Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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La bataille de Hunayn

 

La chute de La Mecque aux mains des musulmans fut un coup sévère pour tous les négateurs d'Arabie. Aucun d'entre eux n'aurait pu imaginer que la structure de l'idolâtrie était si pourrie de l'intérieur qu'elle ne pourrait plus résister à une attaque résolue. Dans une confrontation prolongée comme celle qui avait lieu en Arabie à l'époque, on ne pouvait pas s'attendre à ce que, une fois La Mecque tombée, tous les négateurs déposent les armes. Il restait en Arabie des tribus importantes toujours aussi opposées à l'islam. À leurs yeux, le conflit n'était pas encore terminé, malgré la chute de La Mecque. Elles pensaient pouvoir réunir des troupes assez importantes pour vaincre les musulmans.

L'une de ces tribus arabes était celle des Hawâzin, qui vivait dans une région montagneuse près de Tâ'i. Tâ'if elle-même était la zone la plus fertile d'Arabie ; on y célébrait le culte d'al-Lât, la seconde plus grande idole des Arabes après Hubal. Tâ'if était aussi la ville d'une autre tribu arabe importante, les Thaqîf. Des notables de ces deux tribus se rencontrèrent pour se consulter. Leur principale crainte était que Muhammad ne manquerait pas de se retourner contre eux maintenant qu'il avait vaincu les Quraysh. Leur identité même leur semblait menacée. Muhammad allait sûrement changer leur religion, détruire les idoles et leur imposer son autorité.

Or, ils ne voulaient rien de tout cela. Ils décidèrent donc de prendre l'initiative contre les musulmans avant que ceux-ci n'aient le temps de marcher sur eux. Hawâzin était l'élément le plus actif de cette alliance pernicieuse. Son chef, Mâlik ibn Awf, était un jeune homme doté d'un immense courage. Il tenta de rassembler tous les clans pour ce dernier assaut. Plusieurs tribus arabes se joignirent à lui : les Nasr, les Jusham, les Sa'd ibn Bakr et certains groupes des Hilâl. Les absents les plus notoires étaient les tribus de Ka'b et de Kilab.

Les forces alliées de toutes ces tribus décidèrent de donner le commandement général à Mâlik dont elles admiraient l'enthousiasme. Cependant, malgré cet enthousiasme, Mâlik ne possédait aucune sagesse pratique, comme le montre cette conversation entre Mâlik et un vieil homme des Jusham appelé Durayd ibn as-Summa, qui était le sage de sa tribu. Si Durayd avait eu vingt ans de moins, il aurait très probablement été choisi comme commandant. Son grand âge le reléguait toutefois au rang de conseiller.

Quand les forces des Hawâzin et leurs alliés eurent établi leur camp dans une vallée appelée Awtâs, Durayd dit à Mâlik : « Tu as maintenant assumé le commandement de tes concitoyens. C'est un jour qui influencera le cours des événements. » J'entends le bruit d'animaux domestiques, de moutons et d'ânes, et j'entends pleurer de jeunes enfants. Peux-tu m'en expliquer la raison ? »

Mâlik répondit : « J'ai demandé aux gens d'emmener avec eux leurs possessions et leurs familles. Je veux que chaque soldat sache que sa famille et ses biens sont juste derrière lui, afin qu'il combatte de toutes ses forces pour les protéger. »

Durayd dit d'un ton réprobateur : « Tu n'es qu'un berger. Qu'est-ce qui pourrait arrêter un soldat qui fuit la bataille ? Si tu gagnes, personne ne te sera utile à part les hommes qui portent le sabre et la lance. Si tu perds, tu causeras la honte de tes concitoyens et ils perdront tous leurs biens. » Puis Durayd s'enquit des Ka'b et des Kilab. Lorsqu'il apprit qu'ils ne venaient pas, il dit : « Le courage et la détermination sont absents. Ils n'auraient pas été absents si la gloire était au rendez-vous. J'aurais préféré que tu suives leur exemple. »

Il demanda ensuite quels notables de Hawâzin faisaient partie de l'armée ; en entendant les noms des deux frères 'Amr et 'Awf, il dit : « Ils ne sont pas d'une grande utilité et leur absence n'aurait pas causé beaucoup de tort. » Il donna enfin à Mâlik ce sage conseil : « Mâlik, tu n'obtiendras pas grand-chose en emmenant toute la tribu des Hawâzin sur le champ de bataille. Il serait plus avisé de les laisser dans leurs positions protégées avant de rencontrer les musulmans avec tes cavaliers. Si vous gagnez, votre tribu vous rejoindra. Si vous perdez, vous aurez sauvé vos familles et vos biens. »

Mais Mâlik n'écoutait que son enthousiasme et ne voulait pas que Durayd retire de mérite de ses conseils. Il lui dit : « Par Dieu, je ne ferai pas cela. Tu es devenu vieux et ta raison aussi. » Puis il s'adressa à ses contribules : « Gens de Hawâzin, ou bien vous suivrez mes ordres, ou bien je me jetterai sur mon sabre afin qu'il me transperce. » Ils s'engagèrent à lui obéir, et Durayd dit : « Voici une bataille dont je ne suis ni partie, ni absent. » Les Hawâzin se mirent donc en route avec leurs femmes, leurs enfants et toutes leurs possessions pour leur affrontement décisif avec les musulmans.

Préparatifs

À La Mecque, le Prophète apprit que les Hawâzin s'apprêtaient à affronter les musulmans. Il envoya donc Abdullâh ibn Abî Hadrad de la tribu des Aslam rechercher des informations. Il lui donna pour instructions de se rendre dans leur camp et de faire semblant d'être des leurs pour obtenir des renseignements détaillés. L'homme fit ce que le Prophète lui avait dit. Il parla même à Mâlik pour s'assurer des intentions des Hawâzin. Il retourna ensuite informer le Prophète de ce qu'il avait appris.

Il lui dit que les Hawâzin avaient l'intention d'avancer jusqu'à une vallée appelée Hunayn. Quand le Prophète entendit tout cela, il sourit et dit : « Ce sera une aubaine pour les musulmans, si Dieu le veut. » Le Prophète commença ses préparatifs en vue de l'affrontement avec les Hawâzin. Il demanda aux habitants de La Mecque, y compris ceux qui n'étaient pas encore musulmans, de l'aider dans ses préparatifs. Il demanda en particulier à Safwân ibn Umayya de lui prêter des armes qu'il savait être en sa possession.

Safwân demanda : « Veux-tu prendre ces armes de force, Muhammad ? » Le Prophète répondit : « Non. Je veux les emprunter et nous nous engageons à te les rendre. » Safwân accepta et lui donna cent boucliers et les armes qui allaient avec. Quand les musulmans eurent achevé leurs préparatifs, le Prophète quitta La Mecque à la tête de son armée le samedi 6 du mois de shawwâl (28 janvier 630 apr. J.-C).

Son armée comprenait maintenant douze mille hommes : aux dix mille Hommes qui avaient quitté Médine avec lui pour marcher sur La Mecque s'en étaient ajoutés deux mille autres venus de La Mecque, dont certains n'étaient pas encore musulmans. C'était une armée importante par rapport aux musulmans. Il faut se rappeler que deux ans auparavant, quand le Prophète était venu à La Mecque pour accomplir la 'umra puis avait conclu avec les Quraysh le pacte d'al-Hudaybiyya, il n'avait avec lui que mille quatre cents personnes.

Le même nombre de soldats avait combattu les tribus juives avec lui à la grande bataille de Khaybar quelques mois plus tard. Il n'était donc pas étonnant que beaucoup de gens, en regardant cette importante armée musulmane, se soient dit que rien ne pourrait lui résister. C'était un sentiment bien naturel après la facilité avec laquelle La Mecque était tombée aux mains des musulmans. La majorité des croyants musulmans avait le sentiment que l'idolâtrie vivait ses dernières heures. Elle n'était plus en mesure d'opposer une véritable résistance. Les nouveaux venus à l'islam étaient pleins d'euphorie lorsqu'ils virent l'armée musulmane se mettre en route pour affronter les négateurs.

Pour une fois, semble-t-il, les musulmans abordaient une tâche immense de manière un peu trop détendue, mais qui pourrait le leur reprocher ? Alors qu'ils étaient peu nombreux, ils avaient pu gagner des batailles importantes. Maintenant, voyant la taille de leur armée, ils avaient le sentiment que la puissance numérique ne leur faisait plus défaut. Lors des conflits précédents, les musulmans avaient eu les troupes les moins nombreuses. Cette fois, cependant, la taille de l'armée ennemie leur semblait sans importance : leur armée était considérable et ils ne risquaient pas d'être en situation d'infériorité numérique.

Le Prophète et l'armée musulmane atteignirent la vallée de Hunayn le soir du mardi 10 shawwâl. Les récits suggèrent que le Prophète avait l'intention de prendre l'ennemi par surprise avant le lever du jour, quand tout le monde dormirait encore. Il fit donc mettre les troupes en rangs, distribua les drapeaux et les étendards, nomma les commandants, principalement parmi les muhâjirûn et les ansar, et confia le commandement de la cavalerie à Khalid Ibn al-Walid. Cela fait, il ordonna à l'armée de se même en marche.

La Bataille de Hunayn

Mâlik ibn 'Awf, le commandant des forces ennemies, avait déjà établi son camp dans la vallée de Hunayn, une vallée encaissée où l'on pénétrait par des défilés profonds avant qu'elle ne s'élargisse. Mâlik voulait utiliser l'avantage stratégique que lui offrait l'entrée de la vallée. Il plaça donc des détachements de ses forces en aplomb de chaque défilé et rassembla des troupes importantes sur les côtés en les plaçant de telle façon qu'on ne pouvait absolument pas les voir. Les Hawâzin étaient célèbres pour leur habileté au tir à l'arc. Mâlik voulait aussi utiliser ce talent pour prendre l'avantage. Il plaça certains de ses meilleurs tireurs sur des positions surplombant ces défilés, leur ordonnant d'arroser les musulmans de flèches quand ils les verraient s'y engager.

Il espérait causer ainsi le chaos dans les rangs musulmans et déployer ensuite le reste de ses forces pour lancer une offensive générale. Il semble que tel était donc le plan de Mâlik. Il semble également qu'il était bien informé des déplacements des musulmans, sans quoi il lui aurait été difficile d'élaborer un plan aussi efficace. Lorsque les soldats musulmans se mirent en route dès les premières lueurs de l'aube, pouvant à peine voir leur chemin, ils ne savaient pas que leurs ennemis avaient déjà pris position et étaient prêts à les affronter dès qu'ils approcheraient.

Les cavaliers ouvraient la marche sous le commandement de Khâlid ibn al-Walîd, suivis par les bataillons d'infanterie ; le Prophète fermait la marche sur sa mule blanche, vêtu de son armure composée de deux plaques de protection. Il était accompagné de plusieurs personnages éminents parmi ses compagnons, de son oncle al-'Abbâs et d'un certain nombre de ses proches. Dès que les premières troupes parvinrent à l'entrée de la vallée, elles furent surprises par une abondante pluie de flèches les assaillants de toutes parts.

Les soldats, ne sachant par où riposter, se trouvèrent bientôt dans une situation très difficile nécessitant qu'ils battent en retraite. Cependant, le repli fut désordonné. Les ennemis ne perdirent pas de temps : ils attaquèrent les musulmans tandis qu'ils battaient en retraite, faisant intervenir des troupes importantes à cheval et à pied. L'armée musulmane fut bientôt en proie au chaos, avec des soldats se déplaçant dans tous les sens, la plupart essayant de fuir. Il s'ensuivit une terrible mêlée où les soldats musulmans eurent bientôt le dessous.

Mâlik ibn Awf avait ordonné à ses troupes de concentrer leurs efforts et de lancer leur attaque comme un seul homme. Il leur dit aussi de briser le fourreau de leur sabre — un geste indiquant leur détermination à se battre jusqu'au bout - et d'avoir leur bétail et leurs femmes derrière eux. À ce moment de la bataille, les troupes des tribus arabes des Hawâzin et des Thaqîf suivaient à la lettre les ordres de Mâlik.

De nombreux habitants de La Mecque, dont certains étaient encore idolâtres, s'étaient joints à l'armée musulmane. Parmi eux se trouvait Safwân ibn Umayya, à qui le Prophète avait accordé quatre mois pour réfléchir à l'islam et définir sa position. Tandis que l'armée musulmane se trouvait dans cette situation chaotique, un homme de Quraysh dit à Safwân : « Je t'apporte l'heureuse nouvelle de la défaite de Muhammad et de ses compagnons. Par Dieu, ils ne pourront jamais se relever de cette défaite. »

Safwân répondit avec colère : « Tu décris la victoire des Arabes bédouins comme une heureuse nouvelle ; je préférerais de loin être sous le commandement d'un homme de Quraysh que sous celui d'un bédouin. » Lorsque le Prophète vit ses soldats dans un tel désordre, il leur cria : « Où allez-vous ? Revenez vers moi. Je suis le Messager de Dieu. Je suis Muhammad ibn Abdullâh. » Peu de gens obéirent. Peut-être ne l'avaient-ils pas entendu crier. Ils ne faisaient attention à rien de ce qui les entourait. Le Prophète se retrouva bientôt dans une situation vulnérable.

Seul un petit groupe des muhâjirûn et des ansar et quelques individus de sa propre famille restèrent fermement autour de lui. Parmi eux se trouvait al-Abbâs ibn Abd al-Muftalib, qui était connu pour sa voix forte. Le Prophète lui demanda de crier pour faire revenir les ansâr et les muhâjirûn. Al-Abbâs commença à crier : « Vous, les ansâr, qui avez accueilli et soutenu votre Prophète ! Vous, muhâjirûn, qui avez juré de sacrifier vos vies ! Revenez, vers le Messager de Dieu. » Dès que quelqu'un des muhâjirûn ou des ansâr entendait cet appel, il revenait et se dirigeait vers la voix d'al-Abbâs en disant : « Me voici ! Me voici ! »

Si l'un d'eux rencontrait des obstacles l'empêchant d'avancer vers le Prophète, il mettait pied à terre pour le rejoindre plus vite. Pendant ce temps, le Prophète continuait à avancer vers l'ennemi avec ceux qui l'entouraient. Il s'en approchait dangereusement et se trouvait complètement exposé à leurs sabres et leurs lances. Le Prophète prit une poignée de poussière et la jeta vers l'armée ennemie en disant : « Vos visages sont obscurcis. » Quand un petit groupe des muhâjirûn et des ansâr s'assembla autour du Prophète, le cours des événements commença à tourner.

Ce groupe parvint à résister à la pression de l'attaque ennemie. Au fur et à mesure qu'il grossissait avec le retour de plus de combattants, il parvint d'abord à contenir l'armée adverse, puis à lui imposer une pression à son tour. Il faisait maintenant grand jour et ils pouvaient voir la position de leur ennemi. Ils lancèrent une contre-attaque résolue et bientôt ce fut la débandade dans les rangs ennemis. Les musulmans poursuivirent leurs ennemis partout, tuant les uns, capturant d'autres. Un grand nombre prirent la fuite. Parmi ceux qui fuirent figurait Mâlik ibn Awf, qui parvint jusqu'à Tâ'if où on le fit entrer dans la forteresse. Il laissait derrière lui tout le bétail et les biens qu'il avait ordonnés à ses contribules d'amener sur le champ de bataille. Tout cela devint la propriété des musulmans.

C'était de loin le plus grand butin que les musulmans avaient jamais gagné. En outre, ils capturèrent les femmes et les enfants que les soldats de Hawâzin avaient emmenés avec eux. On dit que lorsque le Prophète lança de la poussière vers l'armée des Hawâzin et des Thaqîf, chaque soldat ennemi sentit la poussière dans ses yeux. Ce fut le tournant de la bataille, où la confusion et le désordre commencèrent à les gagner. Les événements de cette confrontation sont brièvement évoqués dans le Coran :

[...] lors de la bataille de Hunayn où, abusés par votre grand nombre qui ne vous a servi à rien, vous n'avez pas tardé à sentir que la terre, pourtant si vaste, était devenue trop étroite et vous avez pris la fuite. C'est alors que Dieu étendit Sa quiétude sur Son Prophète et les croyants, en envoyant des troupes invisibles pour les secourir et châtier les négateurs, car telle est la rétribution des infidèles. (9/25-26)

Ces deux versets expriment un message important : la force numérique n'a guère d'importance si les autres éléments nécessaires à la victoire sont oubliés ou négligés. Il est important que les musulmans soient sur leurs gardes pour se prémunir de toute autosatisfaction.

Le Prophète tenait à ce que les musulmans observent leurs règles morales à la guerre. Un récit relate qu'il vit le corps d'une femme du camp ennemi, qui avait été tuée par les troupes commandées par Khâlid ibn al-Walîd. Il fit immédiatement parvenir à Khâlid un message lui ordonnant de ne tuer ni enfant, ni femme, ni vieillard. Les musulmans n'avaient pas à tuer les femmes.

Les enseignements de Hunayn

La bataille terminée, le Prophète ordonna qu'on rassemble tout le bétail, les biens et les prisonniers pris par les musulmans et qu'on les emmène à une vallée appelée al-Ji'râna, non loin de La Mecque. Il chargea Mas'ud ibn 'Amr al-Ghifâri de la responsabilité du butin de guerre, qu'il comptait distribuer plus tard. Avant cela, il restait aux musulmans une tâche importante à achever.

Pour la première fois en plusieurs années, les musulmans s'étaient trouvés sur le point d'être vaincus à Hunayn. Cela faisait suite immédiatement à leur conquête de La Mecque. Une défaite survenant après une victoire aussi considérable ne peut être décrite que comme un revers extrêmement grave. Toutefois, cette défaite initiale est porteuse d'une importante leçon pour les musulmans, à toute époque et en tout lieu.

Il avait suffi que les Hawâzin parviennent à forcer les musulmans à reculer un peu, et cette retraite avait laissé présager une débâcle majeure par laquelle se serait certainement soldée la bataille de Hunayn sans la détermination et la lucidité du Prophète . De nombreux historiens font porter la responsabilité du revers
subi par les musulmans au début de la bataille de Hunayn aux nouveaux éléments qui étaient venus grossir leurs rangs. C'étaient des habitants de La Mecque qui venaient tout juste de devenir musulmans, et dont certains étaient encore idolâtres.

Selon ces historiens, ces gens avaient accompagné l'armée dans l'espoir d'avoir une part du butin. Cependant, quand le chaos s'empara de l'armée musulmane, ils ne furent pas les seuls à fuir. Des récits suggèrent qu'à un certain moment, il ne restait qu'une dizaine d'hommes auprès du Prophète. Quand al-Abbâs, son oncle, commença à rappeler les muhâjirûn et les ansâr selon les instructions du Prophète, des récits nous disent que très vite une centaine d'entre eux se rassemblèrent autour du Prophète. Cela signifie qu'à un moment de la bataille, seulement une centaine de soldats se battaient. Le gros des troupes des muhâjirûn et des ansar avait été gagné par le chaos.

Il avait fallu leur rappeler leur position pour qu'ils se rallient au Prophète. Le revers subi ne peut donc pas s'expliquer par un manque de courage des nouveaux soldats. L'avertissement coranique aux musulmans dans les versets évoquant la bataille de Hunayn suggère que tous avaient leur part de responsabilité.

Il est inutile de chercher des explications faciles visant à laver les compagnons du Prophète de tout reproche dans cette affaire ou de toute part de responsabilité dans les erreurs commises. Les compagnons du Prophète étaient les meilleurs musulmans : c'est là un fait absolu. Ils ont servi la cause de l'islam de telle manière qu'ils représentent le meilleur idéal pour tous les musulmans de toutes les générations à venir. Ils ne doivent pas cependant être idéalisés et placés au-dessus du niveau des êtres humains : s'il fallait les considérer comme des surhommes, ils cesseraient d'être un exemple pour les futures générations de musulmans.

Si, au contraire, l'on rappelle que même les compagnons du Prophète subirent un revers quand ils laissèrent s'installer un sentiment d'autosatisfaction, les générations futures comprendront qu'elles ne peuvent pas se permettre de céder à l'autosatisfaction, sous peine d'en subir les conséquences. Il est important que toutes les générations de musulmans reconnaissent que Dieu leur accordera la victoire si elles en remplissent les conditions. Ces conditions comprennent la détermination sincère à oeuvrer et à placer toute leur confiance en Dieu.

Poursuivre les idolâtres

Quand les combats étaient devenus défavorables aux tribus arabes des Hawâzin et qu'il était devenu évident que la victoire appartenait aux musulmans, la plupart des soldats des Hawâzin, y compris leur commandant Mâlik ibn Awf, étaient partis pour Tâ'if où ils avaient rejoint les membres des Thaqîf dans leurs forts. Un bataillon s'était replié dans la vallée appelée Awtas. Ce dernier groupe représentait la menace la plus immédiate.

Il était donc nécessaire de neutraliser cette menace. Le Prophète envoya une unité de ses forces sous le commandement de 'Ubayd Abu Amir al-Ash'arî. Une bataille éclata entre les deux camps et il apparut bientôt qu'elle se solderait par une victoire des musulmans. Nous possédons certains récits détaillés de cette bataille suggérant qu'Abû Amir lui-même se battit contre dix frères du camp ennemi, l'un après l'autre. Chaque fois que l'un d'eux faisait face au commandant musulman, celui-ci l'invitait à devenir musulman.

L'homme ne répondant pas, Abu Amir disait : « Seigneur, sois témoin de son refus. » Puis il le tuait. Abu Âmir tua ainsi neuf des dix frères, après les avoir invités l'un après l'autre à devenir musulmans et imploré Dieu d'être son témoin quand ils ne le faisaient pas. Quand il se trouva face au dixième, il l'invita lui aussi à devenir musulman. L'homme ne répondant pas, Abu Âmir dit : « Seigneur, sois témoin de son refus. » L'homme dit : « Seigneur, n'en sois pas témoin. » Abu Amir le laissa alors partir. Peu après cette bataille, l'homme devint musulman. Quand le Prophète le vit, il dit : « Cet homme est celui laissé par Abu Amir. »

Abu Âmir lui-même fut tué lors de cette bataille. Deux soldats ennemis l'attaquèrent ensemble : l'un le frappa à la poitrine, l'autre aux genoux. L'un de ses cousins, Âbdullâh ibn Qays, mieux connu dans les livres d'Histoire sous le nom d'Abû Mûsâ al-Ash'arî, prit le commandement des troupes musulmanes. Il semble que la première blessure subie par Abu Âmir n'était pas mortelle : Abu Mûsâ a relaté qu'il s'approcha de son cousin blessé et lui demanda qui l'avait frappé. Abu Âmir désigna l'homme et Abu Mûsâ le pourchassa. Il tenta de s'échapper mais Abu Mûsâ le railla : « N'as-tu pas honte de t'enfuir ? Pourquoi ne pas montrer ton courage et te battre contre moi ? »

L'homme revint et Abu Mûsâ parvint à le tuer. Il retourna auprès d'Abû Âmir et lui dit : « Dieu a tué l'homme qui t'a frappé. » Abu Âmir lui demanda de retirer la lance plantée dans son genou. Lorsqu'il le fit, le sang jaillit. Abu Âmir comprit alors qu'il était mortellement blessé : il demanda à Abu Mûsâ de saluer le Prophète de sa part et de lui demander de prier pour son âme, puis le nomma commandant. Abu Mûsâ et ses soldats se battirent contre leurs ennemis et leur infligèrent une sévère défaite.

Peu après, Abu Âmir mourut et le bataillon musulman rejoignit le Prophète . Abu Mûsâ trouva le Prophète assis sur un matelas de sable qui avait laissé des traces sur son dos et ses côtés. Abu Mûsâ lui fit son rapport sur la bataille et lui transmit le message d'Abû Âmir demandant que le Prophète prie pour lui. Le Prophète demanda de l'eau et fit ses ablutions ordinaires. Il leva ensuite les bras et implora Dieu : « Seigneur, pardonne à 'Ubayd Abu Âmir. Seigneur, place-le le Jour du Jugement devant beaucoup de Tes créatures. »

Abu Mûsâ dit au Prophète : « Et prie Dieu de me pardonner aussi, s'il te plaît. » Le Prophète dit : « Seigneur, pardonne à Abdullâh ibn Qays ses péchés et accorde lui une entrée honorable [au Paradis] le Jour du Jugement. »

La bataille d'Awtâs était un prolongement de la bataille de Hunayn. Elle était nécessaire car si le Prophète avait laissé intacte cette troupe de négateurs là où elle avait établi son camp, elle aurait constitué une grave menace pour l'islam. Après la victoire obtenue par le Prophète et les musulmans sur les Hawâzin à la bataille de Hunayn, suivie par l'affrontement d'Awtâs qui s'était soldé par une autre défaite pour les idolâtres, la principale concentration de forces hostiles à l'islam qui représentait une menace pour les musulmans se trouvait à Tâ'if, où la tribu arabe des Thaqîf avait ses demeures fortifiées. Il ordonna donc à son armée de marcher sur Tâ'if.

Le siège de Ta'if

Tâ'if était une ville fortifiée dont les habitants étaient bien préparés à soutenir n'importe quel siège. Les Thaqîf s'étaient préparés pour un long siège et avaient dans leurs forts suffisamment de provisions pour tenir longtemps. Ils étaient déterminés à ne pas céder aussi longtemps qu'ils parviendraient à leur résister efficacement. L'armée musulmane, en arrivant à Tâ'if, trouva les habitants bien préparés, dans leurs forts. Le plan du Prophète était de ne pas précipiter son armée dans une bataille dans l'espoir que les Tâ'if reviendraient sur leurs positions et finiraient par céder.

Dès que les soldats musulmans s'approchèrent des forts, ils furent accueillis par une pluie de flèches. Quelques soldats furent tués et de nombreux autres furent blessés. L'armée musulmane fut ensuite contrainte à reculer afin d'échapper aux tirs. L'armée prit position et le siège de Tâ'if commença : il devait durer plus de vingt jours.

Pendant cette période, les musulmans firent de grands efforts pour faire sortir les ennemis de leurs fortifications. Leurs tentatives demeurèrent infructueuses. Les musulmans demandèrent d'abord aux Thaqîf d'envoyer certains de leurs meilleurs soldats pour des combats singuliers, mais ils refusèrent. Les musulmans se mirent à les railler et à les accuser de lâcheté, mais cela n'influença pas l'attitude des Thaqîf. Les musulmans essayèrent ensuite de les atteindre avec des pierres, sans résultat.

Un certain nombre de musulmans utilisèrent une sorte de tank primitif fait de bois afin d'atteindre le mur du fort de Tâ'if dans l'espoir d'y percer une brèche, mais les Thaqîf ripostèrent en leur lançant des morceaux de fer chauffés à blanc, ce qui obligea les soldats musulmans à sortir de leur tank. À ce moment-là, les Thaqîf tirèrent leurs flèches et tuèrent plusieurs musulmans. Les musulmans essayèrent ensuite de couper les vignes des Thaqîf. Cela inquiéta ces derniers, qui implorèrent le Prophète de ne pas faire cela, au nom de Dieu et des liens de parenté. Le Prophète réagit en ordonnant à ses soldats de cesser de couper les vignes.

Aucun des procédés essayés par les musulmans ne réussit : les Thaqîf étaient toujours dans leurs forts, qui demeuraient inattaquables. Le Prophète fit ensuite proclamer que si des esclaves appartenant aux Thaqîf désertaient et rejoignaient les musulmans, ils seraient immédiatement affranchis. Une vingtaine d'esclaves parvinrent à sortir et le Prophète leur donna leur liberté. Le Prophète apprit de ces esclaves que les Thaqîf avaient suffisamment de provisions pour une année. Ils pouvaient donc résister une année durant au siège des musulmans.

Ils demeuraient résolus à persister dans leur attitude de défi aussi longtemps qu'ils auraient des provisions suffisantes. Après, ils se battraient jusqu'au dernier. Le Prophète comprit alors qu'il était temps de réexaminer sa position. Il ne semblait guère utile de prolonger le siège. Il consulta certains de ses compagnons au sujet de la situation. Nawfal ibn Muawiyya ad-Di'l lui dit : « Ils sont comme un renard dans un trou. Si tu épuises la patience du renard, il sortira. Si tu le laisses tranquille, il ne te fera pas de mal. »

Le Prophète comprit que la description de Nawfal était très juste. En outre, les mois sacrés allaient bientôt commencer. Il était donc plus enclin à laisser les Thaqîf tranquilles pour le moment. Il espérait qu'ils comprendraient bientôt que l'islam était la religion de vérité et viendraient de leur propre gré déclarer leur conversion. Il ordonna à son armée de quitter Tâ'if et de repartir pour La Mecque.

Le Prophète espérait que les Thaqîf viendraient à lui. L'un de ses compagnons suggéra qu'il devrait implorer Dieu de les détruire, mais le Prophète implora Dieu pour eux en ces termes : « Seigneur, guide les Thaqîf vers la vérité et soulage-nous de leur poids. » Nous verrons plus tard que les prières du Prophète furent exaucées.