieu plus tard, lorsque le Prophète envoya son émissaire Khâlid ibn al-Walîd à la tribu d'al-Hârith ibn Ka'b à Najrân. Le Prophète ordonna à Khâlid d'appeler ces gens à embrasser l'islam. Quand Khâlid arriva, il envoya des messagers de toutes parts pour appeler les gens à embrasser l'islam. Ils acceptèrent sans grande hésitation. Khâlid resta quelque temps sur place pour apprendre aux gens comment vivre selon l'islam. Il écrivit au Prophète pour l'informer de l'issue de sa mission et le Prophète répondit en lui demandant de rentrer à Médine en emmenant avec lui une délégation de cette tribu.

Quand les membres de la tribu arrivèrent à Médine et parlèrent au Prophète, il leur demanda : « Comment avez vous remporté vos victoires à l'époque préislamique ? » Ils répondirent : « Nous restions unis et ne permettions à rien de nous diviser en groupes. En outre, nous n'avons jamais été les initiateurs d'une injustice. » Le Prophète répondit : « Vous dites la vérité. » Il nomma Qubays ibn al-Husayn à la tête de cette tribu.