Le Sceau des Prophètes

Muhammad, Homme et Prophète (Muhammad : Sceau des prophètes)

Muhammed
Sceau des Prophètes

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La vie de Muhammad

La vie de Muhammed

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La bataille d'Uhud

 

Personne en Arabie ne pensait que les Quraysh accepteraient leur défaite de Badr sans entreprendre sérieusement de se venger. Les accrochages qui eurent lieu au cours des mois suivants entre les musulmans et certaines poches de résistance à la cause de l'islam ne pouvaient pas nuire gravement aux musulmans. Au contraire, le Prophète et ses partisans utilisèrent ces affrontements pour consolider leur réputation de force importante en Arabie.

Quand les Quraysh se rendirent compte, en plus de cela, que le siège économique que leur faisait subir les musulmans leur causait beaucoup de tort et menaçait gravement leur bien-être, ils comprirent que le seul moyen de retrouver leur prestige et de mettre fin au siège économique serait de remporter une victoire militaire.

Les Quraysh consacrèrent à l'effort de guerre tout l'argent gagné grâce au commerce avec la Syrie au moyen de la caravane conduite par Abu Sufyân qui était parvenue à échapper à ses poursuivants musulmans juste avant la bataille de Badr. Des délégations furent envoyées aux tribus arabes pour demander leur soutien avant le déclenchement de la campagne. On réunit des armes et on en acheta partout où on put en trouver.

Ces préparatifs se poursuivirent pendant toute une année. Alors, les Quraysh se sentirent suffisamment forts pour passer à l'attaque et obtenir leur vengeance. Au mois de shawwâl de la troisième année de l'hégire, c'est-à-dire un peu plus d'un an après la bataille de Badr, l'armée de Quraysh, comptant maintenant trois mille hommes, prit le chemin de Médine. L'armée comportait aussi un grand nombre de « volontaires » et de sympathisants des tribus de Tihâma et de Kinâna, de groupes d'Abyssins vivant en Arabie et d'autres.

Quatorze femmes, dont la plus éminente était Hind bint 'Utba, l'épouse d'Abû Sufyân, accompagnaient les troupes afin de les encourager et de dissuader ceux qui penseraient à déserter. Dans cette armée se trouvait également Abu Amir, un membre des Aws, l'une des deux principales tribus des ansâr. Abu Amir était un homme instruit qui avait entendu parler de l'avènement du dernier Prophète. Il avait parlé à ses contribules des qualités et de l'apparence de ce Prophète et évoqué l'imminence de sa venue. Cependant, lorsque le Prophète Muhammad émigra à Médine et que les ansâr le suivirent, Abu Amir, un notable dont la position chez les Aws était comparable à celle de Abdullâh ibn Ubayy chez les Khazraj, rejeta son message.

Ces deux hommes étaient jaloux du Prophète en raison du nombre de ses partisans, mais ils adoptèrent une attitude différente. 'Abdullâh ibn Ubayy se prétendit musulman, ce que son comportement démentait. Abu Amir, en revanche, rejeta ouvertement l'islam et partit à La Mecque avec cinquante hommes et jeunes gens de sa tribu pour apporter son soutien aux Quraysh, puis se joignit à leur armée pour combattre le Prophète et ses propres contribules. Abu Amir promit également aux Quraysh de convaincre ses contribules de déserter l'armée du Prophète, leur assurant que les Quraysh n'auraient rien à craindre des Aws. Ces promesses étaient évidemment motivées par son ancien statut parmi les siens. Il ne pensait pas que l'islam l'emportait désormais sur tous les liens tribaux. Il allait être amèrement déçu.

L'armée de Quraysh avança. Abu Sufyân en était le commandant en chef. Talha ibn Abî Talha était le porte-drapeau. Khâlid ibn al-Walîd et 'Ikrima ibn Abî Jahl commandaient respectivement le flanc droit et le flanc gauche. Safwân commandait l'infanterie. L'armée comprenait deux cents cavaliers et sept cents soldats portant des armures. Il s'y ajoutait un grand nombre de chameaux destinés à transporter les soldats et à être abattus pour servir de nourriture. De nombreux esclaves et serviteurs étaient également présents pour effectuer les tâches ingrates.

Les Quraysh avaient semble-t-il élaboré un plan visant des objectifs précis. Ils voulaient surprendre les musulmans dans leur propre ville et les attaquer quand ils ne s'y attendraient pas. Si ce plan initial était déjoué et que les musulmans avaient vent de l'attaque prévue, les Quraysh comptaient essayer de diviser les musulmans lorsque l'affrontement serait imminent. S'ils échouaient là encore, le premier objectif dès le déclenchement des hostilités était de tuer le Prophète et les notables musulmans, comme les musulmans, à Badr, avaient tué de nombreux notables de Quraysh.

L'armée de Quraysh avança dans le plus grand secret. Elle ne tenta cette fois aucune démonstration de force, contrairement à ce qu'avait fait Abu Jahl à Badr. L'objectif devait être atteint promptement. L'armée avança donc très rapidement jusqu'à la vallée d'Uhud, à seulement huit kilomètres de Médine, où elle établit son camp. Les Quraysh auraient peut-être pu prendre les musulmans par surprise si al-'Abbâs, l'oncle du Prophète qui vivait toujours à La Mecque et n'avait pas encore rendu publique son adhésion à l'islam, n'avait pas envoyé au Prophète une lettre l'informant du départ des Quraysh et décrivant en détail l'armée et son équipement.

L'émissaire d'al-'Abbâs voyagea nuit et jour jusqu'à ce qu'il arrive à Médine, où il apprit que le Prophète se trouvait à Qubâ', à une courte distance de là. Il l'y rejoignit et lui remit la missive. Comme on le sait, le Prophète ne savait ni lire ni écrire. Il donna donc la lettre à Ubayy ibn Ka'b qui la lui lut. Le Prophète demanda à Ubayy de ne pas répandre la nouvelle. Puis il informa Sa'd ibn ar-Rabî' des ansâr de ce qu'il avait appris. Celui-ci dit : « J'implore Dieu de faire que tout cela soit à notre avantage. »

Dans le camp des Quraysh, Abu Sufyân dit en se réveillant le lendemain matin : « Je jure qu'ils ont informé Muhammad de notre arrivée et qu'il possède maintenant tous les renseignements dont il a besoin à notre sujet. Je ne serais pas étonné si ses partisans restaient dans leurs forts et si nous n'en rencontrions aucun face à face. »

Safwân répliqua : « S'ils ne sortent pas à notre rencontre, nous couperons les palmiers qui appartiennent aux Aws et aux Khazraj. Ils n'auront plus aucune ressource. S'ils sortent à notre rencontre, nous sommes plus nombreux qu'eux et mieux équipés. Nous avons plus de chevaux qu'eux, et nous sommes venus chercher la vengeance, tandis qu'ils n'ont pas besoin de se venger de nous. »

Les informateurs du Prophète revinrent avec la nouvelle que l'armée de Quraysh campait à Uhud. Ils lui donnèrent aussi leur estimation du nombre et de l'équipement des troupes. Ils ajoutèrent que les négateurs avaient lâché leurs chameaux et leurs chevaux dans les champs des Médinois, où ils détruisaient les recolles. Le danger était donc évident et les musulmans se rendaient compte qu'il n'y avait pas de temps à perdre. Cette nuit-là, des hommes montèrent la garde toute la nuit aux abords de Médine.

De nombreux musulmans passèrent la nuit dans la mosquée, leurs armes à portée de main. Les appartements du Prophète étaient contigus à la mosquée et les musulmans craignaient que les Quraysh n'organisent une attaque contre la mosquée pour l'assassiner. Le lendemain était un vendredi. Après la prière de l'aube, le Prophète consulta ses compagnons afin de parvenir à un consensus sur un plan d'action efficace. Il leur dit qu'il avait fait un rêve la nuit précédente. Bien avant qu'il ne devienne prophète, tous les rêves de Muhammad s'étaient toujours réalisés jusqu'au moindre détail, ce qui était l'un des signes annonciateurs de sa mission prophétique.

Il va sans dire qu'après le début de sa mission, ses rêves avaient continué à annoncer les événements à venir. Cette fois, il relata qu'il avait vu dans son rêve que plusieurs vaches lui appartenant avaient été tuées, qu'une petite encoche avait endommagé le tranchant de son sabre et qu'il avait mis la main dans un solide bouclier. Annonçant son optimisme au sujet de ce rêve, il ajouta qu'il interprétait les vaches par la mort de certains de ses compagnons et l'encoche dans le sabre par la mort d'un membre de sa famille ; quant au bouclier, il représentait Médine elle même.

Il suggéra alors de rester à l'intérieur de Médine et de laisser les Mecquois dans leur campement. « S'ils restent là-bas, ils s'apercevront que leur position n'est pas à envier. S'ils tentent de pénétrer de force dans Médine, nous les combattrons dans ses rues et ses allées, que nous connaissons beaucoup mieux qu'eux, et ils seront attaqués depuis les toits par des flèches et toutes sortes de projectiles. »

Concertation sur la stratégie à suivre

Abdullâh ibn Ubayy, ce notable des Khazraj qui avait, à un certain moment, parlé très durement au Prophète lorsqu'il craignait pour ses alliés juifs de la tribu de Qaynuqâ', se rallia à l'avis du Prophète à cette occasion. Il dit :

Messager de Dieu, avant l'avènement de l'islam nous nous battions à Médine. Nous gardions nos femmes et nos enfants dans nos maisons fortifiées en leur donnant une provision de pierres. Nous construisions aussi des abris et des fortifications pour remplir les espaces entre les bâtiments extérieurs, de sorte que la ville prenait l'aspect d'un grand fort. Les femmes et les enfants lançaient des pierres et des projectiles depuis les toits tandis que nous combattions dans les rues et les allées. Notre cité est vierge. Aucun ennemi n'a jamais tenté d'y pénétrer sans être vaincu et nous ne sommes jamais sortis à la rencontre d'un ennemi sans avoir à le regretter. Messager de Dieu, qu'ils restent donc où ils sont. Ils sont dans une position inconfortable et s'ils repartent, ils n'auront rien obtenu. Leurs plans auront été déjoués. Crois-moi sur parole, car tel est l'avis appuyé par l'Histoire.

Plusieurs jeunes hommes émirent un avis différent. Frustrés d'avoir été absents à Badr, ils souhaitaient cette fois se mesurer à l'ennemi. Ils demandèrent au Prophète de les mener affronter l'ennemi à l'extérieur de Médine. Un certain nombre d'hommes mûrs, connus pour leur attachement sans faille aux intérêts de l'islam, dirent quant à eux :

« Nous craignons que l'ennemi, si nous n'allons pas à sa rencontre, ne pense que nous sommes faibles et lâches. Cela risque de l'inciter à lancer une attaque de grande envergure contre nous. À Badr, tu n'avais que trois cents hommes et tu as remporté une grande victoire. Aujourd'hui, nous pouvons fournir beaucoup plus de soldats. Nous espérions un tel affrontement et nous implorions Dieu de réaliser nos espoirs. Maintenant que nous avons l'ennemi à notre porte, allons le rencontrer là où il se trouve. »

Mâlik ibn Sinân dit au Prophète : « Nous pouvons obtenir l'une des deux meilleures alternatives : soit nous obtiendrons la victoire avec l'aide de Dieu, ce qui est certes notre but, soit nous mourrons en martyrs. Quant à moi, peu m'importe laquelle des deux se réalisera : elles sont toutes deux aussi bonnes. »

Hamza ibn Abd al-Muttalib, l'oncle du Prophète , âgé d'environ cinquante ans, dit : « Par Celui qui t'a révélé Son Livre, je ne mangerai rien aujourd'hui tant que je ne les aurai pas combattus avec mon sabre à l'extérieur de Médine. » An-Nu'mân ibn Mâlik dit quant à lui : « Messager de Dieu, pourquoi nous prives-tu du Paradis ? Par Dieu, l'unique divinité, j'y entrerai ! » Le Prophète demanda : « Pourquoi ? » Il répondit : « Parce que je suis un homme qui aime Dieu et le Prophète et qui ne fuit pas la bataille. »

Iyâs ibn Aws dit : « Cela me préoccupe que les Quraysh puissent repartir chez eux et dire : "Nous avons assiégé Muhammad et ses compagnons dans les fortifications et les collines de Yathrib [Médine]." Ils penseront alors qu'ils peuvent s'en prendre à nous n'importe quand. En outre, ils ont fait paître leurs bêtes dans nos champs, et si nous ne défendons pas nos champs, nous ne pourrons plus rien y planter. »

Khaythama, dont le fils Sa'd avait été tué à Badr, dit : J'ai manqué la bataille de Badr alors que j'aurais voulu y participer. Je voulais tellement y aller que j'ai tiré au sort avec mon fils pour décider lequel aurait le privilège de se joindre à toi. Il a gagné et il est devenu martyr. J'aurais tellement souhaité atteindre le martyre. La nuit dernière, j'ai vu mon fils en rêve : il était splendide, et savourait les fruits du Paradis. Il m'a dit : « Viens nous rejoindre ici au Paradis, car j'ai vu que Dieu accomplit Ses promesses. » Je jure, Messager de Dieu, que j'ai hâte de le rejoindre au Paradis. Je suis très âgé et j'aimerais rencontrer mon Seigneur. Implore Dieu de m'accorder bientôt le martyre afin que je puisse retrouver mon fils au Paradis.

Quant à Abdullâh ibn Jahsh, il dit : « Seigneur, je T'implore de me permettre de rencontrer nos ennemis demain, et de faire qu'ils me tuent, m'éventrent et me coupent le nez et l'oreille. Quand Tu me demanderas pourquoi ils m'ont fait cela, je Te répondrai : « Parce que je crois en Toi ! »

On a souvent dit que seuls les jeunes musulmans de Médine désiraient aller affronter l'ennemi à l'extérieur, tandis que les plus mûrs partageaient l'avis du Prophète . Les propos cités ci-dessus donnent une idée plus précise de la réalité. En fait, ceux qui préféraient sortir à la rencontre de l'ennemi n'étaient pas seulement majoritaires, ils représentaient aussi un large échantillon de la communauté musulmane. Certes, s'il l'avait voulu, le Prophète aurait pu imposer son opinion et personne n'y aurait trouvé à redire. Il voulait cependant donner à ses compagnons une leçon de commandement.

Il voulait leur faire comprendre que celui qui détient l'autorité ne doit pas imposer sa propre volonté : il doit consulter ses compagnons parce que la concertation permet de parvenir à la meilleure solution. Il souhaitait aussi les mettre face à leurs responsabilités. La décision était celle de la majorité et tous en partageaient la responsabilité. Le Prophète accepta donc l'avis de la majorité. À midi, l'heure de la prière du vendredi étant arrivée, il souligna dans son sermon la nécessité de combattre de manière organisée et dit à ses compagnons qu'ils obtiendraient la victoire s'ils se battaient avec acharnement et supportaient toutes les difficultés qu'ils rencontreraient.

La plupart des gens étaient satisfaits de la décision du Prophète, mais certains avaient le sentiment qu'il avait été contraint d'adopter une stratégie contraire à son jugement. De nombreux musulmans rentrèrent chez eux pour se préparer à la bataille avant de retourner à la mosquée. Le Prophète dirigea la prière de asr et recommanda aux fidèles de faire rester leurs femmes et leurs enfants à l'intérieur de leurs maisons fortifiées ; puis il entra dans ses appartements pour se préparer.

Doutes et désertion des hypocrites

À la mosquée, les musulmans discutaient toujours de l'opportunité de sortir à la rencontre de l'ennemi ou de rester à Médine. D'emblée, un certain nombre avaient été d'accord avec le Prophète pour considérer que la meilleure solution était de rester dans la ville. Beaucoup d'autres eurent des doutes par la suite, non parce qu'ils hésitaient à affronter l'ennemi mais parce qu'ils se disaient qu'ils avaient tort de pousser le Prophète à agir à l'encontre de ses propres souhaits.

Deux des principaux notables des ansâr, Sa'd ibn Mu'âdh et Usayd ibn Hudayr, leur dirent : « Vous avez forcé le Prophète à décider de sortir à la rencontre de l'ennemi, alors que vous savez bien qu'il reçoit des révélations du Ciel. Vous feriez mieux de le laisser décider. Vous devriez faire tout ce qu'il vous ordonne, et lorsque vous voyez qu'il penche vers quelque chose ou vers un certain point de vue, vous feriez mieux de suivre son inclination. »

Pendant cette discussion, le Prophète sortit vêtu de son armure. Ceux qui avaient insisté pour rencontrer l'ennemi à l'extérieur de Médine lui dirent :

« Messager de Dieu, nous n'avons pas à te désobéir. Fais ce que tu voudras et nous te suivrons. » Il répondit : « Je vous ai demandé de rester et vous avez refusé. Un prophète qui a revêtu son armure n'a pas à l'enlever tant que Dieu n'a pas jugé entre ses ennemis et lui. Obéissez à mes ordres et restez fermes, et vous aurez la victoire. »

Le Prophète avait compris qu'il était important qu'il n'ait pas l'air d'hésiter entre deux attitudes opposées. Une fois la décision prise, il fallait aller jusqu'au bout. L'hésitation est très dangereuse, surtout lorsque l'ennemi est devant la porte. Cette leçon de gouvernement consultatif qu'il donna à ses compagnons était de première importance. Ils comprirent, comme devaient le faire toutes les générations successives de musulmans, qu'un chef peut être contraint d'adopter une attitude contraire à sa propre opinion si elle répond aux attentes d'une partie conséquente de la communauté musulmane.

Mais une fois la décision prise, tous, y compris le chef - ou le Prophète dans ce cas précis - doivent s'unir pour la mettre à exécution. Quand les musulmans eurent fini de mobiliser leurs forces, leur armée comptait environ un millier d'hommes. Le Prophète les partagea en trois divisions, dont chacune avait un drapeau. Le drapeau de l'une des tribus des ansâr, les Aws, fut confié à Usayd ibn Hudayr, tandis que celui des Khazraj était confié à Hubâb ibn al-Mundhir. Mus'ab ibn 'Umayr portait quant à lui le drapeau des muhâjirûn.

Seuls une centaine des compagnons du Prophète portaient une armure. Le Prophète délégua à Ibn Umm Maktûm, un aveugle faisant partie des muhâjirûn, la direction des affaires de Médine et des prières à la mosquée. Lorsque le Prophète atteignit un endroit appelé ash-Shaykhayn, il s'arrêta pour passer son armée en revue. S'apercevant que plusieurs jeunes garçons se trouvaient parmi les soldats, il leur ordonna de faire demi-tour. Parmi ces garçons figuraient Râfi' ibn Khadîj et Samura ibn Jundub.

Apprenant que Râfi' était habile au tir à l'arc, le Prophète l'autorisa à rester avec l'armée. Quand il apprit que Râfi' était autorisé à rester, Samura se mit à pleurer et dit : « Le Prophète a permis à Râfi' de rester et m'a refusé, alors que je suis plus fort que lui et que je peux le battre. » Informé de cela, le Prophète demanda aux deux garçons de lutter : comme ce fut Samura qui l'emporta, le Prophète l'autorisa à rester lui aussi.

La nuit ne tarda pas à tomber et l'armée passa la nuit à ash-Shaykhayn. Muhammad ibn Maslama fut nommé commandant des gardes qui veillaient sur l'armée tandis que Dhakwân ibn Qays commandait la garde personnelle du Prophète . Avant l'aube, l'armée musulmane se remit en route jusqu'à un verger entre Médine et Uhud appelé ash-Shawt. Là, Abdullâh ibn Ubayy - qui, nous l'avons vu, s'était dès le début opposé à l'idée que les musulmans sortent de Médine pour aller à la rencontre de l'ennemi - déserta l'armée et fit demi-tour avec non moins de trois cents soldats.

Il invoqua comme motif de cette désertion que le Prophète « avait obéi aux jeunes gens plutôt qu'à moi. Pourquoi donc devrions-nous nous faire tuer à cet endroit ? » Abdullâh ibn Amr ibn Harâm poursuivit les déserteurs en essayant de les persuader de revenir. Il les implora de ne pas diviser les rangs et de ne pas abandonner leurs concitoyens et le Messager de Dieu alors que l'ennemi était tout proche. Son appel resta vain : ils refusèrent de l'écouter. Ils répondirent d'un ton sarcastique :
« Nous ne croyons pas qu'une bataille aura lieu. Si nous savions qu'il y aurait une bataille, nous nous joindrions à vous. » Lorsqu'il comprit que ses paroles ne seraient pas entendues, Abdullâh ibn Amr dit à ces hommes ce qu'il pensait d'eux et les quitta.

L'incident était sérieux. La division survenue était très grave. C'était le tiers de l'armée qui était parti. Les musulmans devraient maintenant se battre à un contre quatre. Toutefois, cette désertion n'était pas sans avantages. Il était clair que ceux qui étaient partis avec Abdullâh ibn Ubayy n'étaient pas attachés aux intérêts de l'islam. On ne pouvait donc pas s'attendre à ce qu'ils risquent leur vie pour les défendre.

De ce fait, leur présence n'aurait guère été utile. La cause de l'islam ne peut en effet être servie que par ceux qui lui sont dévoués et sont prêts à risquer leur vie pour elle. La désertion des hypocrites signifiait par conséquent que seuls restaient les hommes sur qui l'on pouvait compter pour se battre jusqu'au bout, sans craindre les conséquences.

Le Coran nous dit que deux groupes de croyants furent si affectés par la désertion des hypocrites qu'ils faillirent perdre courage. Il s'agissait des soldats des deux clans de Hâritha et Salama. Seule la grâce de Dieu leur permit de retrouver leur résolution et de placer leur confiance en Dieu : « Deux groupes de votre armée étaient sur le point de faire défection, et c'est Dieu qui a raffermi leur courage. N'est-ce pas en Dieu que les croyants doivent placer leur confiance ? » (3.122)

Ici, Dieu parle aux croyants de leurs propres pensées. Ce qui s'était passé dans l'esprit de ces croyants n'était connu que d'eux seuls, mais Dieu connaît la moindre pensée qui traverse notre esprit. Il rappelle ici aux musulmans que ce n'est que par Sa grâce qu'ils sont protégés des mauvaises pensées qui leur viennent à l'esprit.

La recherche de soutien

Peut-être en raison de la désertion de 'Abdullâh ibn Ubayy avec trois cents hommes et du sentiment de faiblesse qui s'ensuivit chez les musulmans, certains des ansâr proposèrent au Prophète de demander à leurs alliés juifs de combattre à leurs côtés. Le Prophète rejeta toutefois cette proposition immédiatement en disant : « Nous n'avons pas besoin d'eux. »

Il est important de souligner ici que le Prophète n'était pas contre le principe de demander de l'aide aux non-musulmans. Il demanda et obtint à plusieurs reprises de l'aide de personnes qui, à l'époque, n'adhéraient pas à son message et ne croyaient pas qu'il était le Messager de Dieu. Plusieurs années avant la bataille d'Uhud, le Prophète avait demandé le soutien d'al-Mut'im ibn Adî pour rentrer sans risque à La Mecque après l'échec de sa mission à Tâ'if.

Lorsqu'il avait quitté La Mecque pour émigrer à Médine, il avait employé Abdullâh ibn Arqat comme guide pour le conduire par des itinéraires inhabituels. Plus tard, quand il se préparait pour la bataille de Hunayn, le Prophète emprunta cent plaques d'armure et une importante quantité d'armes à Safwân ibn Umayya. Il demanda aussi à Ma'bad ibn Abî Ma'bad de la tribu de Khuzâ'a d'essayer de dissuader les Quraysh d'attaquer les musulmans à Hamra al-Asad.

Aucune de ces personnes n'était musulmane lorsque le Prophète leur demanda de l'aide. Un au moins, al-Mut'im ibn Adî, mourut sans adhérer à l'islam. L'idée de rechercher une aide extérieure ou, plus particulièrement, l'aide de non-musulmans, n'est donc pas exclue par l'islam ni par le Prophète. Néanmoins, dans le cas dont nous parlons, il rejeta la proposition des ansâr de demander l'aide de leurs alliés juifs.

À Uhud

Le Prophète et les sept cents compagnons qui restaient avec lui poursuivirent leur marche jusqu'à Uhud, armés d'une détermination sans faille à défendre l'islam au risque de leur vie. Chacun d'eux était plus que prêt à mourir pour la cause de l'islam. Leur importante infériorité numérique n'entamait pas leur optimisme. Ils savaient qu'ils étaient du côté de Dieu. En tant que musulmans, ils étaient convaincus que la victoire ne peut être obtenue qu'avec l'aide de Dieu. Lui Seul peut accorder la victoire à un groupe plutôt qu'à un autre.

Ils priaient donc Dieu de leur accorder Son aide afin d'obtenir la victoire. Chaque fois que les musulmans affrontaient un ennemi, ils avaient toujours à l'esprit que l'issue, quelle qu'elle soit, leur serait favorable : ce serait la victoire ou le martyre. Uhud est une montagne à laquelle on accède par de nombreux passages et chemins bien délimités, coupée de plusieurs vallées et qui forme un vaste demi-cercle faisant face à l'étroite plaine où les Quraysh avaient établi leur camp. Ses pentes offrent de nombreux renfoncements où les soldats peuvent se cacher si une stratégie défensive est choisie.

Le Prophète établit son camp à côté de la montagne, près d'une colline appelée Mont Aynayn qui dominait la plaine. Le Prophète disposa ses troupes en tirant parti de la position de la colline, de sorte qu'en faisant face à l'ennemi, elles avaient derrière elles la colline qui les protégerait contre une éventuelle attaque en tenaille. Il déploya cinquante archers expérimentés au sommet du Mont Aynayn, sous le commandement de Abdullâh ibn Jubayr.

Les ordres formels du Prophète à ces archers étaient de protéger les musulmans à l'arrière et de ne permettre sous aucun prétexte à l'ennemi de prendre leurs positions. Il leur ordonna aussi de ne pas quitter leurs positions, quelle que puisse être l'issue de la bataille. Le Prophète insista particulièrement sur ce dernier ordre, en leur disant de ne pas bouger de leur place, même s'ils voyaient de leurs yeux leurs frères musulmans se faire tuer à droite, à gauche et au centre. Si les cavaliers de Quraysh tentaient d'escalader la colline pour attaquer les musulmans par-derrière, ils devaient les repousser à coups de flèches.

Quand le Prophète eut déployé ses soldats, il s'adressa à eux pour les encourager à se battre de toutes leurs forces. Il leur dit également de ne pas commencer la bataille avant qu'il n'en donne l'ordre. A ce moment, les troupes ennemies firent leur apparition dans la plaine qui s'étendait à leurs pieds. Les deux armées étaient maintenant face à face. Les femmes de Quraysh chantaient et jouaient de la musique pour encourager leurs troupes et leur remonter le moral. Les deux armées une fois face à face, Abu Sufyân, qui était désormais le chef incontesté de Quraysh, commença à appliquer la stratégie qu'il avait imaginée. Il s'adressa aux ansâr dans le vain espoir de diviser les rangs musulmans.

Il dit aux Aws et aux Khazraj que les Quraysh n'avaient aucune querelle avec eux et ne souhaitaient pas les combattre. Si les Aws et les Khazraj laissaient les Quraysh régler leurs comptes avec leurs contribules - c'est-à-dire les muhâjirûn -, Ils n'auraient rien à craindre des Quraysh. Personne ne répondit, et personne ne prêta attention aux propos d'Abû Sufyân.

L'orateur suivant fut Abu Amir, l'homme qui avait annoncé l'avènement prochain d'un prophète mais qui avait quitté sa tribu, les Aws, quand le Prophète avait émigré à Médine et était parti rejoindre les Quraysh avec cinquante de ses contribules. Il s'adressait maintenant aux Aws dans l'espoir de les convaincre d'abandonner les rangs musulmans. Il appela ses contribules à lui répondre. La réponse vint, mais elle démentit ce qu'il avait toujours affirmé aux Quraysh. Il leur avait dit qu'il était le chef incontesté des Aws et qu'ils ne feraient rien pour lui déplaire : cependant, ils réagirent en l'insultant et en lui jetant des pierres.

Humilié, il retourna à la hâte auprès des Quraysh et leur dit : « Un démon inconnu s'est emparé de mes contribules depuis que je les ai quittés. » Les Quraysh avaient donc échoué dans leurs deux premiers objectifs : prendre les musulmans par surprise et diviser leurs rangs. Il ne leur restait plus qu'à se battre. Les Quraysh commencèrent par essayer de prendre les musulmans en tenaille. Le flanc gauche de l'armée de Quraysh, sous le commandement de 'Ikrima ibn Abî Jahl, essaya de contourner les musulmans mais ne put y parvenir.

Le flanc droit, commandé par Khâlid ibn al-Walîd, effectua une tentative similaire mais fut repoussé par d'intenses tirs de flèches de la part du groupe posté au sommet du Mont 'Aynayn. Les deux armées se retrouvaient à leur point de départ. Un homme sortit des rangs des Quraysh pour réclamer un combat singulier. Az-Zubayr ibn al-Awwâm releva le défi, se battit avec lui et le tua, suscitant la joie des musulmans qui lancèrent leur cri de ralliement toujours aussi inspirant : « Dieu est Grand ! »

La bataille commença alors véritablement et les musulmans étaient prêts à réitérer leur magnifique victoire de Badr. Ils n'étaient pas découragés par le fait que l'ennemi était quatre fois plus nombreux qu'eux. Pour la plupart d'entre eux, la victoire était certaine et allait bientôt survenir, car ils avaient compris depuis longtemps que c'est Dieu qui accorde la victoire. Puisqu'ils luttaient pour la cause de Dieu, ils étaient sûrs de l'emporter. Un épisode, celui d'Abû Dujâna Simâk ibn Kharasha, illustre bien l'attitude des musulmans lors de la bataille d'Uhud. Le Prophète tendit un sabre et demanda à ses compagnons, tout en organisant les troupes : « Qui prendra ce sabre à sa juste valeur ? »

Plusieurs hommes se manifestèrent mais le Prophète ne leur donna pas le sabre. Abu Dujâna, quant à lui, s'avança et demanda : « Quelle est sa juste valeur, Messager de Dieu ? » Le Prophète répondit : « Que tu en frappes l'ennemi jusqu'à ce qu'il soit tordu. » Abu Dujâna dit alors : « Je le prends à sa juste valeur. » Il était connu comme un valeureux combattant, et, en temps de guerre, il adoptait une certaine démarche pleine d'orgueil. Il sortit un cordon rouge et se l'attacha autour du front, un geste qui signifiait qu'il était prêt à se battre. Quand le Prophète le vit faire cela, il lui dit : « Ce type de démarche est réprouvé par Dieu, sauf en temps de guerre. »

Tandis que les combats faisaient rage, Abu Dujâna se battit vaillamment et tua tous les soldats ennemis qui tentaient de s'opposer à lui. Tandis qu'Abû Dujâna avançait ainsi, un soldat ennemi s'occupait à chercher tous les musulmans blessés et à les achever. Bientôt, ce soldat se trouva face à Abu Dujâna et chacun frappa l'autre. Abu Dujâna parvint à détourner le coup de son adversaire, de sorte qu'il ne toucha que son bouclier, et le tua. Avançant encore, il rencontra un autre soldat portant un masque. Comme il s'apprêtait à lui porter un coup, le soldat poussa un cri et Abu Dujâna se rendit compte qu'il se trouvait face à une femme.

Il la laissa partir parce que, comme il devait l'expliquer plus tard, il pensait qu'il aurait été inconvenant de frapper une femme avec le sabre du Prophète . Cette femme n'était autre que Hind bint 'Utba, l'épouse d'Abû Sufyân. Comme la bataille se déchaînait, il était clair aux yeux de tous qu'elle était bien plus violente que tous les précédents affrontements entre les deux camps. Les musulmans concentrèrent leur attaque sur l'unité qui portait l'étendard des Quraysh. C'était traditionnellement le clan des Abd ad-Dâr qui avait l'honneur de porter le drapeau des Quraysh à chaque bataille.

Comme ils ne s'étaient guère illustrés à Badr, Abu Sufyân s'adressa à eux avant le début des hostilités : il leur dit qu'il serait préférable de donner le drapeau à une autre unité si les combattants de 'Abd ad-Dâr comptaient se battre comme ils l'avaient fait à Badr. Son but réel était de les piquer au vif afin qu'ils soient déterminés à se battre jusqu'au bout. Ils répliquèrent que cette fois, personne ne pourrait critiquer leur manière de combattre. De fait, ils luttèrent admirablement. Tandis que les musulmans concentraient leur attaque sur eux, les Abd ad-Dâr se défendirent avec courage et détermination.

Mais ils ne pouvaient pas résister à leurs assaillants. Talha ibn Abî Talha, le porte drapeau de Quraysh, fut bientôt tué par Alî. L'étendard fut ensuite repris par son frère 'Uthmân, qui à son tour fut tué par Hamza. Le même scénario se reproduisit plusieurs fois : non moins de sept frères portèrent l'étendard des Quraysh, et tous furent tués. Trois autres de leurs proches furent tués eux aussi en le reprenant. Puis le drapeau demeura au sol, tandis que le chaos régnait dans l'armée de Quraysh.

C'était l'armée la moins nombreuse qui combattait avec le plus d'acharnement. Bien que les Quraysh soient venus pour se venger de leur précédente défaite, les musulmans étaient animés de meilleurs espoirs et d'une plus puissante motivation pour bien se battre. Après tout, c'était leur foi qu'ils défendaient. Il n'était donc pas surprenant qu'ils luttent de toutes leurs forces et gagnent rapidement du terrain sur l'ennemi. Hamza ibn Abd al-Muttalib, l'oncle du Prophète qui avait décimé les Quraysh lors de la bataille de Badr, réitéra sa prouesse. Il tua au moins deux des porte-drapeaux ainsi que d'autres soldats de Quraysh. Mais il avait un ennemi qu'il ne voyait pas.

Wahshî, un esclave abyssin, excellait au tir de lance. Son maître, Jubayr ibn Mut'im, lui avait promis de l'affranchir s'il tuait Hamza pour venger la mort à Badr de Tu'ayma ibn Adî, l'oncle de Jubayr. Hind bint 'Utba promit elle aussi à Wahshî une importante récompense s'il tuait Hamza pour venger la mort de son père, de son frère et d'autres parents. Wahshî accompagnait l'armée de Quraysh, mais il ne prenait pas part aux combats : il ne cherchait que Hamza. Il le trouva en train de se battre avec un courage exceptionnel. Comme Hamza s'approchait d'un homme de Quraysh appelé Sabbâ' ibn Abd al-'Uzzâ, il se trouva à la portée de la lance de Wahshî.

Hamza manqua la tête de Sabbâ' avec son sabre quand Wahshî le visa avec sa lance et l'atteignit dans le bas-ventre. La lance le transperça et ressortit entre ses jambes. Il essaya d'avancer vers Wahshî mais n'y parvint pas et tomba. Wahshî attendit que Hamza soit mort, puis il arracha sa lance de son corps. N'ayant plus aucun intérêt dans la bataille, Wahshî repartit alors, après avoir gagné sa liberté.

Hind bint 'Utba qui pendant un an avait ruminé sa rancune contre Hamza entreprit alors de le mutiler. Lui ouvrant le ventre, elle en sortit son foie qu'elle essaya de manger. Ne parvenant pas à le couper avec ses dents, elle le jeta. La mort de Hamza n'eut cependant guère d'incidence sur la tournure prise par la bataille. Il devint bientôt clair que les musulmans prenaient le dessus. La confusion gagna chez les Quraysh. De nombreux soldats commencèrent à prendre la fuite. Les musulmans, quant à eux, commencèrent à ramasser leur butin.

De la désobéissance à la contre-attaque

Il ne s'agissait cependant que de la première phase de la bataille, qui était clairement favorable aux musulmans. Ils dominaient leur ennemi, malgré leur infériorité numérique. Ils combattaient pour une cause. Rien ne peut davantage motiver les gens que la foi, et les musulmans en étaient abondamment pourvus. Cependant, même les croyants les plus ardents ont leurs moments de faiblesse. L'un de ces moments arriva alors que toutes les apparences indiquaient que les musulmans étaient sur le point de gagner la bataille.

L'unité que le Prophète avait placée sur le Mont 'Aynayn avec pour mission de repousser toute tentative de l'armée de Quraysh de lancer une attaque en tenaille contre les musulmans avait joué un rôle très important dans cette victoire initiale. Il faut se rappeler que l'unité avait reçu du Prophète l'ordre formel de ne quitter sa position sous aucun prétexte. Ces hommes étaient l'arrière-garde de l'armée musulmane. Le Prophète n'aurait pas pu exprimer de façon plus éloquente l'importance du maintien de leur position : « Même si vous nous voyez nous faire tuer à gauche, à droite et au centre. »

Malgré cette insistance, lorsque les archers du Mont Aynayn - qui peuvent être comparés, dans la tactique militaire moderne, à l'artillerie couvrant l'avance de l'infanterie - virent leurs frères musulmans commencer à ramasser le butin, ils eurent le sentiment que la bataille était terminée et qu'ils étaient libres de quitter leurs positions. Leur commandant, Abdullâh ibn Jubayr, comprenait parfaitement qu'un tel comportement était contraire aux ordres du Prophète. Il leur rappela ses instructions et leur dit qu'ils prenaient le risque de déplaire au Prophète.

Malgré cela, ils ne l'écoutèrent pas. Pour eux, les instructions du Prophète ne les engageaient que jusqu'à l'obtention de la victoire. La victoire étant acquise - à ce qu'ils croyaient - ils n'avaient aucune raison de rester sur leurs positions en laissant tout le butin aux autres combattants. Ils descendirent donc sur le champ de bataille pour participer au ramassage du butin. Seul Abdullâh ibn Jubayr resta sur la colline avec quelques soldats, obéissant à la lettre aux instructions du Prophète.

Khâlid ibn al-Walîd, qui commandait l'aile droite de l'armée de Quraysh, était un combattant hors pair. Il devait par la suite prouver ses qualités de stratège dans les nombreuses batailles où il combattit pour la cause de l'islam. À Uhud, cependant, il se battait contre l'islam. Il comprit que le seul espoir qu'il restait aux Quraysh de retourner la situation en leur faveur résidait dans l'éventualité de parvenir à attaquer les musulmans par-derrière. Tandis que les soldats de Quraysh battaient en retraite, il avait le regard fixé sur ce qui se passait au sommet du Mont Aynayn.

Il évaluait la situation et se demandait s'il était possible de réitérer sa précédente tentative, alors vaine, d'escalader la colline par l'arrière. Tout à coup, il vit les archers musulmans, ou du moins la plupart d'entre eux, quitter leurs positions pour rejoindre leurs compagnons d'armes sur le champ de bataille. Sans hésiter un instant, Khâlid ibn al-Walîd éloigna ses troupes de la principale zone des combats, leur faisant décrire un vaste demi cercle qui les conduisit à l'arrière du Mont Aynayn. Là, ses soldats et lui se battirent contre l'unité, maintenant très clairsemée, qui restait avec Abdullâh ibn Jubayr.

'Ikrima ibn Abî Jahl, le commandant de l'aile gauche de l'armée de Quraysh, emboîta le pas à Khâlid, et ils eurent tôt fait de venir à bout de la vaillante résistance que ceux qui restaient en haut de la colline leur opposèrent comme le Prophète le leur avait ordonné. Khâlid et 'Ikrima lancèrent alors une violente attaque contre les musulmans par l'arrière. Ils pénétrèrent dans leurs rangs en criant le nom de leurs principales idoles, comme al-'Uzzâ et Hubal. Cela causa quelques hésitations chez les musulmans et une agréable surprise pour les unités de l'armée de Quraysh qui étaient en pleine retraite.

Ces unités purent alors contre-attaquer en profitant de l'hésitation des musulmans. Une femme nommée Amra bint Alqama du clan des Hârith ramassa par terre l'étendard des Quraysh qui avait été piétiné et le brandit, ce qui en fit un point de ralliement pour les Quraysh revenant à la charge. La vitesse à laquelle tout cela se produisit prit les musulmans par surprise et les laissa dans la plus grande confusion. Ils ne comprenaient pas comment l'armée qui, quelques instants auparavant battait en retraite, pouvait maintenant les attaquer par l'avant et par l'arrière.

Bon nombre de soldats musulmans furent tués, mais la confusion qui se répandit dans leurs rangs était bien plus désastreuse que le nombre de victimes. À ce moment-là, quelqu'un cria très fort : « Muhammad a été tué ! » Le cri fut répété et troubla profondément les musulmans. La plupart furent déstabilisés et beaucoup pensèrent que la défaite était inévitable. Les musulmans ne savaient pas ce qui était en train de leur arriver. Certains d'entre eux partirent dans la montagne pour essayer d'y trouver une position sûre.

D'autres fuirent tout simplement la bataille. Certains luttaient encore et se défendaient de toutes leurs forces. Ils se disaient que se battre jusqu'à la mort était la meilleure chose qu'ils pouvaient faire. D'auttes étaient si surpris et si troublés qu'ils posèrent les armes et cessèrent de se battre. Une partie d'entre eux commençaient à se demander : « Si Muhammad est mort, pourquoi continuer à combattre ? Ne vaudrait-il pas mieux retourner à Médine où nos contribules pourraient trouver un accord avec les Quraysh ? »

D'autres pensaient que le combat entre l'islam et l'ignorance avait atteint son point décisif, et qu'ils seraient inévitablement tués. Cependant, le Prophète n'était pas mort. De surcroît, il n'était pas homme à être ébranlé par la défaite ni à baisser les bras quand la mort le regardait en face. Il était un exemple pour tous les croyants de toutes les époques. Il se dressa fermement, appelant ses compagnons : « Venez, vous qui adorez Dieu ! Revenez vers moi ! Je suis le Messager de Dieu. »

Il appela même certains hommes par leur nom. Toutefois, la plupart de ses compagnons ne l'entendirent même pas quand il les appela. Une poignée d'entre eux, pas plus de dix selon les plus hautes estimations, restèrent à ses côtés et jurèrent de se battre avec lui jusqu'à la mort. Ils prirent une position qui leur permettait d'être quelque peu protégés et se battirent avec la plus grande détermination.

Les Quraysh tentent de tuer le Prophète

Nous avons mentionné précédemment que les Quraysh avaient l'intention, si les hostilités éclataient, d'essayer de tuer le plus grand nombre possible de hauts personnages musulmans. Ils allaient maintenant essayer de frapper au sommet en tuant Muhammad lui-même. Une attaque résolue fut lancée dans le seul but de tuer le Prophète. Les Quraysh avaient compris que les musulmans ne pourraient pas survivre s'ils étaient privés de leur guide.

Leur sentiment national n'était pas encore assez fort pour résister à un bouleversement comme celui que susciterait la mort du Prophète. Ainsi, en attaquant le Prophète personnellement, les Quraysh visaient-ils l'objectif unique qui réaliserait tous leurs espoirs. Le Prophète lui-même tenait fermement sa position, avec une poignée de ses compagnons qui déployaient tous leurs efforts pour le défendre et étaient prêts à mourir pour protéger le Messager de Dieu.

Celui qui le défendit le plus vaillamment fut Talha ibn 'Ubaydallâh, l'un des muhâjirûn. Il n'avait que quinze ou seize ans lorsqu'il embrassa l'islam, la semaine même où le Prophète avait commencé à recevoir la révélation divine. Maintenant âgé de trente ans, il servait toujours avec autant de dévouement la cause de l'islam. À Uhud, il se surpassa. Il combattit avec une énergie et une détermination défiant l'imagination. Son sabre à la main, il bondissait devant le Prophète, derrière lui, à sa droite, à sa gauche, écartant tous les dangers qui se présentaient. Il tournait autour du Prophète, faisant de son propre corps un bouclier destiné à le protéger des flèches et des lances de ses assaillants.

Il continua ainsi jusqu'à ce que l'attaque des Quraysh ait été repoussée. Personne ne protégea le Prophète aussi efficacement que Talha ce jour-là. Le Prophète, louant son comportement, dit : « Talha l'a rendu inévitable. » Il voulait dire par là que Talha, en défendant aussi vaillamment le Prophète, avait rendu inévitable que Dieu l'admette au Paradis. Les musulmans reconnurent le rôle joué par Talha à Uhud et le fait qu'à lui seul, il avait combattu comme toute une unité.

Abu Bakr lui-même, le plus proche compagnon du Prophète et l'un de ceux qui restèrent fermement à ses côtés alors que les musulmans étaient sérieusement ébranlés, disait de la bataille d'Uhud : « Cette journée appartenait totalement à Talha. »

Shammâs ibn 'Uthmân, du clan des Makhzûm de Quraysh, défendit lui aussi vaillamment le Prophète . Chaque fois que ce dernier se tournait vers la droite ou vers la gauche, il y trouvait Shammâs en train de se battre. Il semble que les assaillants parvinrent tout près du Prophète, de sorte que quelques-uns de ses défenseurs durent l'abriter derrière leur propre corps. L'un d'eux était Shammâs, qui se campa devant le Prophète pour le protéger de son corps et fut tué ainsi. Le Prophète dit : « Je n'ai jamais vu pareil homme que Shammâs, sauf au Paradis. Abu Dujâna, que nous avons vu prendre le sabre du Prophète « à sa juste valeur », c'est-à-dire pour « en frapper l'ennemi jusqu'à ce qu'il soit tordu », était aussi parmi ceux qui protégèrent le Prophète de leur propre corps.

Cette action est attribuée à seulement trois des compagnons du Prophète : Talha, Shammâs et Abu Dujâna. Ce dernier reçut de nombreuses flèches dans le dos alors qu'il se penchait au-dessus du Prophète pour le couvrir de son corps. D'autres compagnons du Prophète tentèrent de repousser l'attaque en se battant de toutes leurs forces. Deux d'entre eux étaient parmi les meilleurs au tir à l'arc. L'un d'eux, Abu Talha, un homme des ansâr, posa toutes ses flèches devant le Prophète et les tira l'une après l'autre. Chaque fois que le Prophète voyait l'un de ses compagnons avec un sac de flèches, il lui disait de le donner à Abu Talha.

Le Prophète suivait des yeux chacune des flèches lancées par Abu Talha pour voir si elle frappait. Abu Talha lui disait : « Envoyé de Dieu, toi pour qui je donnerais mon père et ma mère, ne regarde pas, une de leurs flèches pourrait t'atteindre. Je préférerais recevoir moi-même au cou et au visage les flèches qui te sont destinées. » Sa'd ibn Abî Waqqâs était peut-être le meilleur archer des muhâjirûn. Lui aussi resta aux côtés du Prophète, s'efforçant de repousser les assaillants à coups de flèches.

Le Prophète lui-même lui tendait les flèches, en lui disant à chaque fois : « Tire-la, Sa'd, toi pout qui je donnerais mon père et ma mère. » Il lui donnait même des flèches sans pointe, que Sa'd tirait. Cette expression parlant de sacrifier ses parents pour une autre personne était communément employée par les Arabes. Elle n'était pas à prendre au sens littéral mais exprimait un haut degré d'amour et de dévouement. Le Prophète ne l'a utilisée pour personne d'autre que pour Sa'd ibn Abî Waqqâs, à qui il était apparenté par sa propre mère. Le Prophète exprimait aussi sa fierté de Sa'd en disant : « C'est mon oncle, que chacun me montre son oncle. » Sa'd avait pourtant vingt ans de moins que le Prophète.

Pour apprécier toute la virulence de l'attaque lancée par les Quraysh contre la personne du Prophète, il faut comprendre quelle défense héroïque ses compagnons durent leur opposer. Une femme des ansâr, Nasîba bint Ka'b, avait accompagné l'armée musulmane pour donner à boire aux soldats. Lorsqu'elle s'aperçut que l'attaque contre le Prophète était si acharnée que la plupart des musulmans se trouvaient dans une confusion totale, elle posa son eau et prit un sabre.

Nouant son vêtement autour de sa taille, elle se battit plus vaillamment qu'aucun homme et reçut au moins treize blessures. L'une de ces blessures, reçue à l'épaule, était si profonde qu'elle ne devait jamais se cicatriser. Elle lui fut infligée par un homme du nom d'Ibn Qami'a, qui s'efforçait d'être celui qui tuerait le Prophète. Le Prophète a dit d'elle : « Je la voyais me défendre chaque fois que je regardais à droite ou à gauche. »

Al-Hubâb ibn al-Mundhir résista, ferme comme un roc, à toute une unité de soldats ennemis. Ses adversaires finirent par avoir le dessus et les témoins de la scène pensèrent qu'il n'en sortirait jamais vivant. Il réussit cependant à sortir de la mêlée puis à passer à son tour à l'attaque : bientôt ses assaillants prenaient la fuite.

Mus'ab ibn 'Umayr, l'un des défenseurs du Prophète , se jeta devant celui ci alors que 'Amr ibn Qami'a lui portait un coup. Mus'ab fut tué et Ibn Qami'a crut avoir atteint son but. Il retourna auprès des négateurs pour leur dire qu'il avait tué le Prophète, et c'est ainsi que la nouvelle de la mort du Prophète se répandit. Plusieurs hommes des ansâr luttèrent vaillamment pour défendre le Prophète et furent tués l'un après l'autre.

Le dernier du groupe, Zayd ibn as-Sakan, reçut une blessure mortelle : le Prophète l'allongea en lui faisant reposer la tête sur son pied, le laissant ainsi jusqu'à ce qu'il rende l'âme. D'autres musulmans s'avancèrent pour défendre le Prophète. Chacun d'eux s'approcha et lui dit : « Je donne ma vie pour te sauver, je te laisse en paix sans dire adieu. » Ce furent peut-être une trentaine de soldats qui moururent en défendant le Prophète.

Quatre hommes des Quraysh étaient plus déterminés que jamais à tuer le Prophète . Ils s'étaient juré mutuellement que rien ne les empêcherait de le tuer. C'était bien connu à La Mecque, et tous les Quraysh comptaient sur eux pour tenir parole. Au plus fort de l'assaut contre le Prophète, tous les quatre étaient au coeur de la mêlée. Abdullâh ibn Shihâb parvint à atteindre le Prophète : il le blessa au front, de sorte que sa barbe était rouge de sang. 'Utba ibn Abî Waqqâs, le frère de Sa'd qui, lui, défendait si vaillamment le Prophète, parvint à frapper le Prophète à la lèvre inférieure, lui cassant une incisive du bas. Amr ibn Qami'a réussit à le frapper à la joue : deux maillons du masque de fer du Prophète pénétrèrent dans sa chair. Amr frappa ensuite le Prophète à l'épaule avec son sabre ; le Prophète tomba dans un trou et ne parvint pas à se relever.

Alî ibn Abî Tâlib le tint par la main tandis que Talha ibn 'Ubaydallâh le soulevait. Cette blessure fit souffrir le Prophète pendant tout un mois. Ubayy ibn Khalaf visa le Prophète avec sa lance et dit : « Menteur, où pourras-tu me fuir ? » Le Prophète le frappa à l'épaule d'un coup de lance et il recula, épouvanté. Quand l'armée de Quraysh prit le chemin du retour, Ubayy avait renoncé à tout espoir de survie. Ses compagnons d'armes lui dirent : « Ton épaule est à peine blessée. Pourquoi te comportes-tu comme un mourant ? » Il répondit : « N'avez-vous pas entendu Muhammad, lorsqu'il a dit qu'il allait me tuer ? Par Dieu, même s'il n'avait fait que cracher sur moi, il m'aurait tué. » Ubayy mourut avant d'arriver à La Mecque.

Certains musulmans commencèrent à se rendre compte que le Prophète n'était pas mort et se joignirent à la bataille. Le premier à reconnaître le Prophète tandis qu'ils se regroupaient fut Ka'b ibn Mâlik, qui a relaté : « Je le reconnus à ses yeux qui brillaient à travers son masque. Je criai cette bonne nouvelle aux musulmans, mais le Prophète me fit signe de me taire. »

D'autres soldats arrivaient à la rescousse, et un groupe de ses compagnons amena le Prophète à un endroit bien abrité au pied de la montagne, où un certain nombre de ses partisans assurèrent sa sécurité. Il voulut escalader un rocher mais n'y parvint pas en raison de tout le sang qu'il avait pendu. Voyant cela, Talha Ibn ' Ubaydallâh s'accroupit sous lui et le souleva pour l'aider à escalader le rocher.

Le Prophète, touché par le geste de Talha, le surnomma « Talha al-Khayr », ce qui signifie qu'il était le symbole du bien. Ainsi l'assaut acharné des Quraysh visant à tuer le Prophète manqua-t-il son objectif. Le rôle central de Talha ibn 'Ubaydallâh dans cette défense fut reconnu même par ceux qui étaient eux aussi restés aux côtés du Prophète. L'un d'eux, Sa'd Ibn Abî Waqqâs, devait dire plus tard que Talha était le héros de cette journée : « Il est resté près du Prophète tandis que certains d'entre nous tentions des poussées vers l'avant puis revenions vers lui. »

Talha fut grièvement blessé. Il reçut dans la main une flèche qui en paralysa la partie inférieure. Il fut aussi atteint à la tête par une pierre et perdit connaissance. Le Prophète demanda à Abu Bakr de s'occuper de lui, et celui-ci lava sa blessure. Lorsque Talha recouvra ses sens, il demanda à Abu Bakr des nouvelles du Prophète. Ayant appris qu'il allait bien, Talha remercia Dieu et dit : « Quelque malheur qui puisse nous arriver maintenant sera sans importance. »

L'un des ansâr qui manifestèrent un grand courage dans la bataille fut Anas ibn an-Nadr, l'oncle d'Anas ibn Mâlik. Il regrettait d'avoir manqué la bataille de Badr et avait juré que s'il venait à participer à une bataille pour la cause de l'islam, Dieu verrait bien son héroïsme. Il tint parole. Lorsque la confusion s'empara des musulmans, il s'exclama : « Seigneur, j'implore Ton pardon pour ce que ceux-ci [les musulmans] ont fait, et je désavoue ce que ceux-là [les négateurs] recherchent. »

Puis il se battit héroïquement et fut tué. Personne ne put reconnaître son corps, jusqu'à ce que sa soeur finisse par l'identifier grâce à une marque qu'il avait au doigt. Son corps portait quelque quatre-vingts blessures.

De plus en plus de compagnons du Prophète retrouvaient leurs esprits et se joignaient au groupe qui était resté ferme pendant tout ce temps. Dans le désordre qui régnait encore, certains se battaient sans savoir contre qui. C'est dans cette confusion qu'un musulman, al-Yamân, un homme âgé qui était le père d'un grand commandant musulman nommé Hudhayfa, fut tué par erreur par les musulmans eux-mêmes.

Hudhayfa vit son père se faire attaquer par ses frères musulmans et tenta en vain de le prévenir. Après la bataille, il renonça à demander réparation aux meurtriers de son père.

Un étrange assoupissement

Quelque chose d'extraordinaire arriva alors aux musulmans. Tandis qu'ils se ralliaient autour du Prophète , ils furent envahis par le sommeil. Ils marchaient vers le Prophète au coeur de la bataille, et pourtant beaucoup d'entre eux sentirent le sommeil les gagner. Chacun de ceux qui s'assoupissaient ainsi laissait tomber son sabre, mais se réveillait à ce moment, plein de force et d'assurance.

Le Coran évoque cet incident lorsqu'il mentionne les événements de la bataille d'Uhud : « Cette angoisse passée, Dieu fit descendre sur vous Sa sécurité et une espèce d'assoupissement s'empara d'une partie d'entre vous. » (3.154)

La lutte était maintenant moins inégale. Les musulmans qui s'étaient ralliés autour du Prophète étaient prêts à poursuivre le combat ; ils se battaient avec détermination. Toutefois, les deux camps étaient épuisés. Les chefs des Quraysh avaient le sentiment d'avoir obtenu une victoire qui effacerait le souvenir de l'humiliation subie à Badr. Dans la situation présente, il n'était plus question d'écraser les musulmans comme ils l'avaient espéré. Les combats cessèrent peu à peu et les deux camps finirent par se retirer de la bataille.

Abu Sufyân, le chef de Quraysh, parcourut le champ de bataille, regardant ceux qui avaient été tués. Il espérait trouver le corps du Prophète. Ne le trouvant pas, il eut des doutes et retourna à son camp. Les troupes s'apprêtaient à quitter le champ de bataille. Avant le départ, Abu Sufyân se tint sur une hauteur et cria :
« Grandes sont vos actions. Nous sommes quittes. Ce jour est pout nous, et il vaut Badr. Gloire à Hubal. » (Hubal était le nom de la principale idole adorée par les païens.)

Le Prophète demanda à 'Umar de lui répondre, et celui-ci répondit avec les mots du Prophète : « Dieu est le plus Glorieux, le plus Grand. Nous ne sommes pas quittes : nos martyrs sont au Paradis, et vos morts sont en Enfer. » Abu Sufyân demanda à 'Umar de s'approcher de lui et le Prophète lui donna la permission d'aller voir ce qu'il voulait. Abu Sufyân demanda : « Je te le demande par Dieu, avons-nous tué Muhammad ? » 'Umar répondit : « Par Dieu, non. Il t'entend parler en ce moment même. » Abu Sufyân dit alors : « À mon avis, tu dis plus la vérité qu'Ibn Qami'a. »

Ibn Qami'a était l'homme qui affirmait avoir tué le Prophète. Abu Sufyân cria ensuite : « Il y a eu des mutilations de vos hommes qui ont été tués. Je jure par Dieu que cela ne m'a ni plu, ni déplu. Je ne l'ai ni approuvé, ni interdit. » Abu Sufyân faisait allusion à ce que certains hommes et femmes de Quraysh, dont sa propre épouse Hind bint 'Utba, avaient fait aux corps des musulmans tués. Ils avaient coupé le nez et les oreilles des martyrs musulmans et s'en étaient fait des bracelets et des colliers ; nous avons déjà relaté ce que Hind avait fait à Hamza.

Avant de partir, Abu Sufyân dit encore : « Rencontrons-nous à nouveau à Badr l'année prochaine. » Le Prophète ordonna à 'Umar d'accepter le défi. Maintenant que l'armée de Quraysh s'apprêtait à partir, le Prophète s'inquiéta qu'ils ne tentent d'attaquer Médine elle-même. Il envoya son cousin, Alî ibn Abî Tâlib, en reconnaissance en lui disant : « Suis-les et regarde ce qu'ils font et ce qu'ils préparent. S'ils montent leurs chameaux plutôt que leurs chevaux, ils sont en route pour La Mecque. Si, en revanche, ils montent leurs chevaux et laissent leurs chameaux les suivre, leur objectif est Médine. »

Après le départ de Alî, le Prophète dit : « Par Celui qui détient mon âme en Son pouvoir, s'ils veulent attaquer Médine, je marcherai sur eux et je les combattrai jusqu'au bout à Médine. » 'Alî revint bientôt annoncer que l'armée de Quraysh rentrait à La Mecque.

Les compagnons du Prophète s'occupaient de lui et essayaient de soigner ses blessures. Abu 'Ubayda Amir ibn al-Jarrâh retira les deux maillons du masque de fer du Prophète qui étaient enfoncés dans sa joue. Les musulmans se mirent à vérifier si certains des combattants gisant au sol étaient encore en vie. Le Prophète demanda à certains d'entre eux de chercher l'un de ses compagnons, Sa'd ibn ar-Rabî'. Un homme le trouva grièvement blessé et lui dit : « Le Prophète m'a demandé de chercher à savoir si tu étais vivant ou mort. »

Sa'd répondit : « Je suis parmi les morts. Salue de ma part le Prophète et dis-lui que Sa'd ibn ar-Rabî' prie Dieu de le combler de la meilleure récompense qu'un prophète puisse obtenir. Salue aussi tes concitoyens et dis-leur que Sa'd ibn ar-Rabî' leur fait dire qu'ils ne peuvent avoir aucune excuse auprès de Dieu s'ils laissent le Prophète se faire tuer tandis que l'un d'eux est encore en vie. »

Le Prophète lui-même parcourut le champ de bataille pour regarder les morts. Quand il arriva au corps de son oncle Hamza et vit à quel point il était défiguré, sa peine fut immense. Il s'exclama : « Je n'ai jamais rien vu d'aussi insupportable ! » Puis son regard s'arrêta sur Mus'ab ibn 'Umayr qui avait également été tué et qui ne portait qu'un court vêtement ; il dit : « Je t'ai vu à La Mecque quand personne n'était plus beau ni plus élégant que toi. Te voici maintenant la tête couverte de poussière, ne portant que cet humble vêtement. »

Il regarda ensuite tous ceux qui avaient été tués dans la bataille et dit : « Je témoigne pour ceux-là. Quiconque reçoit une blessure en combattant dans la voie de Dieu sera ressuscité avec sa blessure en train de saigner ; sa couleur sera celle du sang et son odeur celle du musc. » Le Prophète fit ensuite enterrer les victimes là où elles étaient tombées. Il demanda à ses compagnons d'envelopper les corps tels qu'ils étaient, sans laver les blessures. Deux ou trois corps étaient enterrés dans chaque tombe ; à chaque fois, celui qui connaissait le mieux le Coran était placé avant ses compagnons.

En effet, le Prophète se rendait compte que ses compagnons étaient extrêmement fatigués et il ne voulait pas épuiser leur énergie en leur faisant creuser une tombe individuelle pour chaque mort. Les musulmans perdirent soixante-dix martyrs à la bataille d'Uhud ; quatre faisaient partie des muhâjirûn, les autres étaient des ansâr. Les Quraysh perdirent quant à eux vingt-quatre hommes.

Lorsque les soixante-dix musulmans furent enterrés, le Prophète et ses compagnons repartirent pour Médine. Beaucoup d'entre eux étaient blessés, dont le Prophète lui-même. Certains, comme Talha et 'Abd ar-Rahmân ibn Awf, avaient reçu une vingtaine de blessures. Tous se reprochaient leur erreur et leur désobéissance aux ordres du Prophète. Ils imploraient Dieu de leur pardonner.

Retour à Médine

À leur arrivée à l'entrée de la ville, ils furent accueillis par un groupe de femmes qui pleurait ses morts. En voyant le Prophète , les femmes cessèrent de pleurer et accoururent vers lui pour s'assurer qu'il allait bien. Deux femmes du clan des Abd al-Ashhal lui parlèrent. Umm Amir dit : « Tant que tu es en vie, la catastrophe qui nous frappe est sans importance. » La mère de Sa'd ibn Mu'âdh se précipita vers lui et, ayant vérifié que son état n'était pas inquiétant, elle dit : « Maintenant que je te vois sain et sauf, la gravité de notre désastre s'atténue. »

Le Prophète lui présenta ses condoléances pour la mort de son fils Amr et lui dit : « Umm Sa'd, sois heureuse et annonce aux familles des martyrs que leurs morts sont tous réunis au Paradis. » Elle répondit : « Nous sommes heureux avec le Messager de Dieu parmi nous. Pourquoi pleurerions-nous sur eux maintenant ? Implore Dieu pour ceux qu'ils ont laissés derrière eux, Messager de Dieu. » Le Prophète prononça pour eux cette invocation : « Seigneur, fais que leur peine soit temporaire, adoucis leur malheur et accorde une généreuse récompense à ceux qui restent. »

Le Prophète demanda ensuite à ceux de ses compagnons qui étaient blessés de rester chez eux et de soigner leurs blessures. Il rentra chez lui mais ne put descendre sans aide de sa monture. Il s'appuya sur ses deux compagnons Sa'd ibn 'Ubâda et Sa'd ibn Mu'âdh pour entrer dans sa maison. Quand Bilâl appela à la prière de maghrib, il sortit de la même manière pour rejoindre la mosquée. La prière terminée, il rentra chez lui. Plusieurs personnages importants des deux tribus des ansâr, les Aws et les Khazraj, passèrent la nuit dans la mosquée pour assurer la sécurité du Prophète, car ils craignaient que les Quraysh ne décident d'organiser un raid contre sa maison pendant la nuit.

Le Prophète donna la permission de pleurer sur les morts, conscient que les larmes apaisent le chagrin. Il interdit cependant toutes les autres manifestations de deuil courantes avant l'islam, comme de s'arracher les cheveux, de se griffer le visage ou de se lamenter. Cette interdiction est toujours en vigueur.

En réfléchissant à ce qui s'était passé, le Prophète comprit que les forces hostiles à l'islam à Médine et dans les environs trouveraient dans la défaite des musulmans une motivation pour tenter de leur nuire davantage. Il était pleinement conscient que les musulmans étaient encore en position de faiblesse à Médine même. Quoique leur victoire éclatante de Badr ait renforcé leur sécurité en inspirant la crainte à leurs ennemis, la défaite militaire actuelle produirait l'effet inverse en donnant à penser que les musulmans étaient vulnérables.

Si les Quraysh devaient décider d'attaquer de nouveau ou si certaines tribus juives et les polythéistes arabes de Médine entreprenaient une action militaire conjointe contre Muhammad et ses compagnons, les musulmans se trouveraient dans une situation extrêmement périlleuse. Il fallait donc faire quelque chose pour rétablir la confiance des musulmans et dissuader leurs ennemis de les attaquer.

Poursuite dans le désert

Le lendemain, le dimanche 16 shawwâl, il fit proclamer dans les rues de Médine que les gens devaient se préparer pour une opération militaire. Cet appel s'adressait, selon les instructions du Prophète , uniquement à ceux qui avaient participé à la bataille de la veille. Les compagnons du Prophète répondirent promptement au nouvel appel.

Tous ceux qui avaient participé à la bataille se rassemblèrent, même les blessés. Aucun ne pensait que sa blessure le dispensait de participer à la nouvelle opération. Deux frères, Abdullâh et Râfi', fils de Sahm, avaient reçu plusieurs blessures à Uhud : ils n'hésitèrent pas néanmoins à répondre à ce nouvel appel. Comme les blessures de Râfi' étaient beaucoup plus graves que celles de son frère, il ne pouvait pas marcher jusqu'à la mosquée. Abdullâh le porta sur son dos une partie du chemin, puis le posa pour qu'il marche un peu.

Le Prophète fut touché de les voir dans cet état et implora Dieu pour eux. Plusieurs hommes qui n'avaient pas participé à la bataille d'Uhud demandèrent la permission de se joindre à la troupe maintenant, mais le Prophète refusa leur offre. Même Abdullâh ibn Ubayy, l'homme qui avait déserté avec le tiers de l'armée juste avant d'arriver au champ de bataille, vint trouver le Prophète et lui demanda de le laisser se joindre à l'armée. Sa proposition fut rejetée. Le Prophète ne voulait pas réhabiliter immédiatement les déserteurs ou ceux qui avaient rechigné à partir la première fois.

Si certains s'étaient repentis, leur repentir se reconnaîtrait à leur comportement futur. Le Prophète préférait attendre que Dieu leur ait pardonné. La seule exception fut Jâbir ibn Abdullâh. C'était un jeune homme dont le Prophète savait qu'il était l'un des plus fidèles de ses compagnons. Il vint trouver le Prophète et lui dit : « Messager de Dieu, c'est mon père qui m'a ordonné de rester en arrière pour m'occuper de mes sept soeurs. Il m'a dit : "Mon fils, nous ne pouvons pas tous les deux laisser ces femmes sans un homme pour s'occuper d'elles. Je ne suis pas homme à te laisser te joindre au combat avec le Prophète à ma place. Il faut donc que tu restes en arrière pour t'occuper de tes soeurs." C'est pour cette raison que je ne suis pas venu avec vous la première fois. »

Le Prophète reconnut la validité du motif pour lequel Jâbir était resté en arrière. Son père figurait parmi les combattants tués dans la bataille. Il autorisa donc Jâbir à l'accompagner. Lorsque les troupes se furent rassemblées, le Prophète dirigea une brève prière à la mosquée avant d'enfourcher son cheval, vêtu de son équipement de combat. Il donna l'étendard à 'Alî ibn Abî Tâlib (certains récits avancent toutefois qu'il le donna à Abu Bakr) et il chargea son compagnon aveugle Amr ibn Umm Maktûm de le remplacer à Médine.

Ils prirent le chemin d'un endroit appelé Hamrâ' al-Asad, à quatorze kilomètres de Médine, où ils passèrent le lundi, le mardi et le mercredi. Pendant la journée, le Prophète ordonna à ses compagnons de rassembler tout le bois qu'ils pourraient trouver ; à la nuit tombée, il leur ordonna d'allumer le plus de feux possible. Les feux se voyaient donc de très loin, donnant l'impression que l'armée musulmane était beaucoup plus importante qu'elle ne l'était réellement.

La rumeur se répandit de toutes parts que les musulmans avaient mobilisé toutes leurs forces et étaient prêts à combattre. Peu après que le Prophète et ses compagnons avaient établi leur camp à Hamrâ' al-Asad, un homme appelé Ma'bad, de la tribu de Khuzâ'a qui était en bons termes avec le Prophète, vint le trouver et lui exprima sa compassion. Ma'bad dit au Prophète : « Nous sommes navrés de ce qui vous est arrivé, à tes compagnons et toi. Nous aurions voulu que Dieu vous accorde la victoire que nous espérions et que le désastre arrive à vos ennemis. »

Ma'bad demanda ensuite au Prophète s'il pouvait faire quelque chose pour l'aider. Le Prophète lui demanda de se dépêcher de rejoindre l'armée de Quraysh et de tenter de dissuader Abu Sufyân d'entreprendre une nouvelle offensive contre les musulmans. Ma'bad voyagea rapidement et rejoignit l'armée de Quraysh à un endroit du nom d'ar-Rawha, situé sur le chemin de La Mecque à environ soixante kilomètres de Médine.

Les chefs de Quraysh étaient en train de débattre des résultats de leur campagne. La plupart étaient très déçus. Ils se reprochaient de s'être retirés si vite une fois que la victoire était assurée. Ils se rendaient compte que la défaite des musulmans n'était pas écrasante. Leurs chefs, qui pouvaient mobiliser leurs forces, étaient toujours en vie. Le Prophète lui-même, quoique blessé, avait survécu. De nombreuses voix s'élevaient chez les Quraysh pour réclamer un retour à l'attaque.

Lorsque Ma'bad les rattrapa, Abu Sufyân lui fit bon accueil, dans l'espoir d'en tirer des renseignements sur la situation des musulmans. Abu Sufyân demanda quelles nouvelles Ma'bad connaissait, à quoi ce dernier répondit :
« Muhammad a mobilisé une force telle que je n'en ai jamais vu de ma vie. Ils bouillonnent tous de rage. Tous ceux de ses partisans qui n'ont pas participé à l'affrontement entre vos deux camps sont avec lui maintenant, regrettant de l'avoir abandonné auparavant. Ils sont dans un état de colère rarement vu. » Choqué et alarmé, Abu Sufyân tenta de s'assurer que Ma'bad était certain de ce qu'il avançait. Ma'bad joua astucieusement son rôle. Il dit : « Si tu ordonnais maintenant à tes troupes de se mettre en marche, j'imagine que le temps que vous commenciez à avancer vous verriez arriver leurs chevaux. »

Abu Sufyân lui dit qu'ils avaient décidé d'attaquer à nouveau les musulmans pour tenter de les anéantir. Ma'bad répondit : « Je te conseillerais de n'en rien faire. » Cela montre toute l'habileté de la manoeuvre du Prophète . Il avait compris que les Quraysh ne tarderaient pas à se rendre compte que la victoire qu'ils avaient remportée était loin d'être décisive. Leur réaction logique serait d'essayer de frapper les musulmans dans leur moment de faiblesse.

Si les Quraysh étaient revenus attaquer les musulmans à Médine, nombreux auraient été ceux qui auraient recommandé de faire la paix avec eux dans des termes qui n'auraient pas été satisfaisants pour les musulmans. Beaucoup auraient voulu éviter le combat, beaucoup d'autres, blessés à Uhud, n'auraient pas pu se battre. La situation était tles plus délicates pour les musulmans. Ils risquaient de perdre beaucoup de ce qu'ils avaient construit durant les trois années écoulées depuis l'émigration du Prophète à Médine.

En partant pour Hamrâ' al-Asad, en y établissant leur camp et en allumant de si grands feux en une démonstration de force, en attendant l'ennemi, - grâce à ces tactiques, ainsi qu'à la ruse psychologique de Ma'bad contre Abu Sufyân - les musulmans obtinrent un répit après lequel ils pourraient envisager une nouvelle bataille dans de bien meilleures conditions.

Abu Sufyân conduisit rapidement son armée à La Mecque. C'était un habile politicien et un excellent commandant militaire. Sur la route de La Mecque, il rencontra quelqu'un qui se dirigeait vers Médine. Il lui demanda : « Veux-tu apporter un message à Muhammad, et en échange je te donnerai une charge de chameau de raisins secs la prochaine fois que tu viendras à La Mecque ? » L'homme ayant accepté, Abu Sufyân lui dit : « Dis à Muhammad que nous allons revenir l'écraser, lui et ses compagnons. »

Lorsque les musulmans reçurent le message, ils dirent, comme le relate le Coran : « Dieu Seul nous suffit. N'est-Il pas le meilleur des protecteurs ? » (3.173) Ainsi Abu Sufyân essayait-il d'employer la même tactique dont le Prophète avait fait usage contre lui, afin de dissuader les musulmans de passer à l'attaque. Les musulmans restèrent trois jours dans leur camp de Hamrâ' al-Asad : ils comprirent alors que les Quraysh tentaient seulement de les intimider et furent certains, grâce aux renseignements qu'ils avaient reçus, que l'armée de Quraysh était repartie à La Mecque.

La bataille d'Uhud fut cruciale pour les musulmans. Les musulmans de cette première génération surent en tirer des leçons pour le restant de leurs jours. Cette bataille est commentée dans une soixantaine de versets de la troisième sourate du Coran, « La Famille de 'Imrân », qui est l'une des plus longues du Coran. On peut remarquer que seuls de légers reproches sont adressés aux musulmans pour leurs échecs, des reproches qui sont toutefois mêlés de conseils destinés à remettre les musulmans sur la bonne voie pour qu'ils obtiennent de meilleurs résultats à l'avenir.

La principale leçon à tirer était peut-être que les musulmans ne devaient pas se laisser aller à l'autosatisfaction, car Dieu n'accorde la victoire qu'à ceux qui sont bien préparés et prêts à consentir les sacrifices nécessaires. Les soldats qui quittèrent la bataille pour chercher refuge dans la montagne n'étaient pas des lâches : ils étaient simplement en proie à une grande confusion. L'attitude du Prophète n'était pas celle d'un commandant qui, dans une situation critique, voulait montrer qu'il avait raison et qu'on aurait dû l'écouter dès le début.

Il se contenta de montrer ce qu'étaient véritablement la conviction et le courage. Il ne fit d'ailleurs aucun reproche à ses hommes après la bataille, leur pardonnant généreusement leurs erreurs. Il les consola et les encouragea au contraire en disant : « Ils n'auront plus jamais un tel avantage sur nous, jusqu'à ce que nous pénétrions à la Ka'ba. » Dieu, dans le Coran, a fait l'éloge de la générosité du Prophète : « C'est par un effet de la grâce de Dieu que tu es si conciliant envers les hommes, car si tu te montrais brutal ou inhumain avec eux, ils se seraient tous détachés de toi. Sois donc bienveillant à leur égard ! Implore le pardon de Dieu en leur faveur ! Consulte-les quand il s'agit de prendre une décision ! Mais, une fois la décision prise, place ta confiance en Dieu, car Dieu aime ceux qui mettent en Lui leur confiance ! » (3.159)

La bataille d'Uhud, quant à elle, avait permis de distinguer les vrais croyants des hypocrites. Elle contribua donc à purger les rangs des musulmans de leurs maillons faibles. Ceux qui croyaient réellement en Dieu et suivaient Son messager avec sincérité et conviction purent réussir le test. Parmi eux, Dieu choisit un certain nombre de martyrs.

Un martyr est choisi par Dieu pour témoigner de la vérité de la foi musulmane. Le mot arabe shahîd, qui signifie martyr, dérive de la même racine que le mot shâhid, qui signifie témoin. Le martyr qui sacrifie sa vie pour la cause de l'islam adopte par là même la posture d'un témoin pour la cause à laquelle il croit. La cause, en l'occurrence, est celle de Dieu : le fait qu'il est le Souverain suprême de l'univers, le Créateur Nourricier, la seule divinité à adorer. La cause de l'unicité divine est celle de la vérité absolue. Celui qui témoigne pour cette vérité, au sacrifice de sa vie, mérite d'être récompensé comme Dieu Seul peut le faire.

Ces témoins, ou ces martyrs, ne sont appelés à témoigner que lors des épreuves. A Uhud, les musulmans connurent une épreuve et soixante-dix martyrs furent appelés à témoigner. Selon l'islam, les martyrs qui sacrifient leur vie pour la cause de Dieu ne sont pas morts : ils restent vivants au Paradis. Le Prophète dit à ses compagnons : Lorsque vos frères furent tués à Uhud, Dieu plaça leurs âmes dans la poitrine d'oiseaux verts qui furent admis au Paradis. Ils boivent à ses rivières, mangent de ses fruits et demeurent dans des lanternes d'or sous le trône de Dieu. Tout en jouissant de leur nourriture, de leur boisson et de leur demeure, ils dirent : « Si seulement nos frères savaient ce que Dieu nous a donné en récompense, afin qu'ils ne faiblissent pas au jihâd et n'hésitent pas à la guerre. »

Dieu leur dit : « Je le leur transmettrai de votre part. » Puis Il révéla les versets suivants : « Ne crois surtout pas que ceux qui sont tombés pour la Cause de Dieu soient morts. Ils sont, au contraire, bien vivants auprès de leur Seigneur qui les comble de Ses faveurs. Ils sont heureux d'être reçus au sein de la grâce du Seigneur, et ravis que leurs compagnons de combat qui ne les ont pas encore rejoints ne connaîtront ni peur ni chagrin. Et ils se réjouissent des bienfaits et de la grâce de Dieu, sachant que Dieu ne frustre jamais de leur récompense les croyants. » (3.169-171)